N-D-D-L: Les Radis-co continuent le combat

Les Radis-co…

…c’est un réseau affinitaire regroupant des occupants et occupantes de la ZAD de Notre dame des Landes qui veulent défendre par l’action directe les idées d’autonomie, d’entraide, de respect du vivant, et de lutte contre l’autorité et toutes les formes de dominations, contre l’économie et ses logiques d’exploitation.

 

 

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CONTRE L’HÉNAURME! par Gérard Lambert ~ Débat sur Notre-Dame-des-Landes

 Afin de contribuer au débat en cours, je publie ci-dessous le texte de Gérard Lambert: Réplique à l’Appel pour retrouver un sens politique à la lutte qui se mène aujourd’hui sur la Zad, rédigé et diffusé par Quelques agriculteurs et agricultrices du collectif contre les normes, le 14 mai 2018.

On peut télécharger le texte de l’Appel ici.

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« Bien que nous n’attendions pas grand-chose de l’application de la journée de huit heures, nous promettons solennellement d’assister nos frères plus modérés dans la lutte de classe, de toutes nos forces et par tous les moyens dont nous disposons. Et ce aussi longtemps qu’ils continueront à faire ouvertement et résolument front contre nos oppresseurs communs »

Déclaration de la Central Labor Union américaine, sous l’impulsion d’Albert Parsons et August Spies, anarchistes, membres de l’Association Internationale des travailleurs, en 1885.

 

Dans votre texte, vous admettez que, au cours de votre lutte fort estimable contre les normes qui asservissent les « petits » à un capitalisme toujours plus contraignant, vous apprenez « chaque jours dans (vos) fermes à ravaler (vos) prétentions et à trop souvent vous mettre aux normes à contrecœur après avoir résisté jusqu’à épuisement (…) avec une rage rentrée ». Mais, lorsque des zadistes de Notre Dame des Landes, soucieux d’essayer de sauver l’essentiel de ce qui s’est construit là, font pareil vous vous permettez de les traiter de « pantins de l’État ». Au nom de quoi vos concessions sont elles honorables et les leurs méprisables ?  Qu’est ce qui vous permet d’estimer qu’ils n’ont pas, comme vous, cette rage rentrée ? Qu’est ce qui vous autorise à les déguiser en fourbes calculateurs arrivistes ayant « troqué leur costume de Black Bloc pour trouver une place dans les couloirs de la préfecture » ?

Ils se trompent peut être en essayant de « négocier » avec l’État quand tout prouve que celui-ci ne veut qu’imposer ses diktats, mais les caricaturer en « élite » voulant juste défendre des intérêts exclusifs est une calomnie aussi « ignoble » que la rupture de solidarité que vous leur reprochez.

Dans toutes les luttes sociales il y a une distinction à faire entre ceux qui sont délibérément des magouilleurs, des politicards, des arrivistes, des sales cons, et ceux qui, essayant de combattre au mieux dans une situation conflictuelle, tâtonnent, se trompent, font des erreurs stratégiques, etc. Cette nuance, ni vous ni les auteurs des textes que vous citez comme « éclairants » ne la faites. Au contraire vous portez un jugement dénonciateur péremptoire sur ceux qui pataugeant dans la boue et la confusion essaient de défendre une « zone » et ce qui s’y est construit, y compris la gestion collective et les solidarités. Loin du « mensonge crapuleux » que vous voulez voir dans cet effort.

Notant plus loin que « La force de l’État ne permettait pas de rêver aux grands soirs » vous faites pourtant griefs à ceux qui se résignent au compromis de choisir cette voie dans l’espoir de ne pas voir tout ruiner. Ils se leurrent peut être. C’est possible. Mais leur tentative de sauver « un territoire d’exception » et l’esprit qui va avec mérite bien plus le soutien que le démolissage « radical ».

Vous dénoncez « la manœuvre étatique de division » mais vous y contribuez en fabricant ce que vous qualifiez à juste titre de « figures spectaculaires forcément réductrices ». Vous êtes le pendant, version « offensive », des lâcheurs Durand et Verchère, que j’ai critiqués dans un autre texte*. Comme eux vous envenimez les désaccords, empoisonnez le débat. Vous contribuez à ce que les positions de chacun se figent dans un irréductible conflit au lieu de discussions constructives. Or tout ce qui fabrique ainsi de la division rend service à l’État. Pour des gens qui dénoncent les « pantins de l’État », ça la fout mal.

Ce qui a fait la force de la Zad, et contribué  à ce qu’elle séduise tant de révoltés contre le despotisme régnant, est loin d’être ce « mythe » que dénoncent vos copains et qui trouve écho dans votre texte. C’est la capacité à faire front contre l’ennemi en conciliant des stratégies diverses, en sortant de débats souvent houleux avec des choix d’actions concrètes différentes mais solidaires ; la capacité de gérer cette lutte de façon collective. C’est dans cette stratégie que se sont reconnus bien des gens fatigués du sectarisme qui affligeait depuis des décennies les tentatives de fabriquer un monde plus humain. Ce sectarisme, vos postures le font renaître.

Heureusement, il reste sur la Zad et ailleurs des gens qui ne s’y prêtent pas, qui continuent à essayer de construire des alternatives offensives à la résignation, au défaitisme, à l’écrasement. Des gens qui cherchent à « construire un collectif », comme celui que vous appelez de vos vœux, mais autrement que par l’anathème et la calomnie. Contribuer à ce qui se fait dans ce sens me semble plus positif que dresser des factions l’une contre l’autre pendant que l’État se marre.

Gérard Lambert

8 juillet 2018

*La main tendue et le coup de pied au cul.

 

 

ZAD PARTOUT! par Gérard Lambert

Le texte ci-dessous est la version française d’un encart ajouté dans la revue portugaise Flauta de luz (n° 5, avril 2018) pour compléter un article conséquent sur l’histoire de la Zad de Notre-Dame-des-Landes par Pedro Fidalgo intitulé «A populaçao contra os decisores».

On peut contacter Flauta deLuz à cette adresse: flautadeluz1@gmail.com

 

ZAD PARTOUT !

Le 17 janvier 2018, le gouvernement Macron annonçait l’abandon définitif du projet d’aéroport de Notre Dame des Landes, obtenu enfin après plus de 50 ans de lutte des opposants. C’est évidemment la menace d’actes de résistance de milliers de personnes dans toute la France et le risque de « déstabilisation » que ça lui faisait courir qui a contraint ce gouvernement à ainsi lâcher du lest, et non la « sage » considération expertisée d’un projet « obsolète ». Ce gouvernement n’est pas moins que ses prédécesseurs souteneur de « grands projets inutiles » ou plutôt utiles seulement à quelques saigneurs de l’humanité et de la planète. Il est plus prudent et plus roublard, voilà tout.

Ce fut une grande victoire pour les opposants, prouvant qu’avec suffisamment de détermination et de ténacité on peut contraindre l’État à céder sur une position sur laquelle ses différents gérants, de gauche comme de droite, avaient toujours affirmé refuser de capituler. Mais c’est une victoire qui visait à préparer une défaite.                    

Car, depuis des années, le véritable affrontement entre l’état, ses gérants, la grande majorité des politicards, les barons du business, et les Zadistes de Notre dame des Landes et leurs soutiens, n’est pas seulement l’affrontement pour ou contre un débile projet d’aéroport mais aussi et surtout pour ou contre certains choix de société. C’est d’ailleurs ce qu’ont déclaré souvent les plus forcenés partisans du projet : pour eux, le plus important était, et reste de détruire la Zad. En effet, cette zone contre laquelle ils ne cessent de vitupérer à coups de mensonges grossiers la déguisant en repaire de casseurs et terroristes ; cette zone qu’ils dénoncent comme « Zone de non droit » est une zone ou le « droit » d’asservir et d’exploiter a largement pris fin. C’est un exemple concret que des gens unis malgré leurs divergences, créatifs et déterminés, peuvent vivre autrement que broyés par une « économie » cannibale, asservis à des patrons et des actionnaires toujours plus voraces, truandés par des financiers rapaces, menottés par des « lois » carcérales, matraqués ou flingués par des « autorités » mafieuses. C’est la preuve que des humains peuvent avoir d’autres relations que la guerre de tous contre tous. La preuve que des citoyens peuvent s’auto-organiser au moyen d’une véritable démocratie directe au lieu d’abdiquer leur pouvoir aux mains de démagogues véreux. C’est évidemment une menace pour toutes les oligarchies régnantes. C’est cela qu’ils veulent anéantir.

En habiles politicards, Macron et sa clique se sont donc affairés à ôter son prétexte à la résistance. La sauvegarde des intérêts des vampires de l’humanité vaut bien le sacrifice d’un aéroport ! L’abandon du projet d’aéroport leur permet d’argumenter que la Zad n’a plus de raison d’exister. Ils espèrent que certains vont se contenter de cet abandon et lâcher les Zadistes, égoïstement, sans considération pour le fait que « sans eux, l’aéroport serait déjà fait », comme le constate lucidement un opposant « historique ». Ils se préparent ainsi à mettre fin à ce qui reste un territoire libéré de leur domination ; à une expérience de changement social dont ils redoutent qu’elle fasse tache d’huile ; à cette « commune » exemplaire.

En effet, le 17 janvier, en même temps qu’il annonçait l’abandon du projet d’aéroport, le gouvernement confirmait sa détermination à expulser les zadistes, leur laissant seulement pour évacuer les lieux un délai jusqu’au 30 mars, fin de la traditionnelle «trêve hivernale » qui, en France interdit pendant l’hiver les expulsions hors de logements « squattés » ou aux loyers impayés.

Le 10 février, 20 000 personnes fêtent sur la Zad l’abandon du projet d’aéroport mais affirment également leur détermination à « Enraciner l’avenir » et empêcher que la Zad soit démolie. Le collectif des différentes composantes de la lutte proclame : « Dans le futur, ce territoire doit pouvoir rester un espace d’expérimentation sociale, environnementale et agricole » et s’affirme déterminé à lutter contre toute tentative d’expulsion. Depuis des mois le mouvement avait anticipé ce que seraient ses positions en cas d’abandon du projet d’aéroport et tracé des plans pour un avenir qui tienne compte de l’originalité de la Zad. Un texte, en 6 points, cosigné par tous, affirmait que la gestion du territoire de la Zad devait rester l’œuvre du collectif contre l’aéroport et devait s’assurer que les terres et les lieux de vie et ateliers continuent à vivre dans l’esprit de la Zad, privilégiant le « commun » et faisant place à une approche le plus possible non-marchande. Une « assemblée des usages » avait été créée en plus de l’assemblée générale mensuelle, pour : « d’une part, discuter/gérer au présent l’usage des espaces communs sur zone, sur la base des six points, les différentes pratiques qui y existent, et les conflits qui peuvent éventuellement en découler ; d’autre part penser l’avenir de la Zad après l’abandon du projet ».

Le collectif désigne une délégation de personnes issues des différentes tendances de la lutte pour négocier avec l’État la suite de la situation. Toutefois, sans grandes illusions pour certains : «  Beaucoup parmi nous ne sont pas d’accord ou n’en attendent pas grand-chose, parce que face à l’État, on ne gagne que ce qu’on peut prendre et tenir par la lutte, pas ce qu’il veut bien nous concéder. Nous ne voulons pas croire qu’à ce moment clé, que certain·es appellent « victoire » et d’autres « abandon de l’aéroport », notre mouvement se déliterait et que l’on bataillerait chacun·e pour sa part du gâteau, dont la cerise serait l’accord bienveillant de l’État.  Nous souhaitons au contraire signifier à l’État, ainsi qu’à celleux que notre mouvement effraie, qu’ensemble nous ne sommes pas seulement des obstacles à leurs projets, mais des entraves à leur logique, avec ou sans aéroport. Que par le biais des négociations, l’État ait une prise sur ce qu’il se passera ici, c’est un fait. Mais ça ne signifie pas pour autant que nous lui ouvrons grand les portes de ce que nous avons construit, ensemble et sans lui. Il est et restera, pour nous, un adversaire politique, et nous continuerons à construire nos réalités ».

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Mais l’État va s’affairer à affaiblir et diviser le mouvement en jouant les différentes factions, « légalistes » et « radicales », les unes contre les autres. Dès février, la majorité du mouvement, désireuse de montrer à l’Etat sa bonne volonté négociatrice, décide de nettoyer la route dite « des chicanes » qui traverse la Zad et a été transformée au moment de l’Opération César en 2012 par des « barricades » et diverses cabanes qui limitent la circulation. Ce blocage est depuis longtemps sujet de friction entre les zadistes : certains veulent « libérer » la circulation pour que les paysans et habitants des environs puissent mieux circuler ; ceux qui habitent les cabanes sur la route ou à proximité craignent d’être évincés, les mêmes ou d’autres voient dans la remise en état de cette route le début de la « normalisation » de la Zad. Le collectif, s’étant pourtant prononcé en grande majorité pour cette remise en état, s’affaire rapidement à nettoyer les lieux, démanteler les barricades et démolir les cabanes ou en déplacer certaines, ce qui suscite l’opposition d’autres zadistes, « minoritaires ». La raison invoquée pour agir si vite : si ça n’est pas fait, l’État menace d’une intervention rapide de la gendarmerie. Certains y objectent qu’auparavant le mouvement cédait moins facilement à ce genre de menaces. Et, une fois la route dégagée, ils semblent bien avoir raison puisque des hordes de gendarmes envahissent les lieux sous prétexte de sécuriser la remise en état de la voie, filmant copieusement les zadistes qui sont repoussés en bordure de route, repérant les lieux et se glissant quand ils peuvent jusque dans les cabanes, etc. Pourtant, les zadistes, que la propagande gouvernementale présente comme « ultra-violents » n’opposent qu’une présence pacifique, à peine contredite par de dérisoires « dégradations » la nuit des travaux opérés le jour (trois mètres carrés de bitume arrachés, une buse cassée) qui permettent toutefois à la préfecture de justifier son imposante présence policière et, plus grave, à certains opposants « raisonnables » de tonner contre ces fouteurs de merde qui vont gâcher les négociations. Un des « leaders » médiatiques allant jusqu’à proclamer sordidement que : « Si ces anars continuent à jouer aux cons, il faudra peut-être en passer par une journée de gaz  lacrymogènes ». (…) Les   tracteurs n’iront certainement pas protéger cette bande-là ! » Ce à quoi la majorité des zadistes répond : « Honte à vous. Il n’y a pas de bons et de mauvais zadistes ».

Les « ultra violents », eux, se contentent de montrer leur cul à la préfète, venue sur la route constater le « retour de l’état de droit » et d’apostropher un sous-ministre venu parader pareillement. Comme « violence », il y a pire.

Parallèlement, la préfecture prépare le cadre des pseudo-négociations destinées à faire renoncer les zadistes à toutes leurs exigences. Il est demandé aux zadistes de présenter des dossiers individuels de projets agricoles pouvant être entérinés par les autorités « représentatives » c’est-à-dire, entre autres, la Chambre d’agriculture tenue par la FNSEA, « syndicat » à la botte des barons de l’agriculture industrielle et qui est coresponsable des « normes » toujours plus draconiennes qui étranglent et font mourir les petits paysans. Les autres activités sur la Zad comme la boulangerie, l’atelier mécanique, la bibliothèque, etc. ne rentrent pas dans ce cadre. Quand à la volonté de gestion collective c’est un refus catégorique « non négociable » comme l’affirme le représentant du ministre « de l’écologie ». Bref, il s’agit de renoncer à tout ce qu’est la Zad pour avoir le droit d’y rester, peut être, si on se plie suffisamment pour rentrer dans les carcans fixés. Tous ceux qui ne rentrent pas dans ce cadre devenant expulsables du jour au lendemain, la préfecture fixant un ultimatum très court qui, même si les zadistes voulaient remplir les dossiers qu’elle demande ne serait pas tenable. Mais elle pose ainsi à « l’ouverture » pour les « raisonnables ». Le collectif négociateur pour la Zad se prête, dès le 28 février à ces « négociations » mais constate très vite : « Loin de marquer l’ouverture d’une négociation apaisée avec l’État, ce rendez-vous semble plutôt le début d’un long bras de fer sur l’avenir de la ZAD. »

L’ultimatum de la préfecture étant fixé au 9 mars, et la grande majorité des zadistes ne s’y étant pas pliés, une vaste agression, plus militaire que policière est lancée par l’État contre la Zad. 2500 membres des troupes d’assaut des diverses polices agressent les zadistes et leurs soutiens (y compris un camp très pacifique de « cheveux blancs » – personnes âgées venues soutenir les zadistes par leur présence) appuyés par des blindés, un hélicoptère, un drone, des bulldozers et tractopelles, utilisant une quantité impressionnante de gaz lacrymogènes et incapacitants, certains largués par hélicoptère, de grenades soufflantes, et autres gadgets de robocops. La zone est entièrement cernée. Ceux qui veulent y accéder, même s’ils y habitent, sont stoppés, leurs voitures et sacs fouillés. Les policiers relèvent les plaques minéralogiques et copient les papiers d’identité, saisissent des tas de choses : matériaux et outils, duvets et couvertures, médicaments, couteaux, ouvre-bouteilles, foulards, etc. C’est un état de siège absolu. Un observateur note que l’opération représente l’équivalent de 50% des forces militaires françaises engagées sur les opérations « extérieures » dans le monde. La journée d’intervention coûterait 350 000 euros. Certains remarquent que l’État qui prétend devoir faire des économies sur certains services publics, à commencer par les hôpitaux, n’a pas de mal, là, à dépenser sans compter.

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Sur la Zad, la résistance est féroce. Les combats font rage. Dès le premier jour, un certain nombre de lieux de vie sont entièrement détruits. Mais les agresseurs commettent une erreur. Ils expulsent et démolissent la ferme des « cent noms », un lieu exemplaire d’agriculture biologique et projet innovant, qui avait fait l’effort d’essayer de se mettre « en règle ». Cet « excès » ressoude les opposants. De nombreux soutiens rallient la Zad et aident à la résistance. Dans toute la France et même à l’étranger, des mouvements de soutien se manifestent. On compte de nombreuses occupations de lieux de pouvoir, de blocages, etc. Le week-end suivant, 7 000 personnes manifestent à Nantes, dans une ville en état de siège. Le lendemain, sur la Zad, 10 000 à 12 000 personnes (difficile de comptabiliser précisément dans ce contexte) contournent, par des chemins forestiers boueux, le dispositif de blocage policier et manifestent sur la Zad, alors qu’officiellement toute manifestation y était interdite. Tandis que certains font face aux robocops d’autres pique-niquent gaiement. Une impressionnante charpente en bois, pesant deux tonnes, est montée dans un champ, puis portée à travers bois par une foule dynamique et hilare au nez et la barbe du dispositif policier jusqu’au lieu où elle doit remplacer un bâtiment abattu. Détail bien significatif de l’esprit qui règne sur la Zad : alors que ses constructeurs se doutent bien qu’elle sera très vite détruite, ils ont mis un soin élégant à la construire en beau bois et à en orner les poutres de sculptures soignées. Elle sera en effet détruite dès le lendemain. Ce qui ne décourage personne de l’idée de la reconstruire ainsi que tout ce qui a été démoli.

Sous prétexte d’empêcher cette reconstruction et bien que son objectif affiché de destruction soit officiellement atteint quoique revu à la baisse (29 lieux de vie détruits au lieu de 40 visés), la préfecture maintient le dispositif policier, qui continue à agresser en différents lieux de la Zad, et aussi à maintenir une pression sur tous ceux qui habitent le secteur, zadistes ou non, à l’aide de contrôles incessants (une infirmière arrêtée quinze fois par jour), d’hélicoptère assourdissant jour et nuit, de coupures d’électricité, de provocations diverses. Le but étant bien sûr, de dresser les habitants des environs contre les zadistes, qui seraient cause de tous ces ennuis. Ce qui ne marche guère, la majorité des habitants en voulant plutôt à la police.

Néanmoins, les négociateurs du Collectif de défense de la Zad continuent à rencontrer la préfète, essayant d’obtenir un « accord » qui ne soit pas une reddition totale. Ils sont soutenus par de nombreuses déclarations de groupements, d’associations, de syndicats, de partis, d’intellectuels, qui demandent à l’État, parfois très fermement, d’arrêter le massacre (« Retrait immédiat des forces d’occupation » – CGT Vinci) et trouver une issue « raisonnable » au conflit. En ce printemps de contestation sociale importante en France, de grèves et manifestations en défense de divers « services publics », la Zad ayant exploré un mode de vie moins soumis aux prédateurs capitalistes trouve un large écho dans la population.

Mais, comme il le fait face à cette contestation sociale, le gouvernement se maintient dans la posture de celui qui ne cèdera rien. Le roitelet et sa cour jouent évidemment leur crédibilité politicienne sur cette « fermeté ». La Zad en fera t’elle les frais ? Rien n’est joué. La résistance reste très forte malgré quelques défections d’opposants « historiques » fortement médiatisés.

A la veille du 23 avril, date limite du second ultimatum préfectoral, une minorité de zadistes avait présenté les dossiers individuels demandés par l’État, comme preuve de bonne volonté conciliatrice, maintenant toutefois leur affirmation qu’ils veulent toujours défendre un projet collectif, et que si les expulsions devaient reprendre (il reste à peu près 60 lieux de vie « illégaux » sur la Zad) ils entreraient de nouveau en résistance. D’autres « sans fiche » se déclarent opposés à cette « stratégie molle ». La police, elle, continue son agression de la Zad sans faire la « pause » demandée par les négociateurs et leurs nombreux soutiens dans la « société civile ».

Selon les médecins intervenus sur la Zad, l’agression policière a fait plus de 300 blessés, pour certains avec des blessures s’apparentant à des blessures de guerre. 60 zadistes soutiens ont été arrêtés. Chez les gendarmes il y aurait environ 150 blessés. Une association de femmes de gendarmes se plaint que leurs maris soient envoyés au front sans avoir les « moyens suffisants » pour accomplir leur mission. Des milliers de grenades ont été envoyées (dont certains ont récupéré les douilles pour les déposer en tas devant les préfectures, révélant ainsi l’ampleur de l’agression). Elles voudraient quoi ? Des automitrailleuses ? Des tanks ?

« La cruauté est le lot ordinaire de tous les pouvoirs qui tombent » remarquait lucidement le Communard Eugène Varlin. Le gouvernement Macron n’est pas encore versaillais disposé à fusiller des milliers d’insurgés pour se maintenir, certes, mais sa démonstration de force est bien plutôt une preuve de faiblesse. Il sait que « l’état de droit » qu’il défend est si peu crédible parmi ses « sujets » qu’il ne peut régner que par la violence. Et chacun de ses actes dresse un peu plus de gens contre lui, comme ailleurs dans le monde de plus en plus de gens se dressent contre les saigneurs régnant sur cette société.

Le mot de la fin, provisoire, ne peut que revenir aux habitants de la Zad : « Pour tous ceux qui, derrière leurs beaux discours, comptent bien continuer à tirer profit de la destruction des ressources naturelles, des inégalités croissantes et de la domestication des populations, il est visiblement inacceptable que quiconque essaie de s’organiser – de manière un tant soit peu visible et conséquente – à contre courant de leurs valeurs mortifères. Et pourtant, on peut parier, face à un monde qui va droit dans le mur, que ce qui se tente concrètement sur la Zad de Notre-Dame-Des-Landes – et dans d’autres espaces – pour reprendre sa vie en main, continuera à être jugé essentiel et soutenu par un nombre plus en plus important de personnes. » Le cri « Zad partout ! » n’est pas prêt de se taire.

Gérard Lambert, 24 avril 2018   

[Illustrations de Carotide.]

«CAPITAL TOTAL» ~ par Négatif

Dans le monde qui se profile, l’espoir de mener une vie simplement humaine s’effondre. Qui peut encore s’illusionner sur ce qui nous attend ? Qui peut encore imaginer que la simple défense du service public, issu du compromis social né dans le contexte bien particulier de la fin de la Seconde Guerre mondiale, soit une revendication à la hauteur des enjeux ? Le Capital s’est débarrassé de sa muselière. Il montre les crocs. Cela se traduit dans les faits par un accroissement de la violence de la répression mise en œuvre par ses représentants à la tête de l’État (expulsion des étudiants des facultés qu’ils occupent, opération militaire à Notre-Dame des Landes, sans parler des attaques menées par des fascistes confortés par la violence étatique).

Face à l’ampleur des attaques, les directions syndicales restent figées dans une position défensive non dénuée d’arrière-pensée. Le simple fait de mettre dans la même casserole des revendications diverses et appeler cette mixture « convergence des luttes » ne suffira pas. S’agirait-il donc de donner plus de force à chacune d’entre elles, et penser ainsi qu’elles pourront toutes trouver preneur au sein du patronat et de l’État ? Pour revenir à quelle situation ? À la dernière étape d’une régression sociale entamée voici déjà presque quatre décennies ? Cette régression, il est vrai, entre aujourd’hui dans une phase décisive. Il ne s’agit plus de courir après toutes les attaques (c’est la stratégie du gouvernement actuel que de nous faire courir en espérant nous asphyxier), mais de nous demander à quelle vie, radicalement autre, nous pouvons aspirer. Derrière la revendication du maintien du service public, ne se cache-t-il pas l’attente profonde d’une vie débarrassée des exigences du profit qui mettent à mal l’existence de chacun, au travail ou dans l’exclusion sociale ?

Nous n’avons besoin ni de l’État ni du Capital pour imaginer et mettre en œuvre une société nouvelle, en rejetant loin de nous tout ce qui nous sépare, notamment les revendications identitaires diverses qui fleurissent de toutes parts, et paraissent difficilement compatibles avec une remise en cause globale de la société de classe et de la réification toujours plus prégnante des rapports humains.

Capture d’écran 2015-01-15 à 14.38.41 Négatif