ans sa présentation du Droit à la paresse de Paul Lafargue, dans la petite collection Maspero (1979), Maurice Dommanget évoque un discours rédigé au nom de la « grande confrairie des saouls d’ouvrer et enragez de rien faire ». Dommanget déplore que l’ouvrage, édité en 1600 à Lyon, « manque à la Bibliothèque nationale ». Il manquait sans doute, égaré peut-être, à l’époque où l’historien entreprit sa recherche. J’eus davantage de chance lorsque je menai la mienne sur les textes de critique du travail, lequel travail (!) prit la forme, plus modeste que prévue, du livre Économie de la misère (La Digitale, 1999).
D’après Émile Picot, dans son ouvrage intitulé La Sottie en France (1878), que cite Dommanget, on connaît au moins quatre éditions des Grands status et ordonnances de la grande confrairie des saouls d’ouvrer et enragez de rien faire datant du seizième siècle. La Bibliothèque nationale possède une édition lyonnaise de 1620 (in-16°, 24 p.), conservée à la Réserve des livres précieux, d’accès réduit à l’époque de ma recherche, aujourd’hui aisément consultable sous forme de microfiche (MFICHE-RES-Y2-2761). Le texte est repris dans Les Joyeusetez, facécies de folastres imaginacions, t. 12., réimprimé à Paris, par Téchener, en 1831 [1] (BN : RES-Y2-2489).
Émile Picot estime que, parmi les « témoins » mentionnés par le texte, il est probable que l’auteur est Philippot Platier.
Renonçant pour l’heure aux recherches nécessaires à la constitution d’un recueil de textes contre le travail, je donne ce texte sans plus attendre pour l’éjouissance de toutes et tous paresseux, cossardes, cancres, limaces, canailleux de sieste, couleuvres, poilus ès paumes, feignasses et autres fatigués d’être nés et rétifs à l’exploitation salariée. Sans doute ma version souffre-t-elle de fautes de transcription ; la paresse m’a dissuadé d’expliquer chaque mot ancien, ce qui, d’ailleurs, préserve et le charme de ce texte et les joies de la découverte pour la gent ci-dessus évoquée.
Inutile de t’expliquer ici, ô lectrice, ô lecteur, en quoi cette facétie est réjouissante puisque tu vas la lire et en penseras autant de bien que moi et que voudras.
Nul doute que quelqu’une ou quelqu’un trouvera, quelque jour, la patience d’en offrir une version plus exacte et plus savante.
Les Grands status et ordonnances de la grande confrairie des saouls d’ouvrer et enragez de rien faire, ensemble les grands salaires que recevront ceux et celles qui auront bien et deuement observé les dicts status et ordonnances avec les monnoyes d’or et d’argent servans à la dicte cour.
Les statuts de la confrairie de Monseigneur l’Abbé de St Lache
De par Saoul-d’ouvrer, par la grace de trop dormir, Roi de négligence, Duc d’oisiveté, Comte d’enfance, Vicomte de méchanceté, Marquis de trop muser, Connétable de nulle entreprise, Amiral de fainéantise, Capitaine de laisse moi en paix, Garde et gouverneur de tous ceux et celles qui aiment besogne faite et entièrement achevée, Seigneur de rien faire, Ecuyer et Courier ordinaire de la Cour de monseigneur l’Abbé de St Lâche.
À nos aimés et féaux, les Généraux et Conseillers sur le fait de nulle science.
À nos Trésoriers et Argentiers sur le fait de nulle finance, qui sont nos Aides.
Aussi à nos maîtres de plusieurs affaires, et à notre Bailli : Salut, sans dilation et nul confort.
Nous avons entendu de par nos bien amés et alliés, les gens de notre Abbaye de Chasse-profit. Et comme sont pauvres souffreteux, endettés, malheureux, mal fortunés, misérables, querelleux, nécessiteux, racheux [galeux] et aussi teigneux ; vuides et aussi indignes de bonne et suffisante complainte, de tous les biens privés et du tout au tout dépouillés : Et que sur peine de cinq marcs d’étouppe, d’être bouilis en bran [merde] et brûlés en la rivière, vous avez à tenir les Ordonnances qui s’ensuivent.
De par notre très-révérend père et indiscrète personne Pencer Maudiné, notre Prélat élu par le Conseil de notre Abbaye de Chasse-Profit que combien tant pour eux que pour leurs prédécesseurs, dont ils sont en [cause], ayant été, sont et seront encore, et demeureront, si Dieu plaît, en bonne saisine et vraie possession, de ne rien avoir, et de toujours moins acquérir pour eux ni pour autres en aucune manière, et de faire toujours de grandes dettes, et pour icelles dettes être toujours emprisonnés ou donner gages, et excommuniés plus souvent qu’un chacun jour.
Et si par aucun cas d’accident ou de fortune il leur avienne à aucun peu de rente ou quelque bonne et valable possession, que, à Dieux ne plaise, ils en doivent ordonner et disputer en cette manière qui s’ensuit.
C’est à savoir, qu’ils aient à laisser tomber leurs maisons à terre et mettre en ruine, afin qu’il ne pleuve dessus et aussi pour se chauffer du bois de la couverture d’icelle maison, s’ils sont gens qui puissent endurer le feu.
Item. Qu’ils laissent leur terres et héritages sans les labourer, ni rien semer pour la doubte [la commodité] des oiseaux, lesquels mangent les semences et les fruits quand ils sont mûrs, et après laissent venir leurs prés en ruine, épines et buissons, afin que les renards, lièvres et lapins, cerfs, biches, porcs, sangliers, et autres bêtes sauvages puissent habiter auxdits prés et y faire leur retraite, et les oiseaux, si besoin en est, y faire pareillement leurs nids ; en outre laissent leurs vignes venir en herbes et en déserts, pour obvier et résister aux grandes peines, labeurs, missions et dépens qu’ils doivent faire et mettre un chacun an pour les labourer et accoutrer.
Item. Plus, laissent leur bois à couper, rompre, tailler et détruire, pour cause des bêtes sauvages et des larrons, qui en cause de nécessité y pourront faire leurs retraites, afin de les mieux cacher.
Item. Qu’ils laissent rompre et crever leurs étangs, parce que les poissons et autres bêtes, comme écrevisses, brêmes, et carbots qui sont dedans, qu’ils puissent être dehors [mot ill.], et eux ébattre au milieu des champs et changer un peu d’air.
Item. Leurs moulins laissent choir et tomber en ruine, pour cause de la farine qui gâte les robes des bonnes gens qui y viennent moudre. Et pour ce, et à cause que nous gardons et maintenons en notre divine Abbaye de Chasse-profit, Fine-franchise, Folâtrerie, château tout y faut, que jamais ne mourront sans héritiers. Et de leurs autres biens, rentes et revenus que jamais n’advienne si à Dieu plaît, ni un bien ni profit.
Aucuns de nos autres Justiciers et Sujets, si comme sont écervelé, fous, frénétiques, contrecuidés, cornards, musards, teigneux, pleins de vermines, et autres bavards sans raison, n’ayant bord ni maison, renverseurs de tasses, vuideurs de coupes, blanchisseur de beurre, teinturiers de nappes, rôtisseurs de tripes, écumeurs de pots, tourneurs de rôts, tireurs de chair du pot trois heures avant qu’elle soit cuite, regardeurs et gardeurs de gages en plusieurs lieux par défaut de la plus grande suffisance, quand ils ont à besogner avec ces héros : si comme sont lanterniers, buffetiers[2], crieurs de vin, ruffiens, bordeliers, menteurs, bourdeurs, ivrognes, truands, porteurs d’images, bateleurs, trompeurs ou barateurs et coquillards. Lire la suite