Un documentaire de Nadia Genet sur Hellyette Bess ~ “France 3 Occitanie” le 10 mai

Première chose à dire : le documentaire réalisé par Nadia Genet sur Hellyette Bess est beau. Dans certains passages : d’une beauté picturale, rare dans ce type de film. Le film sera diffusé le 10 mai prochain sur France 3 Occitanie. Le format télévisuel (52 mn) semblera court : dans la vraie vie, Hellyette est à elle seule à la fois un film et une encyclopédie qui mériterait un grand nombre de volumes. Mais il y a aussi un film plus long, qui sera montré dans des projections militantes.

Le titre retenu de l’article de La Dépêche ci-dessous (hélas modifié avant parution), et qui fait écho au fil rouge choisi par la réalisatrice, m’a particulièrement touché : c’est au fond le principal sujet du film. À travers la personne d’Hellyette, l’amitié, entre gens qui luttent pour un idéal.

Dans le texte intitulé «Contre AD et contre l’État» (1985), j’écrivais :

Donc, j’aime bien Hellyette; je suis loin d’elle aussi: par exemple, dans aucune circonstance je ne cautionnerais par mon silence des actions avec lesquelles je ne suis pas d’accord. Se pose comme ça la question de savoir jusqu’où va l’amitié (ou l’amour aussi […]). Je ne sais pas répondre à toutes les questions que je pose. Ce que je sais c’est qu’elles sont importantes, et que je suis prêt à me battre pour conserver le droit d’en discuter avec les gens que j’aime (et les autres), fussent-ils étiquetés «infréquentables» par l’État ou qui que ce soit d’autre. Ceux qui pensent que «c’est de l’affectif» sont les mêmes qui croient injurier un homme en le traitant de femme. Non, c’est de la vie, et jusqu’à changement, dont je ne manquerai pas de vous faire part, je me bats pour ça : vivre comme je l’entends, comme on peut s’entendre. Et pour ça : se parler de jusqu’où va l’amitié, jusqu’à combien de silences, de différence, de mensonges, de vérités…?

Dire qu’Hellyette Bess est mon amie et que je me sens aussi loin des dangereux connards qu’elle tient pour ses «camarades» que des flics qui les pourchassent, ça fait le jeu de qui ? de la police ? du terrorisme international? «Et si ça lui faisait dire qu’elle n’est plus ton amie?» Eh bien au moins on trancherait comme ça clairement, pour nous deux au moins, le problème politique de l’amitié.

C’est vous dire que cette question est depuis longtemps au centre de ma relation avec Hellyette. Les questions que je posais en 1985, on ne peut leur trouver de réponses dans le film de Nadia. Ce serait trop demander. Nadia ne semble pas (mais je me trompe peut-être) être familière des milieux anarchistes. Peut-être est-ce préférable pour prendre un peu de distance avec les querelles personnelles… Mais sait-on, du coup, où l’on « met les pieds » ? Les divergences d’Hellyette avec Georges Ibrahim Abdallah sont très clairement expliquées, me semble-t-il et l’on peut comprendre – pour peu qu’on le souhaite – sa solidarité avec lui. Ses divergences, toujours actuelles, avec Jean-Marc Rouillan le sont beaucoup moins. Il est facile de saisir que c’est parce qu’ils ont été infiniment plus proches et ont fait des choses ensemble. Je ne vais pas répéter ici les raisons pour lesquelles je pense que moins l’on donne la parole à Rouillan et mieux ça vaut (cela dit : rien de problématique dans le film). L’inconvénient du dispositif narratif choisi est que chacun apparaît en quelque sorte « légitimé » par l’amitié solidaire d’Hellyette. D’ailleurs, j’aurais préféré – même s’il est généreux de sa part de s’effacer et de ne pas attirer la caméra à elle seule – l’entendre davantage elle, et moins les personnes qu’elle fréquente – ou retrouve à l’occasion du tournage. Rassurons-nous : il semble que nous avons échappé (de justesse ?) à Dany Cohn Bendit, que son engagement consciencieux au service du capitalisme et de ses chiens de garde les plus répugnants n’a pas chassé du paradis de l’amitié…

Le visionnage du film m’a fait repenser à l’ex-visiteuse de prison devenue religieuse, dont Hellyette m’a parlée un jour. Elle avait rendu visite à Hellyette en taule ; une fois dans son couvent, elle lui dit : « Tu vois, maintenant c’est toi qui viens me voir au parloir ! » Oui, je pense, comme Hellyette, que l’on peut discuter amicalement et de manière enrichissante avec une religieuse (mais pas avec Cohn Bendit !).

On voit que les questions sur l’amitié n’ont pas de réponses simples, et qu’elles sont différentes d’un·e ami·e à l’autre… Le grand mérite du film de Nadia Genet est de montrer qu’elles peuvent structurer une vie et un engagement. Et aussi, bien sûr, de donner la parole à une militante exceptionnelle.

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Foutez la paix à Jean-Marc Rouillan !

J’ai dit à plusieurs reprises, et entre autres ici-même, ce qui me sépare de Jean-Marc Rouillan et ce que je pensais de certaines de ses déclarations – et de la sottise «bien intentionnée» de certain·e·s des personnes qui le soutenaient.

Aujourd’hui, le parquet antiterroriste réclame sa réincarcération, en clair son retour à la case prison (alors qu’il est aujourd’hui assigné à résidence). C’est une dégueulasserie qui doit être empêchée. Je publie donc ci-dessous l’appel lancé dans ce sens.

Foutez la paix à Jean-Marc Rouillan! (Ça non plus, ça n’est pas la première fois que je le dis ici; en retour, on pourra l’oublier un peu et ça fera des vacances à tout le monde).

NON À L’ACHARNEMENT CONTRE JEAN-MARC ROUILLAN

21 novembre 2020

Depuis le 9 juillet dernier, Jean-Marc Rouillan est en détention à domicile. Il accomplit actuellement une peine de huit mois fermes pour « apologie de terrorisme ».

Alors qu’il ne lui reste que quelques semaines avant de terminer sa condamnation, le Parquet anti-terroriste demande son incarcération en milieu fermé. La décision définitive sera prise par le tribunal de l’application des peines en audience, au tribunal d’Auch, le 25 novembre prochain, dans un climat de surenchère répressive encouragé et exercé par le gouvernement. 

Le Parquet justifie sa demande sur la base de deux incidents techniques du bracelet électronique. 

Le premier, le 18 août, est le résultat d’un choc involontaire ; le second, le 24 octobre, est dû à un décrochage du bracelet. À chaque fois, l’administration pénitentiaire a constaté la présence du détenu à son domicile et a pu communiquer avec lui. Il n’y a jamais eu de rupture de la détention. 

Il faut signaler que durant cette peine, le détenu n’a bénéficié d’aucune permission – professionnelle ou familiale – ni d’aucune RPS (jours de réduction de peine). 

Aujourd’hui la demande du Parquet relève de l’acharnement. Un acharnement que Jean-Marc Rouillan connaît bien : l’État n’a de cesse de prendre tous les prétextes pour l’isoler, le fragiliser et relancer incessamment la détention. 

Jean-Marc Rouillan souffre d’une maladie auto-immune orpheline grave qui affaiblit son système immunitaire. L’envoyer en pleine épidémie de la Covid-19 dans un lieu fermé particulièrement pathogène est une réelle mise en danger.

Jean-Marc Rouillan répond aux critères de vulnérabilité tels qu’ils ont été établis par le gouvernement.

Nous, signataires de cet appel demandons au tribunal de l’application des peines la continuité de la mesure de détention à domicile jusqu’à la fin de sa peine.

Pour signer cet appel: stop-acharnement@protonmail.com

Premier·e·s signataires : 

José Alcala, cinéaste 

Pierre Alferi, poète

Floren Aoix Monteal (escrivain, directeur Irazar Fundazioa)

Vidal Aragones Chicharro, député de l’Assemblée de Catalunya CUP

Nan Aurousseau, auteur, réalisateur 

Nathalie Artaud, porte-parole de Lutte ouvrière 

Olivier Azam, réalisateur

Alain Badiou, philosophe 

Etienne Balibar, philosophe 

Ludivine Bantigny, historienne

Fernando Barrena, député européen GUE-NGL

Jean-Pierre Bastid, cinéaste

Hocine Belalloufi, essayiste, journaliste algérien

Judith Bernard, co-fondatrice de Hors-Série

Olivier Besancenot, postier, porte parole du NPA 

Eric Beynel, syndicaliste à Solidaires 

Billie Brelok, rappeuse 

Julien Blaine, poète 

Quim Boix, Secrétaire Général de l’Union internationale des syndicats de retraités et pensionnés 

Jacques Bonnaffé, comédien 

Alima Boumediene-Thiery, avocate, militante associative 

Jean Pierre Bouyxou, écrivain 

Jean-Denis Bonan, cinéaste

Irène Bonnaud, metteuse en scène 

Véronique Bontemps, anthropologue

Saïd Bouamama, sociologue et militant FUIQP

Youssef Boussoumah, militant décolonial

Houria Bouteldja,  militante décoloniale

Albert Botran i Pahissa, Parlementaire Cortès Espagne CUP

José Bové, paysan du Larzac, ancien député européen

Rony Brauman, médecin, essayiste

Eitan Bronstein, directeur De-Colonizer

Alain Brossat, philosophe 

Robert Cantarella, metteur en scène

Pierre Carles, réalisateur

Carmen Castillo, cinéaste 

Laurent Cauwet, auteur, éditeur Al Dante

Jean-Philippe Cazier, écrivain 

Bernard Cavanna, compositeur

CGT Catalunya

Leïla Chaïbi, députée européenne LFI

Sorj Chalandon, auteur 

Christian Champiré, maire communiste de Grenay (62)

Compagnie Jolie môme 

CNT, Confédération nationale du travail 

CNT-AIT (F.L. Granada)

Pierre Chopinaud, écrivain 

Jean-Luc Chappey, historien

Guy Chapouillié, professeur émérite d’études cinématographiques

Manuel Cervera-Marzal, politiste

Alexandre Civico, écrivain, éditeur 

Laurence De Cock, historienne 

Jean-Louis Comolli, cinéaste, écrivain 

Enzo Cormann, écrivain

Annick Coupé, militante altermondialiste

Revue CQFD

Miguel Urbán Crespo (parlamentaire UE, GUE-NGL)

CUP (Candidature d’Unité Populaire) Catalunya

Alain Damasio, écrivain 

Christophe Darmangeat, économiste 

Sonia Dayan-Herzbrun, sociologue

Chloé Delaume, auteure, prix Medicis 2020

Alessi Dell’Umbria, auteur réalisateur

Christine Delphy, sociologue

Gérard Delteil, écrivain

Pierre Dharreville, député PCF des Bouches du Rhône 13° circonscription.

Thierry Discepolo, éditeur (Agone) 

Elsa Dorlin, philosophe

Charlotte Dugrand, éditions Libertalia

Annie Ernaux, auteure

Jean-Michel Espitallier, écrivain 

Christian Eyschen, président de la Libre Pensée

Adeline Escandell, sénatrice Espagne ERC soberanistes 

Famílies de Presos de Catalunya

Gérard Filoche, ancien inspecteur du travail 

David Faroult, enseignant-chercheur en cinéma

 Eva Feigeles, monteuse de films

 Jacques Gaillot, Evêque

Pierre Galand, ancien sénateur belge, président de l’OMTC (Organisation mondiale contre la torture) 

Jean-Jacques Gandini, avocat, ancien secrétaire du Syndicat des avocats de France 

Jose Ignacio Garcia Sanchez, député de l’Assemblée d’Andalousie Adelante Andalucia

Henry Garino, ancien vice-président de la région Languedoc-Roussillon

Thierry Garrel, producteur, documentariste

Ermengol Gassiot Balibé, Secrétaire Général de la CGT Catalunya

Franck Gaudichaud, politiste, université Jean-Jaurès Toulouse

François Gèze, éditeur

Denis Gheerbrant, cinéaste

Sylvain George, cinéaste

Liliane Giraudon, auteure

Jean-Marie Gleize, écrivain 

Noël Godin, écrivain et entarteur

Dominique Grange, chanteuse engagée

Alain Guenoche, mathématicien 

Laure Guillot, cinéaste 

Alain Guiraudie, cinéaste

Thierry Guitard, auteur-illustrateur et cuisinier 

Éric Hazan, éditeur 

Charles Hoareau, président ANC

Chantal Jaquet, philosophe

Manuel Joseph, écrivain 

Alain Jugnon, philosophe

Pau Juvilla Ballester, Secrétaire Permanent de la CUP Catalunya 

Leslie Kaplan, écrivain 

Jacques Kebadian, cinéaste 

Razmig Keucheyan, sociologue

Jean Kehayan, écrivain 

Pierre Khalfa, économiste, fondation Copernic

Michel Kokoreff, universitaire, Paris 8

Stathis Kouvélakis, philosophe 

Hubert Krivine, astrophysicien 

Thomas Lacoste, réalisateur, producteur, éditeur

Joël Laillier, sociologue

Mathilde Larrère, historienne 

Véronique Lamy, porte-parole nationale du PCOF

Pierre Laurent, sénateur PCF 

Stephane Lavignotte, pasteur et théologien protestant

Sylvain Lazarus, chercheur, anthropologue

Denise Le Dantec, écrivaine

Noémi Lefebvre, auteure

Olivier Le Cour Grandmaison, universitaire

Jean-Marc Lévy-Leblond, physicien

Pierre Linguanotto, cinéaste 

Sergi Lopez, acteur 

Marius Loris, poète, historien

Frédéric Lordon, philosophe 

Michaël Lowy, sociologue

Sandra Lucbert, auteure de littérature

Seloua Luste Boulbina, philosophe 

Christian Mahieux, syndicaliste cheminot retraité

Noël Mamère, journaliste, essayiste et homme politique 

Maguy Marin, chorégraphe

Myriam Martin, conseillère régionale Occitanie

François Marthouret, acteur

Olivier Mateu, secrétaire général UD CGT 13

Michel Mathieu, metteur en scène

Xavier Mathieu, comédien, ex-porte-parole CGT continental 

Alexandre Mathis, cinéaste 

Elli Meideiros, chanteuse 

Nathalie Ménigon, ancienne prisonnière politique d’Action directe 

Daniel Mermet, journaliste

Morgane Merteuil, militante féministe

Eleonore Merza Bronstein, anthropologue du politique 

Jean-Henri Meunier, cinéaste

Jacques-Henri Michot, écrivain

Ana Miranda Paz, députée européenne GUE-NGL

René Monzat, auteur 

Gérard Mordillat, écrivain

Fermin Muguruzza Chanteur et cinéaste

Chiara Mulas, Art Action

Olivier Neveux, enseignant-chercheur

Bernard Noël, poète

Nico Norrito, éditeur, éditions Libertalia 

Joan Josep Nuet, député Espagne ERC soberanistes

Océan, auteur réalisateur

OCL, Organisation communiste libertaire (revueCourant alternatif) 

Jean Ortiz, écrivain, maître de conférence, cinéaste 

Yves Pagès, écrivain

Aline Pailler, journaliste et ex-députéeeuropéenne

Ugo Palheta, directeur de publication de la revue en ligne Contretemps

Willy Pelletier, sociologue

Henri Pena-Ruiz, philosophe

Charles Pennequin, auteur 

Gilles Perrault, écrivain 

Mireille Perrier, actrice, metteure en scène 

Evelyne Perrin, autrice, sociologue 

Serge Pey, poète

Evelyne Pieillier, écrivain 

Philippe Pignarre, éditeur et auteur

Christine Poupin, Porte Parole du NPA 

Philippe Poutou, porte-parole du NPA 

Christian Prigent, auteur

Serge Quadruppani, auteur, traducteur 

Nathalie Quintane, auteure

Tancrède Ramonet, chanteur, réalisateur et producteur

Patrick Raynal, écrivain 

Nestor Rego, député de l’État Espagnol BNG

Serge Regourd, professeur de droit émérite.

Resistencia Indépendentista de Catalunya 

Carles Riera Albert, député de l’Assemblée de Catalunya CUP 

Mathieu Rigouste, sociologue militant 

Laurent Ripart, historien

Gaël Roblin, militant indépendantiste breton, conseiller municipal de Guingamp

Liliane Rovere, actrice

Saïdou (Sidi Wacho), rappeur 

Samidoun, organisation palestinienne de soutien aux prisonniers politiques 

Julien Salingue, docteur en sciences politiques 

Christine Salomon, anthropologue

Michel Samson, journaliste, écrivain, documentariste

Catherine Samary, économiste 

Natalia Sanchez Dipp, députée de l’Assemblée de Catalunya CUP

Oreste Scalzone, réfugié politique italien 

Raphaël Schneider, co-fondateur de Hors-Série

Secours rouge, Toulouse 

Jean-Christophe Sellin, conseiller régional Occitanie LFI

Michèle Sibony, enseignante, porte-parole UJFP

Catherine Sinet, journaliste

Maria Sirvent Escrig députée de l’Assemblée de Catalunya CUP

Eyal Sivan, cinéaste 

Omar Slaouti, Front uni des immigrations etquartiers populaires (FUIQP) 

Gérard Soulier, ancien maire adjoint de Colomiers

Pierre Stambul, docteur de l’université, Unionjuive française pour la paix

Alessandro Stella, directeur de recherche au CNRS

Didier Super (Olivier Haudegond), chanteur 

Michel Surya, auteur, philosophe, responsable de la revue Ligne

François Tanguy, metteur en scène

Tardi, dessinateur

Enzo Traverso, historien

Taoufiq Tahani, universitaire, ancien président de l’AFPS

Pierre Tevanian, philosophe, enseignant 

Julien Théry, historien

Miguel Urban Crespo, député européen GUE-NGL

VII, rappeur et écrivain 

Roseline Vachetta, ancienne députée européenne 

Mireia Vehi i Castenys, parlementaire Espagne CUP

Françoise Vergès, politologue et militante féministe décoloniale

Marie-Pierre Vieu, éditrice, ancienne députée européenne FDG

Arnaud Viviant, critique littéraire 

Christiane Vollaire, philosophe

Michel Warschawski, homme politique israélien, président du Centre d’information alternative de Jérusalem 

Wissam Xelka, journaliste 

Yannis Youlountas, réalisateur 

Olivia Zemor, journaliste retraitée

De quoi le «courage» et la «liberté d’expression» sont-ils les masques ? ~ Adieux à Frédéric Lordon et Ludivine Bantigny

Quand le doigt montre l’assassin du Bataclan, l’imbécile (de l’un ou l’autre sexe) se regarde dans la glace.

Il/elle n’aimerait pas savoir que l’élite des tueurs d’État vient de prendre position autour du bâtiment qu’il occupe, avec l’intention bien arrêtée de le/la truffer de balles.

Une balle dans le ventre ! ça doit faire horriblement mal !

Rien que d’y penser, l’imbécile éprouve une déplaisante contraction intestinale. Bref, il ou elle a peur.

Il/elle pense que l’assassin du Bataclan n’a pas eu peur. Tout sauf un lâche, puisqu’il n’a pas renoncé à assassiner en sachant que sa propre mort était quasi inéluctable.

 

C’est « une description dans sa pure positivité » [un « constat », en français courant] affirme Frédéric Lordon, dans une vidéo par laquelle il apporte, ainsi que Ludivine Bantigny, son soutien à Jean-Marc Rouillan, menacé de prison pour avoir dit – entre autres énormités – que les assassins du Bataclan n’étaient pas des lâches.

Le « constat » de Frédéric Lordon, qu’on a connu mieux inspiré, est infiniment discutable.

L’absence de « lâcheté » ou de « peur », le « courage » donc, de l’assassin du Bataclan est-il établi ? Et le « courage » doit-il s’entendre uniquement au sens étroit de « mépris du risque physique » ?

[Je sais : ça ressemble à des sujets de bac ; mais ça n’est pas moi qui fixe le niveau !]

Peut-on considérer comme « courageux face à la mort », un être humain convaincu que celle-ci lui ouvre les portes d’un paradis, où onduleront – pour le plaisir de ses sens – des jeunes femmes toutes pareilles à celles qu’il vient de couper en deux à la mitraillette ?

Certaines de ces petites salopes ne portaient même pas de soutien-gorge. Il le voit bien, maintenant que leurs corps désarticulés gisent en vrac sur le sol de la salle de spectacle. Certaines même… Mais n’affligeons pas leurs mémoires.

L’imbécile s’est regardé dans la glace. Il juge du « courage » de l’assassin, soit en le comparant – en connaisseur – avec le courage dont il a lui-même fait preuve autrefois (dans des circonstances heureusement différentes – mais précisément, il ne peut s’interdire de songer qu’en d’autres circonstances, lui-même aurait pu… d’ailleurs, il le dit à la radio), soit en l’évaluant à l’aune de sa propre peur panique de la violence physique ou de la souffrance physique, ou du bruit des armes de guerre…

Ancien pratiquant de la lutte armée ou petit(e) bourgeois(e) pusillanime, l’imbécillité les réunit dans le même « constat » : il n’était pas « lâche » d’assassiner des gamines, leurs petits amis et leurs pères, dans un lieu de plaisir ou dans un magasin juif puisque ces meurtres collectifs devaient se payer de la mort.

En voilà de la « pure positivité » !

Y’en a qu’ont pas perdu leur temps sur les bancs de la fac…

Ironie mise à part, comment d’aussi répugnants et misérables sophismes[1] peuvent-ils envahir l’esprit de gens pétris de bonnes intentions politiques, qui ne feraient pas de mal à un moineau, et qui sont peut-être même végétariens… ?

La notion de « courage », considéré comme « pure positivité » y est sans doute pour beaucoup. Car le « courage » est aussi une notion moralement positive. Personne ne nie qu’il existe des salauds courageux, mais ces salauds, au moins, sont courageux (« Eux ! », ajoute l’imbécile en se re-regardant dans la glace ou en se remémorant sa jeunesse). On peut tourner ça dans tous les sens : le salaud gagne moralement à être vu comme « courageux ».

On peut avancer l’hypothèse que dans cet étiquetage saugrenu, l’assassin récupère in extremis son humanité. Sans son « courage », il ne serait qu’un monstre incompréhensible, moralement banni de l’espèce (laquelle en souffrirait dans sa fierté).

Ça n’est d’ailleurs pas sans une certaine amertume « fin de race » que certains commentateurs ont constaté « notre » infériorité, voire « impuissance » face à des gens « qui n’ont pas peur de mourir ».

Frères humains qui devant nous… violez les femmes, humiliez les enfants, torturez les animaux, assassinez nos semblables, louez les antisémites d’hier et d’aujourd’hui, adorez les dictateurs …n’ayez contre nous les cœurs endurcis !

La plupart de ces activités étant illégales, voire sévèrement punies par la loi, nous reconnaissons le courage dont vous faites preuve.

Risquer 8 ans de réclusion pour forcer une femme : respect ! Faut en avoir ; il en avait.

Le courage ne se dispute pas : il se constate !

Le courage crée à l’assassin, au salaud, une aura, qui l’environne encore après sa mort.

Le salaud qui mitraille des gamines dont les distractions ou la religion offensent le prophète et le racheté par sa témérité forment une seule et même personne. Mais le second interdit « positivement » de traiter le premier de lâche.

L’autre facteur de confusion à l’œuvre dans ce galimatias est la notion de « liberté d’expression ».

Je précise ici – sans ambiguïté – que je la défends farouchement face à l’État et aux institutions en général. Je ne demande pas l’interdiction du Front national ou des spectacles de Dieudonné, et pas davantage la saisie des journaux néo-nazis.

D’abord parce que je sais ces mesures inutiles ; ensuite parce que je ne collabore pas avec l’État ni ne lui délègue l’application de mes colères.

Tout le monde doit avoir le droit légal de déconner, même gravement. Voire d’étaler les pulsions de haine les plus rances : ça permet de repérer l’adversaire.

Cela dit, l’exercice de la « liberté d’expression », supposée garantie contre les tentatives de limitations institutionnelles, n’est en aucune façon – pas davantage que le « courage » – un « laissez-passer » théorique, politique ou moral.

Le prestige moral de la « liberté d’expression », acquis au fil des siècles de combats pour son obtention, ne devrait jamais en quoi que ce soit rejaillir sur les idées qu’elle permet d’exprimer.

Les idées les plus odieuses doivent demeurer libres du point de vue du ministre de l’Intérieur. Pas du mien ! Je les combats par tous les moyens, elles et ceux qui les défendent.

Il m’est arrivé de témoigner pour la défense, dans un procès qui visait les responsables du site de contre-information Indymedia Paris, en venant dire à la barre que j’ai besoin que les gens dont je combats les idées puissent exprimer les leurs au grand jour. Je me fais davantage confiance qu’aux censeurs (qui me visent d’ailleurs quand ça les arrange).

Il est parfaitement raisonnable de dire que Jean-Marc Rouillan ne doit pas retourner en prison, pour des raisons politiques et tactiques – je l’ai fait longtemps avant même qu’il en sorte, et avant que ce soit la mode dans une nouvelle génération d’intellectuel(le)s.

Cela n’entraîne pas que les idées pour lesquelles nous ne voulons pas le voir incarcérer y gagne je ne sais quel certificat d’intelligence, de légitimité morale ou de pertinence politique.

Laisser entendre que les assassins du Bataclan et de l’hyper cacher ont fait preuve de « courage » n’est ni malin ni légitime, ni pertinent ni même respectable.

La « liberté d’expression » – toujours à défendre – n’y change rien !

Les assassins du Bataclan et de l’hyper cacher épuisent la définition de la lâcheté la plus répugnante. Dire le contraire est une capitulation ou une compromission.

Soyons clairs, puisque je me plains que d’autres pensent et écrivent n’importe quoi. Je soupçonne (je ne suis pas dans leur tête) que c’est une compromission chez Rouillan et une capitulation chez Lordon et Bantigny.

Je suis atterré d’entendre des gens comme Frédéric Lordon ou Ludivine Bantigny (sur la même vidéo en lien plus haut) reformuler les élucubrations de Rouillan, dans le but (certes louable) de lui éviter une réincarcération, en les censurant, en les édulcorant avec une crâne malhonnêteté intellectuelle, voire en leur accordant le statut de « pure positivité » (comme la gravité universelle, par exemple).

Notre époque a-t-elle une si grande et en même temps si honteuse nostalgie de la violence physique – partie intégrante, et aujourd’hui niée, de la culture ouvrière – pour faire du courage physique un argument politique.

Combien de fois ai-je entendu répondre à une analyse politique critique de l’action des Femen par le joker : « Quand même ! tu ne peux pas nier qu’elles sont courageuses ! »

Je n’y songe même pas ! Mais je discute politiquement une stratégie militante, je ne suis pas en train de consulter le catalogue du personnel d’une société de sécurité privée ! Du coup, je suis davantage (et plus fâcheusement) impressionné par les publicités réalisées pour un marchand de lingeries (avec slogans militants sur le torse nu) ou la cible d’action médiatique (et raciste !) choisie dans Le Parisien libéré que par une dent cassée dans un affrontement avec des néo-nazis.

Nous retombons dans les mêmes ornières. Mener une action raciste à La Chapelle, prémâchée par des racistes, publicisée par des médias racistes ne peut pas être qualifié – entre militant(e)s révolutionnaires discutant stratégie – de « courageux ». Même dans le cas où les activistes se font traîner la poitrine nue sur le goudron (je ne doute pas que c’est désagréable…).

Jusqu’où irons-nous si l’assassin de jeunes gens ne peut être traité de lâche, si le crétin qui l’affirme ne peut plus être traité de (dangereux) crétin, si le « courage » efface les compromissions et les fautes.

Quand Frédéric Lordon et Ludivine Bantigny vont-ils nous interdire (oh! moralement, s’entend !) de constater, « positivement » pour le coup, l’antisémitisme de Dieudonné. Quand vont-ils rejoindre le mauvais farceur Hazan et contester celui d’Houria Boutelja, une jeune femme dont Éric Hazan affirme que nous lui en voulons parce qu’elle est une femme – antiféministe, certes, mais bon, personne n’est parfaite ! – et qu’elle est courageuse !

Quand va-t-on nous dire qu’il y a du « courage » à saluer le dictateur Ahmadinejad comme un héros ? Et après tout, pourquoi ne pas voir une espèce de « courage » intellectuel (et même physique: une paire de claques est vite arrivée !) à faire de l’antiféminisme sous couvert de sororité « de race sociale » ? Surtout quand c’est édité à La Fabrique…*

Si nous admettions que certains mots-valeurs – courage, lâcheté, liberté – ont perdu leur sens et peuvent être remis en circulation après rebattage des cartes, en fonction de règles sémantiques que personne ne semble se soucier de préciser, ici pour défendre untel à raison de son passé glorieux, là pour soutenir telle autre en fonction de sa « race » revendiquée, si nous admettions n’importe qui peut dire et faire n’importe quoi en se voyant reconnu le « droit » politique de le dire et de le faire, alors…

[Parenthèse: Et merde ! les trentenaires, ne venez pas nous expliquez qu’il n’y avait pas de militantes féministes, y compris naturistes, avant les Femen. Ne nous dites pas non plus que les immigré(e)s n’ont jamais mené de luttes, en tant que travailleurs et en tant qu’immigrés, avant l’emploi du terme douteux d’« islamophobie » et votre prurit « décolonial ». Vous êtes simplement trop jeunes et/ou ignorant(e)s. Contentez-vous de la lecture d’une collection des cent premiers numéros de Libération.]

Alors, disais-je…

a) Nous participerions collectivement à une confusion théorique dont les seuls à tirer les marrons du feu seront mécaniquement les plus confus d’entre les confus : les complotistes et les fanatiques (islamistes, racialistes, antisémites).

b) Nous contribuerions aussi à créer, sous prétexte d’un débat fédérateur (pourquoi pas d’« amour révolutionnaire » comme dit l’admiratrice d’Ahmadinejad?), une ambiance de violence embrouillée qui va figer nos discussions et nos recherches pour longtemps.

On ne réfléchit pas sainement, que ce soit autour d’une bière ou d’un thé à la menthe, dans une pseudo-collectivité (la « gauche radicale » ?) où les antisémites et les maniaques de la kalachnikov seraient des modèles de courage ou des précurseures intellectuelles.

Si ce sont bien là les prodromes[2] d’une époque à venir, elle mérite le nom de barbarie.

[1] Argument ou raisonnement faux, malgré une apparence de vérité et/ou de logique.

[2] Signes avant-coureurs.

Dernière minute

* La chose s’est faite – ou au moins a été publiée – au moment même où je rédigeais et mettais en ligne le texte ci-dessus, dans une tribune intitulée «Vers l’émancipation, contre la calomnie. En soutien à Houria Bouteldja et à l’antiracisme politique», publiée par Le Monde.

Conclusion de ladite tribune:

«Une telle pensée, qui travaille les catégories existantes pour mieux s’en échapper, est en avance sur son temps, décalée dans son époque. Elle dérange, choque, indigne qui veut lire trop vite et condamner sans procès. Ce ne sera pas la première fois qu’une telle discordance des temps est à l’œuvre : les révolutionnaires, les marxistes, les libertaires, les féministes l’ont toutes et tous éprouvée. Ce combat revient à se délester de nos catégories ; il commence par une prise de conscience. Notre émancipation est à ce prix.»
C’est encore pire que tout ce qu’on pouvait imaginer de plus confus et de plus stupide (très repentant et masochiste aussi!).
«Sans procès»! osent écrire ces inutiles idiots.
C’est votre choix de ne pas entendre telle phrase d’une émission, d’en sauteur une dans un paragraphe, de ne pas me/nous lire, mais au moins abstenez-vous de nous donner des leçons d’honnêteté.
 
Les signataires:
Ludivine Bantigny (historienne), Maxime Benatouil (co-président de l’Union juive française pour la paix), Judith Bernard (metteure en scène et journaliste), Déborah Cohen (historienne), Christine Delphy (sociologue et militante féministe), Annie Ernaux (écrivaine), Fabrice Flipo (philosophe), Isabelle Garo (philosophe), Eric Hazan (éditeur et écrivain), Stathis Kouvelakis (philosophe), Philippe Marlière (politiste), Dominique Natanson (co-président de l’Union juive française pour la paix), Olivier Neveux (universitaire), Ugo Palheta (sociologue), Geneviève Rail (universitaire, Simone de Beauvoir Institute and Womens Studies, Canada), Catherine Samary (économiste), Michèle Sibony (Union juive française pour la paix), Isabelle Stengers (philosophe), Julien Théry (historien), Rémy Toulouse (éditeur).

NE DITES PAS À MON PÈRE QUE JE SUIS UN REPENTI CONTUMAX, IL ME CROIT COMMUNISTE LIBERTAIRE…

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Dans un texte intitulé «Claude Guillon gagne son procès contre Jean-Marc Rouillan» [ça c’est du scoop, coco!], de courageux (geuses ?) anonymes me qualifient d’«ex-libertaire repenti» et prétendent que la justice « a suivi point par point [mes] instructions » dans le récent procès de Rouillan.

Si l’appareil judiciaire se souciait un tant soit peu de mon opinion, il y a longtemps qu’il « foutrait la paix à Jean-Marc Rouillan », comme je le suggérais en 2006. Et déjà en 2005 avec «Maintenant !», sous-titré «En quoi la libération des militant(e)s d’Action directe est une pressante nécessité».

Passons!

La réaction très énervée, et aussi très sotte, de mes courageux insulteurs — lesquels se flattent de m’avoir connu «quand [je] jouais les trublions de la mouvance libertaire» — à mon texte critique «Jean-Marc Rouillan doit se taire…», s’inscrit dans un débat « moral » vieux comme le mouvement révolutionnaire : peut-on critiquer un(e) militant(e) en délicatesse avec la justice.

Dans le cas de Jean-Marc Rouillan et des autres membres de l’ex-organisation Action directe, répondre « non » à cette question entraîne la conséquence suivante :

On ne pouvait pas critiquer Rouillan — et AD — avant qu’il ne se fasse arrêter.

On ne pouvait pas critiquer Rouillan après son arrestation et pendant son procès.

On ne pouvait pas critiquer Rouillan quand il était en prison, soit pendant plus de vingt ans.

On ne peut pas critiquer Rouillan aujourd’hui, attendu qu’il se met régulièrement par ses déclarations en danger d’y retourner.

Moralité : Impossible de critiquer Rouillan et Action directe. Hier, aujourd’hui et demain.

J’ai toujours considéré ce pseudo-ukase moraliste comme une plaisanterie grotesque dont il n’était et n’est pas question de tenir le moindre compte.

C’est d’ailleurs pour cette raison qu’en même temps que je protestais contre le traitement imposé aux détenu(e)s d’Action directe durant leur procès (attitude alors peu répandue, y compris chez les anarchistes), je publiais un texte violemment critique «Contre AD et contre l’État», que mes courageux insulteurs font mine de ne pas connaître.

C’est pourtant l’une des occasions demeurées dans les mémoires où j’ai «joué les trublions de la mouvance libertaire».

Si, comme mes insulteurs le prétendent ridiculement, j’étais « en procès » avec Jean-Marc Rouillan, alors on pourrait dire que je l’ai gagné depuis plus de trente ans.

En 2016, comme au début des années 1980, je m’arroge le droit — droit que je reconnais à tout militant révolutionnaire — de critiquer un autre militant pour ses positions publiques.

Il est vrai que mes anonymes contempteurs informent le monde, et moi à l’occasion, que je suis un «ex-libertaire repenti».

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Innocent — au sens « débile » — que je suis ! Je viens à peine de publier un recueil de textes intitulé Comment peut-on être anarchiste ? et je continue à me présenter comme un « écrivain anarchiste de langue française »…

Le malheur sur moi ! Ces anonymes collègues — et concurrents — en réquisitoires m’avaient donc jugé et condamné en mon absence.

Décidément, si l’anarchisme semble s’être beaucoup bureaucratisé depuis ma jeunesse, le secrétariat est toujours aussi mal tenu…

Pour quel(s) crime(s) ai-je été ainsi puni de bannissement par le conclave secret des anarchistes « hard » ? Eh bien, vous allez rire ! l’un de mes crimes est de me « retrouver aux côtés […] des héritiers de Daeninckx, auprès desquels [j’ai fait] repentance au point de les dépasser dans la chasse aux sorcières ».

Il n’y a pas une semaine, le pauv’ DD de Montreuil (André Dréan de son pseudo officiel), me reprochait lui, comme des anonymes sur Twitter, d’avoir critiqué Daeninckx en même temps que je revenais sur une phrase de Suicide, mode d’emploi.

Donc, suivez-moi bien: Pour les un(e)s, mon ralliement — où ? comment ? — au « Daeninckxisme » est un signe de mon repentir de trublion anarchiste ; pour les autres mon allergie persistante (je signe !) au même « Daeninckxisme » est le signe d’un négationnisme inavoué (et pour cause !).

On conviendra que ce « Code pénal libertaire », de surcroît imprimé nulle part, donne plutôt envie de sécher les audiences !

Et c’est comme ça qu’on se retrouve bêtement condamné par défaut, sans avocat, et sans le savoir…

Alors, oui, c’est un peu tiré par la calvitie, mais ça sert à mes procureurs à « justifier » que n’étant plus l’anarchiste que j’ai été — ah! jeunesse! — je n’ai plus aucune légitimité pour critiquer un militant révolutionnaire… Or si je n’ai plus de légitimité libertaire, c’est donc que je suis un auxiliaire de la justice bourgeoise. CQFD !

Histoire de filer la métaphore, ils insistent beaucoup, et très maladroitement les pauvres, sur le fait qu’au vu des critiques que j’adresse à Rouillan, non seulement j’aurais dû assister à son procès mais encore me porter partie civile contre lui… Ne pas l’avoir fait est selon eux une preuve de lâcheté !…

Franchement, je me demande ce que ces gens peuvent boire ou fumer avant de délirer de la sorte sur leurs claviers…

Je m’attends à lire bientôt que je suis la reine des poules mouillées pour n’avoir pas moi-même exécuté Rouillan d’une balle dans la tête…

Je me dois de révéler maintenant une information, dont je crains — tant pis! — qu’elle dépasse un peu l’entendement, format aquarium, de mes procureurs d’eau douce :

J’ai fait savoir à qui de droit et en temps utile, par l’intermédiaire de mon amie Hellyette Bess, que j’étais disposé à venir témoigner EN FAVEUR de Jean-Marc Rouillan, sur la base de mes positions rendues publiques au préalable, pour dire que sa condamnation et surtout sa remise sous les verrous serait absurde et d’aucune utilité, même symbolique, pour je ne sais quelle lutte «antiterroriste».

Certes, je n’ai pas été trop surpris qu’il ne soit pas donné suite à cette proposition.

Cependant et à tout hasard, j’affirme ici publiquement qu’elle demeure valide pour le procès en appel.

Je m’attarderai avant d’en terminer sur un point qui a particulièrement fâché mes accusateurs publics. Il s’agit de mon reproche à Rouillan de ne pas avoir consulté ses (ex)camarades d’AD avant de déclarer sur une radio, à propos de la tuerie du Bataclan, entre autres : « C’est technique. Nous aurions pu faire ça, nous aussi ; nous aurions pu faire les mêmes opérations ; c’est le but ; mais nous ne pouvions pas le faire parce que nous avions d’autres principes, une autre stratégie, une autre tactique. ».

Mes accusateurs commentent :

Ce crétin [coucou, c’est moi !], qui prétend tout savoir sur AD et son fonctionnement interne, et même si Jean-Marc a ou n’a pas « consulté ses camarades », n’a pas encore compris qu’AD n’existe plus depuis longtemps, ce qui prouve encore une fois que sa haine des non-repentis est le seul motif de ses saloperies.

Ainsi AD n’existerait plus ? En voilà une révélation, les gars !

Mais les gens dont vous parlez, et dont vous prétendez gratuitement (et à rebours de ce que j’ai écris ici-même : «Régis Schleicher, un homme libre !» ) que je les « hais », ils existent eux.

Et même, ils ont des problèmes de boulot, des problèmes de logement, des problèmes avec la justice, avec les flics… Et non, ils n’ont vraiment pas besoin qu’un ancien camarade, de surcroît désigné par la presse et la justice bourgeoises comme le chef de la bande, viennent vomir d’aussi ahurissants étrons sur eux et leur action passée.

Et si vous ne pouvez pas comprendre ça, camarades procureurs, vous aussi feriez bien de fermer vos gueules !

Au passage, touchez-en donc un mot à celles et ceux que vous pouvez croiser (je ne sais pas où vous habitez). Trouvez-en un ou une qui approuve la déclaration ci-dessus citée de Rouillan.

Un(e) seul(e) !

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Revenons à Rouillan et à votre curieuse manière de l’aider.

Jean-Marc Rouillan est donc passé en procès. Il a adopté comme ligne de défense, en gros : « Cette émission de radio, c’était n’importe quoi ; j’étais fatigué ; j’aurais dû partir ; je n’ai pas osé le faire ; d’ailleurs y’a pas une phrase une français. ».

Bref. La position actuelle de Jean-Marc Rouillan est que les propos que tout le monde a pu et peut écouter dans l’enregistrement de cette émission ne reflètent pas son point de vue.

Dont acte !

Cette ligne de défense n’a malheureusement pas dissuadé la dite « Justice » de le condamner à 8 mois de prison ferme. Il a fait appel et j’espère qu’il sera relaxé ou dispensé de peine (voir plus haut).

La pétition, dont je crois comprendre que mes accusateurs étaient signataires, relevait à mon sens d’une très mauvaise stratégie, précisément parce qu’elle s’abstenait de toute distance critique par rapport aux déclarations de Rouillan, ce qui était d’abord inadmissible moralement et politiquement, et surtout ce qui réduisait la défense à la thèse du complot des médias, irrecevable pour n’importe quel auditeur de bonne foi — militant ou non, magistrat ou non.

Autrement dit, au prétexte de ne pas avoir l’air de critiquer Rouillan (impératif pseudo-moral), je pense que cette pétition ne pouvait que l’enfoncer un peu plus.

Que se passe-t-il aujourd’hui ?

Au lieu de se contenter de s’aligner sur l’actuelle position de Rouillan — aucun de ses propos radiodiffusés ne reflète son opinion réelle —, et de croiser les doigts, mes anonymes procureurs reviennent — certes pour le plaisir gamin de polémiquer avec moi — sur des propos de Rouillan que j’ai épinglés, en réaffirmant qu’ils ont été déformés par les médias.

Il est bien possible que ces farouches anhardchistes espèrent vraiment rendre service à Jean-Marc Rouillan.

N’empêche, je serais lui, non seulement à l’avenir je refuserais les interviews, mais aussi les pétitions et les textes de soutien…

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Post scriptum

Pour les lectrices et lecteurs intéressé(e)s par la question de la violence révolutionnaire, et que l’on aurait convaincu(e)s que je dois être un non-violent par principe, je renvoie, sur ce même blogue à «Si vis pacem kalachnikov».

Jean-Marc ROUILLAN doit se taire, non parce que l’État le lui impose, mais parce que les énormités qui sortent de sa bouche nuisent à la cause qu’il prétend défendre, et à lui-même accessoirement [ce titre est long parce qu’il est mesuré !]

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À l’heure où je publie ce texte, environ 750 personnes ont signé en ligne une pétition de soutien à Jean-Marc Rouillan, à la suite des poursuites engagées contre lui pour « apologie du terrorisme », après la diffusion d’une émission sur Radio Grenouille (Marseille), enregistrée le 23 février dernier.

On peut réécouter l’intégralité (58 mn) de l’émission ici.

Les animateurs s’expliquent sur les raisons de leur invitation ici

La lecture des commentaires est éclairantes. Certain(e)s signent pour la « liberté d’expression », d’autres pour s’opposer à une éventuelle réincarcération de Rouillan.

Que dit ce texte et de quoi parle-t-il ?

C’est donc une liste sans fin [on vient de donner des extraits de presse] de dénaturation des positions de notre courant politique qui Oui ! est farouchement opposé à l’islamophobie, Oui ! est convaincu que les guerres néocoloniales ne sont pas une solution, Oui ! Condamne fermement l’état d’urgence et la perte de libertés qui en découle…

Aujourd’hui, c’est au tour de notre camarade Jean Marc Rouillan de faire les frais de cette campagne qui n’a pas de nom… Propos déformés, sortis de leur contexte, ministres se pressant devant les caméras pour exiger qu’on renferme l’animal… Pathétique spectacle de détournement d’attention à la veille d’une mobilisation puissante contre la destruction du code du travail, au sein de laquelle l’extrême gauche porte les arguments les plus dévastateurs…

J’ai dit ici quelles sont les critiques que j’ai à opposer au concept d’« islamophobie » et à son usage confus et confusionniste. Admettons pour l’instant, et pour faciliter la discussion, qu’il désigne des formes de racisme anti-arabe, nouvelles ou anciennes. Je puis donc, quoique sans illusion, partager les trois « oui ! » du texte de pétition.

Cependant, demeure un inconvénient majeur : la pétition ne cite aucun des propos reprochés à Rouillan, dont on nous dit simplement qu’ils sont « déformés, sortis de leur contexte ».

Passons sur le fait que je suis favorable, et depuis plus longtemps que beaucoup de ces pétitionnaires, à ce que l’on « foute la paix à Jean-Marc Rouillan[1] ». Ce qui signifie que je m’oppose à toute poursuite à son encontre, sur la base des âneries qu’il a proférées, et évidemment à sa réincarcération.

Cela ne signifie nullement que je me sente, moi qui ne suis ni journaliste ni ministre, tenu de « foutre la paix à Jean-Marc Rouillan », au sens où je devrais — et pour quelle raison ? son âge ? nous avons le même ; ses années de prison ? ça n’est pas une excuse pour déconner — m’abstenir de critiquer des propos politiques publiquement tenus par lui.

Je vais donc expliquer ici, en quoi j’estime que certains propos de Rouillan — sans les déformer ni les sortir de leur contexte — sont inacceptables et doivent être politiquement condamnés avec la plus grande clarté et la plus grande fermeté.

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Première salve.

Dans une longue discussion à bâtons rompus, en direct, riche en phrases banales — mais aussi en propos pertinents — où il est question en vrac des tueries de 2015 à Charlie Hebdo, à l’Hyper cacher, au Bataclan et aux terrasses de bistros, Rouillan refuse de condamner les assassins. Pourquoi ? On croit (on espère !) comprendre dans la discussion que c’est parce qu’il condamne aussi l’État français et ses actions militaires.

Autrement dit — et l’on espère, je le répète, ne pas se tromper — la position de Rouillan pourrait se résumer à peu près dans une phrase, assez simple, du genre :

« Je pense [moi, Rouillan] que l’on ne peut valablement [légitimement] condamner les tueries évoquées, que si l’on condamne aussi celles que provoquent les bombardements des avions militaires français, en Syrie par exemple. »

Ce type de phrase, Rouillan est malheureusement incapable, non pas de la prononcer, mais même de la concevoir, de la penser. Au lieu de cela, il dit : « Moi, je suis neutre. Ça ne me concerne pas. » Il le répète plusieurs fois durant l’émission (9 mn 50 ; 11 mn 39 ; 12 mn 16 ; 17 mn 32).

« Neutre » ! Évoque la Croix rouge (mais sans trousse de secours) et le chocolat suisse. Le tout au milieu des cadavres de Charlie et des trottoirs parisiens… Au minimum, je dis bien au minimum, c’est une colossale maladresse. Le genre d’énorme connerie qui te fait chasser de ton organisation politique et interdire de tribune jusqu’au siècle suivant. Mais Rouillan, quoique stalinien, n’est plus membre d’aucune organisation, depuis qu’il a fait la grâce au NPA de le quitter.

Donc Rouillan refuse de choisir entre les assassins. Comme l’écrit à propos de Jean Genet Houria Bouteldja, il y a là « comme une esthétique ». Ou peut-être une éthique.

Seulement voilà… Rouillan choisit bel et bien. Contrairement à ce qu’il veut nous faire croire (et à ce que veulent, peut-être, croire les pétitionnaires).

Il choisit, Rouillan. Parce qu’il trouve très lâche (et en effet !) de bombarder depuis un avion, mais, en revanche (et c’est bien de ça qu’il s’agit), les islamistes assassins de caricaturistes, de juifs, de juives, de buveurs et de buveuses de bière en terrasse, il les trouve « très courageux ».

 Moi, je les ai trouvé très courageux en fait, ils se sont battus très courageusement ; il se battent dans les rues de Paris, ils savent qu’il y a deux ou trois mille flics autour d’eux […]. Souvent ils ne préparent même pas leur sortie.[…]. Les frères Kouachi, quand ils étaient dans l’imprimerie, ils se sont battus jusqu’à la dernière cartouche. On peut dire qu’on est contre leurs idées […] on peut dire que c’était idiot de faire ça… (49 mn 30)

Ici, trois remarques.

La première, déjà formulée à plusieurs reprises ici-même, mais je continuerai tant qu’il se trouvera des ahuri(e)s pour prétendre le contraire : le courage physique n’est pas, n’a jamais été, ne sera jamais suffisant pour me faire trouver admirable, un crétin, un salaud ou un assassin quelconque. Les nazis français qui allaient combattre le « bolchevisme » sur le front de l’Est pendant la deuxième guerre mondiale faisaient indiscutablement preuve de courage physique. Et alors ? Et alors, rien.

Malheureusement, certain(e)s ahuri(e)s ci-dessus évoqué(e)s trouvent, et même disent que « c’est pas pareil ! »

Or, ce « c’est pas pareil ! » ouvre sur des abîmes de crétinerie politique et de saloperie morale[2]. À cet instant précis, je ne parle plus de Rouillan (pas de ces déclarations à Radio Grenouille, au moins). Au fond de ces abîmes, on distingue des lambeaux de « discrimination positive » ; autrement dit, pense le crétin, un jeune arabe de nos banlieues est moins coupable de tuer des filles en minijupe à la terrasse d’un café que le tireur du bombardier d’écraser des filles en tchador. Le crétin ne sait pas (c’est à ça aussi qu’on le reconnaît) que l’armée emploie même des assassins « issus de la diversité », comme on dit sottement. Les flics noirs et arabes, il ne les voit pas. Il pense que les jeunes arabes ont un destin de révoltés — pour venger les guerres coloniales — et que bon, c’est un peu ballot d’avoir flingué n’importe qui, mais bon… Et d’ailleurs (je ne parle toujours pas de Rouillan), étaient-ils/elles bien des « n’importe qui » ces clients du Bataclan ?

On a quand même beaucoup entendu dire, dans « notre courant politique » (je reprends de confiance l’expression de la pétition) que, quand même ! fréquenter un établissement où avaient été donnés des galas en faveur de l’armée israélienne, c’est sinon un crime, au moins une imprudence. Si ! si ! Ça c’est beaucoup dit, chez les inorganisés, mais pas seulement. C’est une « opinion » qui a du être combattue dans des organisations d’extrême gauche, et non sans mal.

Et d’ailleurs, moi, qu’est-ce que j’ai à dire pour réfuter cette « opinion » — je veux dire : à part qu’elle me donne une immédiate et violente envie de gerber sur qui l’exprime. Eh bien je dirai que le pourcentage du public du concert visé au Bataclan, qui connaissait le fait évoqué plus haut, doit être encore inférieur au pourcentage des pétitionnaires qui se manifestent pour Rouillan en ayant pris la peine et la précaution d’écouter l’intégralité de l’émission de radio en cause.

D’ailleurs, la notion de responsabilité collective est parfaitement répugnante. Et précisément, sous une forme ou une autre, elle est commune aux assassins du Bataclan et aux largueurs de bombes des avions français.

Quant à l’étendre, cette pseudo-responsabilité, aux consommateurs et consommatrices des terrasses, le plus crétin des tarés n’a aucun moyen (lui-même alcoolique qu’il est, le plus souvent) de la rendre légitime. Il essaye seulement de mégoter « moralement », si j’ose dire, sur le nombre des cadavres.

Seconde remarque. Elle est également navrante cette admiration automatique et virile (à moins que…) pour qui brandit une arme de guerre, même alors que des milliers de flics quadrillent Paris. Rouillan dissocie les gestes et les responsabilités des assassins : celui qui est retranché face à des forces de police, n’est plus celui qui vient de tuer un dessinateur désarmé, dans le bureau d’un journal satirique. Ça n’est pas une analyse politique, nécessairement globale, ce sont des érections idéologiques, des bouffées d’identification narcissique.

Vous pensez que j’exagère ? Hélas, pas le moins du monde. Rouillan lui-même va s’en expliquer. Laissez-moi formuler d’abord ma troisième remarque.

Elle concerne les « idées » des assassins islamistes.

Je ne sais pas si je dirais que ces gens ont des « idées ». Une idéologie, certainement. Toute neuve, à base de morceaux de Coran mal digérés, mal ou pas appris, façon Reader digest. Et certainement aussi de la révolte devant les humiliations subies, par eux et par leurs parents, du ressentiment, et de la frustration (sexuelle, oui, mais pas seulement : sociale aussi). Mais des idées, des opinions en somme, aussi respectables que d’autres, mais que l’on « pourrait » ne pas partager… Non ! Le djihadisme n’est pas une idée, pas plus que le racisme n’est une opinion.

Je reviens à la déclaration qui établit, hélas ! qu’il n’y a dans mon analyse aucune « exagération ». Quand on demande à Rouillan pourquoi il semble si réticent à « condamner » les tueries et leurs auteurs, ils se réfère à son expérience de pratiquant de la lutte armée. Soulignons qu’il se réfère ici à Action directe sans avoir évidemment consulté ses camarades, ce qui donne une idée, pour les naïfs et les naïves qui ne se s’en seraient pas fait une, de la manière « démocratique » dont se prenaient les décisions à AD. C’est-à-dire sans se préoccuper du tort que cela pouvait causer aux autres (en liberté ou en taule).

Comme l’animateur (bien bon, l’animateur !) lui fait remarquer que tout de même, AD c’était autre chose, avec un idéal émancipateur, etc. Rouillan répond sur la différence entre les actions d’AD et celles des tueurs de Daech :

C’est technique. Nous aurions pu faire ça, nous aussi ; nous aurions pu faire les mêmes opérations ; c’est le but ; mais nous ne pouvions pas le faire parce que nous avions d’autres principes, une autre stratégie, une autre tactique.

Jean-Luc Godard explique quelque part que sur le tournage d’un film, un travelling est une question de morale. Jean-Marc Rouillan nous explique qu’éliminer un général ou le public d’un concert, c’est une question de technique.

Je ne suis pas assez compétent pour décider si la remarque de Godard est pertinente. Je vois bien en quoi celle de Rouillan est d’une toxicité catastrophique pour le camp révolutionnaire.

Notez bien que Rouillan ne s’abstient pas de toute critique à l’égard des tueurs de Daech, qu’il refuse néanmoins de condamner moralement et politiquement : il les traite d’ « impies », parce qu’ils auraient outrepassé je ne sais plus quelle prescription coranique (il y a des moments où l’accablement m’a un peu distrait, je dois dire).

En somme, comme il refuse (ce que j’approuve) de se placer du même point de vue que l’État, et qu’il est par ailleurs incapable d’élaborer un point de vue moral et politique propre, Rouillan tente de se situer à l’intérieur du raisonnement (?), de la stratégie (?), du camp (?) de Daech. …Même si « toute théocratie est un régime ennemi » et qu’il considère Daech comme État. Dommage que dans cette phrase, le premier exemple qui lui vienne à l’esprit soit, non pas Daech, dont on parle, mais Israël… (« Que ce soit Israël ou un autre »).

Rouillan espère, semble-t-il, que le dialogue est encore possible avec Daech ou bien des gens qui veulent le rejoindre, on ne sait pas… Du coup, il se met en avant comme intermédiaire possible : quelques minutes après son « aveu » qu’au hasard de la vie, il aurait aussi bien pu flinguer des buveurs d’apéritif, il affirme

Il y a des mouvements, comme le Hezbollah, qui pensent que je suis quelqu’un de bien intentionné.

Rouillan se propose là — je ne sais pas si l’on a bien pris bien la mesure de son dévouement — rien moins que de nous sauver. En effet, comme il le souligne justement, il ne manque pas de fanatiques (le mot est de moi), armés de mitraillettes, qui pensent que nous ne sommes pas beaucoup à mériter de l’être, sauvé(e)s, en occident. Rouillan se propose, si je comprends bien, de leur dire quelques mots entre notre faveur.

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Par pitié, Jean-Marc, au nom de tout ce qui ne nous est pas sacré ! Au nom de notre vieille inimitié — politique ; nous ne nous connaissons pas —, ne te crois l’avocat de personne ! Ne plaide aucune cause ! Laisse tomber la diplomatie, tu n’as aucune disposition !

Cela dit, qui devait l’être, voilà ce que je veux ajouter :

Jean-Marc Rouillan, tu as besoin de murir longuement chaque phrase : allons tant mieux ! Tu es meilleur à l’écrit qu’à l’oral : ça tombe à merveille : tu écris des livres. Tu ne voudrais pas être contre-ténor à l’opéra, aussi ? Tu sais parfaitement ce qu’il faut penser des journalistes bourgeois : tiens t’en éloigné ! Tes problèmes identitaires — qui n’en a pas ! — fais-en des romans, ou réserve-les à un(e) psy : il n’y a pas de honte !

Bref, par pitié, pour toi et pour les autres : FER-ME-LA !

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[1] Voir sur ce blogue le texte portant ce titre.

[2] Et inversement : de crétinerie morale et de saloperie politique.

Foutez la paix à Jean-Marc Rouillan ! (2006)

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Comment peut-on être assez niais pour se prétendre militant révolutionnaire et accorder un entretien politique au journal L’Express ? Comment peut-on être Rouillan ?

Si encore le pauvre garçon avait cru, je ne sais pas moi, que Philippe Val est toujours un chanteur anarchisant et Charlie hebdo une feuille contestataire… on se serait dit, en hochant la tête tristement : « Sûr qu’il a pas mal de choses à remettre à jour après vingt années d’incarcération !… » Mais L’Express ! Un journal de droite pour cadres, qui a toujours été un journal de droite pour cadres…

En quoi l’opinion des lecteurs de L’Express sur ses idées politiques peut-elle paraître présenter un intérêt aux yeux de Rouillan ? Mystère insondable de l’âme humaine.

Que dit Rouillan à L’Express ? Rien, évidemment. Rien qui présente le moindre intérêt. Si L’Express publiait des articles lisibles, ça se saurait, et si on se souciait de l’opinion de Rouillan sur la marche du monde, on aurait pris des dispositions depuis vingt ans pour lui permettre de l’exprimer. Lire la suite

Régis Schleicher, un homme libre ! (2005)

Régis Schleicher, militant de l’organisation Action directe passait en jugement en novembre et décembre 2005 pour une tentative d’évasion de la centrale de Moulins en 2003, c’est ce que rappellait le quotidien Libération (22-23 octobre 2005) qui publiait un entretien avec lui dont sont extraits les passages suivants [Schleicher obtenait, fin août 2009, un régime de semi-liberté] : Lire la suite

MAINTENANT ! (2005)

En quoi la libération des militant(e)s d’Action directe est une pressante nécessité

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La chambre d’application des peines de Douai a refusé, le 14 septembre 2005, pour la énième fois, la libération conditionnelle de Nathalie Ménigon[1].

On sait que l’état de santé de cette militante, qui a subi deux accidents vasculaires cérébraux, est très précaire, notamment du fait de sa détention. On sait que la prison détruit et qu’elle ne soigne pas celles et ceux dont elle a détruit la santé. De ce point de vue, la prison est un mensonge obscène sur la possibilité d’un « châtiment » qui se « limiterait » à la privation de liberté.

Ceci rappelé, disons que le présent texte ne se fixe pas pour tâche de ressasser les motifs d’ordre humanitaire ou idéologiques qui justifieraient la libération des ancien(ne)s militant(e)s d’Action directe. Ces motifs sont bien connus et d’ailleurs reconnus par un nombre croissant de personnes qui ne partagent aucun des objectifs d’Action directe ou qui partagent certains d’entre eux (« révolution », « communisme ») en désapprouvant l’assassinat politique comme moyen d’action, soit pour des raisons philosophiques, soit pour des raisons tactiques, soit les deux à la fois.

Au-delà d’une élémentaire opposition au traitement que l’on inflige à ces détenu(e)s « au nom de la société », le présent texte veut attirer l’attention sur le fait que leur libération ne présenterait que des avantages, y compris — à rebours des « inquiétudes » gouvernementales —celui de prévenir les réactions désespérées que ne manquerait pas de susciter le décès en prison de l’un(e) d’entre eux. Lire la suite

« C’EST ÇA LE TERRORISME ! » (2012)

« TERRORISME » ET CURCUMA (SUITE)


 

Ce 21 mai 2012 marquera une date dans la définition de ce qu’est un procès politique — et par voie de conséquence un acte politique, et même la politique tout court — et de ce qu’est le « terrorisme ».

On sait que les magistrats de la dixième chambre du tribunal correctionnel de Paris ont la lourde tâche devant l’histoire de juger six jeunes « curcumistes », accusés de « terrorisme » en général et de fabriquer des bombes au curcuma en particulier.

Aujourd’hui était le jour du réquisitoire du procureur général. On aurait juré que cet excellent magistrat avait lu « “Terrorisme”, curcuma, et crime par la pensée », tant il avait choisi d’illustrer, dès ses premières phrases, le passage suivant, que je reproduis pour les paresseux vivant du RSA, nombreux (hélas !), à me lire :

« Nous n’en sommes plus à écarter les justifications politiques d’actes délictueux au regard du droit pénal (vous dites que vous êtes un militant politique, mais je constate que vous avez fait sauter une mairie). Police et justice travaillent aujourd’hui, au service de l’État, à stigmatiser des prises de position politiques et sociales, de “mauvaises intentions” a-t-on pu dire justement, en utilisant des éléments disparates auxquels seuls les textes “antiterroristes” eux-mêmes donnent une apparente cohérence. »

Évidemment notre procureur a tourné les choses à sa manière ; copier/coller du Claude Guillon aurait fait mauvais genre.

Il a donc commencé par récuser fermement le reproche de « procès politique », allégation polémique et d’ailleurs politique que le tribunal voudra bien ignorer. « Ce qui compte, a-t-il dit en parlant de nos « curcumistes », ce sont leurs intentions. » Lire la suite

1936-1938 Antoine Gimenez, ou la révolution vivante (2008)

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Les Fils de la nuit. Souvenirs de la guerre d’Espagne

Antoine Gimenez & les Giménologues, L’Insomniaque, 558 pages, 16 euros.

 

Cette note de lecture doit commencer par quelques mots d’excuses à l’adresse des « Giménologues » éditeurs du texte de Gimenez, que j’avais rencontrés quand ils mettaient la dernière main à leur travail. Même sans être soumis à la dictature moderne de l’« actualité » — je me flatte d’y résister — je devrais pouvoir rendre compte d’un livre dans un délai inférieur à deux ans après sa parution ! J’épargnerai au lecteur la liste de douteuses circonstances atténuantes (manie de lire vingt livres en même temps, problèmes de santé, commandes urgentes, etc.) pour en venir à une nouvelle consolante : ce livre n’avait nul besoin de moi pour rencontrer son public. Cet ouvrage, dont la lecture s’impose à quiconque souhaite s’informer sur la révolution espagnole, s’est en effet vendu à plusieurs milliers d’exemplaires.

Après une présentation sommaire, je me bornerai donc à esquisser quelques réflexions qui prennent pour prétexte la manière dont Gimenez évoque les épisodes érotiques et/ou amoureux de son aventure espagnole, et l’exercice de la violence par les anarchistes, telle qu’il la rapporte.

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Le volume, édité par L’Insomniaque et les Giménologues mérite bien de comporter la mention de ces derniers, outre celle de l’auteur du texte principal, sur la couverture. En effet, les éditeurs de Gimenez ont accompli un travail gigantesque, qui produit plus de la moitié de ce gros livre de 558 pages. Ce sont, en réalité, deux livres qui s’offrent au lecteur : d’abord le récit de Bruno Salvadori alias Antoine Gimenez, jeune anarchiste d’origine italienne engagé dans le Groupe international de la colonne Durruti, entre 1936 et 1938, qu’il rédige au milieu des années 1970, et l’étude de ce Groupe qui s’est imposée aux Giménologues, dès lors qu’ils ont voulu comprendre et présenter le récit du premier.

Les Giménologues poursuivent d’ailleurs leur travail sur un site Internet, constamment enrichi (ajoutons qu’il existe également un feuilleton radiophonique réalisé à partir des souvenirs de Gimenez ; voir sur le site).

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Gimenez n’est ni un théoricien ni un écrivain, et c’est sans doute ce qui rend son récit aussi précieux, et d’une lecture aussi aisée. Il raconte sa vie dans l’Espagne noire et rouge de la révolution qu’a suscitée le coup d’état fasciste. Il la raconte non sans forfanterie parfois, pas en tant que guerrier mais en tant que jeune homme sûr de sa force et de sa séduction. C’est en effet l’un des charmes du récit qu’il entremêle, comme ils le sont inextricablement dans la vie, les épisodes amoureux et/ou érotiques, les événements militaires et les considérations politiques. Les Giménologues expliquent dans leur introduction que certains éditeurs pressentis, en France et en Espagne, et parmi eux des libertaires, proposèrent à l’auteur d’élaguer son texte de passages jugés scabreux. C’est une question politique d’importance et qui mérite sans doute mieux que la pique envoyée à quelques curés anarchistes. En effet, l’imbrication de la vie incarnée et de la lutte révolutionnaire devrait aller de soi pour des militants anarchistes, et nous savons qu’il n’en a pas toujours été ainsi. De surcroît, le récit de Gimenez montre de manière très simple et très touchante comment la société espagnole est l’objet et le théâtre de bouleversements sociaux très profonds, qui concernent notamment la condition des femmes et leur liberté amoureuse et érotique. La seconde semble — est-ce un paradoxe ? — bien davantage étendue par l’atmosphère de la révolution que n’est bouleversée la première. Ce que l’on attend des femmes — y compris des femmes combattantes — c’est encore le plus souvent la cuisine et la lessive, même si on leur offre en retour une gratitude et une estime sincères.

Cela n’empêche pas de remarquer, sans ironie méchante, que Gimenez use, probablement en toute innocence, de clichés empruntés à la littérature érotique classique[1], ce qui peut contribuer à susciter l’agacement chez certains lecteurs déjà mal disposés. Je pense ici notamment à l’épisode où notre héros déshabille (mais c’est parce qu’elle est trempée par l’averse !) une jeune religieuse échappée d’un couvent, laquelle va naturellement s’éveiller au plaisir dans ses bras. Que l’épisode soit rigoureusement exact, ce dont je ne doute pas, n’empêche nullement qu’il s’agit d’un cliché, ici mis en scène de manière extrêmement flatteuse pour le narrateur. Il est permis au moins d’en sourire sans être bigot : une ou deux phrases de commentaire distancié auraient mis les Giménologues à l’abri du reproche de complaisance, sans pour autant verser dans la censure moraliste.

En écrivant les lignes qui précèdent, je prends conscience que le texte de Gimenez, de part son aspect « naïf » déjà mentionné, prête le flanc à une critique qui viserait son caractère « édifiant ». Il peut être rejeté en tant que tel. Cependant, ce serait me semble-t-il une erreur. Gimenez décrit ce qu’il voit, c’est-à-dire aussi bien entendu ce qu’il croit. Et sa description se fait toujours « en gros plan », au niveau de l’être humain ; il observe en même temps qu’il ressent. Exemple : le camarade tueur de curé (au sens propre), qui, en pleine visite domiciliaire et déchristianisatrice, glisse sous les draps de la vieille femme l’énorme christ qu’elle n’arrivait pas à décrocher pour le cacher : « Elle pourrait être ma grand-mère, et la tienne aussi…». C’est que le déchristianisateur aussi vit sa vie simplement et « en gros plan » : il tue les curés parce que ce sont des ennemis du peuple et qu’il ne veut pour lui-même ni dieu ni maître, mais il ne va pas priver une grand-mère de tous ses fétiches. Une balle, une émotion ; un coup de fusil, un coup de cœur… c’est tout le rythme du récit de Gimenez.

On peut tuer au combat, autre chose est d’appliquer une « peine de mort ». Les anarchistes ne s’en privent guère plus que les autres, mais lorsque deux membres du Groupe international se vantent d’avoir participé à un peloton d’exécution de prisonniers, Louis Berthomieux, le responsable désigné du Groupe demande leur exclusion en mettant son départ dans la balance.

Or le débat ne portera pas sur la question de savoir si l’on peut ou doit exécuter des prisonniers, mais sur la liberté des camarades d’agir selon leur bon plaisir. Comment leur reprocher de s’être fait assassins de sang froid puisqu’ils en ont eu envie ? Les membres du Groupe sortent, au moins pratiquement, de cette ornière théorique et morale en considérant qu’eux aussi ont le droit de choisir ceux avec qui ils combattent et risquent leur vie. Les fusilleurs seront donc exclus, non parce qu’ils ont commis un crime ou une faute, mais en raison dune espèce d’incompatibilité d’humeur avec le groupe.

Gimenez raconte encore que Durruti a fait juger un militant anarchiste qui a conservé, pour les offrir à sa compagne, des bijoux récupérés chez un richard barcelonais. Il est condamné à mort par les délégués réunis des centuries. Gimenez rapporte sans critique l’histoire, et sa morale assassine : « L’or, l’argent, les bijoux devaient servir à nous procurer les armes qui manquaient et non à parer les femmes… », etc. C’est qu’il n’y participe pas ; le fusillé n’est pas un camarade intimement connu dans le combat quotidien, même si c’est un militant anarchiste incontesté. Mais Gimenez, se retournant sur le passé pour écrire son récit, n’a pas un mot de regret pour l’homme assassiné, pas un mot de critique pour la doctrine de l’exemplarité de la peine de mort à la manière anarchiste. Il ne lui vient pas à l’esprit, semble-t-il, que le voleur qui a voulu épater sa compagne s’est rendu coupable d’une gaminerie, guère plus signifiante dans le registre de l’erreur politique que la « coupable » mansuétude du déchristianisateur négligeant de voler le crucifix à la vielle dame l’est dans celui de l’entorse bienvenue à une politique rigide.

Les anarchistes espagnols que décrit Gimenez sont religieux. Ils mènent la guerre sociale à coups de morale et de bons sentiments. Un coup de fusil, un coup de cœur. Il y a des gens qui s’écoutent, qui se regardent agir, ce sont des prétentieux. Les anarchistes se sentent vivre, ils suivent leurs émotions, un jour ceci, le lendemain cela. Ce sont des exaltés. Je récuse le meurtre d’un ennemi, j’assassine un camarade. Pour des breloques ? Non, pour un principe ! Les anarchistes sont des hérétiques. Malraux écrit quelque part qu’ils sont prêts à commettre toutes les erreurs pourvu qu’ils puissent les payer de leur vie. Cette formule m’a toujours agacé. Elle m’agace encore, mais j’ai longtemps pensé qu’elle manifestait la volonté d’un adversaire politique de discréditer les libertaires tout en se donnant l’air de comprendre et d’apprécier chez eux un « sens du tragique », certes condamné par l’histoire et ses philosophies scientifiques, mais tellement décoratif, et d’un excellent rapport littéraire. La lecture d’un texte comme celui de Gimenez confirme qu’elle correspond à une réalité profonde, au moins du mouvement anarchiste espagnol, même si elle n’en épuise pas la réalité.

De ce point de vue, la découverte en français des mémoires d’un militant d’abord proche compagnon de Durruti comme Garcia Oliver, permettra de donner — du même point de vue individuel, « en gros plan », et à la première personne — une autre image du mouvement. Je ne veux pas dire ici que nous ne sachions rien du rôle des anarchistes dans la révolution espagnole, mais que le contraste est important entre les études générales (sur les collectivisations, par exemple) et les témoignages personnels, nécessairement imprégnés d’une mystique idéologique, dont je ne suis pas certain qu’elle vaut toujours mieux que les idéologies froides.

J’imagine que ces lignes paraîtront sacrilèges (c’est bien le problème !) à certain(e)s lectrices et lecteurs libertaires. Comment se permettre de critiquer un homme qui a eu le courage d’aller risquer sa vie pour vivre une révolution anarchiste, qui a vécu des scènes aussi terribles que celle où un camarade doit achever de deux coups de fusils deux femmes du Groupe, dont les fascistes ont ouvert le ventre au couteau…

C’est que, s’il est possible (je ne dis pas « légitime ») de fusiller un camarade parce qu’il a conservé un bijou volé, alors on doit aussi pouvoir lui adresser, à lui et à ses camarades du peloton d’exécution, des critiques. Aussi dures soient-elles, elles ne sont pas mortelles[2].

Comme je feuillette le livre et retrouve les passages que j’y ai soulignés, je tombe sur l’évocation d’une salve non mortelle, précisément. On a arrêté, près de la tente de Durruti, trois ou quatre hommes qui venaient l’assassiner. On les fusille… et on leur jette un seau d’eau à la figure. Les fusils étaient chargés de cartouche à blanc. On leur explique que les anarchistes font la guerre à l’ignorance et non aux pauvres bougres.

Passons sur le fait que la fausse exécution serait considérée, si pratiquée par l’ennemi, comme une forme de torture et non de mansuétude. Les assassins ratés retourneront hébétés dans leurs foyers raconter que les anarchistes les ont exécutés pour de rire. Pour l’Arsène Lupin fusillé, il s’agissait de démontrer à tous les militants qu’on ne rigole pas avec les biens récupérés pour le peuple. Exemplarité toujours.

Il est possible qu’il s’agisse d’un piège difficile à éviter, surtout dans une période de crise révolutionnaire, où les nécessités de l’action laissent peu de temps à la réflexion et où l’on apparaît d’abord par ses actes. Cependant, il n’est pas inutile de relier, lorsque nous est donné le loisir du retour en arrière, ces événements avec les réflexions théoriques qui les ont précédés (je pense aux textes de Kropotkine sur la morale).

Le type de questionnement qui s’impose ici n’est en effet pas propre aux temps de guerre civile, dont on peut toujours — pour s’en réjouir ou le déplorer — juger le retour improbable ou très éloigné. En tous temps, des militants peuvent, au nom d’un prolétariat ou d’un mouvement révolutionnaire qu’ils prétendent incarner, décréter la peine de mort pour un policier, un politicien ou un patron de l’industrie. Il peut s’agir d’une «vengeance politique» (tel flic a tué un manifestant), mais le plus souvent il s’agit d’une action spectaculaire a visée exemplaire. Elle « montrera » que l’ennemi de classe lui aussi peut (doit) trembler ; elle « réveillera » un prolétariat engourdi par la répression et l’embourgeoisement (« Le peuple est vieux » disait une chanson anarchiste).

« Nous nous battons, mais nous n’assassinons pas », dit Berthomieux en demandant l’exclusion des deux membres d’un peloton aux membres du Groupe international de la colonne Durruti. Il est navrant que des militants qui se veulent révolutionnaires se mettent en situation de dire : « Certes, nous assassinons, mais c’est parce que nous nous battons. »

Amère ironie, dans ce cas de figure, c’est la victime — par sa qualité de patron, de fasciste, de « salaud » — qui donne son sens à l’acte de tuer, lequel est en quelque sorte déréalisé. L’assassin est le moyen neutre d’une justice immanente, que l’idéologie vient expliquer comme la physique explique la chute des corps. Si l’exemplarité s’avère un échec (le prolétariat ne s’est pas « réveillé »), l’acte lui-même — le meurtre — n’en est pas affecté, puisque le statut de la victime (patron) n’est pas modifié. Autrement dit : On ne peut pas se tromper en tuant un patron. La phrase sonne comme un slogan teinté d’humour noir. Elle redevient sinistre si l’on veut bien se souvenir qu’elle se décline nécessairement en : On ne peut pas se tromper en tuant un traître… un déviationniste… un violeur… un bourgeois… un imbécile… Chacun(e) imaginera aisément les catégories à ajouter, en fonction des ses propres détestations.

Le lecteur de 2008 m’objectera que je parle ici davantage de Jean-Marc Rouillan et du groupe Action directe que d’Antoine Gimenez, révolté anarchiste (selon ses propres termes) participant à une incontestable révolution. C’est sans doute l’une des qualités paradoxales du récit de Gimenez de nous amener, par sa sincérité et sa simplicité, à nous (re)poser des questions que lui-même n’affronte pas, parce qu’il les pose sans s’en rendre compte.

Capture d’écran 2014-11-09 à 10.52.38 On peut télécharger le texte du livre sur le site de l’Insomniaque (lien à droite sur votre écran).

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Capture d’écran 2014-11-13 à 14.20.56L’Insomniaque a publié en mai 2008 un roman de Ricardo Vasquez Prada, intitulé Dans un village d’Aragon dont je ne veux pas rappeler le nom…, qui n’est pas sans rapport avec le récit de Gimenez. Je reproduis le texte de quatrième de couverture :

« En juillet 1936, l’arrivée des troupes franquistes dans un village d’Aragon précipité dans l’horreur ses habitants, parmi lesquels la famille du menuisier don Pedro. Pour sa femme, dona Maria, et ses deux filles, il s’ensuivra une petite odyssée, tissée de tragédies, d’amours et d’espoirs, au gré des aléas d’une terrible lutte à mort. Parallèlement, un torero et un étudiant de leurs amis rejoignent la fameuse colonne Durruti, au-delà de la ligne de front toute proche…

En toile de fond se profile un affrontement entre les fascistes, auxquels se rallient les grands propriétaires terriens, et la nouvelle société égalitaire et communautaire que tentent d’instaurer les anarchistes. »

190 p. 12 euros

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On trouvera des textes, de Simone Weil et d’Albert Camus, sur les problèmes de la violence révolutionnaire, dans l’excellent Albert Camus et les libertaires (1948-1960), textes rassemblés par Lou Marin chez les jeunes éditions Égrégores de Marseille (361 pages, 15 euros).

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[1] « Les seins jaillirent blancs comme l’albâtre » ; « sa croupe s’offrit comme un énorme fruit porté par les colonnes de ses cuisses nerveuses » ; « cuisses écartées, offrant à ma vue une figue dont la chair gonflée par la sève aurait fait éclater la peau » etc.

[2] On lira, sur la variété et la complexité des réactions de la population sur la question de l’attitude vis-à-vis des prisonniers, la note 16, aux pages 243-246 du livre.