LE FEU DE LA RAMPE ~ À propos de Bertrand Cantat

 

Supposons que M. Bertrand Cantat, chanteur et musicien de son état ait tué ma sœur, ou une ancienne amoureuse ou une amie, en lui fracassant la tête à coups de poings (il est costaud, le bougre !) et qu’il l’ait laissé crever, « sans intention de donner la mort » hein ! juste sans penser à téléphoner aux secours. Peut-être trop défoncé pour que l’idée atteigne le bon neurone…

Supposons.

Je ne peux même pas dire avec certitude que je l’aurais attendu à la sortie de sa prison pour lui mettre une flèche entre les deux yeux… parce que ça n’aurait pas fait revenir ma copine, et puis peut-être que je n’aurais pas eu envie de risquer de crever en taule pour un pourri pareil. Je suppose que que ce sont des pensées qui vous traversent l’esprit…

Et puis, je ne voudrais pas avoir l’air de donner des leçons à tel inconnu (de moi) contre qui je n’ai rien, ou à telles personnes que j’admire pour leurs talents divers…

Peux pas dire…

En revanche (et pour une fois, le terme me semble bien choisi), je ne crois pas que j’en aurais eu quoi que ce soit à faire qu’il ait « payé sa dette »… À qui d’ailleurs ? Pas à ma copine toujours ! Ni à moi ! Ni à ses parents ! On n’est pas « la société », nous. Comme si ses trois ans de cellule nous avait dédommagé en quoi que ce soit… !

Et de savoir qu’il souffre… ?

Attendez, c’est quand même le minimum qu’il ait un peu de mal à dormir certaines nuits, non ? (moi-même qui suis loin d’avoir éliminé tous ceux qui figurent sur ma liste… mais je m’égare).

Juste après la mort de Marie Trintignant sous ses coups, je me souviens d’une amie – et admiratrice du chanteur – qui m’a dit : « Je suis certaine qu’il est si mal qu’il va se suicider ! » Hélas ! c’est son ex-femme qui s’est suicidée, alors même qu’il dormait dans la même maison où elle s’est pendue.

Un autre truc dont je n’aurais rien eu à faire, c’est la « réinsertion » de M. Cantat.

Il y a mille manières de retrouver une place parmi les humains… On peut faire plombier, maraîcher, éleveur de puces savantes… On peut ouvrir une école de guitare au fond de la brousse, apprendre à faire des pansements et s’engager chez Médecins du monde (y’a des caisses à porter, si comme moi on supporte mal la vue du sang).

Mais Cantat ne souhaite pas se « réinsérer » parmi les humains. Non ! C’est bon pour le vulgaire !

Cantat veut que l’on cesse de tenir compte du fait qu’il a tué son amante à mains nues, et que l’on voit à nouveau en lui la vedette de music-hall, l’idole des jeunes filles, le sex-symbol.

Un petit incident montre à quel point la personnalité caractérielle de Bertrand Cantat est hors du réel des humains, et du coup très problématique en terme de « réinsertion ». Devant une salle où il se produit, des manifestant·e·s crient. Il s’approche d’une jeune femme qui l’insulte, et veut prendre sa tête dans ses mains pour lui embrasser le front… Ce garçon est prêt à pardonner à celles et ceux qui l’offensent… Il se prend pour une espèce de martyre injustement persécuté. Alors que – vous savez quoi ? – ce type est tout amour !

Bon : sa copine est morte sous ses coups, la précédente s’est pendue en l’accusant, et là il demande qu’on lui laisse une seconde chance.

Mais Bertrand ! tu ne sais pas compter ! C’est une troisième chance que tu réclames. Et c’est beaucoup, même pour les utopistes les plus endurants, les abolitionnistes les plus vétilleux, les crétins même !

En effet, si M. Cantat ne voit dans les deux décès évoqués qu’un fâcheux concours de circonstances, on voit mal comment il pourrait être considéré comme sans danger pour autrui – sinon courbé sous des éviers, sur des salades ou sur le bassin des malades.

Aussi tolérante que soit une société (je ne parle pas de la nôtre, qui ne l’est guère, ou à rebours de ce qui serait souhaitable) je vois mal comment elle pourrait admettre qu’un tel personnage occupe aujourd’hui exactement la même place qu’avant les « circonstances » que nous savons.

Pour qu’il puisse renaître à des rapports sociaux apaisés – si les personnes directement concernées acceptent de lui laisser cette possibilité – il doit se reconnaître à la fois coupable et responsable, et mourir à la scène, au vedettariat, et aux illusions séduisantes du spectacle.

Peut-être cette nécessité est-elle plus pénible pour lui qu’un enfermement… C’est bien possible en effet. Et alors ?

Il est vivant, encore jeune, vigoureux. Il lui est loisible de se faire soigner, d’entreprendre une analyse. Il peut encore (lui !) travailler, mériter l’estime, voire l’amour d’être humains… Et il voudrait qu’on le plaigne parce qu’on lui interdit les feux de la rampe !?

Sois vraiment miséricordieux, Bertrand, puisque tu prétends à cette qualité rare.

Fais-le pour toi, et pour nous : permets-nous de t’oublier.