
Décidément, à l’époque des médias de masse, la mode peut vous dégoûter de n’importe quoi : une couleur, un plat, un mot. Jusqu’à une date récente, je n’éprouvais aucune aversion à l’égard de l’adjectif indigné. Voilà qu’il me donne la nausée; je ne peux plus le voir en peinture ; je me demande comment il a pu se former dans ma bouche.
D’ailleurs, j’avais tort de ne pas me méfier. Quand on y regarde de plus près, digne, indigne, indigné, s’indigner, tout ce groupe de mot est extrêmement louche. L’ensemble est un emprunt (XIe s.) au latin dignus, « qui convient à », « qui mérite quelque chose ». L’adjectif est dérivé de decet, « il convient ». Le verbe latin se rattache, comme nous l’apprend le Dictionnaire historique de la langue française, à une racine indoeuropéenne exprimant l’idée de se conformer ou de s’adapter à quelque chose.

La cloche possède un cerveau.
Reprenons : Digne signifie « qui convient à ». Indigne « ne convient pas ». Mais indigné ? On pense logiquement à « privé de dignité », privé du caractère de ce qui est convenable, et qui en réclame la restitution.
La forme pronominale « s’indigner » a la même ambiguïté que « s’énerver » par exemple, qui signifie littéralement « se priver de nerfs », et non pas s’agacer, ce que veut le sens courant.
Littéralement toujours, l’invite « Indignez-vous ! », surtout formulée au pluriel, que l’on est tenté de rétablir dans son intégralité biblique (Indignez-vous… les uns les autres) sonne comme une recommandation de nous enlever un peu de dignité (à soi-même ou les uns aux autres). Lire la suite →