Faillite de l’antifascisme mémoriel

« Comment peuvent-ils ? » « Comment peut-on ? » Telles sont les questions que l’on entend le plus fréquemment poser par les honnêtes gens de gauche à propos de la reprise en Europe d’un discours néonazi ou néofasciste dit « décomplexé » et de son succès, tant médiatique qu’électoral[1].

Le fait est qu’ils et elles « peuvent ».

Hier encore, tout ce qui évoquait le nazisme était frappé d’un tabou idéologique ; la flamme n’était entretenue qu’au fond de librairies poussiéreuses, par une poignée d’épurés et d’illuminés. Force est de constater que les choses ont changé.

Non que l’Europe soit brusquement saisie de quelque nostalgie hitlérienne… Simplement, des signaux idéologiques et des mesures concrètes – visant les immigré·e·s notamment – que n’aurait pas désavouées le chancelier du Reich ne se voient pas discréditées pour autant aux yeux de fractions toujours plus large des populations.

Sans parler de la banalisation de propos et d’actes racistes au quotidien.

Le fait que l’extrême droite activiste et violente prospère particulièrement dans l’ex-Allemagne de l’Est montre que ses idées ont été réprimées et contenues, mais nullement éradiquées.

Alexander Gauland, leader du parti Alternative pour l’Allemagne (AfD) déclare :

Si les Français ont le droit d’être fier de Napoléon [sic] et les Anglais de Churchill, il n’y a pas de raison que nous ne puissions pas être fiers des performances des soldats allemands durant la Seconde Guerre mondiale[2].

L’épouvantail mémoriel ne fonctionne plus (ou mal).

Peut-être la disparition des derniers survivants – tant du côté des résistant·e·s et des survivant·e·s de l’extermination nazie que du côté des bourreaux – y est-elle pour quelque chose…

Un autre élément d’explication tient sans doute au fait que nombre d’indigné·e·s sincères n’ont pas rompu avec une gauche de gouvernement qui, non seulement s’est ralliée au système capitaliste en abandonnant toute velléité de critique radicale[3] (même de pure forme) mais a entrepris de contribuer à sa « modernisation » à marche forcée, en détruisant les mesures sociales adoptées entre le Front populaire et… la défaite du nazisme.

Le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) apparaît ainsi soit comme le maximum de démocratie sociale possible, soit comme une utopie dépassée, deux propositions également stupides et mensongères.

L’antifascisme moral, mémoriel et démocrate est en train d’être laminé sous nos yeux. Cette partie – qui n’est pas la nôtre (je parle des révolutionnaires) – est d’ores et déjà perdue.

La seule perspective positive réside dans une stratégie de lutte des classes, clairement anticapitaliste et internationaliste, dont l’antifascisme sera une des conséquences stratégiques logiques et non un « fondement philosophique » désarmé.

Il faut cesser de désigner les néonazis comme l’incarnation du pire, ce qui mène à d’improductives et confuses alliances morales et électorales, ainsi qu’à une résignation catastrophiste. Ces gens sont des figurants parmi d’autres d’un système dont la destruction est l’objectif de notre histoire immédiate. Les fascistes – nouveaux ou à l’ancienne – feront partie des victimes collatérales de la révolution, que je souhaite communiste et libertaire.

[1] Voir quelques exemples dans l’article de Thomas Wieder « Allemagne. Le séisme politique de l’extrême droite (Le Monde, 7-8 octobre 2018).

[2] Cité par Thomas Wieder. Je ne sais quel est le terme allemand ici traduit par « performances », mais sa connotation moderne en français est nettement sexuelle.

[3] En France, après la prise en mains du parti socialiste par François Mitterrand au début des années 1980, précisément sur le thème d’une inévitable rupture avec le capitalisme – une des plus belles arnaques de l’histoire politique française.

 

Sur l’histoire de l’antifascisme en Allemagne, on peut lire de Bernd Langer chez Libertalia/La Horde :

“Mais tout commence”, un livre stimulant aux éditions Acratie

Avant d’avoir – éventuellement! – le temps d’en rédiger une recension personnelle, je vous signale la parution chez Acratie d’un livre consacré par le collectif Bad Kids au mouvement contre la loi Travail.

Pour de plus amples renseignements, je renvoie à la recension publiée sur le site Zones subversives.

Ce livre complète utilement les 127 jours en mars récemment signalé ici-même.

 

“127 jours en mars” ~ Présentation & débat, le 24 mai, dans le récent local de Libertalia, sur le mouvement contre la loi «Travaille!» ~ Avec Nathalie Astolfi & Alain Dervin

127 jours en mars vient pallier – sous la forme d’un abécédaire facile d’accès –  le vide souvent déploré sur ce blog de transmission d’un mouvement social à l’autre – surtout quand il implique la jeunesse.

Ce sera l’occasion de découvrir, outre ce livre utile publié au Passager clandestin, le nouveau local des éditions Libertalia, comptoir-librairie, où l’on pourra bien entendu acquérir l’ouvrage de Nathalie Astolfi et Alain Dervin,qui seront là pour débattre avec vous.

12, rue Marcelin-Berthelot, Montreuil.

À 4 mn à pieds du M° Croix-de-Chavaux.

Prendre la sortie «rue Kléber» (en tête de rame), puis la première à droite: c’est… la rue Kléber. Enfin, la première à gauche: c’est déjà la rue Marcelin Berthelot. Laissez-vous descendre. Le local est à 60 m sur la droite.

“127 jours en mars” un livre en forme d’abécédaire, qui fait retour sur le mouvement contre la loi «Travaille!»

Nathalie Astolfi et Alain Dervin, deux camarades militant à la CNT – et croisé·e·s à maintes reprises depuis une dizaine d’années en suivant les mouvements de la jeunesse et en participant à divers collectifs – viennent de publier un livre qui mérite d’être qualifié à la fois d’utile et de roboratif.

127 jours en mars est sous-titré «Petit abécédaire combatif contre la loi travail et son monde». Première bonne idée, après le sujet lui-même, la forme d’abécédaire. Elle est (sans doute) commode pour l’écriture et agréable pour le lectorat. On peut picorer, revenir au livre et trouver aisément une entrée: «Cortège de tête», «Lacrymo», «Nuit debout», etc.

Il ne faut pas prendre au pied de la lettre le titre de ce billet: en réalité, le livre de Nathalie et Alain va beaucoup plus loin qu’une simple évocation du mouvement anti-Loi travail. Il remet ce mouvement dans l’histoire des mouvements de jeunesse de ces dix dernières années (que les auteurs ont vécu directement, comme je le disais plus haut).

Ainsi se trouve pallié un défaut dramatique de transmission de la mémoire militante, d’un mouvement à un autre.

On retrouvera, à la lecture d’abord, puis selon d’éventuels besoin documentaires une foule d’événements, de dates et de faits vécus dans la rue et dans les assemblées générales, sans parler de la place de la République (Nuit debout).

Le récit est concis, alerte et sensible (parfois jusqu’à la naïveté; voir p.95). Comme de juste, chacun·e aura ses propres déceptions ou objections. Pour ma part, j’eusse volontiers subi moins de références à Jacques Rancière (qui m’horripile) et – je dis tout hein! – une mention de La Terrorisation démocratique à propos de l’état d’urgence.

Reste que le livre est vraiment utile, et bien réalisé.

Nul doute qu’il fournira le point de départ de moult débats dans les librairies et lieux alternatifs d’ici et de là.

127 jours en mars, Éditions le passager clandestin, 61, rue Sébastien Gryphe 69007 Lyon, 144 p., 9 €.

 

Statut du livre: reçu en service de presse.