“Trois essais sur l’esclavage moderne” ~ de Léon TOLSTOÏ ~ trad. Adrien Suberbielle ~ préface de Louis Janover

Sa fréquentation des milieux les plus pauvres de la Russie de son temps a conduit Léon Tolstoï à s’interroger sur les racines profondes de l’inégalité sociale et de l’esclavage moderne, et à mettre en pratique dans sa propre existence cette simplicité de vie, par laquelle le renoncement au superflu, outre qu’il est libérateur, est restitution de ce que l’on a volé à d’autres. Sa critique sociale a bouleversé le monde russe et bien au-delà. Alors qu’elle était considérée comme dépassée par nombre de marxistes, elle réapparaît aujourd’hui portée par une pensée active de l’émancipation: refus radical de la condition ouvrière; image d’une communauté agraire, alors vivante aux yeux de tous. Et Marx, dans une lettre de mars 1881, ne disait-il pas de la commune rurale qu’elle pouvait être «le point d’appui de la régénération sociale en Russie». Notre temps est-il si loin d’une telle convergence?
Les trois essais de Tolstoï réunis dans ce livre, «L’Esclavage moderne», «Où est l’issue?», «La Racine du mal», traitent de cette émancipation plus actuelle que jamais.
Une préface de Louis Janover (de 78 pages) s’efforce de mettre cette idée en résonance avec d’autres voix comme celle de Rosa Luxemburg qui porte jusqu’à nous la révolte de Tolstoï. Sont publiés en annexe une lettre de Tolstoï à Romain Rolland et l’article de Rosa Rosa Luxemburg: «Tolstoï, penseur social» (1908).

Traduit du russe par Adrien Suberbielle.
 
 

Statut de l’ouvrage: envoyé par le préfacier.

Un sommet de l’ignominie capitaliste: externaliser les frontières pour mieux repousser les pauvres

Le capitalisme, que son mouvement naturel d’expansion pousse – comme l’avait noté Marx – à s’étendre à toute la planète  (y compris à la forêt amazonienne !) en vient à combiner de manière tragi-comique les procédés gestionnaires modernes (délocalisation) avec la fonction traditionnelle des frontières: refouler les prolétaires (quand ils sont inutiles au marché de l’emploi) et, au contraire, laisser circuler l’argent.

Les pays de l’Union européenne expérimentent depuis quelques années ce sommet de l’ignominie étatique postmoderne qui consiste à externaliser les frontières, à l’encontre des seuls pauvres bien entendu.

Le parlement danois vient d’en fournir un exemple.

Les clichés de Badiou : Staline effacé, Mao au premier plan

Outre sa voix de bronze et sa longévité, Alain Badiou a pour lui une obstination dans le communisme qui force l’admiration. La dimension autocritique récente de sa production avait paru un peu contradictoire. Certes, la centralité de l’État semblait devoir être remisée au magasin des accessoires, mais pas Mao Tsé-Toung.

Le voilà (Badiou) qui, dans un récent entretien accordé à L’Humanité dimanche (17 au 23 décembre 2020), en remet une couche et, pour le même prix, procède à un élégant vernissage. C’est que maoïste un jour, Badiou l’est toujours.

Comme on l’interroge sur ses « rapports avec Marx » – excellents à tous égards – il en profite pour glisser en première ligne le Petit Livre rouge, sacré, c’est bien le cas de le dire, « meilleur manuel du militant communiste ».

S’inspirant peut-être du découpage historique du féminisme, par « vagues », Badiou place la première étape communiste, entre les années 1840 et la fin du XIXe siècle, sous le patronage de Marx ; la seconde, entre 1917 et les années 70 du XXe siècle sous celui de Lénine. Vous noterez l’habile et prudent escamotage de l’une des figures du panthéon maoïste : Staline. C’est pourtant bien lui qui dirige et inspire le communisme, dès le printemps 1923, lorsque Lénine est rendu quasi-impotent par une série d’accidents vasculaires cérébraux, soit pendant quarante-sept longues années de la période considérée.

La troisième étape étant, mais on commençait à s’en douter, placée sous le patronage de Mao. La Révolution culturelle chinoise se trouve ainsi associée à la Commune de Paris, via celle de Shangai… Ce bonneteau historique permet de faire de Mao un quasi-libertaire, et ça c’est plus fort que de jouer au mah jong !

NB.

La colorisation n’a aucune signification politique. J’ai simplement tenté de pallier les défauts de lisibilité de la photo de l’article dont je dispose.

Par ailleurs, dans le second extrait, une négation parasite rend la lecture problématique. Je pense qu’il faut lire: «…au fait qu’ici même une partie considérable du prolétariat provienne d’ailleurs que de la France…» (et non «ne provienne»).

“L’Homme sans horizon” ~ un livre de Joël Gayraud

Il en va des livres comme des gens, on rate certaines rencontres. Il s’en est fallu de peu, ça a failli, ça aurait pu se faire, et puis…

La déception est d’autant plus grande que toutes les conditions semblaient réunies : affinités, circonstances, planètes en alignement, que sais-je…

Bref, je suis aujourd’hui dans l’inconfortable position de parler d’un livre que j’ai manqué, sur un sujet qui me passionne, dont l’auteur m’est sympathique, et dont je reconnais à chaque page les préoccupations qui nous rapprochent, les références que nous partageons. Auquel, par surcroît, je n’ai que peu de critiques à adresser. Il n’est jusqu’à la construction du texte incluant des « apartés » (procédé que j’ai utilisé dans Je chante corps critique) qui ne me le rende familier. Pour ne rien dire de tel écho de nos discussions communes (sur la Révolution française).

L’Homme sans horizon est un essai de Joël Gayraud, dont le sous-titre « Matériaux sur l’utopie » éclaire le propos. L’horizon – que l’auteur entend non au sens originel de limite de la vision mais au contraire de ce qui permet la vision d’un avenir autre – c’est donc l’utopie.

Je cite la quatrième de couverture :

Questionnant les grandes théories critiques (Marx, Ernst Bloch, Guy Debord), s’appuyant sur l’anthropologie, poussant des incursions du côté de la philosophie (Aristote, Agamben, Simondon), invoquant après les romantiques et les surréalistes la fonction vitale de l’imagination créatrice, L’Homme sans horizon dessine les lignes de fuite qui permettent de rouvrir un horizon utopique. Au-delà de l’utopie libérale, aujourd’hui épuisée, de l’utopie sociale qui a été défigurée par les régimes totalitaires, la seule issue possible est de reprendre et faire triompher le rêve ancestral de société sans classe ni État, constituée d’individus égaux, librement associés, jouant enfin leur propre histoire. Aujourd’hui où la survie de l’espèce est en jeu, c’est cette espérance qu’il s’agit de réaliser sous peine de voir l’humanité s’effondrer dans la barbarie. L’Homme sans horizon se propose de montrer l’urgence de ce qui est désormais la seule utopie humaine, et de lui apporter les fondements de sa légitimité historique.

D’où vient donc que ce projet, que je cosigne d’enthousiasme, m’est resté étranger ? Il se peut que cela tienne, de manière triviale, au fait que je me suis arrêté au baccalauréat. En effet, Joël Gayraud, s’il croit peut-être de bonne foi écrire (aussi) pour les gens comme moi, projette son écriture truffée de références savantes à mille milles au-dessus de ma (pauvre) tête.

Ajoutez à cela des alinéas compacts et une mise en page qui, pour élégante qu’elle soit, a privilégié l’économie par rapport à la lisibilité[1], et vous pouvez m’imaginer « dévissant » régulièrement, sans pouvoir m’accrocher aux notes de bas de page, presque absentes. S’il s’agit d’une volonté de « faire simple », c’est une lourde erreur tactique, tant le texte en lui-même est pesant (au sens d’impressionnant) de savoir concentré. Du coup, lorsque le lecteur découvre une référence qu’il ignorait (p. 207 pour moi), il est abandonné à ses propres googeulisations pour en apprendre davantage.

Dans mon esprit – je reconnais qu’il s’agit d’un préjugé – le terme « matériaux » évoque un texte militant. Peut-être aurais-du me méfier (je n’ai pas à me plaindre : l’auteur m’a amicalement offert et dédicacé son livre) de la mention « sur » dans l’expression « Matériaux sur l’utopie ». Il n’est pas dit « pour l’utopie ». En tout cas, s’il s’agit certainement d’un texte engagé, il n’est pas militant, au sens où je l’entends quand je rédige moi-même un texte d’intervention. Je sais bien que l’on est toujours l’« intello » de quelqu’un, et je n’ai pas oublié certaine jeune fille (oh pardon camarades curés !) me confiant, en manière de reproche, qu’il fallait lire le livre que je lui avais offert « avec un crayon » (c’était De la Révolution).

Mais suffit-il d’un crayon – je ne m’en sépare pas ; pas davantage que de mes lunettes ! – pour lire (et entendre) ceci :

«La conscience optative et l’essor des possibles.

I. L’aporie de l’être-là.

En désignant l’homme comme Dasein, c’est-à-dire comme être-là, Heidegger l’a réduit à un étant saisis dans son . Même si l’on prend le mot être en un sens transitif, et que l’on voit dans le Dasein celui qui fait être le là, qui amène le là à l’être, l’horizon de cet être transitif n’est autre que ce là. [etc. p. 179]»

J’avais il y a peu, vanté ici-même un ouvrage dont je reconnaissais n’avoir « pas tout compris ». Il s’agissait précisément d’un texte magistralement traduit par le même Joël Gayraud : Feux croisés de Sylwia Chrostowska (Klincksieck). J’ai même choisi ce livre comme sujet du premier des « Rendez-vous de Claude » que j’organise désormais mensuellement au Lieu-Dit, à Ménilmontant. Mais le livre de Sylwia Chrostowska, s’il lui arrive, dans le bon sens du terme, de « défier l’entendement » produit dans le même mouvement un effet poétique qui m’a paru à la fois séduisant et stimulant. La poésie est très présente dans ce livre de Joël Gayraud mais comme référence savante, elle n’imprègne pas le texte ni n’en surgit[2].

Reste à savoir qui saura se montrer plus compréhensif (ou accueillant ?) que je ne l’ai été moi-même pour cet Homme sans horizon. Des enseignants peut-être, et sans doute des étudiants, en philosophie et en littérature, déjà plus cultivés que je ne le suis (ce qui n’est guère difficile), soucieux de découvrir une synthèse récente – que Daniel Guérin ou Maximilien Rubel auraient pu qualifier de marxiste et libertaire – sur l’utopie comme programme politique. En ce sens, ces « matériaux » pourront nourrir mémoires de master et lectures savantes (ou non), à défaut d’armer le bras d’émeutières et de barricadiers. C’est le sort que je souhaite à ce livre, fruit d’un imposant travail, devant lequel je n’ai pu me défaire de ma timidité d’autodidacte.

[1] Le corps dans lequel le texte est composé est fluet ; celui des notes étique.

[2] À ce propos, est-ce une faute d’inattention de ma part ou bien l’auteur omet-il de mentionner sa participation au Groupe surréaliste de Paris, que j’ai accueilli dans un autre de mes « Rendez-vous » pour la présentation de sa nouvelle revue ?

Gayraud Joël, L’Homme sans horizon. Matériaux sur l’utopie, Libertalia, 297 p., 18 €

(Index précieux, mais bibliographie décevante, qui ne reprend pas les ouvrages cités dans le livre, et ajoute quelques copinages superflus).

Statut de l’ouvrage :

Offert par l’auteur.

Sylwia D. Chrostowska cite “Je chante le corps critique” à propos d’utopie

Mon livre Je chante le corps critique. Les usages politiques du corps (H & O, 2008) est cité par Sylwia D. Chrostowska dans la conclusion du livre qu’elle a codirigé: Political Uses of Utopia (Usages politique de l’utopie). Voir extraits ci-après.

Sylwia vient de publier Feux croisés. Propos sur l’histoire de la survie chez Klicksieck (trad. de Joël Gayraud; préface d’Alexander Kluge) dont je reparlerai, soit ici soit sur La Révolution et nous.

Elle a également collaboré au premier numéro de la revue du Groupe surréaliste de Paris Alcheringa (signalée ici-même).

 

 

MÉTRO C’EST TROP ! ~ Où l’on observe les rapports complexes entre la littérature, l’image que l’écrivain veut donner de lui-même et la survivance de modes de pensée archaïques dans les milieux libertaires

C’était une bonne idée éditoriale d’accueillir le récit d’un musicien du métro, demeuré musicien (de rock) par la suite et aujourd’hui leader du groupe The Angry Cats, dont il a été question à plusieurs reprises – en bien – ici-même.

Hélas ! On serait en peine de retrouver chez Fred Alpi écrivain les élans du guitariste… Du point de vue littéraire, le texte se situe – à mon goût – quelque part au-dessous du médiocre.

On objectera, à juste raison, que certains textes valent comme témoignages et non en tant que belle prose, dont l’appréciation est d’ailleurs subjective (je connais des gens qui ont aimé ce livre !). Malheureusement, hors une demi-poignée de détails pittoresques, auxquels n’importe quel guide historique du métro donne accès, je ne vois pas où est le « témoignage ».

Les anecdotes, réelles ou réinventées – ce qui est le droit de l’écrivain – m’ont paru sans intérêt. L’articulation de ses fades « aventures » avec l’actualité politique et sociale « en surface » paraît – le moment de le dire ! – bien superficielle.

Bref, on s’ennuie ferme !

…Sauf si l’on a côtoyé l’auteur !

Ce qui est mon cas, durant quelques centaines d’heures, sur les « tables de presse » des éditions Libertalia, en d’innombrables occasions (dont la plus longue fut Nuit Debout) et au cours des repas qui ont suivi.

De ce point de vue, que tout le monde n’a pas la chance de pouvoir partager, Fred Alpi présente un cas passionnant de dédoublement de la personnalité (diagnostic provisoire). En effet, tout son livre est une entreprise de sculpture de sa propre statue.
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Une « commune racialiste » à la faculté de Tolbiac ?

Tant que vous étiez occupé·e·s à rejouer Mai 68 en farce (Heil Marx !)…

En farce, oui, car chère petites dindes, chers dindonneaux, il ne suffit pas de se réunir à 400 dans un amphithéâtre pour prétendre être une « assemblée générale ».

Passons sur le fait que, constituée aux trois quarts d’échecs d’IVG de la classe moyenne et de la petite bourgeoisie, vous nous la faite « sous-off » plutôt que « générale ». Mais en plus, en matière d’assemblée qui ne représente, ne constitue ni ne crée rien, vous êtes imbattables ! Du jamais vu !

Mais bon, vous collectez de l’argent pour les cheminots en grève, et ça c’est gentil et utile !

Or voilà que certain·e·s d’entre vous organisent des réunions « en non-mixité raciale » (Aïe Hitler !).

C’est quoi votre problème ? Vous n’avez pas trouvé de Katangais ? Les loulous de la cité voisine sont trop mal polis avec les filles ?

Vos parents sont d’anciens soixante-huitards, c’est ça ? Maman sortait toute nue de la salle de bain ? Papa était contre les punitions corporelles ? Pas la moindre paire de baffes ?

On vous a traumatisé·e·s à l’envers ?

Du coup, vous allez racler les bidets du pire de la confusion racialiste, antisémite et homophobe pour dénoncer « l’impérialisme gay »…

Jeunes crétins des deux sexes, ne croyez pas le premier démagogo venu[1]. À rebours de ce qu’il vous dit, ce que vous faites est parfois beaucoup plus con – et nuisible – que tout ce que vous pouvez imaginez !

Vivement que l’État vous coupe les bourses (Aïe !) et papa-maman les vivres : ça nous fera des vacances scolaires !

Et vous vous finirez intermittents à la SNCF ! Enfin la non-mixité de classe ! On en recausera !

[1] Aaaaah ! Lordon ! L’homme qui juge « courageux » les assassins de jeunes filles du Bataclan !…