Foutez la paix à Jean-Marc Rouillan !

J’ai dit à plusieurs reprises, et entre autres ici-même, ce qui me sépare de Jean-Marc Rouillan et ce que je pensais de certaines de ses déclarations – et de la sottise «bien intentionnée» de certain·e·s des personnes qui le soutenaient.

Aujourd’hui, le parquet antiterroriste réclame sa réincarcération, en clair son retour à la case prison (alors qu’il est aujourd’hui assigné à résidence). C’est une dégueulasserie qui doit être empêchée. Je publie donc ci-dessous l’appel lancé dans ce sens.

Foutez la paix à Jean-Marc Rouillan! (Ça non plus, ça n’est pas la première fois que je le dis ici; en retour, on pourra l’oublier un peu et ça fera des vacances à tout le monde).

NON À L’ACHARNEMENT CONTRE JEAN-MARC ROUILLAN

21 novembre 2020

Depuis le 9 juillet dernier, Jean-Marc Rouillan est en détention à domicile. Il accomplit actuellement une peine de huit mois fermes pour « apologie de terrorisme ».

Alors qu’il ne lui reste que quelques semaines avant de terminer sa condamnation, le Parquet anti-terroriste demande son incarcération en milieu fermé. La décision définitive sera prise par le tribunal de l’application des peines en audience, au tribunal d’Auch, le 25 novembre prochain, dans un climat de surenchère répressive encouragé et exercé par le gouvernement. 

Le Parquet justifie sa demande sur la base de deux incidents techniques du bracelet électronique. 

Le premier, le 18 août, est le résultat d’un choc involontaire ; le second, le 24 octobre, est dû à un décrochage du bracelet. À chaque fois, l’administration pénitentiaire a constaté la présence du détenu à son domicile et a pu communiquer avec lui. Il n’y a jamais eu de rupture de la détention. 

Il faut signaler que durant cette peine, le détenu n’a bénéficié d’aucune permission – professionnelle ou familiale – ni d’aucune RPS (jours de réduction de peine). 

Aujourd’hui la demande du Parquet relève de l’acharnement. Un acharnement que Jean-Marc Rouillan connaît bien : l’État n’a de cesse de prendre tous les prétextes pour l’isoler, le fragiliser et relancer incessamment la détention. 

Jean-Marc Rouillan souffre d’une maladie auto-immune orpheline grave qui affaiblit son système immunitaire. L’envoyer en pleine épidémie de la Covid-19 dans un lieu fermé particulièrement pathogène est une réelle mise en danger.

Jean-Marc Rouillan répond aux critères de vulnérabilité tels qu’ils ont été établis par le gouvernement.

Nous, signataires de cet appel demandons au tribunal de l’application des peines la continuité de la mesure de détention à domicile jusqu’à la fin de sa peine.

Pour signer cet appel: stop-acharnement@protonmail.com

Premier·e·s signataires : 

José Alcala, cinéaste 

Pierre Alferi, poète

Floren Aoix Monteal (escrivain, directeur Irazar Fundazioa)

Vidal Aragones Chicharro, député de l’Assemblée de Catalunya CUP

Nan Aurousseau, auteur, réalisateur 

Nathalie Artaud, porte-parole de Lutte ouvrière 

Olivier Azam, réalisateur

Alain Badiou, philosophe 

Etienne Balibar, philosophe 

Ludivine Bantigny, historienne

Fernando Barrena, député européen GUE-NGL

Jean-Pierre Bastid, cinéaste

Hocine Belalloufi, essayiste, journaliste algérien

Judith Bernard, co-fondatrice de Hors-Série

Olivier Besancenot, postier, porte parole du NPA 

Eric Beynel, syndicaliste à Solidaires 

Billie Brelok, rappeuse 

Julien Blaine, poète 

Quim Boix, Secrétaire Général de l’Union internationale des syndicats de retraités et pensionnés 

Jacques Bonnaffé, comédien 

Alima Boumediene-Thiery, avocate, militante associative 

Jean Pierre Bouyxou, écrivain 

Jean-Denis Bonan, cinéaste

Irène Bonnaud, metteuse en scène 

Véronique Bontemps, anthropologue

Saïd Bouamama, sociologue et militant FUIQP

Youssef Boussoumah, militant décolonial

Houria Bouteldja,  militante décoloniale

Albert Botran i Pahissa, Parlementaire Cortès Espagne CUP

José Bové, paysan du Larzac, ancien député européen

Rony Brauman, médecin, essayiste

Eitan Bronstein, directeur De-Colonizer

Alain Brossat, philosophe 

Robert Cantarella, metteur en scène

Pierre Carles, réalisateur

Carmen Castillo, cinéaste 

Laurent Cauwet, auteur, éditeur Al Dante

Jean-Philippe Cazier, écrivain 

Bernard Cavanna, compositeur

CGT Catalunya

Leïla Chaïbi, députée européenne LFI

Sorj Chalandon, auteur 

Christian Champiré, maire communiste de Grenay (62)

Compagnie Jolie môme 

CNT, Confédération nationale du travail 

CNT-AIT (F.L. Granada)

Pierre Chopinaud, écrivain 

Jean-Luc Chappey, historien

Guy Chapouillié, professeur émérite d’études cinématographiques

Manuel Cervera-Marzal, politiste

Alexandre Civico, écrivain, éditeur 

Laurence De Cock, historienne 

Jean-Louis Comolli, cinéaste, écrivain 

Enzo Cormann, écrivain

Annick Coupé, militante altermondialiste

Revue CQFD

Miguel Urbán Crespo (parlamentaire UE, GUE-NGL)

CUP (Candidature d’Unité Populaire) Catalunya

Alain Damasio, écrivain 

Christophe Darmangeat, économiste 

Sonia Dayan-Herzbrun, sociologue

Chloé Delaume, auteure, prix Medicis 2020

Alessi Dell’Umbria, auteur réalisateur

Christine Delphy, sociologue

Gérard Delteil, écrivain

Pierre Dharreville, député PCF des Bouches du Rhône 13° circonscription.

Thierry Discepolo, éditeur (Agone) 

Elsa Dorlin, philosophe

Charlotte Dugrand, éditions Libertalia

Annie Ernaux, auteure

Jean-Michel Espitallier, écrivain 

Christian Eyschen, président de la Libre Pensée

Adeline Escandell, sénatrice Espagne ERC soberanistes 

Famílies de Presos de Catalunya

Gérard Filoche, ancien inspecteur du travail 

David Faroult, enseignant-chercheur en cinéma

 Eva Feigeles, monteuse de films

 Jacques Gaillot, Evêque

Pierre Galand, ancien sénateur belge, président de l’OMTC (Organisation mondiale contre la torture) 

Jean-Jacques Gandini, avocat, ancien secrétaire du Syndicat des avocats de France 

Jose Ignacio Garcia Sanchez, député de l’Assemblée d’Andalousie Adelante Andalucia

Henry Garino, ancien vice-président de la région Languedoc-Roussillon

Thierry Garrel, producteur, documentariste

Ermengol Gassiot Balibé, Secrétaire Général de la CGT Catalunya

Franck Gaudichaud, politiste, université Jean-Jaurès Toulouse

François Gèze, éditeur

Denis Gheerbrant, cinéaste

Sylvain George, cinéaste

Liliane Giraudon, auteure

Jean-Marie Gleize, écrivain 

Noël Godin, écrivain et entarteur

Dominique Grange, chanteuse engagée

Alain Guenoche, mathématicien 

Laure Guillot, cinéaste 

Alain Guiraudie, cinéaste

Thierry Guitard, auteur-illustrateur et cuisinier 

Éric Hazan, éditeur 

Charles Hoareau, président ANC

Chantal Jaquet, philosophe

Manuel Joseph, écrivain 

Alain Jugnon, philosophe

Pau Juvilla Ballester, Secrétaire Permanent de la CUP Catalunya 

Leslie Kaplan, écrivain 

Jacques Kebadian, cinéaste 

Razmig Keucheyan, sociologue

Jean Kehayan, écrivain 

Pierre Khalfa, économiste, fondation Copernic

Michel Kokoreff, universitaire, Paris 8

Stathis Kouvélakis, philosophe 

Hubert Krivine, astrophysicien 

Thomas Lacoste, réalisateur, producteur, éditeur

Joël Laillier, sociologue

Mathilde Larrère, historienne 

Véronique Lamy, porte-parole nationale du PCOF

Pierre Laurent, sénateur PCF 

Stephane Lavignotte, pasteur et théologien protestant

Sylvain Lazarus, chercheur, anthropologue

Denise Le Dantec, écrivaine

Noémi Lefebvre, auteure

Olivier Le Cour Grandmaison, universitaire

Jean-Marc Lévy-Leblond, physicien

Pierre Linguanotto, cinéaste 

Sergi Lopez, acteur 

Marius Loris, poète, historien

Frédéric Lordon, philosophe 

Michaël Lowy, sociologue

Sandra Lucbert, auteure de littérature

Seloua Luste Boulbina, philosophe 

Christian Mahieux, syndicaliste cheminot retraité

Noël Mamère, journaliste, essayiste et homme politique 

Maguy Marin, chorégraphe

Myriam Martin, conseillère régionale Occitanie

François Marthouret, acteur

Olivier Mateu, secrétaire général UD CGT 13

Michel Mathieu, metteur en scène

Xavier Mathieu, comédien, ex-porte-parole CGT continental 

Alexandre Mathis, cinéaste 

Elli Meideiros, chanteuse 

Nathalie Ménigon, ancienne prisonnière politique d’Action directe 

Daniel Mermet, journaliste

Morgane Merteuil, militante féministe

Eleonore Merza Bronstein, anthropologue du politique 

Jean-Henri Meunier, cinéaste

Jacques-Henri Michot, écrivain

Ana Miranda Paz, députée européenne GUE-NGL

René Monzat, auteur 

Gérard Mordillat, écrivain

Fermin Muguruzza Chanteur et cinéaste

Chiara Mulas, Art Action

Olivier Neveux, enseignant-chercheur

Bernard Noël, poète

Nico Norrito, éditeur, éditions Libertalia 

Joan Josep Nuet, député Espagne ERC soberanistes

Océan, auteur réalisateur

OCL, Organisation communiste libertaire (revueCourant alternatif) 

Jean Ortiz, écrivain, maître de conférence, cinéaste 

Yves Pagès, écrivain

Aline Pailler, journaliste et ex-députéeeuropéenne

Ugo Palheta, directeur de publication de la revue en ligne Contretemps

Willy Pelletier, sociologue

Henri Pena-Ruiz, philosophe

Charles Pennequin, auteur 

Gilles Perrault, écrivain 

Mireille Perrier, actrice, metteure en scène 

Evelyne Perrin, autrice, sociologue 

Serge Pey, poète

Evelyne Pieillier, écrivain 

Philippe Pignarre, éditeur et auteur

Christine Poupin, Porte Parole du NPA 

Philippe Poutou, porte-parole du NPA 

Christian Prigent, auteur

Serge Quadruppani, auteur, traducteur 

Nathalie Quintane, auteure

Tancrède Ramonet, chanteur, réalisateur et producteur

Patrick Raynal, écrivain 

Nestor Rego, député de l’État Espagnol BNG

Serge Regourd, professeur de droit émérite.

Resistencia Indépendentista de Catalunya 

Carles Riera Albert, député de l’Assemblée de Catalunya CUP 

Mathieu Rigouste, sociologue militant 

Laurent Ripart, historien

Gaël Roblin, militant indépendantiste breton, conseiller municipal de Guingamp

Liliane Rovere, actrice

Saïdou (Sidi Wacho), rappeur 

Samidoun, organisation palestinienne de soutien aux prisonniers politiques 

Julien Salingue, docteur en sciences politiques 

Christine Salomon, anthropologue

Michel Samson, journaliste, écrivain, documentariste

Catherine Samary, économiste 

Natalia Sanchez Dipp, députée de l’Assemblée de Catalunya CUP

Oreste Scalzone, réfugié politique italien 

Raphaël Schneider, co-fondateur de Hors-Série

Secours rouge, Toulouse 

Jean-Christophe Sellin, conseiller régional Occitanie LFI

Michèle Sibony, enseignante, porte-parole UJFP

Catherine Sinet, journaliste

Maria Sirvent Escrig députée de l’Assemblée de Catalunya CUP

Eyal Sivan, cinéaste 

Omar Slaouti, Front uni des immigrations etquartiers populaires (FUIQP) 

Gérard Soulier, ancien maire adjoint de Colomiers

Pierre Stambul, docteur de l’université, Unionjuive française pour la paix

Alessandro Stella, directeur de recherche au CNRS

Didier Super (Olivier Haudegond), chanteur 

Michel Surya, auteur, philosophe, responsable de la revue Ligne

François Tanguy, metteur en scène

Tardi, dessinateur

Enzo Traverso, historien

Taoufiq Tahani, universitaire, ancien président de l’AFPS

Pierre Tevanian, philosophe, enseignant 

Julien Théry, historien

Miguel Urban Crespo, député européen GUE-NGL

VII, rappeur et écrivain 

Roseline Vachetta, ancienne députée européenne 

Mireia Vehi i Castenys, parlementaire Espagne CUP

Françoise Vergès, politologue et militante féministe décoloniale

Marie-Pierre Vieu, éditrice, ancienne députée européenne FDG

Arnaud Viviant, critique littéraire 

Christiane Vollaire, philosophe

Michel Warschawski, homme politique israélien, président du Centre d’information alternative de Jérusalem 

Wissam Xelka, journaliste 

Yannis Youlountas, réalisateur 

Olivia Zemor, journaliste retraitée

“Une envie de voyager librement…” par Camille*

Dès le milieu des années 70, Camille* milite dans la mouvance anarchiste et prend une part active aux luttes de terrain (anti-franquisme, antimilitarisme, insoumission, anti-nucléaire, droit à l’avortement, immigration, abolition de la peine de mort., contre les prisons et les lieux d’enfermement, Larzac, Plogoff…) puis au fil du temps squatts, autonomie, solidarité et accueil de réfugié·e·s de nombreux pays d’Amérique latine, ensuite Italien·ne·s, Allemand·e·s des «années de plomb», Turc·que·s, Kurdes… En 81, elle participe à nombre d’actions pour arracher la libération des prisonniers politiques.

Au long de toutes ces années, elle va rencontrer puis se lier avec certain·e·s qui formeront ensuite Action Directe. Un bout de route assez proche, des amitiés sincères, mais elle refuse de choisir l’option lutte armée.

En garde à vue à plusieurs reprises, elle se sera jamais inculpée et n’a pas de casier judiciaire.

En 86, son amour de l’époque décède après l’avoir sauvée sans le savoir. Intoxication au monoxyde de carbone.

Elle passe près de la folie et ses camarades organisent son départ au Canada pour lui redonner désir de vivre et de lutter. Ce qui réussit après plusieurs mois. Elle envisage alors de s’installer là-bas.

Elle rentre en France pour effectuer une demande d’immigration selon les règles légales, remplit un dossier. Elle renoue bien sûr avec ses ancien.ne.s ami .e.s, le milieu militant et attend cette réponse de l’ambassade du Canada qui prend des mois. Les militant·e·s d’AD sont arrêté·e·s à Vitry-aux-Loges. Les médias se déchaînent. Elle se laisse glisser doucement de nouveau, bataille contre des obstacles administratifs qui semblent sans fin.

Un jour, elle est contactée dans la rue par des policiers en civil qui lui proposent l’odieux marché habituel : elle donne, ils donnent : ce qu’ils pensent qu’elle peut savoir de militant·e·s encore mal connu·e·s contre son départ.

Elle tient tête au chantage, aux menaces.

Mais pour obtenir ces délais, cette attente forcée, les autorités françaises ont dû demander l’aide du gouvernement canadien, et celui-ci pense désormais que cette personne qui peut tant intéresser la police ne serait pas bienvenue dans la Belle Province si tranquille.

Et le Consulat l’informe alors après un xième rendez-vous qu’elle est déclarée persona non grata et n’obtiendra aucun visa pour s’établir au Canada et qu’il est même inutile qu’elle envisage un simple voyage touristique. Les frontières lui sont désormais fermées.

Après l’abattement, la colère et l’idée que sa petite personne puisse avoir une telle force lui redonnent le goût de vivre et de se battre. Et de nouveau, elle rejoint les luttes contre les injustices, les expulsions, les lieux d’enfermement…

Dix ans, puis vingt ans plus tard, elle tentera de retourner au Québec, craignant toujours d’être refoulée à l’entrée du pays, et les deux fois elle y parviendra suite à des hasards de contrôles aux frontières. Et elle a toujours gardé d’étroits contacts avec ce pays qui lui a comme sauvé la vie.

Aujourd’hui Camille a 63 ans. Envie de retourner voir le Québec en hiver, saluer les t’chums et prendre dans ses bras l’un des plus proches qui peine maintenant à prendre l’avion et l’une des plus chères qui veille son compagnon malade.

Depuis septembre 2016, un nouveau document est obligatoire pour se rendre au Canada: l’AVE (autorisation de voyage électronique).

Camille remplit le questionnaire. Le délai lui semble anormalement long. Puis un mel «Refus de la demande d’AVE». «Le dossier de votre demande est maintenant fermé». Le motif manque de précision mais quelle importance ?

Rien de grave dans toute cette histoire. Rien de comparable avec les parcours dramatiques de personnes migrantes qui fuient la mort et la misère sans nom et se heurteront à des frontières d’une manière autrement tragique. Des Palestinien.ne.s, chaque matin, se demande si ce jour-là ils passeront la frontière. Chaque jour, des milliers de personnes se voient refuser l’entrée de dizaines de pays simplement PARCE QUE. Pas le bon papier, pas la bonne origine, pas la bonne religion, pas …

Rien de commun dans ces histoires que la mainmise absolue des États sur la libre circulation des personnes.

Camille se demande juste si ce refus est l’œuvre d’un sombre crétin dans un obscur bureau qui a abusé de son minuscule pouvoir ou si c’est l’obéissance à un État qui n’a rien de mieux à faire que de poursuivre une rancune vieille de 30 ans.

Camille refuse de déposer une réclamation, de contester la décision, de discuter avec des autorités qu’elle sait ennemies, représentatives d’un pouvoir détesté. Mais elle refuse aussi de taire cette histoire absurde, imbécile et ridicule.

 Camille*

* Le prénom a été modifié.

NE DITES PAS À MON PÈRE QUE JE SUIS UN REPENTI CONTUMAX, IL ME CROIT COMMUNISTE LIBERTAIRE…

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Dans un texte intitulé «Claude Guillon gagne son procès contre Jean-Marc Rouillan» [ça c’est du scoop, coco!], de courageux (geuses ?) anonymes me qualifient d’«ex-libertaire repenti» et prétendent que la justice « a suivi point par point [mes] instructions » dans le récent procès de Rouillan.

Si l’appareil judiciaire se souciait un tant soit peu de mon opinion, il y a longtemps qu’il « foutrait la paix à Jean-Marc Rouillan », comme je le suggérais en 2006. Et déjà en 2005 avec «Maintenant !», sous-titré «En quoi la libération des militant(e)s d’Action directe est une pressante nécessité».

Passons!

La réaction très énervée, et aussi très sotte, de mes courageux insulteurs — lesquels se flattent de m’avoir connu «quand [je] jouais les trublions de la mouvance libertaire» — à mon texte critique «Jean-Marc Rouillan doit se taire…», s’inscrit dans un débat « moral » vieux comme le mouvement révolutionnaire : peut-on critiquer un(e) militant(e) en délicatesse avec la justice.

Dans le cas de Jean-Marc Rouillan et des autres membres de l’ex-organisation Action directe, répondre « non » à cette question entraîne la conséquence suivante :

On ne pouvait pas critiquer Rouillan — et AD — avant qu’il ne se fasse arrêter.

On ne pouvait pas critiquer Rouillan après son arrestation et pendant son procès.

On ne pouvait pas critiquer Rouillan quand il était en prison, soit pendant plus de vingt ans.

On ne peut pas critiquer Rouillan aujourd’hui, attendu qu’il se met régulièrement par ses déclarations en danger d’y retourner.

Moralité : Impossible de critiquer Rouillan et Action directe. Hier, aujourd’hui et demain.

J’ai toujours considéré ce pseudo-ukase moraliste comme une plaisanterie grotesque dont il n’était et n’est pas question de tenir le moindre compte.

C’est d’ailleurs pour cette raison qu’en même temps que je protestais contre le traitement imposé aux détenu(e)s d’Action directe durant leur procès (attitude alors peu répandue, y compris chez les anarchistes), je publiais un texte violemment critique «Contre AD et contre l’État», que mes courageux insulteurs font mine de ne pas connaître.

C’est pourtant l’une des occasions demeurées dans les mémoires où j’ai «joué les trublions de la mouvance libertaire».

Si, comme mes insulteurs le prétendent ridiculement, j’étais « en procès » avec Jean-Marc Rouillan, alors on pourrait dire que je l’ai gagné depuis plus de trente ans.

En 2016, comme au début des années 1980, je m’arroge le droit — droit que je reconnais à tout militant révolutionnaire — de critiquer un autre militant pour ses positions publiques.

Il est vrai que mes anonymes contempteurs informent le monde, et moi à l’occasion, que je suis un «ex-libertaire repenti».

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Innocent — au sens « débile » — que je suis ! Je viens à peine de publier un recueil de textes intitulé Comment peut-on être anarchiste ? et je continue à me présenter comme un « écrivain anarchiste de langue française »…

Le malheur sur moi ! Ces anonymes collègues — et concurrents — en réquisitoires m’avaient donc jugé et condamné en mon absence.

Décidément, si l’anarchisme semble s’être beaucoup bureaucratisé depuis ma jeunesse, le secrétariat est toujours aussi mal tenu…

Pour quel(s) crime(s) ai-je été ainsi puni de bannissement par le conclave secret des anarchistes « hard » ? Eh bien, vous allez rire ! l’un de mes crimes est de me « retrouver aux côtés […] des héritiers de Daeninckx, auprès desquels [j’ai fait] repentance au point de les dépasser dans la chasse aux sorcières ».

Il n’y a pas une semaine, le pauv’ DD de Montreuil (André Dréan de son pseudo officiel), me reprochait lui, comme des anonymes sur Twitter, d’avoir critiqué Daeninckx en même temps que je revenais sur une phrase de Suicide, mode d’emploi.

Donc, suivez-moi bien: Pour les un(e)s, mon ralliement — où ? comment ? — au « Daeninckxisme » est un signe de mon repentir de trublion anarchiste ; pour les autres mon allergie persistante (je signe !) au même « Daeninckxisme » est le signe d’un négationnisme inavoué (et pour cause !).

On conviendra que ce « Code pénal libertaire », de surcroît imprimé nulle part, donne plutôt envie de sécher les audiences !

Et c’est comme ça qu’on se retrouve bêtement condamné par défaut, sans avocat, et sans le savoir…

Alors, oui, c’est un peu tiré par la calvitie, mais ça sert à mes procureurs à « justifier » que n’étant plus l’anarchiste que j’ai été — ah! jeunesse! — je n’ai plus aucune légitimité pour critiquer un militant révolutionnaire… Or si je n’ai plus de légitimité libertaire, c’est donc que je suis un auxiliaire de la justice bourgeoise. CQFD !

Histoire de filer la métaphore, ils insistent beaucoup, et très maladroitement les pauvres, sur le fait qu’au vu des critiques que j’adresse à Rouillan, non seulement j’aurais dû assister à son procès mais encore me porter partie civile contre lui… Ne pas l’avoir fait est selon eux une preuve de lâcheté !…

Franchement, je me demande ce que ces gens peuvent boire ou fumer avant de délirer de la sorte sur leurs claviers…

Je m’attends à lire bientôt que je suis la reine des poules mouillées pour n’avoir pas moi-même exécuté Rouillan d’une balle dans la tête…

Je me dois de révéler maintenant une information, dont je crains — tant pis! — qu’elle dépasse un peu l’entendement, format aquarium, de mes procureurs d’eau douce :

J’ai fait savoir à qui de droit et en temps utile, par l’intermédiaire de mon amie Hellyette Bess, que j’étais disposé à venir témoigner EN FAVEUR de Jean-Marc Rouillan, sur la base de mes positions rendues publiques au préalable, pour dire que sa condamnation et surtout sa remise sous les verrous serait absurde et d’aucune utilité, même symbolique, pour je ne sais quelle lutte «antiterroriste».

Certes, je n’ai pas été trop surpris qu’il ne soit pas donné suite à cette proposition.

Cependant et à tout hasard, j’affirme ici publiquement qu’elle demeure valide pour le procès en appel.

Je m’attarderai avant d’en terminer sur un point qui a particulièrement fâché mes accusateurs publics. Il s’agit de mon reproche à Rouillan de ne pas avoir consulté ses (ex)camarades d’AD avant de déclarer sur une radio, à propos de la tuerie du Bataclan, entre autres : « C’est technique. Nous aurions pu faire ça, nous aussi ; nous aurions pu faire les mêmes opérations ; c’est le but ; mais nous ne pouvions pas le faire parce que nous avions d’autres principes, une autre stratégie, une autre tactique. ».

Mes accusateurs commentent :

Ce crétin [coucou, c’est moi !], qui prétend tout savoir sur AD et son fonctionnement interne, et même si Jean-Marc a ou n’a pas « consulté ses camarades », n’a pas encore compris qu’AD n’existe plus depuis longtemps, ce qui prouve encore une fois que sa haine des non-repentis est le seul motif de ses saloperies.

Ainsi AD n’existerait plus ? En voilà une révélation, les gars !

Mais les gens dont vous parlez, et dont vous prétendez gratuitement (et à rebours de ce que j’ai écris ici-même : «Régis Schleicher, un homme libre !» ) que je les « hais », ils existent eux.

Et même, ils ont des problèmes de boulot, des problèmes de logement, des problèmes avec la justice, avec les flics… Et non, ils n’ont vraiment pas besoin qu’un ancien camarade, de surcroît désigné par la presse et la justice bourgeoises comme le chef de la bande, viennent vomir d’aussi ahurissants étrons sur eux et leur action passée.

Et si vous ne pouvez pas comprendre ça, camarades procureurs, vous aussi feriez bien de fermer vos gueules !

Au passage, touchez-en donc un mot à celles et ceux que vous pouvez croiser (je ne sais pas où vous habitez). Trouvez-en un ou une qui approuve la déclaration ci-dessus citée de Rouillan.

Un(e) seul(e) !

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Revenons à Rouillan et à votre curieuse manière de l’aider.

Jean-Marc Rouillan est donc passé en procès. Il a adopté comme ligne de défense, en gros : « Cette émission de radio, c’était n’importe quoi ; j’étais fatigué ; j’aurais dû partir ; je n’ai pas osé le faire ; d’ailleurs y’a pas une phrase une français. ».

Bref. La position actuelle de Jean-Marc Rouillan est que les propos que tout le monde a pu et peut écouter dans l’enregistrement de cette émission ne reflètent pas son point de vue.

Dont acte !

Cette ligne de défense n’a malheureusement pas dissuadé la dite « Justice » de le condamner à 8 mois de prison ferme. Il a fait appel et j’espère qu’il sera relaxé ou dispensé de peine (voir plus haut).

La pétition, dont je crois comprendre que mes accusateurs étaient signataires, relevait à mon sens d’une très mauvaise stratégie, précisément parce qu’elle s’abstenait de toute distance critique par rapport aux déclarations de Rouillan, ce qui était d’abord inadmissible moralement et politiquement, et surtout ce qui réduisait la défense à la thèse du complot des médias, irrecevable pour n’importe quel auditeur de bonne foi — militant ou non, magistrat ou non.

Autrement dit, au prétexte de ne pas avoir l’air de critiquer Rouillan (impératif pseudo-moral), je pense que cette pétition ne pouvait que l’enfoncer un peu plus.

Que se passe-t-il aujourd’hui ?

Au lieu de se contenter de s’aligner sur l’actuelle position de Rouillan — aucun de ses propos radiodiffusés ne reflète son opinion réelle —, et de croiser les doigts, mes anonymes procureurs reviennent — certes pour le plaisir gamin de polémiquer avec moi — sur des propos de Rouillan que j’ai épinglés, en réaffirmant qu’ils ont été déformés par les médias.

Il est bien possible que ces farouches anhardchistes espèrent vraiment rendre service à Jean-Marc Rouillan.

N’empêche, je serais lui, non seulement à l’avenir je refuserais les interviews, mais aussi les pétitions et les textes de soutien…

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Post scriptum

Pour les lectrices et lecteurs intéressé(e)s par la question de la violence révolutionnaire, et que l’on aurait convaincu(e)s que je dois être un non-violent par principe, je renvoie, sur ce même blogue à «Si vis pacem kalachnikov».

Jean-Marc ROUILLAN doit se taire, non parce que l’État le lui impose, mais parce que les énormités qui sortent de sa bouche nuisent à la cause qu’il prétend défendre, et à lui-même accessoirement [ce titre est long parce qu’il est mesuré !]

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À l’heure où je publie ce texte, environ 750 personnes ont signé en ligne une pétition de soutien à Jean-Marc Rouillan, à la suite des poursuites engagées contre lui pour « apologie du terrorisme », après la diffusion d’une émission sur Radio Grenouille (Marseille), enregistrée le 23 février dernier.

On peut réécouter l’intégralité (58 mn) de l’émission ici.

Les animateurs s’expliquent sur les raisons de leur invitation ici

La lecture des commentaires est éclairantes. Certain(e)s signent pour la « liberté d’expression », d’autres pour s’opposer à une éventuelle réincarcération de Rouillan.

Que dit ce texte et de quoi parle-t-il ?

C’est donc une liste sans fin [on vient de donner des extraits de presse] de dénaturation des positions de notre courant politique qui Oui ! est farouchement opposé à l’islamophobie, Oui ! est convaincu que les guerres néocoloniales ne sont pas une solution, Oui ! Condamne fermement l’état d’urgence et la perte de libertés qui en découle…

Aujourd’hui, c’est au tour de notre camarade Jean Marc Rouillan de faire les frais de cette campagne qui n’a pas de nom… Propos déformés, sortis de leur contexte, ministres se pressant devant les caméras pour exiger qu’on renferme l’animal… Pathétique spectacle de détournement d’attention à la veille d’une mobilisation puissante contre la destruction du code du travail, au sein de laquelle l’extrême gauche porte les arguments les plus dévastateurs…

J’ai dit ici quelles sont les critiques que j’ai à opposer au concept d’« islamophobie » et à son usage confus et confusionniste. Admettons pour l’instant, et pour faciliter la discussion, qu’il désigne des formes de racisme anti-arabe, nouvelles ou anciennes. Je puis donc, quoique sans illusion, partager les trois « oui ! » du texte de pétition.

Cependant, demeure un inconvénient majeur : la pétition ne cite aucun des propos reprochés à Rouillan, dont on nous dit simplement qu’ils sont « déformés, sortis de leur contexte ».

Passons sur le fait que je suis favorable, et depuis plus longtemps que beaucoup de ces pétitionnaires, à ce que l’on « foute la paix à Jean-Marc Rouillan[1] ». Ce qui signifie que je m’oppose à toute poursuite à son encontre, sur la base des âneries qu’il a proférées, et évidemment à sa réincarcération.

Cela ne signifie nullement que je me sente, moi qui ne suis ni journaliste ni ministre, tenu de « foutre la paix à Jean-Marc Rouillan », au sens où je devrais — et pour quelle raison ? son âge ? nous avons le même ; ses années de prison ? ça n’est pas une excuse pour déconner — m’abstenir de critiquer des propos politiques publiquement tenus par lui.

Je vais donc expliquer ici, en quoi j’estime que certains propos de Rouillan — sans les déformer ni les sortir de leur contexte — sont inacceptables et doivent être politiquement condamnés avec la plus grande clarté et la plus grande fermeté.

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Première salve.

Dans une longue discussion à bâtons rompus, en direct, riche en phrases banales — mais aussi en propos pertinents — où il est question en vrac des tueries de 2015 à Charlie Hebdo, à l’Hyper cacher, au Bataclan et aux terrasses de bistros, Rouillan refuse de condamner les assassins. Pourquoi ? On croit (on espère !) comprendre dans la discussion que c’est parce qu’il condamne aussi l’État français et ses actions militaires.

Autrement dit — et l’on espère, je le répète, ne pas se tromper — la position de Rouillan pourrait se résumer à peu près dans une phrase, assez simple, du genre :

« Je pense [moi, Rouillan] que l’on ne peut valablement [légitimement] condamner les tueries évoquées, que si l’on condamne aussi celles que provoquent les bombardements des avions militaires français, en Syrie par exemple. »

Ce type de phrase, Rouillan est malheureusement incapable, non pas de la prononcer, mais même de la concevoir, de la penser. Au lieu de cela, il dit : « Moi, je suis neutre. Ça ne me concerne pas. » Il le répète plusieurs fois durant l’émission (9 mn 50 ; 11 mn 39 ; 12 mn 16 ; 17 mn 32).

« Neutre » ! Évoque la Croix rouge (mais sans trousse de secours) et le chocolat suisse. Le tout au milieu des cadavres de Charlie et des trottoirs parisiens… Au minimum, je dis bien au minimum, c’est une colossale maladresse. Le genre d’énorme connerie qui te fait chasser de ton organisation politique et interdire de tribune jusqu’au siècle suivant. Mais Rouillan, quoique stalinien, n’est plus membre d’aucune organisation, depuis qu’il a fait la grâce au NPA de le quitter.

Donc Rouillan refuse de choisir entre les assassins. Comme l’écrit à propos de Jean Genet Houria Bouteldja, il y a là « comme une esthétique ». Ou peut-être une éthique.

Seulement voilà… Rouillan choisit bel et bien. Contrairement à ce qu’il veut nous faire croire (et à ce que veulent, peut-être, croire les pétitionnaires).

Il choisit, Rouillan. Parce qu’il trouve très lâche (et en effet !) de bombarder depuis un avion, mais, en revanche (et c’est bien de ça qu’il s’agit), les islamistes assassins de caricaturistes, de juifs, de juives, de buveurs et de buveuses de bière en terrasse, il les trouve « très courageux ».

 Moi, je les ai trouvé très courageux en fait, ils se sont battus très courageusement ; il se battent dans les rues de Paris, ils savent qu’il y a deux ou trois mille flics autour d’eux […]. Souvent ils ne préparent même pas leur sortie.[…]. Les frères Kouachi, quand ils étaient dans l’imprimerie, ils se sont battus jusqu’à la dernière cartouche. On peut dire qu’on est contre leurs idées […] on peut dire que c’était idiot de faire ça… (49 mn 30)

Ici, trois remarques.

La première, déjà formulée à plusieurs reprises ici-même, mais je continuerai tant qu’il se trouvera des ahuri(e)s pour prétendre le contraire : le courage physique n’est pas, n’a jamais été, ne sera jamais suffisant pour me faire trouver admirable, un crétin, un salaud ou un assassin quelconque. Les nazis français qui allaient combattre le « bolchevisme » sur le front de l’Est pendant la deuxième guerre mondiale faisaient indiscutablement preuve de courage physique. Et alors ? Et alors, rien.

Malheureusement, certain(e)s ahuri(e)s ci-dessus évoqué(e)s trouvent, et même disent que « c’est pas pareil ! »

Or, ce « c’est pas pareil ! » ouvre sur des abîmes de crétinerie politique et de saloperie morale[2]. À cet instant précis, je ne parle plus de Rouillan (pas de ces déclarations à Radio Grenouille, au moins). Au fond de ces abîmes, on distingue des lambeaux de « discrimination positive » ; autrement dit, pense le crétin, un jeune arabe de nos banlieues est moins coupable de tuer des filles en minijupe à la terrasse d’un café que le tireur du bombardier d’écraser des filles en tchador. Le crétin ne sait pas (c’est à ça aussi qu’on le reconnaît) que l’armée emploie même des assassins « issus de la diversité », comme on dit sottement. Les flics noirs et arabes, il ne les voit pas. Il pense que les jeunes arabes ont un destin de révoltés — pour venger les guerres coloniales — et que bon, c’est un peu ballot d’avoir flingué n’importe qui, mais bon… Et d’ailleurs (je ne parle toujours pas de Rouillan), étaient-ils/elles bien des « n’importe qui » ces clients du Bataclan ?

On a quand même beaucoup entendu dire, dans « notre courant politique » (je reprends de confiance l’expression de la pétition) que, quand même ! fréquenter un établissement où avaient été donnés des galas en faveur de l’armée israélienne, c’est sinon un crime, au moins une imprudence. Si ! si ! Ça c’est beaucoup dit, chez les inorganisés, mais pas seulement. C’est une « opinion » qui a du être combattue dans des organisations d’extrême gauche, et non sans mal.

Et d’ailleurs, moi, qu’est-ce que j’ai à dire pour réfuter cette « opinion » — je veux dire : à part qu’elle me donne une immédiate et violente envie de gerber sur qui l’exprime. Eh bien je dirai que le pourcentage du public du concert visé au Bataclan, qui connaissait le fait évoqué plus haut, doit être encore inférieur au pourcentage des pétitionnaires qui se manifestent pour Rouillan en ayant pris la peine et la précaution d’écouter l’intégralité de l’émission de radio en cause.

D’ailleurs, la notion de responsabilité collective est parfaitement répugnante. Et précisément, sous une forme ou une autre, elle est commune aux assassins du Bataclan et aux largueurs de bombes des avions français.

Quant à l’étendre, cette pseudo-responsabilité, aux consommateurs et consommatrices des terrasses, le plus crétin des tarés n’a aucun moyen (lui-même alcoolique qu’il est, le plus souvent) de la rendre légitime. Il essaye seulement de mégoter « moralement », si j’ose dire, sur le nombre des cadavres.

Seconde remarque. Elle est également navrante cette admiration automatique et virile (à moins que…) pour qui brandit une arme de guerre, même alors que des milliers de flics quadrillent Paris. Rouillan dissocie les gestes et les responsabilités des assassins : celui qui est retranché face à des forces de police, n’est plus celui qui vient de tuer un dessinateur désarmé, dans le bureau d’un journal satirique. Ça n’est pas une analyse politique, nécessairement globale, ce sont des érections idéologiques, des bouffées d’identification narcissique.

Vous pensez que j’exagère ? Hélas, pas le moins du monde. Rouillan lui-même va s’en expliquer. Laissez-moi formuler d’abord ma troisième remarque.

Elle concerne les « idées » des assassins islamistes.

Je ne sais pas si je dirais que ces gens ont des « idées ». Une idéologie, certainement. Toute neuve, à base de morceaux de Coran mal digérés, mal ou pas appris, façon Reader digest. Et certainement aussi de la révolte devant les humiliations subies, par eux et par leurs parents, du ressentiment, et de la frustration (sexuelle, oui, mais pas seulement : sociale aussi). Mais des idées, des opinions en somme, aussi respectables que d’autres, mais que l’on « pourrait » ne pas partager… Non ! Le djihadisme n’est pas une idée, pas plus que le racisme n’est une opinion.

Je reviens à la déclaration qui établit, hélas ! qu’il n’y a dans mon analyse aucune « exagération ». Quand on demande à Rouillan pourquoi il semble si réticent à « condamner » les tueries et leurs auteurs, ils se réfère à son expérience de pratiquant de la lutte armée. Soulignons qu’il se réfère ici à Action directe sans avoir évidemment consulté ses camarades, ce qui donne une idée, pour les naïfs et les naïves qui ne se s’en seraient pas fait une, de la manière « démocratique » dont se prenaient les décisions à AD. C’est-à-dire sans se préoccuper du tort que cela pouvait causer aux autres (en liberté ou en taule).

Comme l’animateur (bien bon, l’animateur !) lui fait remarquer que tout de même, AD c’était autre chose, avec un idéal émancipateur, etc. Rouillan répond sur la différence entre les actions d’AD et celles des tueurs de Daech :

C’est technique. Nous aurions pu faire ça, nous aussi ; nous aurions pu faire les mêmes opérations ; c’est le but ; mais nous ne pouvions pas le faire parce que nous avions d’autres principes, une autre stratégie, une autre tactique.

Jean-Luc Godard explique quelque part que sur le tournage d’un film, un travelling est une question de morale. Jean-Marc Rouillan nous explique qu’éliminer un général ou le public d’un concert, c’est une question de technique.

Je ne suis pas assez compétent pour décider si la remarque de Godard est pertinente. Je vois bien en quoi celle de Rouillan est d’une toxicité catastrophique pour le camp révolutionnaire.

Notez bien que Rouillan ne s’abstient pas de toute critique à l’égard des tueurs de Daech, qu’il refuse néanmoins de condamner moralement et politiquement : il les traite d’ « impies », parce qu’ils auraient outrepassé je ne sais plus quelle prescription coranique (il y a des moments où l’accablement m’a un peu distrait, je dois dire).

En somme, comme il refuse (ce que j’approuve) de se placer du même point de vue que l’État, et qu’il est par ailleurs incapable d’élaborer un point de vue moral et politique propre, Rouillan tente de se situer à l’intérieur du raisonnement (?), de la stratégie (?), du camp (?) de Daech. …Même si « toute théocratie est un régime ennemi » et qu’il considère Daech comme État. Dommage que dans cette phrase, le premier exemple qui lui vienne à l’esprit soit, non pas Daech, dont on parle, mais Israël… (« Que ce soit Israël ou un autre »).

Rouillan espère, semble-t-il, que le dialogue est encore possible avec Daech ou bien des gens qui veulent le rejoindre, on ne sait pas… Du coup, il se met en avant comme intermédiaire possible : quelques minutes après son « aveu » qu’au hasard de la vie, il aurait aussi bien pu flinguer des buveurs d’apéritif, il affirme

Il y a des mouvements, comme le Hezbollah, qui pensent que je suis quelqu’un de bien intentionné.

Rouillan se propose là — je ne sais pas si l’on a bien pris bien la mesure de son dévouement — rien moins que de nous sauver. En effet, comme il le souligne justement, il ne manque pas de fanatiques (le mot est de moi), armés de mitraillettes, qui pensent que nous ne sommes pas beaucoup à mériter de l’être, sauvé(e)s, en occident. Rouillan se propose, si je comprends bien, de leur dire quelques mots entre notre faveur.

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Par pitié, Jean-Marc, au nom de tout ce qui ne nous est pas sacré ! Au nom de notre vieille inimitié — politique ; nous ne nous connaissons pas —, ne te crois l’avocat de personne ! Ne plaide aucune cause ! Laisse tomber la diplomatie, tu n’as aucune disposition !

Cela dit, qui devait l’être, voilà ce que je veux ajouter :

Jean-Marc Rouillan, tu as besoin de murir longuement chaque phrase : allons tant mieux ! Tu es meilleur à l’écrit qu’à l’oral : ça tombe à merveille : tu écris des livres. Tu ne voudrais pas être contre-ténor à l’opéra, aussi ? Tu sais parfaitement ce qu’il faut penser des journalistes bourgeois : tiens t’en éloigné ! Tes problèmes identitaires — qui n’en a pas ! — fais-en des romans, ou réserve-les à un(e) psy : il n’y a pas de honte !

Bref, par pitié, pour toi et pour les autres : FER-ME-LA !

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[1] Voir sur ce blogue le texte portant ce titre.

[2] Et inversement : de crétinerie morale et de saloperie politique.

Cartographie de l’anarchisme expliquée à mon père (mars 2014)

La maison d’édition canadienne et francophone LUX a entrepris la publication de petits livres de vulgarisation sur l’anarchisme, ce qui est une heureuse initiative qui mérite d’être saluée (pardon pour le cliché).

J’en ai lu deux que je vais évoquer en commençant par le dernier consulté. Celles et ceux qui me lisent depuis longtemps savent que je suis un piètre chroniqueur de livres, au sens où le plus souvent — sauf quand il s’agit de signaler une petite merveille comme Dernier chapitre de Gérard Lambert-Ullmann — j’ai tendance à prendre prétexte de la recension de tel livre pour aborder l’un des thèmes dont il traite, voire pour chicaner l’auteur sur un détail qui occupe un trois cent soixante-douzième de l’ouvrage. Autant vous le dire tout de suite, ça n’est pas moi qui vais changer…

J’ai pourtant fait un effort en rendant compte sur mon blog La Révolution et nous d’un autre livre publié par LUX, précisément écrit par l’un des auteurs du livre dont je vais parler, Francis Dupuis-Déri, à propos du concept de démocratie. Là je sens que mon effort se relâche ; l’âge, sans doute…

anarchie-explique-siteOr donc, Dupuis-Déri publie avec son père Thomas Déri, un livre intitulé L’Anarchie expliquée à mon père. Voilà qui nous change agréablement des sempiternels « …expliqué à ma fille », même si l’effet aurait été mieux ajusté avec une petite présentation pleine d’esprit. Là non, ça commence sec et rêche : « Comme disait déjà Bernard de Chartres au XIIe siècle ».

Le parti pris du dialogue fils-père est plutôt astucieux, même s’il aurait mérité un peu plus de légèreté dans l’exécution. Il s’agit de faire « passer » le maximum de références, de noms et de citations sans avoir l’air de les asséner aux lectrices et lecteurs.

Certes, mais c’est la loi du genre, chaque lectrice ou lecteur un tant soit peu féru(e) d’anarchisme aurait souhaité tel exemple plutôt que tel autre, omis tel penseur, pour mieux mettre tel autre en valeur, etc.

Tel quel, je ne doute pas que le bouquin, d’ailleurs d’une modestie sympathique, puisse éclairer et fournir en pistes de réflexions et de lectures un lectorat curieux.

Ça se gâte !

Page 34, Dupuis-Déri évoque l’anarchisme « officiel », celui qui se revendique comme tel (si j’ai bien compris). À propos de la France, il écrit :

« En France, il est porté par la Fédération anarchiste (FA), dont la première mouture a été fondée au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Elle dispose d’un journal, Le Monde libertaire, d’une librairie à Paris et d’une radio. D’autres organisations existent, comme Alternative libertaire (AL), sans compter les dizaines de collectifs autonomes ou le réseau des squats. »

La première affirmation — selon laquelle l’anarchisme serait en France « porté » par la FA — est ridicule. Il ne suffit pas de mentionner les « dizaines de collectifs autonomes », il faudrait préciser que le total de leurs membres est supérieur au 500 adhérent(e)s — et non pas nécessairement militant(e)s — de la FA. Accessoirement, tant qu’à citer AL, l’auteur pourrait aussi citer l’Organisation communiste libertaire (ou bien ça se sait jusqu’à Québec qu’ils acceptent des patrons lock-outers ?).

Mais l’essentiel n’est pas là. C’est dans une omission monumentale que réside la malhonnêteté de cette description. Pour Dupuis-Déri, littéralement, la Confédération nationale du travail (CNT) n’existe pas ! Or si une organisation a « porté » et pour mieux dire incarné le renouveau de l’anarchisme depuis l’an 2000, c’est évidemment la CNT (et pas du tout la FA, souvent incapable, lors des mouvements sociaux d’importance ces quinze dernières années de trouver un(e) vendeur/deuse pour diffuser le ML dans des manifs de 100 000 personnes). Dupuis-Déri ne peut évidemment ignorer l’existence de la CNT, même s’il peut en sous-estimer l’importance (signalons au passage que le nombre des adhérents de la CNT est entre 4 et 7 fois supérieur à celui des adhérents FA). Il a donc choisi de mentir par omission. Certes, on peut arguer du fait que la CNT est un syndicat anarcho-syndicaliste et non une organisation « spécifique », on peut même défendre un point de vue anti-syndicaliste, ce qui ne me choque nullement. On ne peut juste pas faire ce que Dupuis-Déri a choisi de faire. Le prenant en aussi flagrant délit de mensonge sur un point précis, je me demande ce qu’il en est du reste, sur des faits et des auteurs dont j’ignore tout. C’est l’inconvénient d’être malhonnête… Ça n’incite pas à la confiance.

Une remarque sur le fond, et avant de revenir sur les merveilleux jouets dont « dispose » la FA parisienne : le livre donne, une fois mis de côté l’omission scandaleuse sus-citée, une idée absolument bordélique de l’anarchisme. En partie justifiée, hélas. Ce serait un travail de longue haleine d’examiner la question de savoir si c’est bien cela le « mouvement anarchiste ». L’Auberge espagnole (sans la CNT ! ce qui est un peu fort). Ainsi rencontre-t-on à la page 188 la notation suivante :

« D’autres anarchistes, mais c’est plus rare, proposent l’asexualité, c’est-à-dire l’abstinence, pour ne pas dominer (pour un homme) ni être dominée (pour une femme). »

Vous imaginez la même phrase à propos de n’importe quelle autre tendance du mouvement ouvrier révolutionnaire ?

« D’autres trotskistes, certes minoritaires, ont carrément arrêté de niquer. “Je ne leur propose plus rien, nous déclare l’un d’eux, et elle me foutent la paix !” »

Non, hein ! Eh bien avec les anarchistes, ça passe. On les voit, ces malheureux(ses) « proposer » l’abstinence, c’est-à-dire notez le bien proposer une abstention, un non-agir (des anarcho-boudhistes ?).

Une tendance, rare d’accord, mais tout le monde a le droit de ne pas vivre, et l’addition de tous ces fêlé(e)s… eh bien papa, c’est l’anarchie !

Ayons une pensée émue pour le pauvre Sébastien Faure, partisan de la « synthèse » (dont s’inspire en principe la FA) entre individualistes, anarcho-syndicalistes et communistes libertaires (la « synthèse » étant en réalité une pénible cohabitation). Les anarchaféministes, on comprend ! Quelques chrétiens tolstoïens, passe encore ! Des naturistes vegan, OK ! Mais les j’nique-plus-j’m’en-vante, où voulez-vous les mettre ? (Euh, non chèr(e)s camarades, c’est un malentendu, personne n’avait l’intention…).

Ah ! une coquille à corriger si le livre connaît un retirage : p. 75, la DCRI n’est pas obsédée par une mouvance « anarcho-autonomiste » façon bretonnante, mais « anarcho-autonome ». Il y a sur ce blogue quelques bons textes à lire sur cette chimère.

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J’ai annoncé que j’allais revenir sur l’un des merveilleux outils dont « dispose » la FA, on va voir pour quoi faire, je veux parler du Monde libertaire. Un correspondant m’envoie un supplément gratuit (n° 48) au numéro 1732 de ce quinzomadaire, daté du 27 février 2014. Au milieu de contributions plus ou moins anodines ou même sympathiques, je relève les prestations remarquables de deux crétins. Le premier signe à la une un articulet qui cherche laborieusement à moquer J.-L. Mélenchon pour avoir viré un candidat de son parti, coupable d’avoir publiquement trinqué avec Yves Guéna. Le personnage sévit jadis au cabinet du premier ministre Michel Debré, fut plusieurs fois ministre du général de Gaulle, notamment de l’Information, puis des Postes et Télécommunications, chargé par Pompidou de mettre au pas les radios périphériques trop indépendantes du pouvoir en mai 1968. Bref une belle carrière d’ordure d’État. Sa description dans le Monde libertaire, quinzomadaire de la Fédération anarchiste :

« Yves Guéna, une personnalité respectée par tous à Périgueux, gaulliste, résistant, ancien président du Conseil Constitutionnel, nonagénaire. »

Page 5, maintenant, un galimatias[1] sans titre possible à distinguer, à propos de la censure d’un spectacle du triste Dieudonné, dont il nous est dit, sans rire semble-t-il, qu’il est « accusé d’antisémitisme ». « Accusé », tandis que M. Valls est « spécialiste du racisme anti-immigrés en général et anti-Roms en particulier ». Si M. Valls est tout cela, c’est donc, sous-entend le crétin, que Dieudonné est innocent. Le galimatias se clôt sur un clin d’œil complice à l’intention des ahuris qui croient défier un « système » en reproduisant le signe de ralliement des dieudonnistes, la « quenelle ».

Tout ça est minable, à gerber. Ça n’est pas la première fois, et ça n’est pas la dernière (vive la « synthèse » !).

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Ajout 1. (11 mars [mon papier a été mis en ligne le 9 mars 2014]). Un certain nombre de militant(e)s de la FA ayant refusé de diffuser le « gratuit » évoqué ci-dessus, en raison semble-t-il du seul article signé « Michel », les exemplaires ont été pilonnés. Les deux crétins, non.

Ajout 2. (15 mars). La FA a officialisé sa position par un communiqué dont je tire cet extrait : « Il s’agit bien évidemment d’une erreur, la personne ayant écrit cet article ne fait pas partie de notre organisation et ne représente pas davantage notre position politique. Nous allons rechercher collectivement la source de ce dysfonctionnement. »

Bonne chance !

Pas un mot sur l’éloge de Guéna. Il est vrai que son auteur est bien membre de la FA, lui.

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[1] Dont on peut lire une critique méritoire sur le blogue de Floréal.

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En voilà assez, changeons-nous les idées avec le second livre de cette chronique : Cartographie de l’anarchisme révolutionnaire, de Michael Schmidt.

couv-cartographie-siteL’auteur tient une gageure de même dimension que celle des Déri, résumer en moins de deux cent pages l’histoire d’un mouvement. Cependant, notez l’adjectif « révolutionnaire » dans le titre ! Si les anarchistes dont il est ici question sont abstinents, du cul ou de la bouteille, ils n’en font pas le ressort de leur action. C’est reposant.

Schmidt adopte, pour réécrire l’histoire de l’anarchisme la métaphore des « vagues » successives, la première vague de 1868 à 1894, la cinquième de 1990 à nos jours. Je ne suis pas complètement convaincu de la pertinence de cette métaphore, devenue un lieu commun à propos du féminisme par exemple, mais reconnaissons qu’elle permet de situer des périodes historiques sans être obligé de s’en justifier de manière trop rigoureuse.

On peut faire la même remarque à propos de ce livre qu’à propos du précédent : la nécessité de la concision entraîne des choix, par nature discutables. Mais l’ensemble est tenu et cohérent.

De plus, le choix de déplacer le regard, depuis l’Europe occidentale vers d’autres régions de la planète, Amérique latine, Antilles, Asie, Afrique, etc. est assez rare pour être signalé. Les pistes vers des documents en ligne sont nombreuses et permettent de prolonger utilement la lecture.

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Capture d’écran 2014-11-09 à 10.52.38  Thomas Déri & Francis Dupuis-Déri, L’Anarchie expliquée à mon père, 240 p., 10 €.

Capture d’écran 2014-11-09 à 10.52.38  Michael Schmidt, Cartographie de l’anarchisme révolutionnaire, 187 p., 14 €.

Foutez la paix à Jean-Marc Rouillan ! (2006)

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Comment peut-on être assez niais pour se prétendre militant révolutionnaire et accorder un entretien politique au journal L’Express ? Comment peut-on être Rouillan ?

Si encore le pauvre garçon avait cru, je ne sais pas moi, que Philippe Val est toujours un chanteur anarchisant et Charlie hebdo une feuille contestataire… on se serait dit, en hochant la tête tristement : « Sûr qu’il a pas mal de choses à remettre à jour après vingt années d’incarcération !… » Mais L’Express ! Un journal de droite pour cadres, qui a toujours été un journal de droite pour cadres…

En quoi l’opinion des lecteurs de L’Express sur ses idées politiques peut-elle paraître présenter un intérêt aux yeux de Rouillan ? Mystère insondable de l’âme humaine.

Que dit Rouillan à L’Express ? Rien, évidemment. Rien qui présente le moindre intérêt. Si L’Express publiait des articles lisibles, ça se saurait, et si on se souciait de l’opinion de Rouillan sur la marche du monde, on aurait pris des dispositions depuis vingt ans pour lui permettre de l’exprimer. Lire la suite

Régis Schleicher, un homme libre ! (2005)

Régis Schleicher, militant de l’organisation Action directe passait en jugement en novembre et décembre 2005 pour une tentative d’évasion de la centrale de Moulins en 2003, c’est ce que rappellait le quotidien Libération (22-23 octobre 2005) qui publiait un entretien avec lui dont sont extraits les passages suivants [Schleicher obtenait, fin août 2009, un régime de semi-liberté] : Lire la suite

MAINTENANT ! (2005)

En quoi la libération des militant(e)s d’Action directe est une pressante nécessité

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La chambre d’application des peines de Douai a refusé, le 14 septembre 2005, pour la énième fois, la libération conditionnelle de Nathalie Ménigon[1].

On sait que l’état de santé de cette militante, qui a subi deux accidents vasculaires cérébraux, est très précaire, notamment du fait de sa détention. On sait que la prison détruit et qu’elle ne soigne pas celles et ceux dont elle a détruit la santé. De ce point de vue, la prison est un mensonge obscène sur la possibilité d’un « châtiment » qui se « limiterait » à la privation de liberté.

Ceci rappelé, disons que le présent texte ne se fixe pas pour tâche de ressasser les motifs d’ordre humanitaire ou idéologiques qui justifieraient la libération des ancien(ne)s militant(e)s d’Action directe. Ces motifs sont bien connus et d’ailleurs reconnus par un nombre croissant de personnes qui ne partagent aucun des objectifs d’Action directe ou qui partagent certains d’entre eux (« révolution », « communisme ») en désapprouvant l’assassinat politique comme moyen d’action, soit pour des raisons philosophiques, soit pour des raisons tactiques, soit les deux à la fois.

Au-delà d’une élémentaire opposition au traitement que l’on inflige à ces détenu(e)s « au nom de la société », le présent texte veut attirer l’attention sur le fait que leur libération ne présenterait que des avantages, y compris — à rebours des « inquiétudes » gouvernementales —celui de prévenir les réactions désespérées que ne manquerait pas de susciter le décès en prison de l’un(e) d’entre eux. Lire la suite

LE TEMPS DE VIVRE (2004)

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Par l’aigri, par l’amer, par le sucré,

L’expérience, le fruit présent, l’espoir

Me menacent, m’affligent, m’apaisent

 Giordano Bruno

Notre temps n’est pas le leur.

Leur temps est celui de la faute, de l’aveu, du châtiment ou du repentir : c’est le temps des prêtres et des geôliers. C’est un temps d’oubli, un temps sans histoire, un temps de registres morts.

Un jour ils viennent vous chercher ; ils vous entravent les mains ; ils disent que vous devez embarquer dans une machine à remonter le temps. Ils font comme s’ils pouvaient vous transporter tel[le] que vous êtes aujourd’hui dans un temps de vingt-cinq ans en arrière ; comme si vous étiez pareil[le], inchangé[e], transposable, décalquable, démontable et remontable…

Il n’existe pas de mots pour dire ce qu’ils croient qu’ils peuvent faire de vous.

À chaque fois qu’ils se servent du mot « espace », c’est pour réduire l’espace réel. Ils disent « espace de Shengen » et ils construisent une nasse. Ils disent « espaces de libre expression » pour annoncer que l’expression sera réglementée. Ils veulent que le monde entier ressemble à un hall d’aéroport ; zone duty-free pour les riches, zone de rétention pour les pauvres.

Et la même « justice », partout. Pas pour tous ! Non ! Partout : deux poids, deux mesures. De toute façon, ce sont eux qui ont construit les instruments de mesure : codes, chronomètres, sondages.

Ça n’est pas difficile à comprendre. L’Europe par exemple ; c’est un espace qu’ils construisent (qu’ils réduisent, donc) ; ils le mesurent avec leurs instruments (ceux qu’ils ont construits). Donc, plus il y a de pays en Europe et moins il y a d’étrangers dans le monde qui peuvent demander l’asile, par exemple à la France. Donc, plus l’Europe est grande, moins il y a d’asile possible dans le monde. Comme cela vise les pauvres, les militants et les artistes, cela s’appelle une harmonisation.

Ils ont décidé le « mandat d’arrêt européen ». C’est un instrument avec lequel ils pourront arrêter le temps et réduire l’espace des pauvres, des militants et des artistes sans asile partout dans l’espace qu’ils calculent. C’est une machine nouvelle qui demande quelques réglages. On y procède en usant d’exilé[e]s qu’on avait mis de côté dans un coin de l’espace. Comme un vieux chiffon ; ça n’est pas joli mais ça peut servir. Ils ont utilisé, sans anicroche, un Paolo Persichetti ; ils essaieraient bien un Cesare Battisti, une Roberta Cappelli, et quelques autres. À chaque fois, ils améliorent le système. Quand tout sera au point, ils n’auront plus qu’à faxer : « Machin Chose », et hop ! le lendemain, Machin remontera le temps jusqu’à une prison, plus loin en Europe. Quelle harmonie ! Quelle paix sociale ! Quelle démocratie ! Ils en ont les larmes aux yeux…

Pas la larme facile pourtant, ou alors se retiennent, par pudeur. Mais immense grandeur d’âme, ça oui, du côté du deuxième poids de la deuxième mesure qui, bientôt, partout. Libèrent un Papon par ci, un Patron par là.

Mais les quatre d’Action directe ? Non, pas ceux-là ! Pas le temps ! Pas dans les temps ! « N’a qu’à se passer de jogging ! » dit le magistrat d’une Nathalie Ménigon diminuée par deux accidents vasculaires-cérébraux. Déjà hors du temps. Pas de machine disponible, et pour remonter jusqu’où ?

Vous entendez ce qu’ils nous disent ?

Ils disent que Ménigon, Cypriani, Rouillan et Aubron doivent d’ores et déjà être considéré[e]s comme des cadavres !

Critiquant (en 1985) l’absurdité de la stratégie armée d’AD, j’avais qualifié ses militants de « bouffons sanglants* ». Je le rappelle ici à destination de certains soucieux pétochards qui se taisent par crainte de paraître approuver des actes commis il y a vingt ans.

Qui, aujourd’hui, sont les bouffons sanglants ? qui sont les assassins ? Sinon ceux qui condamnent des exilés politiques à l’extradition après vingt-cinq ans de vie en France, et à une mort en cage — longue et douloureuse — quatre personnes gravement malades. Un aliéné, une hémiplégique et deux cancéreux, pitoyable tableau de chasse pour une loi du talion qui n’ose pas dire son nom !

Rien n’est donné ou acquis dans le monde du « droit ». Il n’est rien que nous ne devions arracher ; y compris l’espace et le temps de vivre.

Paris, le 9 avril 2004

* Cf. « Contre AD et contre l’État », sur ce blog.

1977 : l’assassinat d’Andréas Baader et de ses camarades

Plus le temps passe et plus nombreux sont les journalistes, historiens, voire militants qui évoquent les suicides des militant(e)s de la Fraction armée rouge, en 1976 et 1977, sans imprimer ou faire entendre au moins des guillemets de pudeur ou de prudence. Il m’a donc semblé utile de reproduire l’essentiel du chapitre II de Suicide, mode d’emploi (1982), intitulé « Le massacre d’État » (l’autre partie, déjà mise ne ligne, concerne la mort de Robert Boulin). Lorsque le terme « terroriste » y apparaît, il s’agit de l’image spectaculaire qu’instrumentalisent la presse et l’État.

J’ai procédé à quelques corrections de ponctuation et ajouté des notes entres crochets dans le texte. À la suite du chapitre de 1982, j’ai résumé les informations contenues dans Le Droit à la mort (éditions IMHO).

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« Le problème qu’ils ont avec nous, c’est que notre conscience politique ne quittera pas notre corps sans que ce qu’on appelle “vie” ne le quitte aussi. »

Lettre d’Ulrike Meinhof à ses avocats (février 1974).

 

 

George Orwell attirait l’attention sur la nécessité de décrypter le langage du pouvoir. « L’esclavage c’est la liberté » ; un meurtre est un suicide. Giuseppe Pinelli défenestré à Milan, José Tronelle égorgé à la Santé, meurtre avéré ou décès inexplicable, la vérité d’État tranche.

La Fraction Armée Rouge allemande (R A. F.) est décimée dans les années 70 [du XXe siècle]. Certains de ses militants sont abattus dans la rue, d’autres succombent aux mauvais traitements et à l’absence de soins (Katharina Hammerschmidt, Siegfried Hausner). On laisse Holger Meins mourir de sa grève de la faim. C’est dans le cadre d’une politique d’élimination que s’inscrivent les « suicides » d’Ulrike Meinhof, d’Andréas Baader, de Gudrun Ensslin, de Jan-Carl Raspe et d’Ingrid Schubert, ainsi que la « tentative de suicide » d’Irmgard Moeller.

Il est de règle aujourd’hui chez les intellectuels français de faire précéder toute déclaration concernant la R. A. F. d’un « avertissement » par lequel ils protestent de leur opposition à la lutte armée en occident. Nous nous en dispenserons. Libre aux démocrates d’y voir un soutien tacite à la guérilla, et aux partisans de la R. A. F. de penser que nous parlons forcément contre eux[1].

L’assassinat des militants allemands montre comment l’État a su utiliser le potentiel émotionnel du « suicide » pour accréditer la plus cynique des fables. Tout se passe comme s’il suffisait de prononcer le mot pour brouiller les cartes, prendre de l’avance sur la vérité des faits, et se dispenser d’avoir à les établir.

La première cible des assassins d’État est Ulrike Meinhof, considérée comme l’idéologue du groupe. La synthèse en une femme de l’amante, de l’intellectuelle et de la pétroleuse en fait la victime symbolique idéale. Avant même de penser à la tuer, on cherche comme c’est souvent le cas, à détruire son image et son prestige. Elle est placée à l’isolement total (y compris acoustique) pendant deux cent trente-sept jours. Durant cette période, le parquet étudie la possibilité de l’interner en hôpital psychiatrique. Ce projet est contrarié par la première grève de la faim des prisonnier(e)s qui permet de dénoncer publiquement la privation sensorielle comme élément d’une stratégie de lavage des cerveaux. Le parquet change de tactique : se fondant sur l’existence chez Meinhof d’une tumeur au cerveau dont il exagère la malignité, il ordonne une série d’examens qui seront pratiqués si nécessaire par la contrainte, et sous anesthésie. Ces examens préparent, semble-t-il, une intervention chirurgicale. L’intention est claire, et benoîtement exposée par le procureur fédéral Zeiss : « Ce serait gênant pour ces gens si l’on s’apercevait qu’ils ont suivi une folle[2]. » Les protestations internationales font échouer cette deuxième tentative. Le 9 mais 1976, Ulrike Meinhof est retrouvée pendue dans sa cellule. La thèse du suicide est aussitôt décrétée par les autorités, et reprise par les médias. L’autopsie est pratiquée à la hâte, sans qu’aucune personnalité indépendante puisse y assister (ni les avocats ni la famille ne peuvent voir le corps). Elle est à tel point bâclée que sur le plan médico-légal on ne peut parler que de sabotage. Ainsi, on ne procède à aucune recherche d’histamine. Cette hormone tissulaire est produite en grande quantité par les cellules vivantes de la peau à l’endroit d’une blessure. En comparant le taux d’histamine de la peau autour des marques de strangulation et dans une autre région du cou, on peut déterminer si la personne s’est pendue, ou si le corps a été pendu post mortem.

Les constatations faites dans la cellule relèvent de la même fantaisie. La corde avec laquelle Meinhof est censée s’être pendue est certes mesurée… amputée de presque une moitié. Sa longueur réelle est de 80 centimètres environ : on communique aux experts le chiffre de 51 centimètres. Ce raccourci n’est pas innocent ; Meinhof aurait effectivement pu se pendre avec une corde de 51 centimètres. Avec la corde retrouvée autour de son cou (80 cms), elle n’a pu qu’être pendue après que la rigidité cadavérique permet de maintenir le corps droit, et la tête dans la boucle, hors de laquelle elle aurait glissé immédiatement avec une corde trop courte. Pour plus de sûreté, on « retrouve » son pied gauche, bien à plat, en équilibre sur la chaise qu’elle est supposée avoir utilisée. Autrement dit, elle est réputée s’être pendue debout sur une chaise, et par un nœud coulant trop large dont sa tête sortait par un mouvement naturel. Aucun des signes habituels de la mort par asphyxie (les rapports officiels parlent bien d’asphyxie et non de fracture des vertèbres cervicales) : saillie des yeux ou de la langue, visage bleui par le manque d’oxygène. Un groupe de médecins anglais en conclut qu’il s’agit « d’une mort par arrêt cardiaque par voie réflexogène après étranglement par constriction de la carotide et pression sur le nerf pneumogastrique[3] ». Les mêmes médecins, analysant les rapports d’autopsie, attirent l’attention sur la mention d’un œdème important dans les parties génitales extérieures, et de tuméfactions sur les deux mollets. On relève également une éraflure couverte de sang caillé sur la hanche droite. Enfin l’examen de taches sur le slip de la victime permet de déceler la présence de sperme (le parquet glosera sans fin au motif que s’il y a sperme on n’a pu trouver de spermatozoïdes). À la certitude du meurtre s’ajoute l’hypothèse du viol.

Il reste à savoir comment on a pu pénétrer dans la cellule de Meinhof. Il apparaît d’ailleurs, en dehors même de la contestation du suicide, que certaines constatations officielles ne peuvent être expliquées que par l’intrusion d’un tiers dans la cellule. Chaque soir, les détenu(e)s de Stammheim doivent remettre aux gardiens les ampoules électriques et les tubes néon qu’on leur rendra le lendemain. Pourtant, lorsque le corps de Meinhof est découvert, une ampoule est normalement vissée sur la lampe de bureau. Les faibles traces de doigts qu’on peut y déceler ne peuvent correspondre aux empreintes de la prisonnière. Qu’importe, le résultat de cette expertise n’est transmis au Parquet que quinze jours après que l’instruction a été close.

L’enquête parlementaire qui suit la mort de Meinhof permet de déterminer qu’il existe un accès secret au septième étage de la prison. Un escalier relie la cour à tous les étages de la prison. Un escalier relie la cour à tous les étages, les portes ne s’ouvrent que de l’extérieur grâce à une clef spéciale. La porte du septième étage est hors de vue du bureau des gardiens, et le système d’alarme peut être débranché. Les honorables parlementaires confirment ainsi les craintes exprimées par certains prisonniers : contrairement au mensonge officiel selon lequel il n’existerait qu’un seul accès au septième étage, les fonctionnaires du B. K. A. (Office fédéral de la police criminelle) et du B. N. D. (services secrets) disposent d’une entrée privée à Stammheim. On n’a pas fini de s’en servir.

Dès le surlendemain de la mort d’Ulrike Meinhof, Jan-Carl Raspe fait une déclaration au procès de Stuttgart-Stammehim au nom des accusé(e) de la R. A. F. Il est clair pour eux qu’Ulrike a été exécutée, et que cela marque un tournant dans la politique d’élimination de la guérilla. Les détenu(e)s participent activement à la contre-enquête, et dénoncent les mensonges orchestrés par les médias. Un an plus tard, le 7 avril 1977, le commando « Ulrike Meinhof » de la R. A. F. exécute le procureur fédéral Buback, jugé directement responsable du meurtre d’Holger Meins, de Siegfried Hausner et d’ Ulrike Meinhof. Dans le communiqué de revendication, il est dit : « Nous empêcherons que l’accusation fédérale utilise la quatrième grève de la faim collective des prisonniers (…) pour assassiner Andréas, Gudrun et Jan, comme le propage déjà ouvertement la guerre psychologique depuis la mort d’ Ulrike[4]. »

Les acteurs sont en place, le scénario est rodé, chacun peut dès ce moment prévoir la suite. Le processus de décapitation de la guérilla va se poursuivre. Le 5 septembre 1977 l’ancien SS Hans Martin Schleyer, patron des patrons allemands, est enlevé. Le 13 octobre, un Boeing de la Lufthansa qui assure la liaison Palma de Majorque-Francfort est détourné avec quatre-vingt-onze passagers à son bord. L’objectif de ces deux actions coordonnées est d’obtenir la libération de onze détenu(e)s de la R. A. F. et de deux Palestiniens incarcérés en Turquie. Le 17 octobre, l’assaut est donné au Boeing de Mogadiscio par un commando spécial de la police allemande. Trois des pirates de l’air sont tués, la quatrième grièvement blessée.

Le mardi 18 octobre au matin, on « découvre » dans leurs cellules les corps de Baader, Ensslin et Raspe. Seule Irmgard Moeller survit à ses blessures.

On pourrait s’attendre à ce que le gouvernement, déjà clairement accusé de meurtre sur la personne de Meinhof, prenne un luxe de précautions pour que, cette fois, l’action des enquêteurs soit irréprochable. Au contraire, la mascarade reprend, chaque jour apporte une nouvelle contradiction, une nouvelle incohérence. Le magazine Stern, pourtant peu suspect de sympathie pour les terroristes (qui l’ont dénoncé à l’époque comme agent de la propagande gouvernementale), a publié en octobre 1980 un dossier récapitulatif sur « Le cas Stammheim[5] ». Il n’est pas vain, comme on peut l’imaginer, de se pencher aujourd’hui sur les rapports d’enquête. La « vérité officielle » est maintenant définitive dans sa forme. Elle parle d’elle-même.

Andréas Baader se serait tiré une balle dans la nuque, maquillant ainsi son suicide en meurtre, telle est la version aussitôt diffusée. Malheureusement, le Dr Hoffman, expert du B. K. A., dépose un rapport selon lequel le tir a été effectué d’une distance de 30 à 40 centimètres, ce qui rend l’hypothèse du suicide matériellement absurde. Réalisant sa bévue, l’expert tentera d’expliquer les faibles traces de poudre relevées sur la peau (plus les traces sont légères plus le coup a été tiré de loin), mais sans succès. Les rapports de la police et des médecins légistes se contredisent sur le déroulement du « combat simulé » par Baader. La balle mortelle est celle que l’on trouve près du corps pour les uns ; elle a d’abord ricoché dans le mur pour les autres, qui y trouvent des traces de sang et des débris d peau qui avaient échappé aux premiers. Autre énigme : le sable retrouvé sous les semelles de Baader. le service fédéral d’investigation criminelle de Wiesbaden ne pourra finalement affirmer s’il peut provenir de la cour située au huitième étage de la prison où les détenus effectuent leur promenade. Baader est-il sorti de Stammheim ? Avec qui et pourquoi faire ?

Jan-Carl Raspe se serait tiré une balle dans la tête. Sur le point capital de savoir s’il a été découvert le pistolet à la main (fait qui, selon le Pr Karl Sellier, expert de médecine légale cité par Stern, doit faire penser au meurtre ; en cas de suicide les muscles se détendent après la mort et l’arme tombe), les témoignages divergent. Oui, disent d’abord les quatre fonctionnaires qui l’ont trouvé ; non, rectifie le procureur Christ. Le Pr Hartmann, expert désigné, tente d’emporter la décision devant la commission d’enquête parlementaire : « Je me fais l’avocat du diable, imaginons un tireur, il devrait être placé entre le lit de Raspe et le mur, et il n’y a pas de place. » Si, répond Stern, photos à l’appui ! Dernière incohérence : les recherches de poudre sur la main de Raspe n’ayant rien donné, aucune expertise n’est faite pour savoir si l’arme qui l’a tué laisse des traces de poudre sur la main du tireur !

Gudrun Ensslin est retrouvée pendue. Comme pour Meinhof, les experts, qui n’ont guère progressé, se procèdent pas à la recherche d’histamine. L’expert Rauschke, qui s’est déjà signalé dans le passé par son autopsie-boucherie de Meinhof (rendant toute contre-expertise impossible), et par son dévouement aveugle à l’accusation, se charge cette fois de faire disparaître la chaise sur laquelle Ensslin serait montée. Encore ne le sait-on que grâce aux protestations de l’expert viennois Holczabek. Aucune analyse n’a donc pu être faite sur cette chaise : empreintes digitales, etc. Le fil, ou la ficelle, qui soutenait le cadavre provenait-il de l’électrophone de la victime ? Eh bien, « d’après l’apparence extérieure », ledit fil et le fil électrique sont identiques. Les rapports de police n’en disent pas plus. C’est d’autant plus regrettable que ce fil a cassé… quand on a dépendu le corps. Bien entendu, aucune expertise n’a cherché à évaluer le poids que ce fils pouvait supporter.

Irmgard Moeller, elle, est vivante. Elle se serait enfoncé un couteau de cuisine, dont la lame mesure 9 centimètres, dans le sein gauche. l’entaille la plus profonde ne mesure que 4 centimètres. le procureur Christ a beau jeu d’en tirer argument en faveur du suicide. S’il s’agissait d’un meurtre, pourquoi l’avoir ratée ? L’argument peut retenir l’attention de qui ignore le témoignage du Pr Eberhard qui opère Moeller le 18 octobre 1977. Il relève, lui, une piqûre profonde de 7 centimètres qui « cause une imprégnation sanguine du tissu graisseux entourant le péricarde, et dont la largeur indique un coup porté avec force ». Le procureur Christ n’en souffle mot.

On savait déjà que les services secrets accédaient librement au septième étage de Stammheim, l’enquête montre cette fois que le système de surveillance vidéo (Siemens) ne fonctionne pas. Le 9 novembre 1977, un enquêteur peut courir le long du couloir de l’étage et pénétrer successivement dans plusieurs cellules sans déclencher le moindre signal d’alarme.

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Plan de la prison de Stammheim publié par Stern (30 octobre 1980).

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