Tandis que certain·e·s soulignent avec un clin d’œil coquin les bienfaits de l’activité érotique sur les défenses immunitaires, je ne vois personne envisager le déconfinement sous son aspect érotique et «sexuel».
En effet, un certain nombre de personnes qui n’ont pu ou voulu, pour des raisons variées, se confiner avec leur partenaire habituel·le vont pouvoir (enfin!) – dans la limite des 100 km autorisés, dans un premier temps – renouer leurs relations. D’autres, qu’ils·elles se soient ou non résigné·e·s à l’abstinence durant le confinement n’auront rien de plus pressé que de trouver un (premier) coup d’un soir.
Tendres retrouvailles ou grand soir du cul, sans parler du recours à des prostitué·s·s que j’écarte pour des raisons politiques, mais qui est également concerné, toutes ces reprises de relations érotiques se heurtent au problème de la contamination par le coronavirus.
La voie de pénétration (eh oui !) de ce dernier est constituée par les muqueuses. On a assez parlé des yeux, des narines et de la bouche, mais il va de soi que les muqueuses génitales et anales sont également concernées (même s’il y aura débat sur la plus grande imperméabilité de la muqueuse vaginale).
En clair, si l’on a pris la précaution – deux mois durant – de sortir le moins possible, de ne pas approcher à moins d’un mètre son voisin de palier, et (peut-être) de porter un masque, embrasser la bouche, le sexe ou l’anus d’une·e partenaire retrouvé·e ou découvert·e équivaut à un suicide du point de vue de la préservation contre le virus.
En théorie, la difficulté n’est pas insurmontable: il suffit que deux partenaires potentiels se fassent tester pour savoir où ils en sont. Leur attitude dépendra des résultats des tests.
Dans la pratique, la difficulté de se faire tester et la fiabilité discutable des tests selon leur principe de fonctionnement rendent l’entreprise quasi-impraticable, au moins en l’état.
Une application stricte du principe de précaution exigerait de considérer le coronavirus à égalité avec le HIV et entrainerait l’abstention de tout rapport érotique avec une personne, familière ou non, tant que l’on est pas renseigné sur son état sérologique et sur le sien propre[1].
Si cette abstention paraît impossible à respecter, il faudrait au moins éviter strictement les contacts de bouche à bouche («Arrêtez les embrassades!» était prémonitoire), les contacts oraux-génitaux, oraux-anaux (sauf avec digues) et ne jamais se dispenser du port du préservatif. Certes, cela réduit presque les possibilités aux pratiques qui sont déjà celles du safe sex – en plus strict toutefois, puisqu’il faudrait idéalement éviter les face-à-face (étant entendu que baiser à plus d’un mètre est impossible, sauf excitation mutuelle à la masturbation).
Quant à la pénétration, les personnes qui n’apprécient pas la levrette se trouveront désavantagées.
Si je me donne la peine de rédiger ce billet, c’est uniquement à l’intention des personnes responsables à qui ces considérations ne seraient pas venues à l’esprit. Je n’imagine pas – mais je serais heureux de m’être trompé – que les recommandations ci-dessus évoquées puissent être prises en compte dans la plus grande partie de la population.
Ceci emporte une première conséquence : la reprise générale de ce que nous appellerons pour simplifier par une expression – que je déteste – les « rapports sexuels » entrainera mécaniquement un redémarrage de la contamination.
Les personnes concernées seraient bien inspirées (derrière leur masque) d’inclure dans leurs raisonnements les dispositifs de détection de la maladie (après apparition des symptômes) qui sont en cours de mise en place, et de dépistage (au sens sioux) des personnes avec lesquelles elles auront été en contact (ici sexuel), le tout dans un anonymat peut-être mal garanti…

Au fond, il n’y a rien là qui diffère fondamentalement – au moins d’un point de vue moral – de la situation antérieure, avec ses maladies sexuellement transmissibles, sa syphilis et son Sida. …N’était que la personne souffrant d’une crise d’herpès n’était pas fermement invitée à s’isoler chez elle ou dans un hôtel réquisitionné.
Tous les problèmes évoqués ici auront la même longévité que l’épidémie de covid-19. Tant que des tests fiables n’auront pas été pratiqués à grande échelle, tant que le recul ou la disparition de l’épidémie n’auront pas rendu inutiles la réitération desdits tests (on peut par hypothèse se contaminer en sortant du laboratoire), et tant que – à plus long terme – un vaccin ne sera pas disponible, les rapports sexuels seront l’occasion de contamination individuelle et vecteurs d’expansion de la maladie.
La jurisprudence concernant les personnes condamnées pour avoir sciemment transmis à des partenaires le virus du Sida est une autre source de méditation possible.
Que cette situation, dont nous ignorons le terme, soit peu propice au romantisme pourrait être considéré comme un avantage paradoxal. Hélas, la pratique érotique ne semble pas y trouve son compte non plus!
Qu’en déduire? Que le spectre – au sens amplitude et non paranormal – du consentement se trouve brusquement élargi, et de la manière la moins confortable qui soit. Étions-nous préparé·e·s à cela? Non point. Sommes-nous équipé·e·s pour faire face à cette nouvelle configuration? Non plus. Cependant, n’ayant pas d’autre choix (sauf suicide ou vœu de chasteté) que d’affronter les contraintes vitales dans cette configuration, dont nous savons qu’elle risque de ne pas se modifier en profondeur avant un laps de temps qui peut aller d’un an à deux ans, nous ne pourrons que sublimer une part de notre inventivité érotique[2] dans l’élaboration commune de protocoles nouveaux.
À défaut que l’érotisme comme culture y trouve une source d’enrichissement, ce peut être l’occasion de réviser des hiérarchies mentales inquestionnées jusqu’ici, de renoncer à des compromissions émotionnelles coûteuses. Thank you Corona ?


[1] Il est sans doute utile de préciser que les conditions désincarnées dans lesquelles le coronavirus peut être transmis rendent particulièrement oiseuse la notion de «confiance» faite à l’autre.
[2] Je pose cette inventivité en hypothèse, sans m’intéresser aux «pulsions» et autres prétendus «besoins».