Jean-Marc ROUILLAN doit se taire, non parce que l’État le lui impose, mais parce que les énormités qui sortent de sa bouche nuisent à la cause qu’il prétend défendre, et à lui-même accessoirement [ce titre est long parce qu’il est mesuré !]

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À l’heure où je publie ce texte, environ 750 personnes ont signé en ligne une pétition de soutien à Jean-Marc Rouillan, à la suite des poursuites engagées contre lui pour « apologie du terrorisme », après la diffusion d’une émission sur Radio Grenouille (Marseille), enregistrée le 23 février dernier.

On peut réécouter l’intégralité (58 mn) de l’émission ici.

Les animateurs s’expliquent sur les raisons de leur invitation ici

La lecture des commentaires est éclairantes. Certain(e)s signent pour la « liberté d’expression », d’autres pour s’opposer à une éventuelle réincarcération de Rouillan.

Que dit ce texte et de quoi parle-t-il ?

C’est donc une liste sans fin [on vient de donner des extraits de presse] de dénaturation des positions de notre courant politique qui Oui ! est farouchement opposé à l’islamophobie, Oui ! est convaincu que les guerres néocoloniales ne sont pas une solution, Oui ! Condamne fermement l’état d’urgence et la perte de libertés qui en découle…

Aujourd’hui, c’est au tour de notre camarade Jean Marc Rouillan de faire les frais de cette campagne qui n’a pas de nom… Propos déformés, sortis de leur contexte, ministres se pressant devant les caméras pour exiger qu’on renferme l’animal… Pathétique spectacle de détournement d’attention à la veille d’une mobilisation puissante contre la destruction du code du travail, au sein de laquelle l’extrême gauche porte les arguments les plus dévastateurs…

J’ai dit ici quelles sont les critiques que j’ai à opposer au concept d’« islamophobie » et à son usage confus et confusionniste. Admettons pour l’instant, et pour faciliter la discussion, qu’il désigne des formes de racisme anti-arabe, nouvelles ou anciennes. Je puis donc, quoique sans illusion, partager les trois « oui ! » du texte de pétition.

Cependant, demeure un inconvénient majeur : la pétition ne cite aucun des propos reprochés à Rouillan, dont on nous dit simplement qu’ils sont « déformés, sortis de leur contexte ».

Passons sur le fait que je suis favorable, et depuis plus longtemps que beaucoup de ces pétitionnaires, à ce que l’on « foute la paix à Jean-Marc Rouillan[1] ». Ce qui signifie que je m’oppose à toute poursuite à son encontre, sur la base des âneries qu’il a proférées, et évidemment à sa réincarcération.

Cela ne signifie nullement que je me sente, moi qui ne suis ni journaliste ni ministre, tenu de « foutre la paix à Jean-Marc Rouillan », au sens où je devrais — et pour quelle raison ? son âge ? nous avons le même ; ses années de prison ? ça n’est pas une excuse pour déconner — m’abstenir de critiquer des propos politiques publiquement tenus par lui.

Je vais donc expliquer ici, en quoi j’estime que certains propos de Rouillan — sans les déformer ni les sortir de leur contexte — sont inacceptables et doivent être politiquement condamnés avec la plus grande clarté et la plus grande fermeté.

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Première salve.

Dans une longue discussion à bâtons rompus, en direct, riche en phrases banales — mais aussi en propos pertinents — où il est question en vrac des tueries de 2015 à Charlie Hebdo, à l’Hyper cacher, au Bataclan et aux terrasses de bistros, Rouillan refuse de condamner les assassins. Pourquoi ? On croit (on espère !) comprendre dans la discussion que c’est parce qu’il condamne aussi l’État français et ses actions militaires.

Autrement dit — et l’on espère, je le répète, ne pas se tromper — la position de Rouillan pourrait se résumer à peu près dans une phrase, assez simple, du genre :

« Je pense [moi, Rouillan] que l’on ne peut valablement [légitimement] condamner les tueries évoquées, que si l’on condamne aussi celles que provoquent les bombardements des avions militaires français, en Syrie par exemple. »

Ce type de phrase, Rouillan est malheureusement incapable, non pas de la prononcer, mais même de la concevoir, de la penser. Au lieu de cela, il dit : « Moi, je suis neutre. Ça ne me concerne pas. » Il le répète plusieurs fois durant l’émission (9 mn 50 ; 11 mn 39 ; 12 mn 16 ; 17 mn 32).

« Neutre » ! Évoque la Croix rouge (mais sans trousse de secours) et le chocolat suisse. Le tout au milieu des cadavres de Charlie et des trottoirs parisiens… Au minimum, je dis bien au minimum, c’est une colossale maladresse. Le genre d’énorme connerie qui te fait chasser de ton organisation politique et interdire de tribune jusqu’au siècle suivant. Mais Rouillan, quoique stalinien, n’est plus membre d’aucune organisation, depuis qu’il a fait la grâce au NPA de le quitter.

Donc Rouillan refuse de choisir entre les assassins. Comme l’écrit à propos de Jean Genet Houria Bouteldja, il y a là « comme une esthétique ». Ou peut-être une éthique.

Seulement voilà… Rouillan choisit bel et bien. Contrairement à ce qu’il veut nous faire croire (et à ce que veulent, peut-être, croire les pétitionnaires).

Il choisit, Rouillan. Parce qu’il trouve très lâche (et en effet !) de bombarder depuis un avion, mais, en revanche (et c’est bien de ça qu’il s’agit), les islamistes assassins de caricaturistes, de juifs, de juives, de buveurs et de buveuses de bière en terrasse, il les trouve « très courageux ».

 Moi, je les ai trouvé très courageux en fait, ils se sont battus très courageusement ; il se battent dans les rues de Paris, ils savent qu’il y a deux ou trois mille flics autour d’eux […]. Souvent ils ne préparent même pas leur sortie.[…]. Les frères Kouachi, quand ils étaient dans l’imprimerie, ils se sont battus jusqu’à la dernière cartouche. On peut dire qu’on est contre leurs idées […] on peut dire que c’était idiot de faire ça… (49 mn 30)

Ici, trois remarques.

La première, déjà formulée à plusieurs reprises ici-même, mais je continuerai tant qu’il se trouvera des ahuri(e)s pour prétendre le contraire : le courage physique n’est pas, n’a jamais été, ne sera jamais suffisant pour me faire trouver admirable, un crétin, un salaud ou un assassin quelconque. Les nazis français qui allaient combattre le « bolchevisme » sur le front de l’Est pendant la deuxième guerre mondiale faisaient indiscutablement preuve de courage physique. Et alors ? Et alors, rien.

Malheureusement, certain(e)s ahuri(e)s ci-dessus évoqué(e)s trouvent, et même disent que « c’est pas pareil ! »

Or, ce « c’est pas pareil ! » ouvre sur des abîmes de crétinerie politique et de saloperie morale[2]. À cet instant précis, je ne parle plus de Rouillan (pas de ces déclarations à Radio Grenouille, au moins). Au fond de ces abîmes, on distingue des lambeaux de « discrimination positive » ; autrement dit, pense le crétin, un jeune arabe de nos banlieues est moins coupable de tuer des filles en minijupe à la terrasse d’un café que le tireur du bombardier d’écraser des filles en tchador. Le crétin ne sait pas (c’est à ça aussi qu’on le reconnaît) que l’armée emploie même des assassins « issus de la diversité », comme on dit sottement. Les flics noirs et arabes, il ne les voit pas. Il pense que les jeunes arabes ont un destin de révoltés — pour venger les guerres coloniales — et que bon, c’est un peu ballot d’avoir flingué n’importe qui, mais bon… Et d’ailleurs (je ne parle toujours pas de Rouillan), étaient-ils/elles bien des « n’importe qui » ces clients du Bataclan ?

On a quand même beaucoup entendu dire, dans « notre courant politique » (je reprends de confiance l’expression de la pétition) que, quand même ! fréquenter un établissement où avaient été donnés des galas en faveur de l’armée israélienne, c’est sinon un crime, au moins une imprudence. Si ! si ! Ça c’est beaucoup dit, chez les inorganisés, mais pas seulement. C’est une « opinion » qui a du être combattue dans des organisations d’extrême gauche, et non sans mal.

Et d’ailleurs, moi, qu’est-ce que j’ai à dire pour réfuter cette « opinion » — je veux dire : à part qu’elle me donne une immédiate et violente envie de gerber sur qui l’exprime. Eh bien je dirai que le pourcentage du public du concert visé au Bataclan, qui connaissait le fait évoqué plus haut, doit être encore inférieur au pourcentage des pétitionnaires qui se manifestent pour Rouillan en ayant pris la peine et la précaution d’écouter l’intégralité de l’émission de radio en cause.

D’ailleurs, la notion de responsabilité collective est parfaitement répugnante. Et précisément, sous une forme ou une autre, elle est commune aux assassins du Bataclan et aux largueurs de bombes des avions français.

Quant à l’étendre, cette pseudo-responsabilité, aux consommateurs et consommatrices des terrasses, le plus crétin des tarés n’a aucun moyen (lui-même alcoolique qu’il est, le plus souvent) de la rendre légitime. Il essaye seulement de mégoter « moralement », si j’ose dire, sur le nombre des cadavres.

Seconde remarque. Elle est également navrante cette admiration automatique et virile (à moins que…) pour qui brandit une arme de guerre, même alors que des milliers de flics quadrillent Paris. Rouillan dissocie les gestes et les responsabilités des assassins : celui qui est retranché face à des forces de police, n’est plus celui qui vient de tuer un dessinateur désarmé, dans le bureau d’un journal satirique. Ça n’est pas une analyse politique, nécessairement globale, ce sont des érections idéologiques, des bouffées d’identification narcissique.

Vous pensez que j’exagère ? Hélas, pas le moins du monde. Rouillan lui-même va s’en expliquer. Laissez-moi formuler d’abord ma troisième remarque.

Elle concerne les « idées » des assassins islamistes.

Je ne sais pas si je dirais que ces gens ont des « idées ». Une idéologie, certainement. Toute neuve, à base de morceaux de Coran mal digérés, mal ou pas appris, façon Reader digest. Et certainement aussi de la révolte devant les humiliations subies, par eux et par leurs parents, du ressentiment, et de la frustration (sexuelle, oui, mais pas seulement : sociale aussi). Mais des idées, des opinions en somme, aussi respectables que d’autres, mais que l’on « pourrait » ne pas partager… Non ! Le djihadisme n’est pas une idée, pas plus que le racisme n’est une opinion.

Je reviens à la déclaration qui établit, hélas ! qu’il n’y a dans mon analyse aucune « exagération ». Quand on demande à Rouillan pourquoi il semble si réticent à « condamner » les tueries et leurs auteurs, ils se réfère à son expérience de pratiquant de la lutte armée. Soulignons qu’il se réfère ici à Action directe sans avoir évidemment consulté ses camarades, ce qui donne une idée, pour les naïfs et les naïves qui ne se s’en seraient pas fait une, de la manière « démocratique » dont se prenaient les décisions à AD. C’est-à-dire sans se préoccuper du tort que cela pouvait causer aux autres (en liberté ou en taule).

Comme l’animateur (bien bon, l’animateur !) lui fait remarquer que tout de même, AD c’était autre chose, avec un idéal émancipateur, etc. Rouillan répond sur la différence entre les actions d’AD et celles des tueurs de Daech :

C’est technique. Nous aurions pu faire ça, nous aussi ; nous aurions pu faire les mêmes opérations ; c’est le but ; mais nous ne pouvions pas le faire parce que nous avions d’autres principes, une autre stratégie, une autre tactique.

Jean-Luc Godard explique quelque part que sur le tournage d’un film, un travelling est une question de morale. Jean-Marc Rouillan nous explique qu’éliminer un général ou le public d’un concert, c’est une question de technique.

Je ne suis pas assez compétent pour décider si la remarque de Godard est pertinente. Je vois bien en quoi celle de Rouillan est d’une toxicité catastrophique pour le camp révolutionnaire.

Notez bien que Rouillan ne s’abstient pas de toute critique à l’égard des tueurs de Daech, qu’il refuse néanmoins de condamner moralement et politiquement : il les traite d’ « impies », parce qu’ils auraient outrepassé je ne sais plus quelle prescription coranique (il y a des moments où l’accablement m’a un peu distrait, je dois dire).

En somme, comme il refuse (ce que j’approuve) de se placer du même point de vue que l’État, et qu’il est par ailleurs incapable d’élaborer un point de vue moral et politique propre, Rouillan tente de se situer à l’intérieur du raisonnement (?), de la stratégie (?), du camp (?) de Daech. …Même si « toute théocratie est un régime ennemi » et qu’il considère Daech comme État. Dommage que dans cette phrase, le premier exemple qui lui vienne à l’esprit soit, non pas Daech, dont on parle, mais Israël… (« Que ce soit Israël ou un autre »).

Rouillan espère, semble-t-il, que le dialogue est encore possible avec Daech ou bien des gens qui veulent le rejoindre, on ne sait pas… Du coup, il se met en avant comme intermédiaire possible : quelques minutes après son « aveu » qu’au hasard de la vie, il aurait aussi bien pu flinguer des buveurs d’apéritif, il affirme

Il y a des mouvements, comme le Hezbollah, qui pensent que je suis quelqu’un de bien intentionné.

Rouillan se propose là — je ne sais pas si l’on a bien pris bien la mesure de son dévouement — rien moins que de nous sauver. En effet, comme il le souligne justement, il ne manque pas de fanatiques (le mot est de moi), armés de mitraillettes, qui pensent que nous ne sommes pas beaucoup à mériter de l’être, sauvé(e)s, en occident. Rouillan se propose, si je comprends bien, de leur dire quelques mots entre notre faveur.

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Par pitié, Jean-Marc, au nom de tout ce qui ne nous est pas sacré ! Au nom de notre vieille inimitié — politique ; nous ne nous connaissons pas —, ne te crois l’avocat de personne ! Ne plaide aucune cause ! Laisse tomber la diplomatie, tu n’as aucune disposition !

Cela dit, qui devait l’être, voilà ce que je veux ajouter :

Jean-Marc Rouillan, tu as besoin de murir longuement chaque phrase : allons tant mieux ! Tu es meilleur à l’écrit qu’à l’oral : ça tombe à merveille : tu écris des livres. Tu ne voudrais pas être contre-ténor à l’opéra, aussi ? Tu sais parfaitement ce qu’il faut penser des journalistes bourgeois : tiens t’en éloigné ! Tes problèmes identitaires — qui n’en a pas ! — fais-en des romans, ou réserve-les à un(e) psy : il n’y a pas de honte !

Bref, par pitié, pour toi et pour les autres : FER-ME-LA !

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[1] Voir sur ce blogue le texte portant ce titre.

[2] Et inversement : de crétinerie morale et de saloperie politique.