Réponse à Yves Coleman sur divers sujets d’importance

Yves,

Je m’adresse à toi de cette manière familière — même si tu me traites dans ta « réponse » comme une espèce d’ « antisémite par inadvertance » ou par sottise, ce qui n’est guère amical, et très douloureux à lire — puisque tu rappelles justement que « nous nous sommes croisés à plusieurs reprises dans des événements militants et avons discuté ensemble fort paisiblement et amicalement ».

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Je trouve ta « réponse » assez peu cohérente, pour tout te dire.

Passons sur le fait que tu annonces d’abord « ne pas revenir sur ton argumentation » à propos de mon erreur — d’il y a trente-quatre ans — et de mon autocritique au sujet des chambres à gaz, avant d’y consacrer un quart de ton texte. Les positions sont connues et facilement accessibles sur le net (les miennes, sur ce blogue). Je n’y reviens donc, de mon côté, vraiment pas.

Par ailleurs, tu écris : « Je remarque, avec tristesse, encore une fois que, pour Claude (comme pour bien d’autres militants libertaires, trotskistes ou ultragauches), le copinage rend malheureusement soit totalement aveugle soit dangereusement indulgent. »

Là, je dirais volontiers que tu te moques du monde.

En effet, dans la rixe qui a opposé un camarade impliqué dans la lutte des réfugié(e)s et un « Discordiste » (que j’appellerai « D. » dans la suite), le second agressant le premier sous prétexte de négationnisme-antisémitisme-« PIRisme[1] »-etc., il se trouve que tu connais beaucoup mieux, et depuis plus longtemps, l’agresseur que moi la victime.

Est-ce que tu ne tomberais pas là sous ta propre critique à propos du « copinage sans principes » ?

Ça n’est pas seulement par amitié solidaire pour un camarade dont j’ai apprécié les qualités et le dévouement à maintes reprises (mais dont je ne connais ni le nom ni l’adresse, comme c’est fréquent dans les rapports militants (parisiens, au moins), et avec lequel je n’ai discuté, au milieu de pas mal de monde, que trois ou quatre fois autour d’une bière), mais par principe, précisément.

Pas un principe essentiellement moral, un principe tactique. Il est inacceptable que des camarades en agressent physiquement d’autres à propos de malentendus ou même de désaccords. Je le répète : nous avons suffisamment à craindre et faire avec les islamistes, les flics et les fachos sans devoir nous méfier des réactions violentes et théorisées de tel ou tels.

Tu rappelles ton papier antérieur intitulé « Aujourd’hui, ils cognent le PS, demain à qui le tour ? »

Eh bien, tu as la réponse à ta question : des camarades proches. Et non pas : « Un copain de Guillon ».

Or, il se trouve que, tout non-violent que tu te proclames, en participant à la théorisation évoquée ci-dessus du geste de D., tu l’excuses, tu l’encourages, et tu justifies les récidives à venir.

Je voudrais attirer ton attention sur la manière dont tu évoques la rixe qui a motivé le billet auquel tu réponds : « Obscure agression physique » ; « Petite bagarre » et « quelques horions ».

Cette façon de minimiser l’incident est inexacte factuellement, et hors de propos. Inexacte : j’ai vu les cicatrices du copain, dont une sous l’œil. Hors de propos : je me félicite que ni l’agresseur ni l’agressé n’ait été mutilé ou gravement blessé dans l’affrontement. Tu sais comme moi qu’un mauvais coup est vite donné et vite reçu, une tête porte facilement contre un angle de trottoir… Et tout le monde se retrouve dans une situation dramatique qu’il n’a pas voulue, et qui entraîne représailles et autres drames. C’est ça qu’il faut par principe condamner, pour essayer autant que faire se peut de le prévenir.

« À qui le tour ? » demandais-tu. J’ai une réponse pour l’avenir. Tu ignores peut-être que dans certain micromilieu parisien, d’autant plus vindicatif et viriloïde qu’il se constate impuissant et isolé politiquement, il se dit qu’une bonne façon de lutter contre les idées du PIR et d’Houria Bouteldja — non ! ça n’est pas une « copine » à moi —, serait de casser la gueule à son éditeur Éric Hazan (avec qui je polémique courtoisement).

Imagine ce qu’une « petite bagarre » et « quelques horions » infligés à un homme de 80 ans pourraient avoir comme conséquences non voulues par les crétins qui s’y risqueraient…

Je dis, moi, fermement et par avance, que les crétins en question devraient être mis hors d’état de nuire.

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Venons-en maintenant à ce que tu dis du graffiti qui a fourni le sujet de la discussion et le prétexte de l’agression :

« “On nous douche avant de nous gazer” est un graffiti négationniste d’un individu qui devrait écrire des punchlines (phrases chocs) pour Dieudonné. Que l’auteur anonyme en ait été conscient ou pas, peu m’importe. »

Et c’est tout.

Or tu prétends répondre à quelqu’un — moi — à qui tu reproches d’avoir pensé et écrit :

L’allusion au déroulé des opérations d’extermination menées dans certains camps de concentration nazis est transparente.

Voilà encore une plaisanterie d’un goût douteux, dont je n’éprouve pas, pour ce qui me concerne, un pouvoir déridant mieux établi que celle de Julie Le Goïc (qui n’appréciera peut-être nullement celle-ci, d’ailleurs).

Bref, ça ne me fait pas rire.

Ça ne me fait rien.

Or, certaines gens ont voulu y voir une plaisanterie antisémite…

Cette surinterprétation me paraît, pour le coup, aussi douteuse que l’“humour” de la formule initiale. Sauf à considérer que toute allusion ironique à un dispositif antisémite, ou irrévérencieuse à des personnes de confession ou d’origine juive serait en soi antisémite, ce qui condamnerait une bonne partie de l’“humour juif” (ou en réserverait l’usage aux seuls “juifs” eux-mêmes)… Au Diable ne plaise !

Ta « réponse » à l’imbécile que je suis (puisque pas « ignorant »), assez imbécile pour ne pas voir ce qu’il y a de « négationniste » dans cette formule de mauvais goût, c’est : rien.

J’ai tort, un point c’est tout.

Et quoique prétendant me « répondre », tu te moques que je ne comprenne pas en quoi c’est négationniste, comme tu te moques de savoir si l’auteur du graf était conscient de sa faute.

Car c’est bien d’une faute qu’il s’agit, au sens de « péché ». Puisqu’elle échappe au raisonnement, à la connaissance, à la raison.

À la discussion, courtoise et amicale, ou non.

La question n’est donc pas, ou plus, d’expliquer à l’imbécile (moi, en l’espèce) en quoi il se trompe, mais de savoir quelle punition il mérite. Et là, tu nous rappelles ta non-violence de principe… À condition toutefois que l’imbécilité du mis en cause ne l’ait pas, « sans qu’il en soit conscient » peut-être, fait « passer à l’extrême droite » !

Or, qui juge de ce qui est « négationniste » ou de qui a basculé dans le camp de l’ennemi ? Eh bien, en l’occurrence : toi, Yves Coleman, et D.

Selon des critères dont la seule hypothèse qu’ils pourraient ou devraient être soumis à la critique collective met D. dans une rage violente.

Voilà où nous en sommes.

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Tu vas objecter qu’il te paraît suffisant d’associer le graffiti en cause et la répugnante propagande négationniste et antisémite d’un Dieudonné. Tu ajoutes, en abandonnant pour l’occasion l’amical « Claude » : « Claude Guillon n’a-t-il jamais entendu un seul sketch de Dieudonné sur le Net ? »

Alors vois-tu, Yves, cette question, dont je comprends bien l’intérêt stratégique dans ton absence de démonstration, ne peut se justifier que par l’ignorance ou la mauvaise foi retorse. Ignorance, parce que je me suis imposé, et c’est méritoire ! le visionnage d’un certain nombre de sketchs de Dieudonné pour rédiger un texte intitulé « Céline, Dieudonné, Faurisson : toujours les maux pour rire », qui a été lu des milliers de fois en ligne et publié dans la revue sur papier Barricata. Mauvaise foi, parce que puisque tu considères comme acquis ce que tu refuses de démontrer, je me trouve non plus imbécile, mais coupable conscient.

En effet, si je connais un tant soit peu les saloperies de Dieudonné, je suis nécessairement conscient que le graf est du même tonneau. Et nécessairement menteur quand je prétends le contraire. Beaucoup de tes lecteurs et lectrices penseront que tu veux laisser entendre que je feins l’imbécillité pour mieux faire passer un message (négationniste) que je ne veux pas, ou plus, assumer…

Est-ce qu’il te reste assez de bon sens pour réaliser que nous ne sommes plus là dans la discussion ni même dans la polémique, mais dans le simple anathème.

Je suis mis dans l’impossibilité de me défendre par un raisonnement, puisque je ne suis pas condamné par un raisonnement.

Je ne te demande pas, Yves, au nom de nos échanges courtois, de faire preuve de mansuétude à mon égard, je te suggère de t’adresser aussi aux centaines de personne qui ont trouvé comme moi de mauvais goût le graf en question, sans rien y voir de « négationniste », et qui n’admettront pas qu’on frappe un camarade sous prétexte de cette divergence de vue.

Explique-toi. Avec « virulence » si tu veux.

Interrupteur d'oreille

Je dis en passant comment j’ai compris, moi, les graffitis, dans la formulation que tu as retenue, et dans celle dont j’ai retrouvé une photo.

« On nous douche avant de nous gazer » peut signifier : par l’allusion conjointe à ces deux « marqueurs de mémoire » de la barbarie nazie, je laisse entendre que le gouvernement actuel, dont la police utilise les canons à eau et les gaz lacrymogènes contre les manifestant(e)s, est sur la pente du fascisme, ou pire (cf. « CRS SS ! »). [Faut-il préciser que cette « analyse » me paraît absurde et sans vertu pédagogique aucune ?]

« Le gaz, la douche, c’est douteux… » peut signifier sensiblement la même chose : il est de mauvais goût, d’un goût douteux — pour le gouvernement —, d’utiliser ces moyens de répression, tant ils sont associés dans notre mémoire collective au génocide nazi. Et ça ne laisse présager rien de bon pour la suite… [Même remarque que supra sur la pertinence et l’efficacité du procédé.]

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Dans le titre de ton texte, tu axes ta « réponse » sur un « mélange », un signe égal, que je mettrais entre plaisanteries antisémites et humour juif. Rien n’est plus éloigné de mon intention. Je rappelle que je suis hors d’état de réfuter le fait que le graffiti incriminé serait de nature antisémite et/ou négationniste puisque tu n’as pas daigné l’établir toi-même. Or, c’est justement en l’absence d’une telle démonstration que j’ai émis la double hypothèse qui me venait à l’esprit, c’est-à-dire 1°] qu’une personne juive pourrait se jugeait seule qualifiée pour attribuer ou épargner le label « antisémite » à une plaisanterie (qu’elle soit de bon ou de mauvais goût), ou bien 2°] que toute allusion, sur un mode ironique ou humoristique au sort des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale (et pourquoi pas : en URSS, etc.) devrait être considérée automatiquement comme une agression antisémite. Ce qui aurait pour conséquence, entre autres, de réserver le droit de rire de l’humour juif aux juifs eux-mêmes. Ce qui serait bien dommage.

Ça n’a rien à voir avec le fait de dire que Dieudonné pourrait être en quoi que ce soit excusé, « au nom de l’humour juif ». Ce serait en effet un comble !

Par ailleurs, je suis effectivement en faveur d’une absolue liberté d’expression (légale). Cela ne signifie nullement que je pense que toutes les idées, tous les propos se valent. Ni qu’un Dieudonné est politiquement fondé à s’en prévaloir. Mais je ne joue pas avec l’État, ni ne lui délègue rien.

Je ne doute pas que ta réponse à venir permette de dissiper ces malentendus pénibles et que nous verrons sur quoi nous restons en désaccord.

À te lire.

Capture d’écran 2015-01-15 à 14.38.41 Claude

 

Post scriptum. Ayant traité l’essentiel plus haut, j’ajoute ici quelques remarques.

a) Sur le « point très mineur » que représente l’expulsion d’Alain Finkielkraut : Ce personnage n’a pas été jeté comme « bouffon », même si on peut aussi employer ce terme pour le désigner, mais comme propagandiste salarié de la contre-révolution et éditorialiste passant son temps à cracher sur tout ce qui se discutait à et agitait Nuit debout. D’autres personnages, des militants d’extrême droite ont été également virés (pour ce que j’ai vu et su). Je ne suis pas un admirateur de Varoufakis, mais il était invité à parler et à débattre. Ce qui est un autre statut, et créé d’autres rapports de forces.

b) Je te donne raison sur un point : le côté dérisoire et le danger des « effets de style » — au moins de certains d’entre eux — à la tentation desquels je ne sais pas toujours résister.

c) D., dont il est question plus haut, m’a envoyé un courriel, postérieur à la mise en ligne de ton texte. Je n’avais pas reçu pareil mélange d’insultes et de considérations politico-sexuelles depuis le texte « Claude Guillon un cadavre », qui me reprochait entre autres… ta fréquentation. La vie est bizarre, quand même !

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[1] Positions proches de celles du Parti des indigènes de la République.

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AJOUT

Yves Coleman a répondu au texte ci-dessus dans un autre, intitulé:

«De la cécité face au négationnisme».

Il est téléchargeable ici au format pdf.