Je voterai dès le premier tour de l’élection présidentielle pour Jean-Luc Mélenchon – que par ailleurs je déteste

Et voici pourquoi…

Je commence par écarter, j’ai déjà pas mal écrit sur ce thème ici-même il y a quelques années, les malédictions moralistes identitaires des camarades anarchistes.

Il est faux de dire que les anarchistes n’ont jamais voté. La Confederación Nacional del Trabajo (CNT), syndicat anarcho-syndicaliste espagnol et principale organisation ouvrière d’Espagne dans les années 1930 a utilisé le vote (massif) dans le but concret de faciliter la libération de plusieurs milliers de militant·e·s emprisonné·e·s.

Un ami de longue date me dit — Mais moi je ne vote pas ! Exactement comme il me dirait — Mais moi j’ai les pieds plats !

Admettons qu’il s’agit d’un cas intéressant d’imprégnation physique d’une donnée idéologique, laissons le malheureux à son infirmité, et voyons ce que « risque » un anarchiste à voter.

Évidemment rien. À moins de considérer que les anarchistes ont une âme et qu’ils·elles la perdraient en acceptant de glisser une enveloppe dans une boîte carrée. Franchement, les gens, si vous en êtes là, je vous conseille de laisser tomber au plus vite la réflexion politique et de vous tourner vers la théologie. Pour les plus anxieus·e·s, pesez-vous la veille du scrutin et au retour du bureau de vote : vous constaterez qu’aucune perte de poids ne témoigne de l’évaporation de votre âme.

Mais objecteront, de bonne foi (hélas ! il s’agit bien de cela), mes contradicteurs, n’est-ce pas se plier au système, faire le jeu du capitalisme ?

Eh bien je ne vois pas – en dehors du gloubi-glouba psycho-moralisateur qui tient lieu de « ligne de force » à beaucoup de militant·e·s  – le début de l’ombre d’un argument pour étayer cette hypothèse.

Récapitulons

Je ne crois pas que les élections sont un moyen d’émancipation.

Mais je ne crois pas non plus que les élections ne sont «rien». C’est bel et bien un moment concret du fonctionnement du système sur lequel il peut être légitime, voire possible, de peser. Je ne pense pas que l’on puisse faire comme si ce «rien» ne nous concernait pas. Il nous concerne oh combien!

Je ne crois pas que voter à l’extrême-gauche fera avancer d’un millimètre la cause révolutionnaire.

Je ne crois (surtout) pas que c’est un bon moyen d’« apparaître » entre une pub de lessive et le dernier édito néo-nazi. C’est en effet – et là réellement ! – se plier intégralement à l’injonction trompeuse du système : « Je vote pour celui-qui-est-le-plus-proche-de-mes-idées. » Ça, c’est la vaseline-type du système démocratique, soit le système de régulation sociale de l’exploitation capitaliste. Que ce soient des pseudos-révolutionnaires, comme Poutou et Arthaud, qui continuent à jouer à ça, me donne envie de pleurer.

Quelques mots sur Mélenchon

Sa physionomie m’a toujours été profondément antipathique : je ne peux pas croire un mot de ce que ce type raconte. Dans les années 1980, il a réclamé la censure du livre Suicide, mode d’emploi, dont je suis coauteur. C’est un vieil admirateur de Poutine (par « anti-impérialisme », un comble !) dont le récent rétropédalage ne peut convaincre que des niais. En gros, je le considère plutôt comme un ennemi.

Mais, jeune lectrice, jeune lecteur, tu n’as pas été sans noter – et retenir – que voter pour un guignol que l’on trouve plus sympathique (ou plus honnête ou plus n’importe quoi) que les autres et le comble de la sottise « démocratique ».

Peu importe donc ici que Mélenchon apparaisse, sous bien des aspects, comme un sale type. La seule question qui se pose à un·e matérialiste est de savoir si sa présence au deuxième tour présente un avantage quelconque.

Voilà pourquoi je pense que oui.

Contrairement à ce que suggérait fielleusement un vieil ami pour me taquiner, je ne me soucie guère de « l’image de la France à l’étranger ». M’intéresse davantage – comme quoi tout le monde peut avoir ses soucis identitaires – ma propre image dans le miroir de la salle de bains, au lendemain du premier tour.

Et je ne veux à aucun prix faire partie des crétins des deux sexes qui, n’ayant pas participé au scrutin, vont se lamenter (et ça va durer des semaines !) sur le pourcentage formidable obtenu par la candidate d’extrême-droite, sans même parler du score total incluant les voix nazies de Zemmour.

Or, dans ce scrutin, les personnes qui voteront au premier tour pour Jadot, Hidalgo, Roussel, Poutou, Arthaud, etc. voteront réellement pour Marine Le Pen.

Si Mélenchon est au second tour, ce sera une occasion offerte – soyons miséricordieux mes sœurs et mes frères – à ces pantins de se désister pour un candidat de gauche. Sinon, ils regagneront leurs niches pour ronger l’os minuscule qu’on leur aura remis.

Plaçons ici une incise. Certain·e·s, qui se piquent de stratégie autant que moi, sont persuadé·e·s ou simplement espèrent vaguement que la politique du pire finira par pousser les masses vers la Révolution. Plus le pseudo « débat démocratique », raisonnent-ils, se réduira visiblement à des échanges à fleurets mouchetés entre un représentant du grand Capital et une figurante d’extrême-droite, et plus les gens comprendront la nature du système. Plus les gens manifesteront, par l’abstention, leur mépris du système, et plus celui-ci sera proche de son effondrement.

Voilà qui semble au moins logique… Hélas ! nous savons qu’il n’en est rien. Les États-Unis fonctionnent, pas si mal du point de vue de celles et ceux qui profitent du système, avec un taux d’abstention bien supérieur au taux français. Ça ne change absolument rien.

Quant au cas français, vous verrez le nombre important de « Gilets jaunes » (et pas toujours les plus bêtes) qui transformeront leur pulsion émeutière en bulletin d’extrême-droite.

Il faut cesser, quand on se prétend révolutionnaire, de prendre les gens comme variable d’ajustement ou souris de laboratoire.

Une fois Mélenchon au second tour, rien n’est gagné bien sûr. Mais rien n’est perdu.

Il faut cesser de croire que c’est sur la décomposition de la gauche parlementaire que va éclore un nouveau mouvement révolutionnaire. Ça ne fonctionne pas comme ça. Ça serait même plutôt l’inverse. Un mouvement révolutionnaire de classe, né de sa propre dynamique et des contradictions du système, pourra, lui, entraîner et radicaliser les franges de la « gauche » reconstituée autour de Mélenchon.

Mais Mélenchon nous fera tirer dessus !

C’est à craindre, en effet. Et alors ? Vous préférez le rythme tranquille des mutilations macroniennes ; vous vous êtes habitué·e·s ?

À moins que vous soyez impatient·e·s de connaître les innovations du maintien de l’ordre façon Le Pen ?…

— Mais enfin quel sens peut avoir de faire élire Mélenchon s’il faut le combattre par les armes ensuite ?!

Eh bien, niquedouille, entretemps, nous nous serons servis de sa (sale) gueule comme d’un marchepied.

Résumons-nous

Si vous êtes masochistes ou parfaitement crétins et que vous préférez pleurnicher entre ami·e·s, en buvant force bières, une fois le duel Macron-Le Pen confirmé, surtout de changez rien : abstenez-vous ou votez pour un·e des nains de jardin proposés à vos suffrages.

Si vous êtes matérialistes et que vous pensez qu’il faut tenter de modifier concrètement chaque situation concrète dans la perspective, même lointaine, de l’émancipation collective : votez Mélenchon !

Ni avec une pince à linge sur le nez ni avec des gants Mapa, ce sont là gamineries de carnaval.

Comme des grandes personnes. Avec la conscience simple et claire de faire quelque chose qui peut se révéler utile. Aussi peu que ce soit.

_______________________________________________

PS. Au cas où, à la lecture de ce billet, l’évidence que je suis une «soupape de sûreté du Capital» (le Grand!), ne vous aurait pas convenablement aveuglé·e·s, j’indique à votre attention et à la postérité un de ces salmigondis de ressentiment et de contresens que seule la technique moderne a fait quitter le zinc des bistrots. C’est juste au cas où hein!

Quand ce sont les grands éditeurs qui font des «tracts» ~ …et retour de Ludivine Bantigny

Étrange époque où ce sont les éditeurs comme Gallimard – ils ont mis la main les premiers sur le nom de collection «Tracts» – ou Le Seuil – qui suit avec la collection «Libelle» (c’est moins bon…) qui éditent des tracts.

Sans doute est-ce le signe qu’il ne se trouve plus personne pour rédiger de véritables tracts, recto verso maximum, en général, et aller les distribuer dans une manifestation en risquant de de prendre un pain dans la gueule… À moins que ce soit les occasions de distribuer qui se fassent rares… Ou bien les deux.

Bref, Gallimard et Le Seuil (il en existe peut-être d’autres, je n’ai pas cherché) éditent des «tracts d’intervention».

La première différence entre ces «tracts» et la feuille que l’on désignait jusqu’ici par ce vocable est que les «tracts» Gallimard sont vendus, au lieu d’être donnés. On insiste sur le fait qu’ils «ne coûtent pas cher». Ils ne coûtent pas cher parce qu’ils sont peu épais. Il est exact cependant que d’après un sondage (très) rapide, il ne semble pas qu’ils soient vendus –relativement – plus chers, ce qui est assez fréquent dans de petits formats.

La seconde différence est que ces «tracts» sont vendus non dans la rue, entre deux stands de merguez, mais dans des librairies. Je suis un ami des libraires, dont je me réjouis du succès qu’ils connaissent depuis quelques mois et auxquel·les je souhaite longue vie, mais je sais que tout le monde ne fréquente pas les librairies. Distribuer un tract dans un rassemblement (ou y installer un stand de librairie, comme sait si bien le faire Libertalia) n’a rien à voir avec le fait de confier à un diffuseur quelques milliers de livres.

Par ailleurs, il faut noter que ces grands éditeurs viennent là marauder sur les terres de tout petits éditeurs militants, qui font le choix de prix très bas et d’une diffusion souvent mixte – réseau militant et quelques librairies classiques, mais sympathisantes – ou strictement militante.

Il n’y a rien de bien étonnant à voir un secteur de la production capitaliste prendre acte de la désuétude d’une pratique militante et, parallèlement, de la multiplication et du succès relatif de microstructures militantes pour tenter d’occuper le segment de marché concerné.

Mais avons-nous de quoi nous en réjouir ? Voilà de quoi je doute fort.

Les éditeurs s’adressent aux auteurs et aux autrices connues : il faut qu’il ou elle ait la notoriété nécessaire pour vendre, au sens strict, son opuscule. Attendez-vous donc à voir Badiou, Bantigny et Lordon s’autorésumer, se faire tout petits pour qu’on les voit mieux…

J’ai lu, sur la recommandation de deux camarades, et je dois le dire avec un certain plaisir, L’ensauvagement du capital de Ludivine Bantigny. Il ne manque pas une indignation nourrie d’exemples tiers-mondistes (ah ce que coûtent aux petits enfants de là-bas nos magnifiques smartphones !), pas une nostalgie adroitement placée (le facteur qui considérait les gens de son village comme des «usagers» : le croirez-vous ? le père de l’autrice était facteur), pas un rappel historique (Catalogne 36, Rojava aujourd’hui), pas une référence pas tout fait encore décolorée par l’usage (William Morris)…

Ah si, tout de même, Bantigny nous parle beaucoup de son étonnement douloureux devant le cynisme des partisans du monde actuel auxquels le spectacle l’oppose régulièrement dans des émissions de radio ou de télévision. Ces gens-là n’écoutent pas ce qu’on leur dit ; ils n’ont que mépris pour les pauvres… Brave Ludivine, toujours sur le front.

Et puis ? Que nous dit ce «tract» ?

Le message est contenu dans le titre : L’ensauvagement du capital.

Voilà.

Contrairement à ce qu’un sinistre quelconque a prétendu, ça n’est pas nous (les petits, les sans-grade) qui sommes de plus en plus sauvages, c’est le système qui le dit qui y est !

Bien, bien, bien.

Statut de l’ouvrage: acheté en librairie.

“Durruti sin mitos ni laberinto y otras estampas” ~ Agustín Guillamón

 Durruti sin mitos ni laberinto y otras estampas, de Agustín Guillamón, editado en Madrid (enero de 2022) por Fundación Aurora Intermitente y Sueños de Sabotaje. Colabora: Queimada.

 

Índice:

Prefacio de Octavio Alberola

  1. Biografía de Durruti
  2. Carta de Durruti desde la cárcel (1933)
  3. El bar “LA TRANQUILIDAD” y el 19 de Julio de 1936 en el Paralelo
  4. Habla Durruti (noviembre de 1936)
  5. Los comités de defensa de la CNT (1931-1938)
  6. La Barcelona revolucionaria. De julio de 1936 a mayo de 1937
  7. ¿Quién impulsó y quién ahogó la insurrección de mayo de 1937?

Anexos:

Anexo 1: Carta de Durruti a la Generalidad de Cataluña protestando, en nombre del Comité de Guerra, por la militarizacion de su columna. Fechada en Osera el 1 de noviembre de 1936.

Anexo 2: Orden de los comités superiores a Durruti para su inmediata incorporación al Frente de Madrid. Decision tomada en un Pleno de Locales y Comarcales de Cataluña el 9 de noviembre de 1936.

Avance:

El libro está constituido por siete estampas, absolutamente autónomas e independientes entre sí, que unidas en el formato de un libro conforman un conjunto estructurado que amplía, transforma y multiplica las imágenes y el contenido de cada una de esas estampas.

Entendemos por estampa una ilustración precisa y detallada de un paisaje, de una persona o de un pueblo, dibujada por el ágil trazo del lápiz magistral de un dibujante (como Sim) o por la foto mecánica de un artilugio. Hay escritores que escriben estampas con dos o tres frases, como Mary Low o George Orwell. No sobra una palabra, no falta una coma o un paréntesis. Con apenas medios, definen y encuadran una situación, retratan una personalidad o sintetizan una vida. Hacen estampas.

Esas estampas, esas imágenes, eternizan un instante, unos días o unos meses, captando su esencia más profunda. Sin embargo, el conjunto de las siete estampas produce una sensación de movimiento telúrico, de encaje final de las piezas del puzle y explicación de todas y cada una de las ilustraciones en una estructura firme y exacta, que explica el breve y luminoso estallido de la revolución, así como su dolorosa oscuridad y muerte.

Sólo tres estampas se dedican a dibujar el perfil del revolucionario Buenaventura Durruti; las otras cuatro, exponen el terremoto colectivo, masivo y popular del hecho revolucionario y, luego, la horrible y sangrienta embestida de la contrarrevolución estalinista y republicana.

Esas cuatro estampas demuestran y explican que Durruti no se perdió en ningún laberinto. Guillamón nos presenta un Durruti sin mitos, más allá de la divinización de algunos y de su demonización por otros; o de su banalización por los más. Durruti no fue un dios, ni un héroe del pueblo. Fue un revolucionario más entre otros miles.

Este libro de siete estampas termina con la inclusión de dos importantes anexos documentales: el primero es la protesta de Durruti por la militarización de su columna; el segundo se trata de la orden dada a Durruti el 9 de noviembre de 1936 de marchar a Madrid.

El conjunto de las siete estampas y los dos anexos nos ofrece la esencia de la figura de un revolucionario, esculpido con la ética del conocimiento y el combate por la historia en formato de libro.

El pasado se escurre como el agua entre las manos; es el rostro desencajado por un profundo grito mudo del ángel horrorizado de la historia ante la destrucción, arrastrado de espaldas al futuro por un viento huracanado, paralizadas las alas mientras bajo su vista todo muere y se desmorona impreciso, agostado, decrépito, irreconocible y ruinoso. Todo lo sólido se desvanece en el aire. Durruti, santificado y momificado, es asesinado dos veces, le ascienden a Teniente Coronel del Ejército Popular y le hacen decir que renuncia a todo, excepto a la victoria. La revolución se esfuma como un hermoso sueño, sin apenas dejar huellas. Nada permanece inmutable, salvo la aniquilación de todo lo existente. ¿Cómo contar eso sin citar a Walter Benjamin y su Angelus Novus?

La documentación hallada en los archivos es el sine qua non de la ciencia histórica. Los archivos son los lugares donde los investigadores como Guillamón obtienen la mayor parte de los documentos que sustentan su relato, mimbres con los que el narrador intenta construir una cesta (o relato histórico) capaz de ordenar y contener esas estampas de la Revolución y de la Guerra. A veces, esos archivos, muchos y variados, en no importa qué lugar del mundo, son parcos y avaros, pues apenas dejan vislumbrar lo realmente sucedido. En esos trances la cesta queda inacabada, apenas esbozada, pero los contornos construidos y los vacíos existentes ofrecen un conjunto global que permite intuir la forma de la cesta y, en contadas ocasiones, su contenido.

Historiadores académicos, doctorandos en busca de pesebre, mitómanos nacionalistas, nostálgicos estalinistas reciclados y ridículos charlatanes de una obsoleta ortodoxia de cartón-piedra confeccionan siempre la misma cesta, la que tienen en su cabeza, o la que les han comprado; no importa los documentos conseguidos.

Suelen ser cestas absolutamente perfectas, pero falsas.

Los traperos y coleccionistas de papeles viejos, como se define Guillamón, fabrican la cesta que pueden con el material hallado, y si hace falta hurgan entre la basura desechada por inútil y se alimentan con los suculentos desperdicios encontrados. Los del trapero y el universitario son métodos contrarios y ajenos, que se repelen y combaten. Pero el salvaje sistema del trapero no sólo es infinitamente mejor que el académico; en realidad es el único digno, veraz y éticamente posible.

He aquí unas hermosas estampas de Durruti, de la Revolución Social y de su fracaso, que se fundamentan siempre en un riguroso y sólido trabajo previo de investigación, sin amos ni subvenciones, ni otras servidumbres materiales o ideológicas que condicionen los resultados.

Balance. Cuadernos de historia

Febrero de 2022

Número de páginas: 92

Dimensiones: 190 cm × 125 cm

“L’autogestion dans l’Espagne révolutionnaire” ~ par Frank Mintz

L’ami Frank Mintz ayant fort opportunément décliné les propositions insistantes de Relire (système de numérisation et de diffusion payante des livres épuisés, lié à la BNF), il met à disposition gratuitement le texte de son livre L’autogestion dans l’Espagne révolutionnaire. Qu’il en soit remercié.

Vous pouvez accéder ICI au texte (format pdf).

La santé dans l’expérience anarchiste en Espagne

La brochure éditée par la CNT-AIT tombe à pic. Quelle meilleure période pour se re·pencher sur l’idée que se faisaient les anarcho-syndicalistes et anarchistes espagnol·e·s de la santé. Santé mentale, santé «sexuelle», santé publique…

Télécharger ICI la brochure au format pdf.

Brassards d’infirmières, calots et fusils de miliciennes…

 

Lettre giménologique ~ mai 2020

Rubrique : « Infos »

Mouvement social en Espagne : une grève des loyers pour « sauver les personnes et confiner les privilèges» :

http://gimenologues.org/spip.php?article884

Rubrique : « Étrangers indésirables

Bruno BELLON, fils de Giuseppe et de Maria Bordin, est né le 20 avril 1913 à Caldogno (Vicenza). Il est classé comme « communiste » au CPC, combattant de la brigade Garibaldi :

http://gimenologues.org/spip.php?article883

Rubrique : « On nous écrit »

Livre en cours de réalisation sur Mathieu Corman

Nous relayons cette demande de Bernard DELBAERE qui vit en Belgique et rédige un livre sur Mathieu Corman :

http://gimenologues.org/spip.php?article882

Rubrique : « Les amis publient »

Nous devons prendre en mains les rênes de notre propre vie, car l’Etat ne garantit rien. » Entretien avec Corsino Vela publié le 5 avril 2020 dans la revue en ligne CONTRAPUNTO :

http://gimenologues.org/spip.php?article881

 L’État masqué/El Estado con mascarilla, de Miguel Amoros.

La crise actuelle a engendré plusieurs tours de vis dans le contrôle social étatique. L’essentiel dans ce domaine était déjà bien en place puisque les conditions économiques et sociales qui prévalent aujourd’hui l’exigeaient. La crise n’a fait qu’accélérer le processus :

http://gimenologues.org/spip.php?article880

Comunicado sobre el estado de alarma y el riesgo sanitario COVID-19

Confederación Nacional del Trabajo Federación Local de Fraga

Communiqué sur l’état d’alerte et le risque sanitaire COVID-19 :

http://gimenologues.org/spip.php?article879

Les giménologues, 30 avril 2020

Camillo Berneri contre le fascisme ~ Entretien avec Miguel Chueca

Interrogé par l’Université populaire de Toulouse sur son édition d’un recueil de textes de Camillo Berneri Contre le fascisme, Miguel Chueca revient à la fois sur le parcours personnel et politique de l’auteur, militant et intellectuel anarchiste, et sur l’histoire de l’Italie des années 1920 et 1930.

Quand on lit le texte « Mussolini, un grand acteur. Psychologie d’un dictateur », on est surpris par la place qu’occupe la psychologie dans la description du dictateur et de son ascension : «Mussolini est-il un grand homme politique… oui… mais pour être un grand homme politique, il n’est nécessaire que d’être un grand acteur[1] .» Même si, tout au long de ce texte, Berneri n’évacue pas les questions politiques, tracer un fil conducteur entre l’homme politique devenu dictateur à un acteur de grande envergure, laisse perplexe. Ce choix d’aborder Mussolini prioritairement sous l’angle de la psychologie (l’acteur) va conduire Berneri, dans bien des articles suivants (nous y reviendrons), à examiner le peuple, la classe ouvrière, ses combats, ses défaites sous ce même angle psychologique. Comment expliquer ce choix?

On ne peut être surpris par «la place qu’occupe la psychologie dans la description du dictateur» dans une étude dont le sous-titre est «psychologie d’un dictateur». On ne peut pas dire que Berneri n’annonce pas la couleur : il annonce une «psychologie du dictateur» et c’est de cela qu’il s’occupe ensuite. Il n’y a pas tromperie sur la marchandise, il me semble.

Cela dit, si je comprends bien le sens de vos réserves, ce qui vous gêne est précisément le fait qu’il s’intéresse à la psychologie du dictateur. La première chose que je peux vous dire, c’est que Berneri s’est très tôt intéressé aux études psychologiques et psychanalytiques et qu’il a choisi d’aborder le «cas» Mussolini d’abord sous cet aspect, parce que ce «cas» est particulièrement intéressant – et déconcertant – du point de vue humain: voir un militant expérimenté, membre actif depuis des années du Parti socialiste italien, qui plus est, chef de l’une de ses factions les plus «révolutionnaires», le voir quitter ce parti auquel il avait tout donné pendant des années pour se mettre à la tête d’un mouvement qui allait être son ennemi acharné, pour le réprimer brutalement ainsi que toutes les autres organisations politiques et syndicales de la « famille » socialiste, cela est terriblement intéressant pour qui veut se pencher sur les mystères de la psyché humaine. S’intéresser au fascisme en tant que création politique et historique n’empêche pas de se poser des questions de cet ordre, surtout quand on se réclame de la pensée anarchiste, aussi sensible à l’individu qu’à la «masse».

Par ailleurs, je comprends mal également votre perplexité devant le fait de «tracer un fil conducteur entre l’homme politique devenu dictateur et un acteur de grande envergure». En insistant, après d’autres analystes, sur la nature de l’activité politique en général et sur l’histrionisme des hommes politiques – de Mussolini en particulier –, Berneri met très bien l’accent, il me semble, sur l’absence totale de véritables convictions chez le Duce, sur le fait qu’il était une sorte de Fregoli, de «personnage en quête d’auteur», capable d’assumer à peu près tous les rôles les uns après les autres, sans aucun souci de cohérence : anti-impérialiste jugé et condamné pour les émeutes de 1911 à Forli contre la guerre de Libye, puis, des années plus tard, favorable à l’Empire fasciste et à la guerre d’Éthiopie ; férocement antisocialiste après avoir adhéré longtemps au PSI ; écrivant en 1919 «personne ne veut être gouverné par un semblable qui s’érige en messie, en tsar et en Père éternel… Nous voulons être gouvernés par la liberté universelle, non par la volonté d’un groupe ou d’un homme[2]», avant d’établir un véritable État totalitaire ; anticlérical et bouffeur de curés à tous crins puis signataire des accords de Latran avec le Vatican ; adversaire de l’Allemagne nazie en 1934 puis allié à elle quelques années plus tard, etc. Il fallait certainement être un très grand acteur pour pouvoir assumer tous ces rôles les uns après les autres en donnant toujours l’impression qu’il croyait à ce qu’il disait, même si ce qu’il disait le samedi était le contraire de ce qu’il avait dit le lundi d’avant.

Pour ce qui est de votre phrase finale, je ne crois pas que Berneri ait examiné la classe ouvrière sous ce seul aspect «psychologique», même s’il s’intéresse à l’état d’esprit des ouvriers à un moment donné (vous vous référez, je suppose, à l’essai «Le fascisme, les masses et les chefs»). Je n’appellerai pas cela une analyse psychologique : il ne se réfère d’ailleurs au sujet qu’en passant, en quelques lignes, alors qu’il consacre toute une longue étude à la « psychologie du dictateur ».

Dans l’article « De la démagogie oratoire », Berneri, conclut son article ainsi : « Il faut abattre le régime fasciste, mais il faut aussi guérir de la mystique fasciste, laquelle n’est qu’une manifestation pathogène de la syphilis politique des italiens : la superficialité rhétorique. » Dans un recueil de textes inédits de Georg Lukács, écrits à la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans l’article intitulé : « Tournant du destin (1944) », il rappelle à plusieurs reprises «Que le règne de Hitler, n’est pas pour l’Allemagne un accès de fièvre qui pourrait être surmonté et oublié sans autre forme de procès, Ce n’est qu’en arrachant toutes les racines que l’on peut véritablement passer outre». Il y a dans ces deux textes un point commun, celui de rappeler qu’il ne suffira pas d’abattre ces régimes, mais qu’il faudra nettoyer en profondeur. Cependant Berneri est très sévère à l’encontre des « Italiens ». Le peuple majoritairement peut être, par intérêt, par lâcheté, par conviction… a permis l’avènement du fascisme en Italie et il en en est de même en Allemagne et en France dans des périodes similaires. N’est-ce pas secondaire de mettre en cause « la superficialité rhétorique des Italiens », quand les faits décrits par Berneri mettent en évidence la faiblesse de la gauche ? N’est-ce pas cela qui explique en premier lieu la victoire du fascisme?

Vous faites bien de mettre en parallèle les analyses de l’anarchiste Berneri dans la conclusion de « Mussolini, grand acteur » et celles du marxiste Lukács – je ne connaissais pas cette étude de 1944, mais, grâce à vous, j’ai eu envie de la lire et j’en ai trouvé le texte complet sur internet –, qui sont en effet très proches.

Quant à la cause de la défaite de la gauche en Italie, je ne crois pas que Berneri la mette tout benoîtement sur le compte de la «superficialité oratoire»: cette phrase brillante que vous citez ne résume certainement pas toute la pensée de Berneri sur les causes de la victoire du fascisme. Relisez le passage de « Mussolini, un grand acteur » repris en quatrième de couverture: «Il faut que les Italiens se débarrassent de Mussolini, mais il faut aussi qu’ils se débarrassent des défauts qui ont permis la victoire du fascisme[3].» Dans sa conclusion à cet essai brillantissime, il insiste sur tout ce que le fascisme doit à la culture politique des Italiens, à des défauts ou des insuffisances ou des vices séculaires (il reprend le fameux mot de Piero Gobetti sur le fascisme comme «autobiographie de la nation italienne»), qui vont bien au-delà de la «superficialité oratoire» des démagogues de ce pays. Cette approche culturelle me paraît élargir singulièrement la vue limitée qu’on en a eu trop souvent à l’extrême gauche, laquelle a privilégié l’analyse en termes de classes, à la façon de Daniel Guérin et alia, qui ne voulaient voir dans le fascisme que la dictature du grand capital (ce qu’il est aussi, c’est entendu).

Pour ce qui est de la question de l’avènement du fascisme, Berneri se réfère souvent à l’étude La controrivoluzione preventiva d’un de ses compagnons libertaires parmi les plus connus, Luigi Fabbri, qui l’avait publiée dès 1921, et complétée ensuite. Ce grand petit livre est devenu très vite une référence, et un des meilleurs analystes du fascisme, Angelo Tasca, qui n’était pas anarchiste, a repris à son compte l’analyse du fascisme comme «contre-révolution préventive». Par ailleurs, je ne suis pas sûr que la « faiblesse de la gauche » soit une explication suffisante du triomphe du fascisme : au départ, la gauche avait une force incroyablement supérieure à celle des fascistes, et pourtant, elle a été écrasée. Gaetano Salvemini, qui avait été un maître très écouté et très respecté pour Berneri, a écrit dans Le origini del fascismo in Italia (ses «Leçons de Harvard» sur le fascisme) qu’il y avait eu une guerre civile en Italie entre 1921 et 1922 et que les fascistes l’avaient emporté haut la main sur leurs adversaires parce qu’ils avaient été les plus cruels.

Pour quelqu’un qui connaît mal l’histoire d’Italie, il y a une phrase mystérieuse et qui peut laisser perplexe : « L’orateur de rue a été une des plaies des mouvements subversifs en Italie. » Pouvez-vous nous expliquer ce que veut dire Berneri ?

Berneri met en cause la superficialité et la légèreté de tous ces orateurs qui se faisaient applaudir avec des discours pleins de vent, des discours qui n’ont jamais servi à « illustrer » le prolétariat italien, à lui apprendre à raisonner, à l’éclairer véritablement. Des orateurs qui ont été souvent parmi les premiers à tourner casaque et à se « convertir », le moment venu, au fascisme. Dans un des textes recueillis dans « Contre le fascisme », il donne comme exemple à suivre le cas d’Angelo Tasca qui, lui, s’adressait à l’intelligence de ses auditeurs et pouvait parler à un meeting ouvrier avec un traité de statistiques à la main.

Plus généralement, Berneri insiste souvent sur le rôle des « subversifs » dans l’avènement du fascisme : ainsi, dans un texte sur l’anticléricalisme et l’anarchisme (non reproduit dans ce recueil), il fait remarquer que le même Leandro Arpinati qui, dans sa jeunesse anarchiste en Romagne, aidait à disperser violemment les processions religieuses a fini par disperser les « processions rouges » de la même façon, à Bologne et ailleurs, pour le compte du fascisme.

Le texte «Fiume et le fascisme» est publié et écrit en 1929, soit dix ans après l’invasion de la ville par la troupe hétéroclite dont parle Berneri. Il cerne bien le sens politique de cette aventure et ce qu’elle signifiait: «En réalité Fiume fut l’embryon du fascisme », «Fiume était fasciste ». Pourtant Berneri ne caractérise pas le fascisme au-delà de considérations sociologiques résumées par la formule « tour de Babel». De la même façon il décrit les impasses, les erreurs d’analyse et les illusions des partis de gauche, mais il n’indique pas, ou très brièvement, quelle aurait été une alternative de gauche à Fiume. Il ne dit pas non plus ce qu’était le point de vue de son courant politique. Était-ce le produit de son scepticisme, dont vous parlez dans la note introductive?

On peut avoir l’impression que, dans ce texte, Berneri ne «caractérise» pas le fascisme, en effet. Toutefois, il faut se rappeler que, au moment où il écrit une bonne partie des textes de ce recueil, le mot «fascisme» désigne purement et simplement le régime instauré en Italie, et rien d’autre: le fascisme n’a pas encore essaimé hors des frontières italiennes. En outre, tout le monde voyait bien alors ce qu’était le régime fasciste sans qu’il soit besoin de le «caractériser»: il se caractérisait très bien tout seul par la violence extrême de ses squadristi, par son parti et son syndicat uniques, par l’absence totale de toutes les libertés reconnues dans les régimes démocratiques ou prétendus tels, par les lois «fascistissimes» qui ont instauré l’État totalitaire, par ses ambitions impérialistes à l’extérieur, etc.

Quant à imaginer une alternative de gauche à Fiume, Berneri n’y pense même pas parce que, pour lui, l’expérience fiumaine est viciée à sa racine, malgré les efforts d’un ex-syndicaliste révolutionnaire comme De Ambris pour donner une apparence «sociale» au nouvel État de Fiume (ladite Régence italienne du Carnaro). L’objectif de l’entreprise de D’Annunzio et de ses légionnaires était de corriger la « victoire mutilée » de l’Italie dans la Grande Guerre, dont elle n’avait prétendument pas tiré tout le profit qu’elle escomptait en 1915 : cette entreprise – ou aventure, plutôt – était avant tout nationaliste, comme Berneri le dit à la fin de son essai sur Fiume. Pour lui, il est clair que rien de bon ne pouvait sortir d’une aventure de ce genre, guerrière et impérialiste, aventure qui – soit dit au passage – avait «oublié» que la ville de Fiume était entourée d’un vaste ceinturon ouvrier où la population italophone était ultra-minoritaire.

Le texte de 1923 «Le fascisme, les masses et les chefs» est surprenant. Berneri se livre à une analyse des grèves et des occupations de 1919 et 1920, qui contredit l’essentiel de ce qui a été publié depuis longtemps sur le sujet. D’ailleurs il ne parle pas des grèves de leur organisation… mais plutôt de l’état d’esprit des masses qu’il divise en plusieurs catégories. L’une d’elle, fort nombreuse précise-t-il, criait: «Maintenant, les patrons c’est nous, c’est nous qui commandons.» On a l’impression que Berneri ne comprend pas ou doute des capacités des ouvriers de se passer des patrons. Comment faut-il comprendre ce point de vue ? Plus loin il porte un jugement bien surprenant sur les grèves dans les services publics: «indispensables dans bien des cas, mais disproportionnées» Le texte de l’anarchiste Luigi Fabbri que cite Berneri est tout aussi étonnant : « Les ouvriers eux-mêmes devraient mettre une limite à l’usage de cette arme à double tranchant[4]… », nous supposons qu’il parle de la grève dans les services publics. Que faut-il comprendre de ces prises de position?

Ici encore, je vous donne raison, au moins en partie  : en effet, dans l’essai que vous citez, Berneri s’intéresse surtout à l’état d’esprit des « masses » ouvrières, divisées en plusieurs catégories. En revanche, là où je ne vous suis pas du tout, c’est dans ce que vous dites ensuite.

Il est vrai que, dans ce recueil, je n’ai donné aucun des nombreux textes théoriques où Berneri défend la validité de ce qu’il appelle le «soviétisme», en référence à l’expérience des soviets russes (les conseils ouvriers, paysans, etc.), et qu’on connaît peu, hors du milieu anarchiste, les écrits théoriques de Berneri. Celui-ci était certes très conscient des limites du mouvement ouvrier réellement existant et voyait bien les faiblesses des « vrais ouvriers », fort éloignées de la vue idéalisée et mythifiée qu’en avaient beaucoup de marxistes (et quelques anarchistes aussi). Son texte sur «L’idolâtrie ouvrière» («L’operaiolatria») est très explicite sur ce point (le texte est disponible en français sur Internet). Mais il ne doutait pas de la capacité des meilleurs d’entre eux de se passer d’une classe dirigeante, comme il l’a bien montré dans ses textes «espagnols», écrits dans la Barcelone ouvrière et révolutionnaire d’après le 20 juillet 1936. Berneri ne se serait jamais déclaré anarchiste s’il n’avait eu aucun espoir en la capacité des ouvriers, sous l’impulsion des plus « conscients » d’entre eux, de se passer des patrons.

Cela étant dit, pour bien comprendre le sens du texte que vous citez, il faudrait citer aussi la phrase qui le suit. Je la reproduis en entier pour tous ceux qui n’ont pas le livre sous la main : « Il y avait ceux, fort nombreux, qui criaient : «Maintenant, les patrons c’est nous, c’est nous qui commandons. Cependant, ceux-là ne voyaient pas quoi faire et ne se demandaient pas jusqu’où pourrait aller leur propre volonté

En somme, crier: «Maintenant, les patrons, c’est nous, c’est nous qui commandons» ne veut pas dire pour autant qu’on a déjà fait la révolution, il s’en faut. Ces ouvriers-là ne l’avaient pas faite. Et Berneri se contente de le faire remarquer.

Quant à ses observations, et celles de Luigi Fabbri, sur l’abus des mouvements de grève au cours du Biennio Rosso (les années rouges de 1919-1920), je vous rappelle qu’il s’y place «du point de vue des intérêts de classe et des intérêts révolutionnaires, pour lesquels il convient de recueillir […] les appuis les plus larges et de réduire au minimum l’hostilité à leur égard». Comme toujours, Berneri adopte une vision pragmatique des choses et se limite à relever les effets négatifs des grèves à répétition des «années rouges», des mouvements qui «attisèrent l’indignation momentanée des masses, en intensifiant le mécontentement des classes moyennes et en laissant les ouvriers dans un état marqué par le découragement et la fatigue[5]».

Quelques mots, enfin, pour répondre à une des phrases qui introduisaient à la pièce jointe où figuraient vos cinq questions: «Je pense qu’il aurait fallu une note explicative à ce texte, dire par exemple de quel endroit il observe le mouvement (il parle de la Toscane et d’Emilie), quel rôle y a-t-il joué…» Je suis bien d’accord : j’aurais dû donner quelques précisions de plus sur ce texte, mais il y a déjà tant de notes de bas de page dans ce livre que j’ai eu des scrupules à en ajouter encore. J’aurais certainement dû préciser par exemple, que le texte «Le fascisme, les masses et les chefs» contenait plusieurs allusions aux mouvements de 1919 contre la vie chère, par exemple, ce qui n’apparaît peut-être pas assez clairement à un lecteur français peu familiarisé avec cette période.

Pour répondre très précisément à ces dernières questions: Berneri n’a travaillé de ses mains qu’en exil, sur les chantiers, quand il lui a fallu compléter les maigres revenus de son travail intellectuel (lectures à la BNF pour le compte du professeur Salvemini, articles chichement payés, quand ils l’étaient). Dans les années qui précédèrent son départ pour la France, en 1926, il avait étudié à l’université de Florence puis enseigné trois ans dans des lycées de la région des Marches et d’Italie centrale. En 1919-1920, tout jeune étudiant à l’université de Florence, il pouvait difficilement participer aux grèves ouvrières des régions de Toscane ou d’Émilie. Cependant, vous noterez qu’il dit en avoir été le témoin direct : il en avait profité pour prendre le pouls du mouvement, à la manière d’un journaliste ou d’un sociologue, en s’entretenant avec les ouvriers en grève. Ces observations sur leur état d’esprit auxquelles vous faites allusion sont des témoignages de première main, qu’il a mis à profit dans l’essai «Le fascisme, les masses et les chefs».

Rien n’indique que la situation était très différente dans les autres régions ouvrières du pays. Le journal communiste Ordine Nuovo publia en 1921 le rapport d’un expert militaire adressé au ministère de la Guerre, après une tournée dans le pays en vue d’en mesurer la température révolutionnaire : d’après Salvemini, qui le cite dans ses Lezioni di Harvard (Leçons d’Harvard), l’auteur de cette enquête avait conclu en 1920 à l’impossibilité pour les révolutionnaires italiens de faire quoi que ce soit de sérieux[6] .

Pour en revenir à Berneri, s’il n’était pas issu d’une famille ouvrière, on sait que, au cours des trois ans qu’il passa, de 15 ans à 18 ans, dans le Mouvement des jeunesses socialistes de la région d’Émilie, avant de passer définitivement à l’anarchisme, il fréquenta les jeunes ouvriers qui en étaient membres: il indique quelque part qu’il était le seul parmi les 700 à 800 militants des Jeunesses socialistes de la région à être encore à l’école. Malgré ses origines petites-bourgeoises, Berneri connut très tôt, et de très près, le monde ouvrier et il en adopta les idéaux, socialistes puis anarchistes.

Miguel Chueca

Entretien paru initialement sur le site de l’Université populaire de Toulouse, le 28 octobre 2019.

[1] Camillo Berneri, Contre le fascisme, op. cit., p. 63.

[2] Popolo d’Italia, 14 novembre 1914, cité in G. Salvemini, Le origini del fascismo in Italia, p. 265.

[3] Camillo Berneri, Contre le fascisme, op. cit., p. 124.

[4] Ibid., p. 231.

[5] Contre le fascisme, op. cit., p. 232.

[6] Le origini del fascismo in Italia. Lezioni di Harvard, Feltrinelli, p. 276.

RENDEZ-VOUS DE CLAUDE [4] ~ “Espagne 1936-1937. Quand la révolution s’incline devant l’économie”, avec Myrtille, giménologue ~ MARDI 26 NOVEMBRE

Pour la quatrième édition des «Rendez-vous de Claude», je reçois Myrtille, autrice d’une trilogie sur Les chemins du communisme libertaire en Espagne aux Éditions Divergences.

Elle parlera plus spécialement des années décisives 1936-1937, quand la bureaucratie de la Confédération nationale du travail (CNT, anarcho-syndicaliste) a renoncé à défendre des objectifs révolutionnaires, cédant tout à la fois à un pseudo-réalisme économique et à la priorité de la guerre sur la révolution. Le résultat est connu: le prolétariat espagnol a perdu et la guerre et la révolution. Certes, la coalition fasciste internationale, l’attentisme hostile des démocraties et le sabotage stalinien, militaire et policier, ont pesé lourd dans la balance. Mais certains anarchistes ont renoncé devant l’obstacle aux objectifs maintes fois ressassés et beaucoup de camarades, beaucoup des nôtres sont morts pour des idées qui ne sont pas les nôtres.

À quoi bon se réclamer de l’anarchisme si c’est pour, le moment venu d’appliquer ses idées à grande échelle, collaborer aux structures de l’État au lieu de l’abolir, et militariser le travail au lieu de supprimer l’économie et le salariat? S’agit-il de la trahison ou de la débandade de quelques-un·e·s ou bien l’anarchisme a-t-il démontré son inutilité, voire sa nocivité, cantonné au statut d’idéal trompeur? A-t-il révélé son caractère d’utopie, au sens de projet imaginaire réalisable nulle part ou demeure-t-il une utopie programmatique inspirante et mobilisatrice? À défaut de trouver des réponses à ces questions fondamentales, non seulement pour les libertaires, mais pour toutes celles et tous ceux qui n’ont pas renoncé au projet d’abolition du capitalisme et de construction de rapports humains désaliénés, nous tenterons d’apporter des éclairages à partir des enseignements de la révolution espagnole.

Les livres de Myrtille seront disponibles à la vente.

Myrtille fait partie du groupe des «Giménologues», du nom d’Antoine Gimenez, dont les souvenirs d’Espagne ont été publiés chez Libertalia, sous le titre Les Fils de la nuit.

 

Rencontres du Maquis pour l’Émancipation ~ 10 au 15 août 2019 ~ La Commune du Maquis, Bois­ Bas, ­ 34210 MINERVE

Voici le programme de ces nouvelles «Rencontres du Maquis pour l’Émancipation», qui se tiennent du 10 au 15 août près de Minerve.

J’espère vous y croiser!