“MA GUERRE D’ESPAGNE À MOI” réédité par Milena & Libertalia

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En librairies, à partir d’aujourd’hui, une nouvelle édition de Ma Guerre d’Espagne à moi, de Mika Etchebéhère, dont j’ai déjà signalé tout l’intérêt sur ce blogue.

Cette édition, la plus complète, doit tout au travail conjoint des éditions Milena et des éditions Libertalia.


Outre des photos inédites et un texte du poète surréaliste Guy Prévan, on y trouvera une longue préface contextualisante (signée par Charles Jacquier), des extraits de la correspondance de Mika avec Alfred et Marguerite Rosmer ainsi qu’une lettre de Julio Cortázar en fac-similé.

L’ouvrage comprend par ailleurs un documentaire éclairant de 80 minutes de Fito Pochat et Javier Olivera (DVD).

“Les Comités de défense de la CNT à Barcelone : 1933-1938”, un livre d’Agustín Guillamon

Agustín Guillamon est l’auteur du passionnant Barricades à Barcelone. 1936-1937, édité en français par Spartacus, en mai 2009 (223 p., 15 €). Je publie ci-dessous, avec son autorisation, le texte de la présentation d’un autre livre, Les comités de défense de la CNT à Barcelone (1933-1938), qu’il a faite le 3 décembre 2011, Salle du Sénéchal, à Toulouse.

Eulogio Fernández, cotraducteur de Barricades à Barcelone a réalisé la traduction de cette présentation.

Le livre vient d’être publié en traduction intégrale comme n° 7 des Cahiers du Coquelicot : Les Comités de défense de la CNT à barcelone (1933-1938) Des Cadres de Défense aux Comités révolutionnaires de Quartier, aux Patrouilles de Contrôle et aux Milices Populaires, 276 pages, 18 €.

Pour consulter le site des éditions Le Coquelicot.

J’en profite pour signaler également, chez le même éditeur un texte de l’une des figure du groupe des Amis de Durruti, Jaime Balius : Vers une nouvelle révolution (voir couverture de ce livre en bas d’article).

 

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LES COMITÉS DE DÉFENSE DE LA CNT

PROTAGONISTES DES BARRICADES DE BARCELONE

EN JUILLET 36 ET EN MAI 37

 

Introduction

 

La thèse fondamentale du livre Barricades à Barcelone affirme que l’idéologie d’unité antifasciste a conduit la CNT à accepter le programme politique de la bourgeoisie républicaine et par conséquent à collaborer avec l’État capitaliste, en ayant pour seul objectif celui de gagner la guerre contre le fascisme, en renonçant au préalable à tout programme révolutionnaire.

La situation révolutionnaire en juillet 36 se caractérisait par un pouvoir atomisé en multiples comités révolutionnaires, qui fut asphyxié par le Comité Central des Milices (CCMA), qui ne fut qu’un organisme de collaboration de classes, et qui a vu le jour parce que la CNT a renoncé à prendre le pouvoir.

L’idéologie antifasciste et la participation de la CNT au pouvoir à divers niveaux, responsabilités municipales, ministères de la Généralitat (gouvernement autonome de Catalogne) et même ministères du gouvernement central, ont créé une bureaucratie de comités supérieurs, ayant des intérêts distincts et opposés à ceux des comités révolutionnaires qui s’étaient créés dans les quartiers de Barcelone. Alors que pour les comités supérieurs tout dépendait de la victoire militaire sur le fascisme, les comités de quartier continuaient à faire ondoyer le drapeau du programme de la révolution ouvrière.

Le processus d’institutionnalisation de ces comités supérieurs de la CNT-FAI en a fait des serviteurs de l’État qui considéraient les comités révolutionnaires de quartier comme leurs pires ennemis. La thèse naïve et simpliste qui divise les leaders anarcho-syndicalistes en traitres et en héros, comme si la masse militante était amorphe et sans volonté, n’explique rien. L’affrontement entre les comités supérieurs et les comités révolutionnaires a été un chapitre de plus de la lutte de classes, qui a été sur le point de se terminer par une scission, que la répression sélective stalinienne a finalement résolue par l’anéantissement des révolutionnaires et l’intégration des comités supérieurs dans l’appareil de l’État.

Dans le livre Les Comités de Défense de la CNT, j’essaie d’expliquer ce qu’étaient ces comités de défense, comment ils ont vaincu l’armée dans les rues de Barcelone les 19 et 20 juillet, comment ils se sont transformés en comités révolutionnaires, comment ils se sont affrontés aux comités supérieurs libertaires, comment ils se sont affrontés au stalinisme en mai 1937. J’essaie également d’expliquer leur évolution postérieure jusqu’à leur dissolution définitive.

 

Qu’était un Comité de défense (CD) ?

 

Les comités de défense étaient l’organisation militaire clandestine de la CNT, financés par les syndicats de la CNT et leur action était assujettie à ces derniers.

En octobre 1934, le Comité National des Comités de Défense a abandonné la vieille tactique des groupes d’actions pour une préparation révolutionnaire sérieuse et méthodique. Il a élaboré un rapport où il affirmait :

Il n’y a pas de révolution sans préparation. Il faut en finir avec le préjugé des improvisations. Cette erreur, qui est de croire en l’instinct créateur des masses, nous a coûté très cher. On n’obtient pas, comme par génération spontanée, les moyens de guerre nécessaires pour combattre un État qui a de l’expérience, qui est fortement armé et qui a une plus grande capacité offensive et défensive.

Le groupe de défense de base devait être constitué de peu de personnes, pour faciliter la clandestinité. Il devait être formé de six militants ayant des fonctions spécifiques :

. Un secrétaire, chargé du contact avec d’autres groupes de défense, de la création de nouveaux groupes et de l’élaboration des rapports.

. Un deuxième militant chargé d’enquêter sur les personnes, d’évaluer le danger des ennemis, tout particulièrement des curés, des militaires et des pistoleros du patronat.

. Un troisième militant se chargeait de repérer les bâtiments, de tracer des plans et d’élaborer des statistiques.

. Un quatrième militant étudiait les points stratégiques et tactiques de la lutte dans les rues.

. Un cinquième se consacrait à l’étude des services publics : électricité, eau, gaz, égouts.

. Et un sixième militant était chargé de trouver des armes, de l’argent et du ravitaillement.

Six était un nombre idéal, mais certains membres pouvaient s’y rajouter pour accomplir des tâches «relativement importantes». La clandestinité devait être absolue. C’étaient les noyaux de base d’une armée révolutionnaire, capable de mobiliser des groupes secondaires plus nombreux, et ces derniers de mobiliser le peuple dans son ensemble.

Le cadre où chaque groupe de défense devait agir était bien délimité dans chaque quartier et signalée sur un plan de la ville. Le Comité de défense du quartier coordonnait tous ces cadres de défense et recevait un rapport mensuel de chaque secrétaire de groupe.

L’organisation des comités de défense à l’échelle régionale et nationale comprenait entre autres les secteurs de travailleurs des chemins de fer, les conducteurs d’autocar, les travailleurs de la compagnie téléphonique et du télégraphe, les facteurs et enfin, tous ceux qui, par les caractéristiques de leur profession ou organisation, sont présents au niveau national, en soulignant l’importance des communications dans une insurrection révolutionnaire. Une attention toute spéciale était donnée au travail d’infiltration et de propagande pour gagner des sympathisants dans les casernes.

Les comités de défense avaient deux fonctions essentielles : les armes et l’intendance, dans le sens le plus large.

Les Comités de Défense pouvaient être considérés comme la continuité, la réorganisation et l’extension des groupes d’action et d’auto-défense armée des années du pistolérisme (1917-1923).

 

  1. Comment est-on passé des groupes d’action aux comités de défense ?

 

Les groupes anarchistes Indomables (indomptables), Nervio (Nerf), Nosotros (Nous), Tierra libre (Terre libre) et Germen (Germe), ont fondé à Barcelone le Comité Local de Préparation Révolutionnaire en janvier 1935 à la réunion plénière de la Fédération des Groupes Anarchistes de Barcelone.

Dans un contexte historique vraiment effrayant, la montée du fascisme en Italie, du nazisme en Allemagne, du stalinisme dans la soi-disant Union Soviétique, de la dépression économique avec un chômage massif et permanent aux États-Unis et en Europe, le rapport élaboré à cette réunion plénière présentait l’espoir du prolétariat révolutionnaire.

Ce rapport disait : «Face à la faillite universelle des idées, des partis, des systèmes, il ne reste que le prolétariat révolutionnaire avec son programme de réorganisation des bases du travail, de la réalité économique et sociale et de la solidarité ».

Ce rapport critiquait la vieille tactique de la gymnastique révolutionnaire (le fait de s’entraîner à la pratique insurrectionnelle) et les insurrections improvisées de janvier et de décembre 1933 de cette façon :

« La révolution sociale ne peut être interprétée comme un coup audacieux, dans le style des coups d’État du jacobinisme, elle sera la conséquence et le résultat du dénouement d’une guerre civile inévitable et dont on ne peut prévoir la durée ».

18 mois avant le 19 juillet, la préparation révolutionnaire en vue d’une longue guerre civile devait faire face à de nouveaux défis, impensables pour la vieille tactique des groupes de choc. Le rapport disait :

« Comme il est impossible de disposer à l’avance des stocks d’armes nécessaires à une lutte soutenue, il faut que le Comité de Préparation étudie la façon de transformer, dans certaines zones stratégiques, les industries […] en industries pouvant fournir du matériel de combat pour la révolution ».

Là est l’origine de la Commission des industries de guerre, constituée le 7 août 1936 et qui a constitué, du néant le plus absolu, une puissante industrie de guerre grâce aux efforts des travailleurs coordonnés par les militants de la CNT Eugenio Vallejo, travailleur de la métallurgie, Manuel Martí, du syndicat du secteur chimique et Mariano Martín, même si plus tard ce sont des politiciens bourgeois comme Josep Tarradellas qui s’en sont appropriés le succès.

Des groupes d’action et de choc d’avant 1934, pratiquant la gymnastique révolutionnaire, on était passé à la formation de comités d’information et de combat, considérés comme les cellules de base d’une armée révolutionnaire capable de vaincre l’armée et de mener une guerre civile.

 

  1. Les anarchistes pouvaient-ils prendre le pouvoir ?

 

Au cours des six premiers mois de 1936, le groupe Nosotros s’est affronté aux autres groupes de la FAI en Catalogne dans des débats très durs sur deux conceptions fondamentales, à un moment où l’on savait pertinemment que les militaires se préparaient à un coup d’État sanglant. Ces deux concepts étaient « la prise du pouvoir » et « l’armée révolutionnaire ». Le pragmatisme du groupe Nosotros, plus préoccupé par les techniques insurrectionnelles que par les tabous, se heurtait de plein front aux préjugés idéologiques des autres groupes de la FAI, c’est-à-dire qu’il se heurtait au refus de ce que ces groupes qualifiaient de « dictature anarchiste » et il se heurtait à leur profond antimilitarisme, eux qui subordonnaient tout à la spontanéité créative des travailleurs.

Ce net rejet des « pratiques anarcho-bolcheviques » du groupe Nosotros s’est largement reflété dans la revue Más Lejos (Plus Loin) qui publia les réponses à une enquête qu’elle avait réalisée dans son premier numéro, en avril 1936, et où les lecteurs devaient répondre à deux questions sur l’acceptation ou le refus de l’abstentionnisme électoral et à une troisième question sur la prise du pouvoir ainsi formulée : « Les anarchistes peuvent-ils, suivant les circonstances, et en faisant fi du moindre scrupule, se disposer à la prise du pouvoir, de n’importe quelle façon, afin d’accélérer le rythme de sa marche vers la réalisation de l’Anarchie ? »

Pratiquement tout le monde a répondu négativement. Mais aucune réponse ne proposait d’alternative pratique à ce refus généralisé de la prise du pouvoir. Théorie et pratique anarchistes semblaient en plein divorce, à la veille du coup d’État militaire.

À la réunion plénière des Groupes Anarchistes de Barcelone de juin 1936, García Oliver défendit que l’organisation des groupes de défense, coordonnés en comités de défense de quartier, à Barcelone, était le modèle à suivre, en l’étendant à l’ensemble du territoire espagnol, et en coordonnant cette structure au niveau régional et national, pour constituer une armée révolutionnaire du prolétariat. Cette armée devait être complétée par la création d’unités de guérillas de cent hommes. De nombreux militants se sont opposés aux conceptions de García Oliver, bien plus enclins à la spontanéité des travailleurs qu’à l’organisation révolutionnaire disciplinée. Les convictions antimilitaristes de nombreux groupes d’affinité entraînèrent un refus quasi unanime des thèses du groupe Nosotros, et particulièrement de celles de García Oliver. Lire la suite