L’angoisse du gardien des buts radicaux au moment de l’épidémie

Je considère tout ce qui ressemble à un « journal de confinement » comme un dégât collatéral de l’actuelle épidémie ; je me suis donc tenu soigneusement à l’écart de telles publications. Si j’ai fait une exception pour Quand la ville se tait. Chronique d’une sidération, c’est que j’ai croisé – il y a fort longtemps – son auteur, Patrick Drevet, avec lequel je partage un intérêt pour l’Enragé Jean-François Varlet.

Moi qu’une sidération bien réelle, au moins durant les premières semaines de confinement a rendu incapable de tout travail intellectuel, je ne peux que juger admirable le travail de Drevet. Il est de surcroît courageux, dans la mesure où l’auteur a résisté à la tentation de rectifier après coup ses impressions quotidiennes. Il a encore effectué un travail considérable de veille sur Internet, et reproduit communiqués, statistiques et déclarations, en France et à l’étranger (hélas sans sourcer les informations, sans doute pour conserver une fluidité littéraire à son texte).

Outre les remarques de bon sens qu’un auteur, que je qualifierai d’« outre-gauche » pour utiliser l’expression de Lola Miesseroff, peut faire sur le renforcement croisé du sécuritaire et du sanitaire à l’occasion de la crise épidémique sans précédent que nous traversons, on apprend donc beaucoup de choses.

J’ajoute encore que le texte est exempt d’hypothèses complotistes. Cependant, s’il se dispense à la fois de nier l’existence du virus Covid-19 et de l’attribuer à je ne sais quelle manipulation de la CIA, Drevet ne peut se défendre de ce que j’appellerai le « surplomb du non-dupe ». Or, comme le disait Lacan, honnête calembourier du XXe siècle, « les non-dupes errent ». J’en veux pour exemple le passage où il se plaint du refus de quelques amis de venir prendre un verre chez lui :

J’invite des amis à prendre un verre chez nous. Refus catégorique. Obéissance. Confinement. Pas même dehors et à distance ! Par des gens plutôt généreux. Se rendent-ils compte que leur regard est ostracisant dès lors qu’en temps de crise ils traitent leur non-hôte en pestiféré potentiel, et brisent tout lien. [24 mars, p. 19]

Au moins au moment où l’auteur rédige les lignes qui précèdent, il est manifestement incapable d’envisage l’hypothèse qu’il peut être aussi « généreux » que prudent de décliner une invitation à prendre l’apéro quand on ignore les modes de contagion et que l’on ne dispose pas de tests…

Pourquoi ? Sans doute parce qu’apparaît comme un piège par essence toute mesure imposée ou recommandée par un gouvernement. On ne saurait partager l’avis du gouvernement en quelque matière n’est-ce pas ? Même sur la propagation d’un virus. Ne risquerait-on pas – et je m’empresse de préciser que j’ignore tout du point de vue de Drevet sur la question – de considérer comme « ostracisant » l’emploi systématique du préservatif comme moyen de prévention des maladies vénériennes (y compris mortelles).

On m’objectera que l’usage du préservatif n’est pas obligatoire. J’en conviens, et j’en profite pour formuler une remarque. Le confinement, même contourné, a contrarié beaucoup de relations affectives et·ou érotiques, dont bon nombre n’avaient rien de clandestines. C’est à ma connaissance la première fois que – certes indirectement – l’État moderne s’immisce de manière aussi invasive dans la vie relationnelle d’un aussi grand nombre de personnes. Je crains que ce précédent serve dans l’avenir de modèle à d’autres « mesures de santé publique » qui visent directement les « comportements sexuels ».

Drevet a, semble-t-il, pratiqué l’objection de conscience vis-à-vis des autorisations dérogatoires de sortie. Je ne trouve cela ni dérisoire ni admirable. Mais lui présume l’état d’esprit des « obéissants » :

Ceux qui se promènent avec leur petit papier ont l’air satisfait, incapables d’imaginer qu’une énorme machine s’est déclenchée, qui va broyer ce qui les faisait vivre. [5 mai, p. 66]

Pourquoi prendre les gens pour des imbéciles ? Et ont-ils vraiment – sous le masque – « l’air satisfait » ? Ne pourrait-on pas dauber pareillement sur qui se plie à l’obligation, permanente celle-là, de porter sur soi (ou de pouvoir produire) des papiers d’identité en règle ?

Ce léger mépris a bien un caractère politique puisque Drevet fait montre par ailleurs d’une belle sensibilité à propos du sort réservé aux personnes âgées confinées dans des établissements « spécialisés ».

Du coup, semble considéré comme un signe encourageant le fait que « la plupart des passants le baissent [le masque] puis le quittent hors de la gare et des transports publics où c’est pointilleusement surveillé. » [23 mai, p. 89] Pour ma part, je veux croire que c’est le bon sens le plus ordinaire qui fait conserver un masque dans un espace réduit et mal ventilé, tandis que l’on peut sans risque s’affranchir de l’obligation légale de le porter quand on est en plein air.

Même amertume dans la postface, signée de Julien Coupat « et autres », et intitulée « Choses vues ». C’est une longue énumération des phénomènes observés durant l’épidémie, énumération qui n’est pas sans rappeler la déploration ordinaire des ménagères de plus de cinquante ans dépassées (et comme on les comprend !) par leur époque : « Avec tout ce qu’on voit ma pauv’ dame ! » Sans vouloir me pousser du col, je ne considère pas impossible que l’une des notations me vise (au moins pour partie) :

Nous avons vu les grands libertaires faire l’apologie du confinement et promouvoir le port citoyen du masque et les plus gros fachos en dénoncer la tyrannie.

Car voyez-vous bien, ni le confinement ni le masque ne peuvent présenter la moindre légitimité médicale, puisqu’ils sont imposés par l’État… Et voilà pourquoi votre fille de 30 ans est muette de fatigue, trois mois après avoir été guérie de son infection au Covid !

Je citerai cependant, pour clore ce billet, une formule (Agambienne, d’origine Benjaminienne) de la litanie des « Nous avons vu… » qui me paraît juste et belle, même si nous n’en tirons manifestement pas toujours des conséquences identiques, les auteurs et moi :

Nous avons vu dans toute sa nudité le réseau des dépendances à quoi nos existences sont suspendues. Nous avons vu à quoi tiennent nos vies et par quoi nous sommes tenus.

  Drevet Patrick, Quand la ville se tait. Chronique d’une sidération mars– juin 2020, Éditions Pli (Nantes), 2020, 118 p., 10 €.

Statut de l’ouvrage : acheté à la librairie La Galerie de la Sorbonne (mais les éditions Pli sont diffusées par Les Presses du Réel ; vous ne devriez pas avoir trop de mal à le trouver). 

 

La carte des affrontements de demain

Dans le souci, dont j’espère qu’on le trouvera louable, d’éclairer les autorités, et (j’avoue!) pour épater les jeunes générations (comment y peut savoir?!), je mets ci-dessous à la disposition de toutes et de tous une carte portant l’emplacement des incidents, affrontements, débordements, et autres dégénérescences marginales qui se produiront demain lors de la ronde manifestation parisienne prévue ce 23 juin 2016, à partir de Bastille, vers Bastille, et par Bastille.

NB. L’indicateur en forme de goutte d’eau renversée, frappée d’un point noir, marque l’emplacement — peut-être mobile (?) — du poste d’observation de Julien Coupat (qui portera pour l’occasion une casquette de loup de mer).

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SI VIS PACEM KALACHNIKOV *

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Il est un dommage collatéral inattendu des assassinats commis en France durant l’année 2015 par des fanatiques islamistes, lequel dommage — dont je ne doute pas que certains de mes ami(e)s libertaires se réjouiront comme d’un progrès moral — se fait sentir aussi bien dans les milieux radicaux, anarchistes et autonomes que dans la grande presse bourgeoise.

Je veux parler du discrédit jeté sur la haine et sur la violence.

Le « discours de haine » — syntagme à strictement parler vide de sens — est désormais censé illustrer le comble de la malignité humaine, de la monstruosité et du recul vers la barbarie.

Non seulement l’absence de sens immédiatement perceptible — il s’agit d’un stimulus et non d’un message servant à une communication rationnelle et égalitaire — défie l’analyse, mais encore supposer un sens à cette formule entraîne mécaniquement de considérer que — exemple entre mille — le texte d’un communiqué du Medef sur la précarité de l’emploi n’est pas un « discours de haine ».

Ce point mérite un instant d’attention.

Du crétin de l’un ou l’autre genre appelé par ses fonctions de speaker ou speakerine du patronat à interpeller les politiciens et à insulter les prolétaires dans telle circonstance particulière, devrons-nous dire qu’il hait ses interlocuteurs et ceux que visent ses injures ?

Certainement, il méprise les premiers et, non moins sûrement, souffre avec difficulté l’existence des seconds (dont il ne saurait néanmoins se passer, et ça l’agace).

Mais ces sentiments, il les enrobe — on ne peut dire qu’il les dissimule : personne n’est dupe — dans une forme de politesse bourgeoise, laquelle ne peut se perpétuer qu’à la seule condition que la violence physique soit exclue de la réponse qui lui est faite.

Autrement dit : le porte-parole des patrons mérite de se faire taper à chaque fois qu’il ouvre la bouche, mais il peut entretenir le mensonge de « rapports apaisés entre partenaires sociaux » et autres répugnantes salades[2].

Ce mensonge lui-même, garanti physiquement par les gens d’armes, est une insulte supplémentaire aux oreilles de ceux et celles auxquelles il est adressé.

Il peut arriver que les mots du communiqué, soigneusement choisis par des consultants, ne se transforment pas en tir à balles réelles dans les rues. Le contraire peut arriver aussi. Tout dépend de la conjoncture, du régime et du niveau d’intensité de la guerre sociale. Pour y voir moins de « haine » que dans le geste meurtrier d’un jeune refoulé sexuel, aveuglé par des délires religieux — pardon pour ce pléonasme ! l’époque l’exige —, il faut l’acuité visuelle d’un poisson vivant dans les grandes profondeurs…

Autant le « ressentiment », moqué à juste titre par Nietzsche, me semble une impasse intellectuelle, synonyme de rancœur et de macération, autant la haine flamboyante compte et comptera — pour longtemps au moins — parmi les indispensables luminaires de la révolte et de l’action.

Que sont censés appeler, et alimenter, les « discours de haine » ?

La violence pardi !

Pas celle du cynisme politicien, du « plan social » patronal, des mensonges journalistes…

NON !

La violence.

La laide violence du poing dans la gueule. La violence du corps. Celle qui fait couler le sang et les larmes. Celle qui fait pisser et chier dans son froc qui la redoute ou l’éprouve. La violence à l’échelle humaine. Celle qui n’a ni attaché de presse ni service de sécurité.

Cette violence-là, dont je n’ai jamais été amateur fétichiste (moi, l’objecteur de conscience) a mauvaise presse — c’est bien le cas de le dire ! — jusque dans les milieux que je fréquente, pas moins sidérés que les autres par la conjonction d’une violence fanatique religieuse et de son reflet, la terrorisation démocratique poussée à la caricature.

J’en prendrai deux exemples.

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Une dizaine d’anarchistes, certainement bardés de bonnes intentions, publient fin janvier 2016 une lettre ouverte au président de la République française. Souhaitant manifester leur opposition à la possibilité réinscrite dans la loi (et étendue) d’une « déchéance de nationalité », les signataires « demandent » à être eux-mêmes déchus de la nationalité française.

Le texte de la lettre est particulièrement intéressant du point de vue qui m’occupe ici en ce qu’il mélange à dessein des éléments d’un folklore résistencialiste « violent » (les FTP) et d’un autre datant de la guerre d’Algérie (une chanson de Boris Vian).

En effet, les signataires se présentent en tête de leur texte comme « Francs tireurs Partisans d’une citoyenneté mondiale », et commencent leur lettre par « M. le Président, nous vous faisons une lettre que vous lirez peut-être si vous avez le temps. »

Ils jugent ensuite utile — et nous n’en croyons pas nos yeux ! — d’offrir à la Ve République un satisfecit rétrospectif :

Nous sommes nés dans ce pays, la France, par hasard. Nous n’avons choisi ni de naître, ni de naître en France. Il en va ainsi de tous les êtres humains.

Jusqu’à présent, ce non-choix ne nous posait pas de trop gros problèmes[3]. Nous aurions pu tomber plus mal.

Depuis déjà quelque temps, cependant, entre Notre-Dame-des-Landes et la condamnation de syndicalistes à de la prison ferme, nous avions quelques doutes sur votre capacité à faire rêver d’une France dite pays des droits de l’homme. Vous nous accorderez de ne même pas parler de socialisme.

Avec votre dernier tripatouillage politicard à propos de la déchéance du droit de nationalité, les choses sont claires. Vous jouez avec les allumettes.

Après cet endossement de l’ensemble de la terrorisation démocratique, de 1986 à 2016, sans même parler de la nature du système dont la République n’est que la mise en forme juridique[4], les signataires se déclarent « en situation d’insurrection » (autorisée par la constitution, il est vrai !).

Et voici la conclusion, Borisvianesque dans sa version soft :

Monsieur le président, prévenez vos gens d’armes, que nous serons lourdement armés de ces armes de destruction massive que sont l’intelligence, la non-violence, l’honneur et… l’humour. Et que nous n’hésiterons pas à tirer ! Avec ces armes là !

Je n’ai personnellement rien contre le sens de l’humour. D’ailleurs, certains de mes amis très proches en sont dotés ! Je ne dissimulerai pas que, moi-même, dans certaines circonstances extrêmes…

Quant à l’intelligence, pourquoi non ? Avec mesure, toutefois…

…Et sans croire, comme le plus allumé des guerriers Mau-Mau, que la chose vous immunise contre les balles (même celles en caoutchouc).

Là, c’est vous qui jouez avec les amulettes, les enfants !

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Mais laissons là nos francs tireurs d’opérette, pour nous intéresser à des révolutionnaires d’une autre envergure intellectuelle. Je veux parler d’Éric Hazan, « fondateur des Éditions La Fabrique », grand artisan de l’éradication de la lutte des classes de l’analyse historique[5] et porte-voix éditorial du parti des indigènes de la république (PIR), et de Julien Coupat, ici-même cordialement mis en boîte, mais qui préfère se définir comme « mis en examen pour terrorisme ».

Autre envergure disais-je : tribune publiée dans Libération — depuis un petit souci de communication, Tarnac snobe impitoyablement Le Monde —, citations de Kafka et Baudelaire… on sent tout de suite que les deux signataires n’ont ni les mêmes valeurs ni le même carnet d’adresse que nos « FTP ». C’est leur côté « Bordeau Chesnel ».

Le texte s’intitule « Pour un processus destituant : invitation au voyage ».

Je soupçonne une assez plate dialectique négative avec des « processus constituant » peut-être empruntés aux débris de l’autonomie universitaire italienne. Tout cela excède mes propres capacités d’intelligence ; je ne m’y attarde pas. Il s’agit, de surcroît, davantage d’un signe de reconnaissance, d’une signalétique idéologique, que d’un argument réfutable.

Je reproduis la conclusion du texte, non sans remarquer d’abord que le programme qu’elle énonce se coule tout naturellement dans le calendrier électoral (« nous avons un an et demi ») avec lequel il est supposé rompre :

Ce que nous préparons, ce n’est pas une prise d’assaut, mais un mouvement de soustraction continu, la destruction attentive, douce et méthodique de toute politique qui plane au-dessus du monde sensible.

Que de douceur décidément, en ce drôle d’hiver sans palais à prendre…

« Attentive, douce et méthodique ».

Certes, il s’agit d’une « destruction », on ne nous le cèle pas. Tout de même, voilà qui m’évoque irrésistiblement le travail de l’infirmière.

Chacun ses fantasmes, me dira-t-on ! Encore entre-t-il dans celui-ci, croyez-m’en, davantage de l’habitude du patient que de la fantaisie de l’érotomane.

Il est vrai, c’est un autre de mes défauts, que je ne suis guère globe-trotteur. Voilà peut-être qui me retient de me sentir concerné par la joyeuse invite de nos randonneurs : Allons !

Pardonnez — ou non — une trivialité qui confine à la grossièreté : aller où ? avec qui ? et pour quoi faire ?

Et surtout, me demandais-je, avec quoi dans nos besaces, chers camarades ?

Des pistolets à bouchon, de la guimauve et des alexandrins… ?

Au fait, peut-être avons-nous besoin aussi de tout cela. Et si je pensais sérieusement qu’il fût possible de construire un monde où ces ustensiles constitueront tout le nécessaire du voyageur, et de la voyageuse, sans jamais avoir à se servir d’une arme automatique, je le dirais ici avec plaisir et soulagement. Mais je n’en crois rien.

Tant pis pour qui s’autorisera de ce billet pour voir en moi le double inversé du kamikaze :

Jusqu’à preuve du contraire, je tiens qu’il est déraisonnable d’abandonner la métaphysique (sans dieu) aux fanatiques, la haine aux ignorants, et le maniement des armes de guerre à nos ennemis mortels.

Le Diable sait pourtant que j’aime voyager léger…

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[2] Pour un exemple récent, voyez les dégueulasseries de la pitoyable Cosse sur la violence de classe à Air France.

[3] Je souligne. C. G.

[4] Il s’agit du ca-pi-ta-lisme, caractérisé par l’exploitation du travail humain.

[5] Voir son histoire de la Révolution française.

 

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* Inutile de m’ensevelir sous les courriels. Je n’ignore pas que la formule latine originale  — mais dont on ignore l’origine — est « Si vis pacem para bellum » (Si tu veux la paix prépare la guerre). Peut-être ignorez-vous que Parabellum est aussi le nom d’un revolver (le Luger allemand; voir illustration ci-contre). On peut bien choisir son arme, non ?

 

Capture d’écran 2015-01-15 à 14.38.41 Ce texte a été repris sur les sites

Atheneo du Puy de Dôme

Traduction italienne:

Finimondo

Cogito ergo sum

 

Tarnac et « l’affaire Coupat » enseignés aux élèves officiers de la gendarmerie…

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Étrange document que celui-ci, en forme de fiche pédagogique, concoctée en ce mois de janvier 2016 par une enseignante du Centre de Recherche de l’École des Officiers de la Gendarmerie Nationale (CREOGN), Hélène Cavaillé.

On vérifiera au passage, et avec un certain amusement, la difficulté — également éprouvée par une soi-disant spécialiste — à présenter l’abominable désordre de la législation française dite « antiterroriste » de manière claire et ordonnée. Et on se demandera ce que les futurs officiers gendarmes peuvent bien en retenir…

L’auteure semble jouer un jeu de bonneteau, comme dans le passage qui suit, entre une critique des textes inspirés par l’Union européenne et intégrés dans le droit français, et le refus de les prendre en compte.

 

Ainsi, la question de savoir si la pose de fers à béton sur les caténaires SNCF peut porter atteinte à l’intégrité physique des voyageurs amène un questionnement sur la gravité des atteintes pour qualifier le terrorisme : doit-il y avoir des victimes décédées ou blessées, ou simplement la volonté de causer un grand nombre de victimes indifféremment du résultat suffit-il à la qualification d’acte terroriste ? Ou même, une seule victime, si sa mort est de nature à déstabiliser gravement ou détruire les structures fondamentales de l’État de droit, peut-elle justifier la qualification de terrorisme ? Il n’y a pas eu de victimes dans l’affaire Coupat. Les experts ont d’ailleurs affirmé qu’en aucun cas le procédé utilisé ne pouvait porter atteinte à l’intégrité physique des passagers. Ainsi, l’absence de victime mais la démonstration d’une volonté de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur peut-il permettre la qualification d’acte terroriste ? À quelles conditions ? Se pose la question de savoir, au delà de l’intime conviction des magistrats, ce qui est de nature à prouver objectivement la volonté terroriste.

 

Si l’on s’en tient la lettre et à l’esprit des textes, la question posée de savoir s’il doit « y avoir des victimes, ou au moins une, ou au moins la volonté d’en causer au moins une » est hors de propos. Les textes prennent en compte l’intention d’intimider une population, un gouvernement ou une organisation internationale. Le fait de causer un préjudice physique à des humains n’est pas cité comme condition nécessaire.

Par ailleurs, parler de « prouver objectivement la volonté terroriste » est particulièrement mal venu, puisqu’au contraire la législation française se caractérise, depuis 1986, par l’introduction d’une dimension subjective, explicite et assumée.

L’auteure de la note exprime l’opinion, respectable au demeurant, que les « mode de pensée marginaux » ne « peuvent » ni ne « doivent être associés à du terrorisme ». Sans noter que c’est précisément ce qu’autorisent les textes actuels.

On retiendra, si l’on tient à trouver ici une note d’optimisme bien venue dans la conjoncture présente, l’embarras visible causé dans certains milieux juridiques proche des « forces de l’ordre » par la dite « affaire de Tarnac », surtout revisitée à la lumière d’opérations terroristes de facture et hélas ! d’une efficacité que nous dirons « traditionnelles ».

 

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Les gendarmes limousins repèrent la «Mouvance anarcho-autonome» entre les lignes

Un article de Mediapart nous apprend que la Gendarmerie a trouvé le moyen de lier dans une nouvelle trame fictionnelle Tarnac et la fameuse « Mouvance anarcho-autonome », dont j’avais retracé la généalogie sur ce blogue.

Incapables de s’adapter aux nouvelles formes de mobilisation, et même de les concevoir[1], les gens d’armes continuent d’appliquer des schémas militaires et policiers du XVIIIe siècle à des coordinations et des regroupements de circonstance.

C’est ainsi que l’éphémère et ectoplasmique « Assemblée populaire du Plateau de Millevaches », qui avait appelé au « blocage » de gendarmeries et de commissariats pour protester contre l’assassinat de Rémi Fraisse, semble apparaître aux pandores comme une espèce de nouvelle incarnation du « Comité invisible ».

Une nouveauté dans cette énième mouture d’un mauvais scénario, c’est l’apparition d’un deuxième chef d’orchestre clandestin : Serge Quadruppani. On sait (ou l’on apprendra) que je n’ai guère d’estime pour le personnage. Je serais assez tenté d’ironiser ici sur le fait que la gendarmerie confonde l’achat d’une maison de campagne[2] en vue d’une pré-retraite bien gagnée avec la démarche du général rejoignant le quartier général de l’insurrection qui vient.

Je crains que l’on ne puisse pas faire qu’en sourire.

En effet, nous assistons, après le fiasco de l’instruction judiciaire de l’ « Affaire Tarnac » et juste avant le procès qui va la conclure, à une tentative de « regonfler » le mythe de la pseudo-« mouvance anarcho-autonome » par l’adjonction… d’une nouvelle plume.

On vient d’apprendre que le FBI a surveillé Ray Bradbury pendant des décennies, incapable de trouver quoi que ce soit à lui reprocher, et contraint à hasarder une critique idéologico-policière du genre science-fiction…

Voilà qu’après avoir fait du livre L’Insurrection qui vient (dont je viens d’avouer ici-même la paternité) le pivot du dossier Tarnac, les flics ajoutent une nouvelle silhouette de « nègre » à celle de Coupat.

Certes on peut diagnostiquer là une réconfortante marque de confiance dans la puissance de la littérature (et du verbe, puisque ces crétins ont fait des analyses pour attribuer à Quadruppani la lecture du commentaire du film ci-dessous). Cependant, étant donné l’armement (lourd) et les multiples capacités de nuisance de ces services d’État, le fait qu’ils fassent montre d’une aussi abyssale connerie fait froid dans le dos !

Pour ces gens (d’armes), une société est hiérarchisée, un groupe a un chef, un texte a un auteur. Le texte étant le programme du groupe, il n’y a qu’à trouver l’auteur pour décapiter la hiérarchie. CQFD.

Bref, si le contrôle au faciès est plus que jamais d’actualité dans la « prévention anti-terroriste », l’insurrectionnalisme caucasien en général, et corrézien en particulier, sera désormais détecté et pourchassé selon la bibliothèque et la bibliographie des suspects.

On les tient, chef !

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Extrait de l’article de Mediapart dans lequel est cité le rapport de gendarmerie

À défaut de faits, il faut donc pas mal d’inspiration à la section de recherche de Limoges pour conclure le 18 mai 2015 à une action « d’individus formant la frange radicale de la mouvance anarchiste (…) regroupés autour d’une organisation auto-baptisée “Assemblée Populaire du Plateau de Millevaches” ». Dans ce rapport de synthèse, l’enquêteur voit dans l’Assemblée une « structure clandestine dont la finalité portait sur des opérations de déstabilisation de l’État par des actions violentes ». Et, dans une vision très policière, il la dote de deux théoriciens, Julien Coupat et le romancier Serge Quadruppani.

Voici l’intégralité du passage intitulé « Historique de la mouvance anarchiste du Limousin ».

« Dans les années 90 jusqu’au début des années 2000, des individus affiliés à des mouvements libertaires d’ultra-gauche s’installaient en Haute-Vienne, notamment dans les communes de Nouic, Blond, Cieux et surtout Bussière-Boffy. Ces installations accompagnées d’implantations de yourtes engendraient une profonde discorde avec les élus et la population.

À partir de 2008 et suite à la médiatisation de l’affaire “des inculpés de Tarnac”, de nombreux membres se revendiquant des milieux anarcho-autonomes rejoignaient le “Plateau de Millevaches” situé aux confins des trois départements de la région du Limousin pour se rassembler autour de leur leader charismatique et idéologue, le nommé Julien Coupat (mis en examen et incarcéré dans l’affaire citée supra relative à des actes de terrorisme sur les lignes du TGV français). Ces nouveaux arrivants bénéficiaient alors d’appuis de certains élus locaux et de personnes déjà installées et ralliées à leur cause. Au fil du temps, émergeait alors une structure clandestine dont la finalité portait sur des opérations de déstabilisation de l’État par des actions violentes menées au cours des manifestations d’importance.

Cette communauté anarchiste se regroupait finalement dans un mouvement baptisé “L’assemblée populaire du Plateau de Millevaches”. Son observation permettait de mettre en évidence que celle-ci était régulièrement fréquentée par de nombreux sympathisants belges, suisses, italiens et allemands ainsi que par de jeunes activistes originaires de différentes régions de France. Très méfiants, les membres de cette mouvance adoptaient une attitude de délinquants d’habitude. Au delà de ce mode de vie qui s’apparentait à la théorie prônée par Coupat Julien et Quadruppani Serge (considéré comme l’un des fondateurs), ces individus affichaient une volonté d’agir de manière concertée avec comme seul but de porter atteinte à l’État, à l’autorité de celui-ci et à ses infrastructures. Ils obéissaient ainsi à une doctrine “philosophico-insurrectionnaliste”, tel qu’il était mentionné dans un pamphlet intitulé “L’insurrection qui vient”.

De ce fait, ils s’agrégeaient systématiquement à des mouvements de mécontentement écologistes, altermondialistes, anti-nucléaires, etc., prenant systématiquement pour prétexte certaines initiatives gouvernementales qu’ils baptisaient de “grands projets inutiles et imposés par le gouvernement ou les collectivités territoriales”. La violence à l’égard des forces de l’ordre avec la volonté de porter atteinte à leur intégrité physique apparaissait toujours dans les slogans de ces individus.

La mort de Fraisse Rémi donnait alors une nouvelle tribune à ces activistes et servait d’argument aux fins de mener des actions violentes contre les intérêts de l’État et ses représentants. Ils espéraient ainsi entraîner dans leur sillage les lycéens, écologistes, anticapitalistes, etc., souhaitant défendre cette cause et dénoncer la position du gouvernement. »

Ci-dessous l’«Appel» dans lequel les gendarmes ont voulu entendre la voix de Quadruppani (une chose est certaine, ça n’est pas lui qui parle!) et peut-être lire sa prose.

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[1] Ce qui pourrait faire seulement rire, si hélas ! la même lamentable incapacité ne les paralysait quand il s’agit de comprendre la galaxie islamiste.

[2] Serge… Pas une yourte, tout de même ?

JE SUIS L’AUTEUR DE «L’INSURRECTION QUI VIENT»

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Après les révélations remarquées de Lignes de force sur les photos de Julien Coupat détenues par les « services » français, j’ai reçu plusieurs lettres de lecteurs me posant la question suivante[1] : « Pourquoi n’avez-vous pas signé la pétition intitulée “Je suis l’auteur de L’Insurrection qui vient” » ?

Je pourrais répondre que je me suis un peu égaré dans les méandres radicalo-démocratiques du raisonnement du ou des auteur(e)s :

L’insurrection qui vient est avant tout un ouvrage, discutable et discuté, critiquant la société capitaliste. La liberté d’expression ne saurait se limiter au «droit au blasphème» : qu’un livre politique devienne la pièce centrale d’un procès où de lourdes peines de prison sont encourues, prouve de manière irréfutable qu’il s’agit bien d’un procès politique. Nous avons le droit de dire qu’il faut transformer le monde.

Nous avons également le droit de dire que, comme souvent par le passé, à l’instar de ce que rappelle l’histoire, cela ne se fera probablement pas dans le strict respect de ses lois et règlements. Traiter en «terroriste» ce qui a trait à la révolution, ou du moins à sa possibilité, est de très mauvais augure. D’ailleurs, cela n’a pas porté chance à un Ben Ali ou à un Moubarak.

L’insurrection qui vient est une expression parmi bien d’autres d’un courant de critique de la civilisation capitaliste. Si ses positions sont discutables, c’est toujours du point de vue de cette entreprise multiforme de critique du vieux monde dans laquelle je me reconnais et qui n’appartient à personne.

Affirmer le « droit » de dire que nous ne respecterons pas le droit pour changer le monde, c’est un peu comme annoncer qu’on repartira avec les couverts en argent après le dîner : ça ne dépasse guère la mauvaise éducation.

Je pourrais aussi arguer du fait que parmi le beau monde des signataires, il s’en trouve de très vilains (même le déplorable magazine Causeur a appelé son lectorat « démocrate » à signer).

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Dans «Libération» du 11 juin 2015.

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Mais la réponse est beaucoup plus simple, et si j’ai tardé à en donner connaissance à mes propres lectrices et lecteurs, c’est uniquement pour laisser toute latitude aux impétrant(e)s de se manifester.

Il vous sera facile de comprendre que si je suis le seul à ne pas avoir rejoint la cohorte des pétitionnaires, c’est évidemment parce que ma position m’imposait une provisoire discrétion.

J’estime aujourd’hui raisonnable, à l’approche du procès qui vient, d’avouer clairement et définitivement :

JE, Claude Guillon, écrivain anarchiste de langue française, suis l’auteur de L’Insurrection qui vient.

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[1] Cette question rouge nous est envoyée notamment par MM. J. C. et S. Q., de Corrèze. Ils n’ont rien gagné.

TARNAC: «LIGNES DE FORCE» A EU ACCÈS AUX VÉRITABLES PHOTOS DE JULIEN COUPAT

Après les derniers développements de l’affaire dite «de Tarnac» — décision de la juge d’instruction de ne pas retenir la qualification «terroriste» et appel du parquet —, Lignes de force a pu avoir accès non pas au dossier d’instruction (c’est à la portée du premier Mediapart venu) mais aux dossiers détenus par les enquêteurs, qu’ils se sont soigneusement abstenus de communiquer, y compris au magistrat instructeur.

On sait que la version officielle est qu’il n’existe qu’une photo  de Julien Coupat, considéré par les «services» comme le principal mis en examen. Capture d’écran 2015-08-10 à 20.41.52Des militant(e)s naïfs en ont tiré une version au pochoir (ci-contre), providence des maquettistes lassés de reproduire toujours le même (mauvais) cliché.

Or, comme Lignes de force en apporte la preuve ci-dessous, les «services» disposent de plusieurs photos d’excellente qualité de Julien Coupat. On verra qu’ils ont d’ailleurs réfléchi à des manipulations possibles, puisque des photos de la même scène figurent sous des angles inversés.

Il va de soi que, fidèle à sa position de toujours, Lignes de force préservera rigoureusement l’anonymat de ses sources et ne cédera à aucune pression gouvernementale ou policière visant à les lui faire révéler.

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Doc. n° 1. Photo de la carte d’étudiant de J. C. à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm (1994).

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Doc; N° 2. Cliché probablement pris lors d’une manifestation (ni le lieu ni la date ne sont indiquées).

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Doc. n° 3. Sur ce cliché figurent J. C. et l’une de ses complices. [Mention au dos: «I. L. ?»]

Encore une manipulation!

Les deux clichés ci-dessous indiquent, s’il en était besoin, que les spécialistes de la retouche se sont penchés sur les photos de Julien Coupat (ici lisant son catéchisme révolutionnaire dans les bois qui entourent la ferme restaurée où sa communauté a trouvé refuge). On peut supposer que d’autres photos ont été prises du public venu écouter le mage de Tarnac, mais il nous a été impossible de nous les procurer.

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Doc. n° 4.

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Doc. n° 5. On observe qu’il s’agit bien de la même scène (doc. n° 4), mais inversée, ce qui bouleverse la perspective historique.

“Comment peut-on être anarchiste?” Recension par André Bernard dans “Le Monde libertaire”

Paru dans Le Monde libertaire (7-20 mai 2015)

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Une écriture mordante et radicale

Avec Comment peut-on être anarchiste ? Claude Guillon donne à lire, presque in extenso, ce qu’il a écrit pendant ces quinze dernières années ; textes repris de différents journaux, de revues, de tracts, ou simplement mis en ligne par ses soins ; les références multiples semées dans ce livre permettront aux plus curieux de prendre connaissance de nombreux autres ouvrages seulement écartés pour alléger ce déjà gros volume.
Claude Guillon, pensons-nous, sans doute à tort, est essentiellement connu du grand public pour Suicide, mode d’emploi, ouvrage − qui fit scandale − écrit avec Yves Le Bonniec et qui donna lieu à procès. Rappelons pour l’humour qu’il était conseillé au lecteur suicidaire, avant de passer à l’acte, de « faire le tour du monde en 8 880 jours » et aussi « de ne pas rester sur sa fin » (sic).
Dans Comment peut-on être anarchiste ? nous voudrions retenir, entre autres sujets d’actualité sur lesquels l’auteur aiguise ses dents, une critique sans concession de l’expression écrite d’un Chomsky (réformiste), d’un Brossat (hyper-radical en théorie mais qui accouche d’une approbation des lois en vigueur), de l’expression radiophonique d’« Onfray-mieux-d’se-taire » ou de l’expression physique des jeunes femmes aux seins nus (les Femen) armées de leur « déplorable goût » pour de la publicité ; critique qui entraîne souvent notre auteur sur le chemin de la polémique. Mais Claude ne craint jamais le conflit verbal ou écrit ; encore moins de s’alarmer quand il choque son lecteur en lui rebroussant le poil.
Claude Guillon se déclare révolutionnaire et communiste libertaire ; ce qui explique aussi sa charge contre les bonnes âmes d’Attac (l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne) qui s’habillent des « oripeaux de la radicalité » dans un monde où « la faiblesse actuelle de l’idée révolutionnaire » est affligeante. Et, si la gauche réformiste au pouvoir a montré quelque chose, c’est bien son impossibilité à réformer le capitalisme. D’ailleurs, à propos d’électoralisme, Guillon déclare avec énergie : « Les urnes sont funéraires, la vraie vie se décide ailleurs ! »
Mais nous aimerions surtout attirer l’attention du lecteur sur une particularité de notre auteur, une habitude, une manière militante d’être quand il accompagne physiquement toutes les grandes « émotions » du peuple, quand il participe à toutes les grandes manifestations de rue de notre époque. Et, plongé dans la foule, il développe une analyse très lucide des situations.
Aussi ne sommes-nous pas surpris qu’un de ses engagements subversifs favoris soit la distribution de tracts pendant ces déploiements populaires ; tracts au demeurant rien de moins que succincts.
De plus, il ne craint pas, lui si soigneux du souvenir et qui a fait le choix d’étudier en bibliothèque les « enragés » et les émeutes de la Révolution française, de rapprocher tous ces moments d’agitation anciens du temps présent.
À l’écoute, attentif, il tente de ne pas être oublieux d’« une infinité d’informations qui n’ont pas été collectées sur le moment ».
En effet, les recherches historiques de Claude Guillon sur la Grande Révolution et ce qu’il avance sur les révolutions à venir − qui seront sans modèle − sont là, nous semble-t-il, ce qu’il y a de plus original dans sa pensée en construction.

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Par ailleurs, dans un tract de quatre pages, « Qu’est-ce qu’une révolution communiste et libertaire ? », distribué lors des manifestations lycéennes de mai 2002, puis repris en ligne et en revue, Claude Guillon, à propos de la violence, nous dit qu’elle est d’abord l’expression du monde capitaliste. Mais il ajoute :
« Dans une société techniquement développée où peuvent être mises en œuvre de nombreuses techniques de sabotage (informatique notamment), qui ne nécessitent pas ou très peu de violence physique, les meilleures chances sont réunies de paralyser le système en faisant moins de victimes humaines que les accidents de la route un week-end de Pâques. »
Et, bien qu’il ne soit pas opposé à toute contre-violence, nous ne sommes donc pas trop surpris de lui voir mentionner la notion de « non-violence active » qui n’est donc pas, pour lui, contradictoire avec une pensée radicale. On en déduira que l’auteur ne ménage aucun effort intellectuel pour imaginer un projet révolutionnaire cohérent :
« La geste révolutionnaire sera d’autant plus belle qu’elle fera moins de victimes, y compris parmi les salauds indiscutables. »
Il écrit encore :
« Pour une organisation politique, le caractère inutile ou contre-productif d’une action la rend illégitime. »
Sa réponse à Gérard Coupat (le père de Julien Coupat, celui qui fut accusé d’avoir voulu saboter une ligne de chemin de fer), qui l’invitait à l’Assemblée nationale pour un colloque consacré au « bilan de vingt-cinq ans de lois antiterroristes » (sic), est plus que bienvenue. Car la proposition n’était nullement un canular, sans doute une forme désinvolte d’ironie…
De même, on appréciera son « Je ne suis pas Charlie » :
« Sachant que la France est en guerre, je n’éprouve pas le même étonnement que beaucoup de Charlie à apprendre qu’un acte de guerre a été commis en plein Paris… » ; une guerre « permanente et tournante » qui se déploie − en notre nom − en différents pays du monde et une action guerrière qui a suscité l’écœurante « union sacrée » que l’on sait.
Il y a peu de ses points de vue qui n’apportent pas notre adhésion, aussi nous étonnons-nous d’une légère réticence de notre part à lui emboîter quelquefois le pas. Pourquoi ? Une tonalité ? Une posture ? Une assurance trop orgueilleuse ?
Qu’importe ! À chacun son style ! À chacun sa voix ! Notre lutte a besoin du concours de tous et de la diversité du discours.
« Rien n’est donné, rien n’est acquis, voilà bien la seule règle de conduite, d’ailleurs commune au mouvement des femmes et au mouvement révolutionnaire ».

Capture d’écran 2015-01-15 à 14.38.41  André Bernard

TERRORISATION : LA PEUR COMME ARME ET COMME MARCHANDISE (2011)

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éjà remarqué comme auteur de L’Ennemi intérieur. La généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine (La Découverte, 2009), Mathieu Rigouste vient de publier chez Libertalia, dans la même collection « À boulets rouges » où j’ai publié La Terrorisation démocratique, un essai très complémentaire du mien. L’auteur y traite en détail d’un aspect que je n’ai fait qu’évoquer : Les Marchands de peur. Il est sous-titré : La bande à Bauer et l’idéologie sécuritaire. Il démontre notamment comment un certain nombre de personnages, tels Alain Bauer et Xavier Raufer, sont parvenus à maîtriser les deux « manettes de commande » de la production et de la vente de peur. D’une part ils occupent des postes dans des institutions ad hoc et des médias, au sein desquels ils théorisent la fabrication des menaces, extérieures ou intérieures, qui sont censées justifier un arsenal juridique (que j’ai analysé) et militaro-policier ; d’autre part, ils vendent directement, aux entreprises ou aux collectivités locales, leur « expertise » en matière de « sécurité ». L’immense avantage de ce système est de s’auto-alimenter, une fois lancé. « En l’occurrence, c’est bien la sécurisation qui fait augmenter le “sentiment d’insécurité”. Ainsi, plus on déploie de policiers dans une zone, plus se répand l’idée que la zone est “à risques”. » (p. 20)

Fidèle au «cahier des charges» de la collection, le livre de Rigouste est facile à lire, court (150 p.) et bon marché (8 €).

On aimerait pouvoir attribuer les mêmes qualités au livre de Serge Quadruppani intitulé La Politique de la peur (Seuil, coll. « Non conforme »). Certes facile à lire (mais l’auteur avait habitué son lectorat à une écriture, ici absente), et correctement documenté, l’ouvrage est plus long d’un tiers et plus de deux fois plus cher (la remarque vaut dans une comparaison avec le livre de Rigouste comme avec le mien).

J’avais cité en bibliographie le premier livre de Quadruppani sur la question (L’Antiterrorisme en France, ou la terreur intégrée : 1981-1989, La Découverte, 1989). Il cite honnêtement La Terrorisation, à trois reprises, dans La Politique de la peur.

Si les bonnes manières se trouvent ainsi heureusement illustrées de part et d’autre, exercice méritoire de la part de gens qui ne se saluent plus depuis quinze ans, il était un motif particulier d’attendre l’ouvrage de Quadruppani. Son livre de 1989 lui donnait une légitimité incontestable sur le sujet, mais le fait de publier après La Terrorisation, paru en 2009, présentait évidemment une difficulté. Pour le dire rapidement : il fallait faire visiblement mieux, ou au moins aborder le sujet, identique, d’une autre manière. Lire la suite

DROIT À LA MORT : M. BROSSAT ET LE FANTÔME DE LA LIBERTÉ (2010)

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L’article publié par Édouard Launet (Libération) dans lequel il met en parallèle mon livre Le Droit à la mort et celui de M. Alain Brossat, intitulé Droit à la vie ? a utilement attiré mon attention sur ce dernier. L’« angle » choisi par Launet est pertinent de son point de vue, puisqu’il lui permet de présenter dans un même article deux livres dont les thèmes se recoupent. Ces livres, écrit Launet, « nourrissent, au moins sur quelques pages, une sorte de dialogue ». La formule est d’une prudence bienvenue. En effet, si M. Brossat défend des positions antagonistes des miennes, c’est non seulement sans me nommer ou me citer, mais en faisant comme si elles n’existaient pas. Il montre néanmoins le bout de l’oreille, d’une manière que je préciserai dans la suite.

J’ai moqué, dans La Terrorisation démocratique (p. 76), la position « démocratique critique critique » exprimée par M. Brossat dans Tous Coupat, tous coupables à propos de la politique dite « antiterroriste » menée par le gouvernement Sarkozyste (après tous les autres, degauche compris). Il en donne un nouvel exemple dans Droit à la vie ? Hyper radicalité théorique (la montagne), suivie de la proposition d’un changement du personnel politique (la souris) dans Tous Coupat…. Hyper exigence théorique, immédiatement suivie d’une approbation des lois en vigueur dans son dernier ouvrage.

Dans une optique foucaldienne (de Michel Foucault) et à l’aide de matériaux présentés dans un désordre plutôt sympathique, M. Brossat entreprend de « déconstruire idéologiquement » le droit à la vie (selon la promesse de l’éditeur en quatrième de couverture). « Dans le champ de ruines du discours révolutionnaire, “la vie” apparaît comme cet élément protoplasmique, mou et inconsistant, destiné à se substituer hâtivement à l’ensemble des grands sujets déchus de l’action révolutionnaire. » (p. 208) Il a, à propos des grands mots de la tradition révolutionnaire, comme communisme, prolétaires ou conseils ouvriers, cette belle formule mélancolique : « On [les] voit gisant sur le sol du présent, comme une montgolfière abattue » (p. 207).

Reste à trouver de nouvelles sources d’air frais pour aérer nos rêves et d’air chaud pour nous élever au-dessus des ruines présentes et de cette « dictature de la vie réduite à la dimension du vivant organique » que l’auteur fustige.

Las ! Ce sont des boulets supplémentaires que M. Brossat nous attache aux pieds.

Et notamment lorsqu’il considère toute affirmation, aussi militante soit-elle, d’un « droit à la mort » comme une annexe du droit à la vie qu’il condamne (et nous avec).

Il se fait que M. Brossat pense et écrit à propos de la mort, comme la plupart des juristes, des médecins et des ministres. C’est évidemment son « droit ».

Exposé du problème (p. 228) : « Ce qui est en question, ce n’est donc aucunement le “droit à mourir” (tout le monde a le “droit”, ou plus exactement la liberté de mourir, de mettre fin à sa vie, dans nos sociétés, depuis belle lurette, c’est-à-dire depuis que le suicide a cessé d’être un crime exposant ceux qui se ratent à de sévères sanctions…) ; c’est bien plutôt celui de voir sa mort, quand on la souhaite, appareillée par les moyens de la médecine, de l’institution hospitalière et de l’industrie pharmaceutique, encadrée par la loi, bref soutenue et prise en charge par l’État. »

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Distribution géographique des suicides. 1925.

 

Ce qui est en question, mais M. Brossat ne s’arrête pas à d’aussi basses considérations, n’est aucunement l’identité entre la « liberté » que je souhaite exercer et l’idéal abstrait de la liberté que tel ou tel se forge dans son imagination. La question est de savoir 1) de quels moyens pratiques je dois disposer pour exercer ma liberté telle que je l’entends ; 2) si ces moyens sont à ma disposition ; 3) s’ils ne le sont pas, qu’est-ce qui m’empêche d’en disposer (loi, institution, etc.). Lire la suite