“Utopia in the Age of Survival” ~ de Sylwia Chrostowska

A pathbreaking exploration of the fate of utopia in our troubled times, this book shows how the historically intertwined endeavors of utopia and critique might be leveraged in response to humanity’s looming existential challenges.

Utopia in the Age of Survival makes the case that critical social theory needs to reinstate utopia as a speculative myth. At the same time the left must reassume utopia as an action-guiding hypothesis that is, as something still possible. S. D. Chrostowska looks to the vibrant, visionary mid-century resurgence of embodied utopian longings and projections in Surrealism, the Situationist International, and critical theorists writing in their wake, reconstructing utopia’s link to survival through to the earliest, most radical phase of the French environmental movement. Survival emerges as the organizing concept for a variety of democratic political forms that center the corporeality of desire in social movements contesting the expanding management of life by state institutions across the globe.

Vigilant and timely, balancing fine-tuned analysis with broad historical overview to map the utopian impulse across contemporary cultural and political life, Chrostowska issues an urgent report on the vitality of utopia.

Exploration révolutionnaire du destin de l’utopie dans nos temps troublés, ce livre montre comment les efforts historiquement liés de l’utopie et de la critique pourraient être utilisés en réponse aux défis existentiels imminents de l’humanité.

L’utopie à l’ère de la survie fait valoir que la théorie sociale critique doit rétablir l’utopie en tant que mythe spéculatif. En même temps, la gauche doit réassumer l’utopie comme hypothèse guidant l’action, c’est-à-dire comme quelque chose de toujours possible.

SD Chrostowska se penche sur la résurgence vibrante et visionnaire au milieu du siècle des aspirations et des projections utopiques incarnées dans le surréalisme, l’Internationale situationniste (IS) et les théoriciens critiques écrivant dans leur sillage, reconstruisant le lien de l’utopie à la survie jusqu’à la phase la plus ancienne et la plus radicale du mouvement environnemental en France. La survie apparaît comme le concept organisateur d’une variété de formes politiques démocratiques qui mettent la corporéité du désir au cœur des mouvements sociaux contestant la gestion croissante de la vie par les institutions étatiques à travers le monde.

Vigilant et opportun, combinant une analyse fine avec un large aperçu historique pour cartographier l’impulsion utopique dans la vie culturelle et politique contemporaine, le livre de Chrostowska est un rapport urgent sur la vitalité de l’utopie.

S.D. Chrostowska is Professor of Humanities and Social & Political Thought at York University. She is the author of Literature on Trial: The Emergence of Critical Discourse in Germany, Poland, and Russia, 1700-1800 (2012), among other titles.

Page dédiée sur le site de Stanford University Press.

Parution le 19 octobre 2021.

Sylwia a publié en français Feux croisés. Propos sur l’histoire de la survie (Klincksieck), livre qu’elle avait présenté en mai 2019, lors du premier «Rendez-vous de Claude» au Lieu-dit, à Ménilmontant.

Mobilisons nous pour un Carnet libre et sauvage!

Les habitant·e·s de la ZAD du Carnet ont été expulsé·e·s mardi 23 mars par un dispositif répressif important, mais la ZAD reste elle bien là et vivante avec ses 400 hectares de zone humide et sauvage, ainsi que tou·te·s ses habitant·e·s non humain·e·s !

Le projet d’aménagement du Carnet est actuellement suspendu, aucun nouveaux travaux n’a pu avoir lieu depuis l’implantation de la ZAD du Carnet, aucune entreprise n’a manifesté l’envie de s’implanter au Carnet, grâce à la lutte que nous avons mené ensemble jusque là, mais il n’est pas annulé et nous devons resté·e·s vigilant·e·s et mobilisé·e·s.

Nous sommes tristes et en colère de l’expulsion des habitant·e·s de la ZAD du Carnet, mais nous restons tou·te·s déterminé·e·s à continuer la lutte pour un Carnet libre et sauvage, sans projet du Grand Port, ni gestion «écologique » de la zone par ce même Grand Port.

Nous proposons de se retrouver le week-end des 5 – 6 juin pour un week-end de mobilisation festive afin d’enterrer définitivement le projet .

Programme et lieux de rendez-vous à venir prochainement sur les sites http://www.stopcarnet.fr et www.zadducarnet.org ainsi que sur les réseaux sociaux habituels.

Tant que le projet du Grand Port ne sera pas abandonné, il continuera de nous trouver sur son chemin pour l’empêcher de bétonner l’Ile du Carnet !

Nous sommes tou·te·s des enfants du Carnet !

Ce virus n’est une bonne chose pour rien, ni personne ~ par Camille Islert

 

 

Depuis le début de la propagation du virus Covid-19, on voit fleurir des articles, des statuts, des dessins, des discours sur les bienfaits écologiques et humains du confinement. «Un peu de répit pour la planète» par-ci, «l’occasion de développer de nouvelles solidarités» par-là, «tout le monde à égalité devant le virus», sans compter les éternels déplaceurs de débat qui s’écrient en larmoyant «nous sommes le véritable virus de ce monde». Alors, oui, il fait beau et le ciel est clair, mais non, ce virus n’est bon pour rien, ni personne, et il serait temps d’arrêter de vouloir nous remonter le moral à grands coups de projections aussi sensationnelles qu’indécentes.

Non, le confinement n’est pas avantageux pour la planète, et il est encore moins un message que mère Nature nous envoie. Trois mois sans dégueulasser le monde ne sauvera rien du tout, et il y a de fortes chances, vu l’entêtement lunaire de nos dirigeants, que tout reprenne exactement comme avant à la fin des mesures. C’est déjà ce qu’ils nous disent, quand à l’heure où les trois quarts de la planète se rendent compte que leur travail n’est pas indispensable (oups), on force la moitié de ces trois quarts à continuer de produire. Que les choses ne changeront pas. C’est ce qu’ils nous disent quand ils nous distribuent les jours de confinement au compte-gouttes alors qu’on sait tous qu’on va y rester deux mois, comme des gentils papas qui ne veulent pas nous brusquer, quand ils nous racontent que les masques ça sert à rien ça-tombe-bien-y-en-a-pas puis que finalement c’est indispensable mais seulement si tu te le fabriques toi-même avec une vieille chaussette et un élastique.

Mauvais élèves

Et puis, de l’autre côté, bad cop, celui qui nous raconte que c’est de notre faute, qu’on est des mauvais élèves, qu’eux ils ont tout bien fait comme il faut mais qu’on n’a rien compris, que «si tu te retrouves en réa bah tu pourras t’en prendre qu’à toi». C’est ce qu’ils nous disent quand ils nous font porter le chapeau, nous les réfractaires, les resquilleurs, sans regarder leur nombril bien, bien crade. Lunaire. Tous les compteurs sont au rouge pour ce qui est du grand bouleversement idéologique, économique et écologique post-corona. Autant dire, pour la planète, c’est même pas une pause, c’est une demi-respiration.

Et non, ce n’est pas parce que des canards, des cerfs, des meutes de loups argentés se trimballent en ville et qu’on verra bientôt des dauphins dans les fontaines que c’est une bonne nouvelle : ils ont juste faim, parce que plus personne n’est là pour leur balancer des miettes de sandwich au jambon. Faim, comme les milliers d’animaux de compagnie abandonnés qui se traînent dans les rues désertes et qui finiront euthanasiés dans les fourrières parce que les refuges sont pleins à craquer.

Non, le confinement n’est pas une bonne nouvelle pour les animaux. Ceux que nous avons rendus dépendants crèvent, et ceux qui n’ont pas besoin de nous crèvent, parce que les forêts, ça repousse pas en trois mois, et que même s’ils se promènent en ville, ça m’étonnerait qu’ils s’installent durablement dans un meublé. Sans compter que les jolis canards et les mignons hérissons d’aujourd’hui seront les premiers fauchés par les bagnoles dès la fin du confinement.

Non, le confinement n’est pas bénéfique pour les gens. Être confiné, c’est nul. Être à la rue, c’est bien plus nul encore. Le mieux, sans suspense, c’est de pouvoir passer de l’un à l’autre. C’est de pouvoir rentrer au chaud, dormir en sécurité, et à l’inverse, c’est de pouvoir sortir quand tu es seul·e et isolé·e du monde, juste pour voir des gens, c’est de pouvoir aller voir tes proches et tes ami·e·s quand tu en as, c’est de pouvoir baiser quand tu en as envie. Tout le monde sait ça, mais il semblerait que les pubs, les discours officiels, les contenus sponsorisés de toutes sortes aient trouvé bon de nous abreuver d’images de bonheur, avec des bouquins de Musil et de Cohen que-j’avais-encore-jamais-réussi-à-lire-en-entier, des miches de pain dorées faites maison, des armoires triées-rangées-pliées, des muscles dont on ne connaissait pas l’existence qui apparaissent en dessous du bras si on se tient à un programme bien réglé, des sites pour apprendre en quelques jours tous les rudiments du suédois.

Injonctions bienveillantes

Qu’on s’entende, c’est super d’avoir des objectifs, de partager ses réussites avec ses connaissances, de se donner du courage. C’est super de réussir à se donner une raison de se lever, d’entretenir une rigueur quand on en a besoin. Créons-nous tous·tes des routines qu’on respecte ou pas ! Mais nous n’avons surtout pas à recevoir encore leurs injonctions plus ou moins masquées par la bienveillance. Parce que c’est super aussi de se ménager et d’admettre qu’on ne va pas bien et qu’on n’est pas capable sans culpabiliser.

Ce qui n’est vraiment pas super, c’est d’entretenir constamment sur toutes les plateformes qui désormais sont nos seules fenêtres sur le monde, et cela même quand elle est heurtée de plein fouet dans ses convictions, une société performative et élitiste dans laquelle la pire des choses imaginables serait de «se laisser aller», de ne pas utiliser le temps à quelque chose de productif, de ne pas le mettre à profit: c’est pas super d’utiliser encore et toujours les mêmes termes qui sont ceux du capitalisme qui détruit la planète pour parler de notre quotidien confiné. Et là encore, sous prétexte de nous ménager, de nous offrir des solutions pour «tromper l’ennui», on nous infantilise au maximum: c’est le serpent qui se mord la queue, et ça n’indique rien de bon pour les changements post-crise. On va réussir, encore, alors qu’il faut juste rester chez soi et attendre, à nous faire sentir pas à la hauteur, pas assez bien.

Nul n’est «héros»

Non, «rester chez soi» ne sauve pas des vies. C’est le stade minimum de j’arrête de ne penser qu’à mon petit confort et à mon café en terrasse. Ça ne fait pas de nous, de toi, de moi, des héros. Ce qui sauve des vies, ou plutôt ceux qui sauvent des vies, aimeraient bien, sûrement, rester chez eux. Les médecins, les infirmièr·e·s, bien sûr, mais aussi les livreur·ses, les caissièr·e·s, les ouvrièr·e·s, celles et ceux qui nous sauvent un peu la vie à toutes échelles. Ils ou elles ne sont pas des héros non plus d’ailleurs. Les héros, ça fait les choses pour le mérite et la gloire. C’est beau. Et c’est pratique surtout, de hisser les gens au rang de héros quand on a besoin d’eux, de stimuler leur besoin de reconnaissance pour ne surtout pas leur donner ce dont ils ont vraiment besoin, cette petite chose basse et sale et pas du tout héroïque qui s’appelle l’argent.

Bizarrement, ceux qui le veulent très fort, ce statut de héros, c’est plutôt les milliardaires, ceux qui donnent des pourboires aux hôpitaux, qui changent d’activité pour fabriquer des masques et du gel (qu’on soit bien d’accord, ce sont les employés qui changent d’activité quand une telle décision est prise, pas les milliardaires). Les mêmes qui déballent honteusement leur honteuse fortune dès que ça peut leur racheter un peu d’ego. Mais un peu moins cette fois que pour Notre-Dame, quand même, faudrait voir à pas abuser. Comme quoi, les gentils et les méchants, les héros et les anti-héros, c’est facile à confondre dès qu’on n’a pas les yeux en face des trous, ou qu’on regarde juste par la fenêtre.

Coincé·e·s

En fait, ça en met même en danger, des vies, de «rester chez soi». Celles des personnes qui sont seules, qui sont dépressives, qui sont malades et qui n’osent plus appeler les médecins, qui sont enceintes et culpabilisent d’avoir recours à une IVG en période de crise sanitaire, celles des gens qui vivent dans des logements minuscules, insalubres, sans accès à du confort de base. Celles des travailleur·ses du sexe qui n’ont plus de source de revenu. Celles des femmes et des enfants qui sont enfermé·es avec des hommes violents, avec des hommes qui vont parfois oublier tout principe de consentement parce qu’en étant enfermés H24 ensemble c’est inconcevable qu’on n’ait pas envie, et puis faut bien passer le temps, et puis les besoins naturels et tout et tout. Celles des LGBTQI+ coincé·e·s avec des familles homophobes. Plus largement, celles de toutes les personnes dont le foyer n’est pas cette chose molletonnée et rassurante avec crépitement de cheminée qu’on nous vend dans les pubs. Forcément, on a moins envie de les regarder que la cellule familiale parfaite, où tout le monde met la main à la pâte (à pain), où on vit l’enfermement comme une folle aventure.

Le virus, une catastrophe pour les femmes

Cette aventure inédite, faut-il le rappeler, ne l’est d’ailleurs pas pour bon nombre de détenu·es, de personnes malades, handicapé·e·s, agé·e·s, qui subissaient le confinement bien avant qu’il ne devienne un matériau romanesque. Le confinement est une catastrophe pour les femmes. Le droit de sortir pour autre chose que pour des «achats de première nécessité», il faut dire, elles l’ont gagné il n’y a pas si longtemps. Prendre soin de son intérieur, se faire belle pour rester chez soi, sortir pour faire les courses et saluer Simone de loin avec la main si on la croise, ça nous ramène à un atavisme moins vieux qu’on l’aimerait.

Il n’y a qu’à sortir pour s’en rendre compte : dans les magasins, dans les rues, partout, une majorité de femmes, avec ou sans masque, trimballent des sacs de victuailles. Des hommes aussi, mais moins, quand même, si, si. Parce que quand on a une chance dans la semaine d’acheter les trucs qu’il faut pour la famille, il vaut mieux pas se louper, et il vaut mieux que ce soit la personne en «charge», vous savez cette fameuse charge mentale, qui se «charge» directement des achats, pour éviter les erreurs. Et devinez qui c’est, dans la majorité des couples hétéros? Vous avez deviné : probablement la même qui s’occupe des enfants d’une main tout en télétravaillant de l’autre. Jean-Michel, lui, il va sûrement penser à acheter des choses hors du commun, des petits plaisirs pour rendre la vie plus belle, mais pas sûr qu’il pense aux œufs et aux couches. Héros, Jean-Michel, avec ses chips d’exception qui rendent la vie plus belle, mais qui torchent définitivement mal les fesses de bébé. Héros, encore, comme quoi, tout se recoupe.

Mythe de l’égalité

Pitié, non, le confinement ne met pas tout le monde à égalité. Le grand mythe de l’égalité dans une société où certains geignent devant leur quatrième barbecue et écrivant leur roman pendant que d’autres récurent leur 9 m2 ou se désespèrent de ne pas pouvoir aider leurs gamins à faire leurs devoirs, il a jamais été aussi loin. Jamais aussi loin quand certains crèvent seuls dans des Ehpad ou comptent sur la solidarité de leurs voisins pour leur apporter des pâtes, pendant que d’autres ne peuvent pas se passer de leur jogging du lundi.

En fait, il révèle et empire: les personnes agé·e·s, précaires, racisé·e·s sont en première ligne, encore. Non, le coronavirus n’apporte et n’apportera rien de bon, de la chambre à coucher à l’organisation mondiale, pas de bouleversement positif à l’horizon. Des milliers et des milliers de mort·e·s, des centaines de milliers de muscles atrophiés en réanimation, des millions de deuils. Non, la planète ne s’en portera pas mieux. C’est de la merde de bout en bout, on fait avec, c’est indispensable, salvateur, mais nous abreuver de raisons vaseuses de le nier n’est bon pour personne. Aidons-nous quand on le peut, donnons-nous du courage puisqu’on ne peut pas (a-t-on jamais pu?) compter sur le haut de la chaîne pour ça, faisons-nous rire et relativiser quand on le peut. Mais par pitié, arrêtez de vouloir nous forcer à loucher sur les «bons côtés du virus». Il n’y en a pas, et c’est beaucoup plus normal et sain de se sentir dépassé, mou, déprimé, improductif, de faire ce qu’on peut, d’accepter qu’on ne peut pas. Cessez de vouloir nous faire «positiver» et «profiter» au prix de la décence : ça va, on va mal mais ça va.

Camille Islert

L’autrice est doctorante en lettres modernes à la Sorbonne-Nouvelle et membre de l’association Les Jaseuses.

Cette tribune a été publié dans Libération.

Les illustrations sont ajoutées par Lignes de force.