Comment les anarcho-autonomes communiquent à l’aide de parapluies: un document accablant!

Le manège d’une manifestante, déjà (défavorablement) connue des services de police pour avoir été mutilée par eux, a été repérée lors d’une manifestation contre une (nouvelle) loi garante des libertés. La délinquante fournissait au «black bloc» des indications stratégiques à l’aide d’un parapluie (d’ailleurs aux couleurs du lobby LGBT). Interpellée et placée en garde à vue durant 72 heures, ladite délinquante nie les faits. Or nous sommes en mesure de prouver, grâce au document accablant ci-dessous que l’intuition des policiers était bonne: les anarcho-autonomes de la mouvance radicale communiquent bel et bien à l’aide de parapluies, selon un code de couleurs et d’attitudes qui est ici révélé pour la première fois.

VOUS AUSSI, INCITEZ LE PREMIER MINISTRE À LA FERMETÉ !…

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Explication de texte

Si le gouvernement retire sa «Loi travail», je ne donne pas deux jours au mouvement actuel pour se saborder dans un rassemblement-enterrement de la victoire. Quelques pétards, quelques grenades, et pfffuit!… plus rien.

Alors que si ça continue encore un peu, on a des chances de pouvoir les virer à coups de pieds dans le derche, et on continue à rigoler!

Faites comme moi: envoyez des messages de soutien au Premier ministre et au président de la République. Encouragez-les à tenir bon, parlez-leur de leurs grosses couilles que vous admirez… Faites appel à leur sens de l’honneur… Dites-leur que le monde entier a les yeux tournés vers eux… Dites-leur que l’histoire retiendra leur nom… Racontez n’importe quelle ânerie !… Mais il faut que cette loi tienne au moins jusqu’à l’été!

TERRORISATION : LA PEUR COMME ARME ET COMME MARCHANDISE (2011)

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éjà remarqué comme auteur de L’Ennemi intérieur. La généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine (La Découverte, 2009), Mathieu Rigouste vient de publier chez Libertalia, dans la même collection « À boulets rouges » où j’ai publié La Terrorisation démocratique, un essai très complémentaire du mien. L’auteur y traite en détail d’un aspect que je n’ai fait qu’évoquer : Les Marchands de peur. Il est sous-titré : La bande à Bauer et l’idéologie sécuritaire. Il démontre notamment comment un certain nombre de personnages, tels Alain Bauer et Xavier Raufer, sont parvenus à maîtriser les deux « manettes de commande » de la production et de la vente de peur. D’une part ils occupent des postes dans des institutions ad hoc et des médias, au sein desquels ils théorisent la fabrication des menaces, extérieures ou intérieures, qui sont censées justifier un arsenal juridique (que j’ai analysé) et militaro-policier ; d’autre part, ils vendent directement, aux entreprises ou aux collectivités locales, leur « expertise » en matière de « sécurité ». L’immense avantage de ce système est de s’auto-alimenter, une fois lancé. « En l’occurrence, c’est bien la sécurisation qui fait augmenter le “sentiment d’insécurité”. Ainsi, plus on déploie de policiers dans une zone, plus se répand l’idée que la zone est “à risques”. » (p. 20)

Fidèle au «cahier des charges» de la collection, le livre de Rigouste est facile à lire, court (150 p.) et bon marché (8 €).

On aimerait pouvoir attribuer les mêmes qualités au livre de Serge Quadruppani intitulé La Politique de la peur (Seuil, coll. « Non conforme »). Certes facile à lire (mais l’auteur avait habitué son lectorat à une écriture, ici absente), et correctement documenté, l’ouvrage est plus long d’un tiers et plus de deux fois plus cher (la remarque vaut dans une comparaison avec le livre de Rigouste comme avec le mien).

J’avais cité en bibliographie le premier livre de Quadruppani sur la question (L’Antiterrorisme en France, ou la terreur intégrée : 1981-1989, La Découverte, 1989). Il cite honnêtement La Terrorisation, à trois reprises, dans La Politique de la peur.

Si les bonnes manières se trouvent ainsi heureusement illustrées de part et d’autre, exercice méritoire de la part de gens qui ne se saluent plus depuis quinze ans, il était un motif particulier d’attendre l’ouvrage de Quadruppani. Son livre de 1989 lui donnait une légitimité incontestable sur le sujet, mais le fait de publier après La Terrorisation, paru en 2009, présentait évidemment une difficulté. Pour le dire rapidement : il fallait faire visiblement mieux, ou au moins aborder le sujet, identique, d’une autre manière. Lire la suite

JE VOUS DÉNONCE LE NOMMÉ CLAUDE GUILLON… (2008)

…anarchiste autonome de la mouvance ultra-gauche, se disant écrivain.
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adame le ministre de l’Intérieur, Monsieur le responsable de la section anti-terroriste du parquet de Paris, Mesdames et Messieurs les magistrats spécialisés, apprenant avec satisfaction le maintien de Julien COUPAT et d’Yldune LÉVY dans les liens de la détention, et soucieux de contribuer à l’éradication des mouvances subversives, j’ai l’honneur de dénoncer à votre haute vigilance le nommé Claude GUILLON, né en 1952, se disant écrivain.

Jeune déjà, cet individu faisait preuve de dispositions vicieuses qui l’amenèrent, outre à des « habitudes » dont la clinique moderne a peut-être trop vite écarté la nocivité, à un « engagement » politique qui prit rapidement le pas sur son travail scolaire.

C’est assez logiquement, s’il est permis de s’exprimer ainsi, qu’il se déroba, sous prétexte d’« objection de conscience », à ses obligations militaires, refusant néanmoins d’accomplir le service civil qui lui aurait permis d’établir au moins la sincérité de ses convictions.

Par la suite, il renoncera à poursuivre des études. Vous n’ignorez pas qu’à cette époque, marquée par les tristement fameux « événements » de mai 1968, un prétendu « refus de parvenir » servit de masque à la plus révoltante paresse.

Peut-être fâcheusement influencé par des enseignants politisés, le malheureux se crut des dispositions pour les lettres et entreprit une espèce de carrière dans la presse contestataire et la rédaction d’ouvrages marginaux.

L’une de ses productions connut, hélas, un funeste succès, mettant à la portée de lecteurs toujours fragiles un salmigondis d’idées anarchistes et de recettes de mort.

Il est à noter que cet ouvrage contient un long développement, sans aucun rapport avec son sujet, pour contredire absurdement la thèse du suicide des terroristes allemands de la bande à Baader.

S’il n’est pas encore établi, à ma connaissance, que GUILLON a entretenu à cette époque des contacts directs avec la Fraction armée rouge, on peut néanmoins présumer dans cette publication une sorte d’aveu de sympathie pour l’extrême gauche la plus violente. Selon ses propres dires, cela lui vaudra d’être contacté par l’avocat des terroristes allemands Klaus CROISSANT, qui lui proposera de préfacer un livre sur le prétendu assassinat de Baader et de ses amis (évoqué dans Le Droit à la mort, 2004, ce projet ne semble pas avoir eu de suites).

Il est d’ailleurs certain qu’à la même époque (début des années 1980), le même GUILLON affecte de critiquer violemment le groupe terroriste français ACTION DIRECTE, tout en affichant des relations anciennes avec son égérie Hellyette BESS. On voit que le personnage n’en est pas à une contradiction près !

J’aimerais attirer particulièrement votre attention sur un opuscule que son insuccès commercial mérité a peut-être soustrait à votre vigilance. Je veux parler d’un texte tout entier consacré à la critique de l’un des plus beaux fleurons de notre industrie et du progrès des techniques en général, lequel est finement intitulé Gare au TGV ! (1994). Vous conviendrez que ce titre prend, après les événements que nous savons, une signification particulière et bien sinistre !

Selon des informateurs dont vous comprendrez que je préfère taire l’identité, une perquisition à son domicile permettrait de trouver sans difficulté, et en toute saison, outre une bibliothèque de plusieurs milliers de volumes : trois ordinateurs, un manche de pioche, deux pieds de biche, du sucre de canne, des clous, du white spirit, des bouteilles vides… Inutile, je pense, d’allonger outre mesure cet éloquent inventaire. Plus suspect encore : une pièce entière est dédiée au stockage de dizaines de milliers d’articles de presse, de tracts, de brochures, classés dans plus de deux cent cartons d’archives, de « Anarchie » à « Vasectomie », en passant par « Kosovo » et « Terrorisme ». À quelles fins honnêtes un homme seul pourrait-il accumuler un tel volume de documentation ?

Je ne dis rien ici d’une maison de campagne, dans laquelle l’intéressé a l’habileté de ne pas se rendre chaque année, ce qui lui permet d’affirmer avec les apparences de la sincérité qu’il ignore ce qu’ont pu y entreposer ou y abandonner les amis auxquels il la prête volontiers.

Certes, GUILLON ne dispose d’aucune légitimité universitaire ; il n’a ni le bagage ni le talent littéraire d’un Julien COUPAT et peut paraître, en somme, d’une dangerosité faible, en rapport avec ses moyens physiques déclinants, son envergure intellectuelle et l’audience de ses publications. Cependant, il me semble que son âge même et l’obstination mauvaise qu’il a su mettre dans la poursuite de ses chimères utopiques (je vous épargne ici le détail d’un fumeux « communisme libertaire » dont il veut déclencher les foudres sur une société « capitaliste marchande » honnie) mérite que l’individu soit empêché de nuire davantage. Pourquoi ne pas envisager une défense de publier (sur Internet notamment !), qui s’inspirerait des interdictions professionnelles utilisées avec succès dans l’ex-République fédérale allemande pour lutter contre les sympathisants de la violence ?

M’en remettant à vous pour l’usage optimal des renseignements que j’ai tenu à porter à votre connaissance, je vous prie d’agréer Madame le ministre, Mesdames, Messieurs, l’assurance de ma haute considération.

PARIS, LE 26 DÉCEMBRE 2008

UN AMI (DISCRET) DE L’ORDRE NOUVEAU

La Terrorisation démocratique

Ce texte a été repris dans La Terrorisation démocratique (Libertalia, 2009).

« Mouvance anarcho-autonome » : généalogie d’une invention (2008)

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ictor Hugo se flattait d’avoir « mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire[1] ». C’est aujourd’hui la cagoule des policiers antiterroristes que l’on enfile sur le vocabulaire. Chacun choisit son symbole : la coiffe des sans-culottes de 1793 ou le masque anonyme du bourreau.

Néologismes et sémantique sont des moyens de la lutte des classes. Lewis Carroll a résumé le problème dans un court dialogue : « La question, dit Alice, est de savoir si vous avez le pouvoir de faire que les mots signifient autre chose que ce qu’ils veulent dire. La question, riposta Humpty Dumpty, est de savoir qui sera le maître… un point c’est tout[2] ».

Voilà. Ceux qui sont les maîtres, c’est-à-dire ceux qui disposent de la gendarmerie et des télévisions, ont le pouvoir de donner aux mots le sens qui leur convient. Ils ont le pouvoir de faire en sorte que les mots les servent, qu’ils soient le moins importuns possible pour eux. « Ils disent “voici telle ou telle chose”, remarquait Nietzsche, ils apposent sur toute chose et sur tout événement un son qui les différencie et par là même ils en prennent pour ainsi dire possession[3] ». Les mots, et partant les choses qu’ils désignent, sont serfs. Il n’est pas étonnant que les écrivains se soient soucié du sort du langage, leur outil, leur jouet, leur arme. Les écrivains, dit Hugo dans Les Contemplations, « ces bandits », « ces terroristes », « ont mis la langue en liberté ». Le souci de tous les pouvoirs est de la remettre en cage, de re-nommer sans cesse ce qui leur déplaît et les importune. Nommer pour normer. Définir pour en finir avec.

Anarcho-libertaire ou anarcho-autonome

La police a hésité, depuis le début des années 1990, entre plusieurs appellations pour désigner les milieux ou la mouvance qui se situent hors de l’extrême gauche (par ex. LCR, LO…) et de l’anarchisme organisé (par ex. FA, OCL…). La première expression, bel exemple de redondance, était « anarcho-libertaire ». Elle englobait aussi bien des militants de la CNT anarcho-syndicaliste que les antifascistes radicaux du SCALP. Puis vient « anarcho-autonome ».

On peut prendre comme point de repère commode du passage d’une expression à l’autre le rapport des Renseignements généraux sur l’extrême gauche, produit en avril 2000 (Extrême gauche 2000, 116 p.). Classés parmi les « électrons libres », figurent les « anarcho-autonomes » : « Rassemblant de façon informelle des éléments se signalant par une propension à la violence, la mouvance autonome, regroupée pour l’essentiel dans la capitale, compte également des ramifications en province. Hors les organisations transversales qu’elle s’emploie à dévoyer, cette sensibilité se retrouve dans les squats politiques et également dans des structures spécifiques, plus ou moins éphémères, voire de circonstance, s’interpénétrant peu ou prou, au nombre desquelles : [le Scalp, Cargo, collectif agissant au sein d’AC !, le Collectif des papiers pour tous, etc.]. » (p. 32) Dans l’une des annexes, intitulée « Les manifestations d’une violence marginale de janvier 1998 à avril 2000 » (pp. 79 à 84), énumération d’actions plus ou moins illégales, on trouve les deux expressions, utilisées pour désigner tel militant censé y être impliqué, mais avec une nette prépondérance d’« anarcho-autonome » (15 contre 2, et, pour être tout à fait complet, 2 « anarcho-punks »).

Certes l’hybride « anarcho-autonome » est à peine moins ridicule que l’« anarcho-libertaire », mais il présente l’avantage de combiner le vieil épouvantail de l’anarchiste poseur de bombes avec une « autonomie » qui tient davantage de l’adjectif – bel adjectif d’ailleurs ! – que de la filiation réelle avec les mouvements autonomes italiens et français des années 1970. Lire la suite

Vol au-dessus d’un nid de casseurs (2009)

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e site Internet du journal Le Monde indique, ce 21 octobre [2009], avoir reçu le texte ci-dessous reproduit (« Coucou c’est nous !) à propos de la manifestation de Poitiers du 10 octobre 2009. Il est signé «Quelques casseurs». Les journalistes affirment avoir pris des garanties concernant la participation effective des signataires à la manifestation. Cette précision, assez surprenante quant à ce qu’elle suppose d’échanges épistolaires, n’offre aucune garantie réelle. Disons qu’à la lecture ce texte semble plausible, même s’il est plus que probable qu’il a été rédigé et envoyé par quelques-un(e)s.

Ces casseurs assumés ne sont pas des imbéciles : ils lisent Le Monde et savent même un peu de latin.

Ils présentent toutefois une faiblesse de caractère, d’ailleurs vénielle, mais qui peut influencer fâcheusement l’action : ils sont susceptibles.

Les journalistes de l’Officiel de tous les spectacles ayant avancé qu’ils avaient pratiqué, à Poitiers et ailleurs, la « stratégie du coucou », ils tiennent à répliquer. D’un point de vue politique et stratégique leur réponse n’est pas dénuée d’intérêt, puisque le reproche des journalistes est partagé par une partie du public politisé. En gros, sur le mode « Bien la peine de se dire autonomes s’il vous faut les mouvements d’une foule que vous méprisez pour bouger le petit doigt ».

Le texte rappelle utilement quelques éléments factuels (manifestation convoquée par voie d’affiches) et souligne l’embarras des autorités à appliquer leur énième règlement (en l’espèce : anti-cagoule).

On notera une jolie formule polysémique : « On a tous quelqu’un à cacher ».

Maintenant, en quoi ce texte me paraît-il critiquable (ce qui n’est pas en soi un « reproche » ; étant critiquable, il contribue au débat critique).

Tout d’abord, dans son optimisme millénariste et incantatoire : « Jamais la situation n’a été aussi mûre » (bis). Jamais. Le mot est fort. Si fort qu’il est absurde, même rapporté au jeune âge supposé des rédacteurs.

Au fait, que peut bien signifier une situation « mûre », du point de vue de l’éruption d’un mouvement révolutionnaire communiste, alors que « tout reste à faire » dans le camp de la révolution ? Je partagerai d’ailleurs volontiers cette dernière appréciation, et même j’accorde que les révolutionnaires (moi itou) ont le plus grand mal à se montrer à la hauteur de leur époque (tandis qu’ils sont tentés de penser que c’est l’époque qui est indigne d’eux).

Mais revenons à cette « maturité » ; on la devine plus proche du baril de poudre qui attend l’étincelle que de l’opulence de la grappe attirant le maraudeur.

Maturité, du latin maturus : qui se produit au bon moment. En quoi la situation présente peut-elle « se produire au bon moment ». Elle a lieu, un point c’est tout. Le présent se produit. C’est le moment présent. On peut se réjouir de tel moment présent (une insurrection) ou se désoler de tel autre (son écrasement). On dira donc que l’insurrection tombe à pic et que son écrasement est regrettable. Mais des deux situations, laquelle est ou était la plus « mûre » ? Lire la suite

« C’EST ÇA LE TERRORISME ! » (2012)

« TERRORISME » ET CURCUMA (SUITE)


 

Ce 21 mai 2012 marquera une date dans la définition de ce qu’est un procès politique — et par voie de conséquence un acte politique, et même la politique tout court — et de ce qu’est le « terrorisme ».

On sait que les magistrats de la dixième chambre du tribunal correctionnel de Paris ont la lourde tâche devant l’histoire de juger six jeunes « curcumistes », accusés de « terrorisme » en général et de fabriquer des bombes au curcuma en particulier.

Aujourd’hui était le jour du réquisitoire du procureur général. On aurait juré que cet excellent magistrat avait lu « “Terrorisme”, curcuma, et crime par la pensée », tant il avait choisi d’illustrer, dès ses premières phrases, le passage suivant, que je reproduis pour les paresseux vivant du RSA, nombreux (hélas !), à me lire :

« Nous n’en sommes plus à écarter les justifications politiques d’actes délictueux au regard du droit pénal (vous dites que vous êtes un militant politique, mais je constate que vous avez fait sauter une mairie). Police et justice travaillent aujourd’hui, au service de l’État, à stigmatiser des prises de position politiques et sociales, de “mauvaises intentions” a-t-on pu dire justement, en utilisant des éléments disparates auxquels seuls les textes “antiterroristes” eux-mêmes donnent une apparente cohérence. »

Évidemment notre procureur a tourné les choses à sa manière ; copier/coller du Claude Guillon aurait fait mauvais genre.

Il a donc commencé par récuser fermement le reproche de « procès politique », allégation polémique et d’ailleurs politique que le tribunal voudra bien ignorer. « Ce qui compte, a-t-il dit en parlant de nos « curcumistes », ce sont leurs intentions. » Lire la suite

« TERRORISME », CURCUMA, ET CRIME PAR LA PENSÉE (2012)

Le procès de cinq militants et d’une militante qui se tient à Paris depuis le 14 mai [2012] revêt une double importance : c’est le premier procès « antiterroriste » intenté à des personnes qui ne sont pas soupçonnées de liens avec les groupes islamistes (si procès il y a, l’affaire dite de Tarnac sera le prétexte du deuxième) ; c’est aussi le premier procès qui prétend établir l’existence de la fantasmagorique « mouvance anarcho-autonome d’ultra-gauche » (ici dans sa version en quelque sorte régionale la « mouvance anarcho-autonome francilienne) dont j’ai dressé la généalogie dans La Terrorisation démocratique (auquel je renvoie pour le détail des textes « antiterroristes » qui seront évoqués ci-dessous).

Il est une dimension de cette affaire qu’il est délicat d’évoquer pour quelqu’un qui éprouve, comme c’est mon cas, de la sympathie pour les positions politiques revendiquées par les inculpé(e)s[1] : anticapitalisme, soutien aux sans-papiers en situation prétendue irrégulière, opposition au système carcéral. Le dossier comporte des milliers de pages pour se réduire finalement à un pétard mouillé (au sens propre), une brochure, et d’improbables « correspondances » de traces ADN, auxquels il convient d’ajouter (au sens propre) quelques épices… Il faut toute la sottise bureaucratique de la correspondante du Monde pour reproduire textuellement, et donner ainsi à prendre au sérieux, la version policière[2].

La malheureuse Élise Vincent recopie en tirant la langue : « des-pro-duits-chi-mi-ques-pou-vant-entrer-dans-la-com-po-si-tion-d’ex-plo-sifs ». Quand on sait que le sucre en poudre fait (réellement) partie des produits pouvant etc. on est tenté de rigoler. On rirait encore plus volontiers en découvrant dans les mixtures incriminées un intrus : le curcuma[3]. Bombes à clous supputent les cognes, fumigènes répondent les « curcumistes ». Pas de quoi rire pourtant quand on sait que ces jeunes gens sont inculpé(e)s d’association de malfaiteur en liaison avec une entreprise terroriste, et qu’ils ont déjà fait à eux tous un nombre respectable de mois de prison.

On peut comprendre que les supposés terroristes ne soient pas — dans l’esprit de policiers contraints par leur hiérarchie à « faire du chiffre » —, tenus à une « obligation de résultats ». Mais tout de même ! Un engin incendiaire (retrouvé paraît-il sous une dépanneuse de la police) qui n’a rien incendié, une brochure téléchargée sur Internet (on ne sait par qui), et (non Élise, je n’oublie pas) des « produits », dont le fameux curcuma…

J’espère que nos « curcumistes » ne m’en tiendront pas rigueur, mais il importe de rappeler qu’une demi-heure de n’importe quelle manifestation d’extrême-gauche des années 70 du vingtième siècle connut l’explosion (bien réelle) de dizaines d’engins incendiaires, des cocktails quoi (Élise dirait : « des bombes à main »).

Si l’on considère les faits qui leur sont imputés à crime, établis ou non, effectivement à eux attribuables ou non, force est de constater un niveau de violence réelle égal à zéro, un taux d’échec de 100 %, et de supposés plans tirés sur la comète (c’est une image, Élise). Concrètement et mathématiquement : trois fois rien. Lire la suite

Lettre d’Ivan et Bruno, détenus (2008)

Lorsque j’ai publié en ligne la lettre d’Ivan et bruno, ils étaient détenus depuis le 19 janvier 2008.

Leur maintien en détention était, et reste, une bonne illustration des dérives tragi-comiques de la stratégie policière et judiciaire quand elle se raconte une histoire de « terrorisme » pour se faire peur (et faire frissonner le bourgeois) !

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Lettre d’Ivan et Bruno depuis les prisons de Fresnes et Villepinte

Salut à tous les copains, à tous ceux qui ne sont pas résignés à la situation que nous vivons : occupation policière des rues, des villes, rafles, expulsions, arrestations, difficultés quotidiennes, dépossession de nos vies ; cette situation qui nous pousse à céder une part grandissante de nos vies aux chefs en tout genre, à ceux qui président à nos destinées, au pouvoir. Si nous prenons le parti de la révolte, c’est pour toutes ces raisons, pour retrouver le pouvoir sur nos vies, pour la liberté de vivre.

Nous avons été arrêtés le 19 janvier. Nous sommes deux en prison, le troisième est sous contrôle judiciaire (il passait par là et avait le tort de nous connaître). Nous avions en notre possession un fumigène que nous avions fait en mélangeant du chlorate de soude, du sucre et de la farine. Enflammé, ce mélange produit un fort dégagement de fumée. Nous projetions de l’utiliser à la fin de la manifestation qui allait ce jour-là devant le centre de rétention de Vincennes. Notre idée : se rendre visible auprès des sans-papiers enfermés, sachant que la police tenterait sûrement de nous empêcher d’approcher du centre. Nous avions aussi des pétards pour faire du bruit et des crèves-pneus (clous tordus) qui peuvent être disposés sur la route pour empêcher les voitures de passer.

Pour la police et la justice, le prétexte est tout trouvé, nous avions les éléments pour une bombe à clous. Voilà ce dont nous sommes accusés :

-  Transport et détention, en bande organisée, de substance ou produit incendiaire ou explosif d’éléments composant un engin incendiaire ou explosif pour préparer une destruction, dégradation ou atteinte aux personnes.

-  Association de malfaiteurs en vue de commettre un crime de destruction volontaire par l’effet d’un incendie, d’une substance explosive ou de tout autre moyen de nature à créer un danger pour les personnes, commis en bande organisée.

-  Refus de se prêter aux prises d’empreintes digitales ou de photographies lors d’une vérification d’identité.

-  Refus de se soumettre au prélèvement biologique destiné à l’identification de son empreinte génétique par personne soupçonnée de crime ou délit.

Ça fait froid dans le dos. Voilà pour les faits, nous allons tenter d’y apporter une réflexion.

Ce n’est évidemment pas au regard de ce que nous détenions ou de ce que nous projetions de faire que nous avons été traités de la sorte. L’État criminalise la révolte et tente d’étouffer toute dissidence « non-autorisée ». Ce sont nos idées et notre façon de lutter qui sont visées, en dehors des partis, des syndicats ou autres organisations. Face à cette colère que l’État ne parvient ni à gérer ni à récupérer, il isole et désigne l’ennemi intérieur. Les fichiers de police et des renseignements généraux construisent des « profils-types ». La figure utilisée dans notre cas est celle de « l’anarcho-autonome ». Le pouvoir assimile cette figure à des terroristes, construisant une menace pour créer un consensus auprès de sa population, renforcer son contrôle et justifier la répression.

C’est pourquoi nous sommes aujourd’hui en prison. C’est la solution choisie par l’État pour la gestion des illégalismes, des « populations à risque ». Aujourd’hui il faut enfermer plus pour plus longtemps. Les contrôles, toujours plus efficaces, et les sanctions qui font peur assurent à ceux qui détiennent ou profitent du pouvoir une société où chaque individu reste à sa place, sait qu’il ne peut pas franchir les lignes qu’on a tracé pour lui, qui l’entourent et le compriment, sans en payer le prix. Si nous luttons aux côtés de sans-papiers, c’est que nous savons que c’est la même police qui contrôle, le même patron qui exploite, les mêmes murs qui enferment. En allant à la manifestation, nous voulions crier en écho « Liberté » avec les prisonniers, montrer qu’on était nombreux à entendre la révolte qu’ils ont menée pendant plusieurs mois. Allumer un fumigène, tenter de s’approcher le plus possible des grilles de la prison, crier « fermeture des centres de rétention », avec la détermination de vouloir vivre libre. Cette lutte, dans laquelle on peut se reconnaître, est un terrain de complicités à construire, un lieu possible de l’expression de notre propre révolte.

Nous ne nous considérons pas comme des « victimes de la répression ». Il n’y a pas de juste répression, de juste enfermement. Il y a la répression et sa fonction de gestion, son rôle de maintien de l’ordre des choses : le pouvoir des possédants face aux dépossédés.

Quand tout le monde marche en ligne, il est plus facile de frapper ceux qui sortent du rang.

Nous espérons que nous sommes nombreux et nombreuses à vouloir posséder pleinement nos vies, à avoir cette rage au cœur pour construire et tisser les solidarités qui feront les révoltes.

Bruno et Ivan, avril 2008