À LA VIE À LA MORT. Crémation : une conquête passée dans les mœurs

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Je donne ici le troisième chapitre de mon livre À la vie à la mort, sous-titré « Maîtrise de la douleur et droit à la mort », publié en 1997 aux éditions Noêsis (épuisé mais disponible à La Galerie de la Sorbonne, librairie parisienne).

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Ainsi une rêverie au coin du feu, quand la flamme tord les branches si grêles du bouleau, suffit à évoquer le volcan et le bûcher. Un fétu qui s’envole dans la fumée suffit à nous pousser à notre destin !

Gaston Bachelard, La Psychanalyse du feu, 1949.

 

 

Pour un être humain, le souci de maîtriser sa mort peut se traduire par le choix du moment, qu’il s’agisse du suicide ou de l’euthanasie, mais aussi par des dispositions concernant le devenir de son corps après le décès. Or, il n’y a qu’un peu plus de cent ans qu’un citoyen français est libre de choisir le genre de ses funérailles : inhumation ou crémation, cérémonie civile ou religieuse. L’acquisition de ce droit marquait un recul du contrôle des prêtres sur la vie quotidienne et donnait, avec seize ans d’avance, un avant-goût de séparation entre l’Église et l’État. Les débats parlementaires et les polémiques que suscita l’événement ne sont pas sans rappeler ceux que nous avons étudiés à propos du suicide.

Admise par le Vatican depuis une trentaine d’années, la crémation des cadavres ne choque plus que des psychanalystes, mais le public, qui l’adopte de plus en plus volontiers, ignore tout de son histoire, que je me propose de retracer ici.

Le 20 octobre 1880, le journal Le XIXe Siècle, que dirige l’écrivain Edmond About, publie un article de M. Georges Salomon, ingénieur des mines. C’est un manifeste « crématiste ».

« Si nous ne voulons pas que nos cadavres soient plongés dans une fosse froide et humide pour s’y transformer lentement en une masse infecte d’où s’échappent des êtres miasmiques [sic], des liquides et des gaz qui ne peuvent que nuire aux vivants ; si nous préférons les envelopper d’une nappe brillante de feu qui, en les réchauffant, les réduise promptement en quelques poignées de cendre blanche pour ceux qui restent et en une légère fumée qui monte vers le ciel, nous voulons en avoir la liberté.

Cette liberté peut d’autant mieux nous être octroyée que l’incinération des corps ne blesse en rien la religion, la morale et le sentiment.

La religion en effet ne subit aucune atteinte ; rien n’est modifié dans le cérémonial des funérailles ; le prêtre, le pasteur, le rabbin peut aussi bien bénir le cadavre au bord de l’appareil crématoire qu’au bord de la fosse béante et l’idée de la résurrection subsiste tout entière, la puissance divine étant infinie.

La morale et le sentiment ne sont pas plus atteints : l’appareil dissimulé par une sorte de sarcophage antique est placé dans un temple funéraire ; on n’entend aucun bruit, on ne voit ni feu ni fumée, rien ne trahit, pour ceux qui accompagnent le corps, la marche de l’opération. Le culte ardent que l’on porte aux morts, dans notre pays, ne serait nullement altéré ; ne peut-on pas aussi bien prier tout près des cendres chéries déposées dans une urne cinéraire que sur la froide tombe ? »

 

Après être revenu sur les dangers des miasmes émanant des cimetières, l’auteur souligne le gain de place que permet la crémation, pour conclure :

« Nous terminerons là, en conviant les partisans de la crémation à nous adresser leurs adhésions au bureau du journal, à l’effet de fonder une société ayant pour but d’ériger un crématoire à Paris, après avoir obtenu des Chambres, par la pression de l’opinion publique, la liberté de la crémation. »

Aidé du maire du VIIIe arrondissement de Paris, Kœschlin-Schwartz, et d’une douzaine d’autres notables (médecins, députés, hauts fonctionnaires), qui se sont tous rendus à Turin au cours de l’année 80, pour y assister à des expériences d’incinérations, menées à l’occasion d’un congrès d’hygiène, Salomon crée, en novembre, la Société pour la propagation de la crémation[1].

La nouvelle organisation compte, au bout d’un an, plus de 400 adhérents, dont nombre de célébrités : Léon Gambetta, Alfred Nobel (qui réside alors à Paris), Casimir Périer, Marcelin Berthelot, etc.

En attendant le changement législatif que les crématistes réclament, la Société organise, pour ses adhérents fortunés[2], le transport des corps en Italie, où l’incinération des cadavres est licite. Lire la suite

JE CHANTE LE CORPS CRITIQUE. Chap. 1 Production et reproduction : corps de classe, corps de genre

Je chante le corps critique

On trouvera ci-dessous le premier chapitre de mon livre Je chante le corps Capture d’écran 2014-11-09 à 10.52.22critique, publié chez H & O.

J’ai mis en ligne l’intégralité de ce livre avant même d’avoir trouvé un éditeur ; je l’ai laissé en ligne par la suite. Je récidive ici. Cependant, je ne saurais trop conseiller à celles et ceux qui s’intéressent à son contenu de se soucier aussi de son support papier, et d’en acheter un exemplaire. Non pas tant pour soutenir matériellement l’auteur (je n’y gagnerai pas un centime) mais pour convaincre l’éditeur (celui-ci et d’autres) que prendre en charge un ouvrage de cette sorte a encore un sens. Je ne choquerai ici que les ignorants du travail intellectuel : je n’aurais jamais fourni un tel effort pour simplement alimenter la colonne de mon blog. La lecture n’est pas une activité « neutre », et encore moins « privée »… pas de responsabilité politique en tout cas.

 

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  1. Salariat et hygiénisme

Paris, le 23 mars 1979, avenue de l’Opéra. Les affrontements avec la police sont violents ; les militants autonomes ont réussi à faire cause commune avec des sidérurgistes, notamment de la CFDT de Longwy. Tous les sympathisants révolutionnaires qui n’ont pas été préventivement raflés le matin sont présents. Les bureaucrates de la CGT peinent à repêcher leurs militants au milieu des bagarres, pour les amener vers les cars. L’air est irrespirable, saturé de gaz lacrymogène. Je me trouve dans un groupe hétéroclite qui reflue. Un militant CGT crie son indignation. Nous sommes pareillement équipés — casque et gants — mais c’est sa tenue de travail, tandis que je corresponds au portrait-robot du « casseur ». À la fin des années 70, les affrontements physiques sont encore courants entre cégétistes d’un côté, anarchistes, gauchistes ou autonomes de l’autre.

Que gueule-t-il ?

« On devrait pas r’culer. On a qu’à résister ! »

Et comme je lui fais observer que nous avons les mains vides, contre les fusils lance-grenades et les matraques, il ajoute, campé sur ses jambes, en écartant les bras du corps : « Rien qu’avec not’ force ! »

Paris, le 10 juin 2003, place de la Concorde. La police occupe le pont et interdit l’accès à l’Assemblée. Après quelques échauffourées, le service d’ordre CGT qui protégeait les barrières métalliques s’est retiré. À part les CRS, personne n’est casqué ni armé. Quelques rares bouteilles vides volent vers le barrage. Le grenadage commence. À chaque fois que le nuage s’étend sur la place, la foule se retire en désordre. On voit beaucoup de jeunes femmes, probablement des enseignantes en grève et des intermittentes du spectacle. Lorsque le nuage se disperse, les manifestant(e)s, très mobiles, reviennent obstinément narguer les gardiens du pont. Après plusieurs aller et retour, je remarque un groupe d’hommes, presque seuls à ne pas se joindre au ballet général. Ils portent des gilets fluorescents. Il faudra que les tirs les visent délibérément pour qu’ils consentent à s’écarter de quelques mètres, encore est-ce d’un pas presque nonchalant. Ils me disent être employés au chauffage urbain.

Deux exemples, à vingt ans d’intervalle, d’une différence persistante d’attitude corporelle dans les manifestations de rue, surtout lorsqu’elles tournent à l’émeute. Le plus souvent, les militants des groupes révolutionnaires, les manifestants isolés, et après 1990, les jeunes de banlieue, pratiquent une hypermobilité, plus ou moins délibérée, plus ou moins efficace, tandis que l’ouvrier, lui, fait front. C’est peut-être une erreur stratégique dans telle situation précise, mais c’est ainsi qu’il se tient. La jeune prof, l’employé de bureau au chômage ou l’étudiant ne sont pas moins courageux. Peut-être sont-ils en meilleure forme physique. Mais ils n’ont pas acquis le même mode d’emploi de leur corps et de sa force. On dira que c’est dans l’affrontement physique, et plus particulièrement dans le combat de rue, que le corps de classe se manifeste avec le plus d’évidence.

Esperluette

[1] Le 15 novembre 2000, quatre ouvriers de la Compagnie parisienne de chauffage urbain mourraient dans un accident dû à une pression excessive de vapeur, alors qu’ils mettaient une canalisation en service, boulevard Ney, près de la porte de Clignancourt. Dix autres étaient blessés, dont deux grièvement. Vaporisés, les corps de ces ouvriers morts d’un accident du travail sur ou plutôt sous la voie publique, ont laissé moins de trace dans la presse, dans les déclarations des autorités et dans la mémoire des Parisiens que les victimes de l’éruption de Pompéi, dont au moins l’ombre reste portée par quelques murs.

Esperluette

La vue, l’ouïe, le toucher, le goût, l’odorat, l’équilibre, le travail mobilise et dégrade toutes les fonctions du corps. Doigts coupés par les presses, orteils écrasés par les briques chaudes à peine démoulées, poumons brûlés par les vapeurs toxiques, maux d’estomac et troubles du sommeil, arthrose, rhumatismes et varices dans les conserveries, arrachement musculaire au énième pack de bouteilles d’eau minérale déplacé à bout de bras par la caissière du supermarché[2], troubles oculaires et musculo-squelettiques des employé(e)s du tertiaire.

« Gueules noires » des mineurs, maquillées de charbon, dont le noir de fumée (utilisé dans la fabrication des pneus) cernait les yeux des dockers qui le transportaient ; corps jaunis par le tétryl des ouvrières anglaises fabricant des obus pendant la Première guerre mondiale, qui leur valent le surnom de « filles canari[3] » ; mains colorées par la teinture des jeans, mains bleues, dont les ouvrières licenciées par la firme Levi’s ont fait un nom collectif et le titre d’un livre[4]. Elles y racontent les doigts emmaillotés de pansements pour ne pas tacher de sang les pantalons neufs ; les doigts cousus par la machine, deux aiguilles enfoncées dans la chair.

Esperluette

 

Je repense aux doigts bleus, cousus sur le tissu rêche, devant cette publicité de Levi’s : une jeune femme en jean, assise dans une position étrange, fesses posées, dos rond, la jambe droite relevée, en appui sur le bras droit, le gauche dissimulant sa poitrine nue[5]. Sa bouche est entr’ouverte, son visage penché en avant, ses paupières baissées ; elle ne peut regarder que son sexe, dissimulé à nos regards par la jambe levée. Posture acrobatique et nudité suggèrent l’idée d’un ajustement érotique : la femme observe ce qui la pénètre.

« Le jean ajusté. Rien ne pourra les séparer », confirme le texte qui barre verticalement la page. On ne distingue pas immédiatement le détail qui forme le ressort de la publicité : le jean est cousu sur les reins de la jeune femme. Comme le pantalon baille légèrement, le fil s’étire d’un ou deux centimètres entre la ceinture et la chair.

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Autre publicité Levi’s utilisant le même ressort fantasmatique (voir la partie de l’image que j’ai entourée).

 

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La Barbarie française au Soudan, par Émile Pouget

Ce texte de Pouget (1860-1931) a été publié dans Le Père peinard, du 21 avril 1900. Nous le dédions ici aux crétins qui feignent d’inventer, au début du XXIe siècle, la dénonciation du colonialisme.

Vigné d’Octon, dont Pouget cite de larges extraits des textes, était un ancien médecin militaire, député de l’Hérault. Les éditions Les Nuits rouges ont publié de lui : La Sueur du burnous. Les crimes coloniaux de la IIIe République.

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Vigné d’Octon continue à négliger de grimper à l’égrugeoir de l’Aquarium pour dévoiler les crimes commis au Soudan par la gradaille française. Il n’y a pas mèche de mieux prouver l’impuissance parlementaire !

Voilà un député qui a les mains pleines de documents narrant les atrocités commises aux colonies par les galonnards ; il a à sa disposition le fameux dégueuloir de l’Aquarium d’où, paraît-il, la parole retentit jusqu’aux fins fonds des campluches. Eh bien, au lieu de jaspiner du haut de cette tribune, il écrit dans des journaux et des revues ; au lieu de demander aux ministres compétents s’ils sont enfin décidés à museler les monstres qui dévastent le continent noir, il se borne à les flétrir en imprimant leurs horreurs ; au lieu de faire appel aux gouvernements, il fait appel à l’opinion publique. C’est une sacrée mornifle que ce député fiche sur la tronche de l’Autorité !

En agissant ainsi, Vigné d’Octon proclame qu’il n’a pas deux liards de confiance dans le bon vouloir des dirigeants, puisqu’il cherche d’abord à émouvoir le populo, afin d’arriver ensuite, par ricochet, à faire pression sur les gouvernants. Et Vigné d’Octon en raconte des horreurs, des crimes et des vilenies sans nom ! Il en raconte tant que les monstres devenus légendaires — les Néron, les Gengis Kahn, les Bonaparte et autres bandits — paraissent des petits saints, à côté des Voulet, des Chanoine, des Marchand et des Archinard[1].

Depuis que ces galonnards sont lâchés sur le Soudan, le grand centre africain n’est qu’un immense charnier : ces scélérats zigzaguent dans le pays noir, au gré de leurs caprices, suivis de troubades qu’ils lâchent sur les moricauds paisibles. Il y a deux sortes de soudards dans les colonnes de dévastation ; les tirailleurs indigènes et les fantassins de la marine :

« Les tirailleurs indigènes, écrit Vigné dans la Revue des Revues, sont flanqués de leurs captifs et de leurs captives, auxquels incombe souvent le soin de porter leurs armes. Ils sont fiers, heureux à la pensée qu’ils vont, dans quelques jours ou quelques heures, augmenter le nombre de ces bêtes de somme.

« Abrutis par l’alcool et la vie de poste, ayant perdu la dose de sens moral dévolue à leur race, ils s’avancent allègrement, et leurs narines se dilatent comme si déjà elles humaient la bonne odeur de sang giclant vermeil des artères, le sang de leurs frères, le sang des femmes et des enfants de leur couleur !

« Ils rient du rire bruyant des brutes lâchés pour une œuvre de carnage et de dévastation, poussent à coup de pied dans les reins les esclaves-porteurs qui s’attardent sous leur fardeau, brutalisent les captives courbées en deux sous le poids de leur nourrisson.

« Derrière, viennent les fantassins de marine, la poitrine émaciée sous la vareuse trop large, les joues blêmes et les prunelles jaunies par la bile. Moins fringuants que leurs camarades indigènes, sur lesquels ni la fièvre ni la nostalgie n’ont de prise, ils n’en sont pas moins contents de rompre enfin la monotonie désespérante de leur existence.

« Aussi déprimés au moral qu’au physique, un peu de joie rosit leurs pommettes maigres, un sourire voltige sur leurs lèvres exsangues à la pensée de mitrailler cette sale négraille que, dans leur simplisme, ils rendent responsable de toutes les misères de leur exil.

« Oui ! ces braves gars, plus doux que les moutons dont naguère encore ils avaient la garde dans la lande bretonne ou la garrigue cévenole, ces bons “marsouins” qui jamais ne maltraitèrent ni leur chien, ni leur mule, ni leur vache, vont dans quelques heures, dès que retentira le clairon, se muer en êtres féroces qui tueront, massacreront aveuglément et faucheront autour d’eux des vies humaines avec autant d’ardeur que les épis de leurs moissons.

« J’insiste sur cette observation qu’il m’a été souvent donné de faire ; ce qui les guide, eux, les pousse et ainsi les affole, ce n’est ni l’espoir d’un galon nouveau ni le désir immodéré de ce morceau de ruban rouge comme le sang dans lequel on le ramasse en ce pays — il savent bien que, malgré toute la bravoure dont ils pourraient faire preuve ces hochets ne sont pas pour eux — ce n’est pas non plus, comme pour les tirailleurs, la perspective de razzier des captifs et des captives — ceux ou celles de leurs camarades indigènes leur suffisent la plupart du temps — non ce n’est rien de tout cela. Leur but unique, leur pensée est, encore une fois, de se venger de ces “nègres infects”, selon l’expression de leurs officiers, de ces “sacrés mal-lavés” à cause desquels, persistent-ils à s’imaginer, on les a pris à leur village, à leur atelier ou à la glèbes maternelle pour les envoyer mourir de la fièvre en ces pays de malédiction. Aussi avec quel entrain tout à l’heure ils se proposent de les mitrailler… »

Cette stupide haine pour les moricauds que Vigné d’Octon a constatée chez les marsouins ne leur est pas particulière ; on la retrouve aussi intense chez les troubades casernés en France, chaque fois qu’ils sont mobilisés contre des grévistes ou des manifestants.

Ces inconscients pousse-cailloux oublient qu’hier ils étaient prolos et qu’ils le seront encore demain ; ils oublient que, parmi ces pékins qu’ils ont pour besogne de mater s’agitent des amis, des proches — peut-être des frères, un père ?… Une seule chose les tourneboule : « Ces cochons-là sont cause qu’on nous fait membrer ; ils nous le paieront… », groument-ils à mi-voix.

Au lieu de rejeter la responsabilité des chieries qu’ils endurent sur les chefs et les grosses légumes, ils s’en prennent aux petits — aux victimes ! C’est plus commode, et surtout, moins dangereux.

Le soldat éreinté qui, furibond, s’en prendrait à un galonné, passerait au conseil de guerre. Au contraire, celui qui, pour assouvir sa colère, déquille un moricaud, piétine un manifestant ou assomme un prolo, est félicité. La brute militaire est alors félicitée, parce que sa vengeance a porté à faux, est tombé sur un innocent.

Donc, entre les soldats massacreurs de moricauds et les truffards qui mitraillent les manifestants à Fourmies ou opèrent en temps de grève contre les prolos, il n’y a de différence que du plus au moins. Tous deux, grâce au militarisme, sont des bêtes fauves.

Mais revenons au Soudan : les galonnés classent en deux groupes les villages de noirs — les amis et les ennemis. Cette classification est tout ce qu’il y a de plus arbitraire — la loufoquerie d’un grade en décide presque toujours. En 1835, les commandants des avisos « L’Ardent » et « Le Goëland » jouèrent à pile ou face le sort du roi Bokay et de ses villages Kontchoucou et Katinou dans le Rio-Nunez : il fut classé ennemi et les villages furent rasés, après que les habitants eurent été massacrés. Le sort d’un village « ami » n’est guère plus enviable :

« Perdues pour eux, razziées, dévorées en un clin d’œil, seront les petites provisions familiales de sorgho, de maïs, ou de farine de manioc… Volés aussi, les poules, les petits cochons hirsutes, les maigres brebis. De tout cela, la colonne ne fera qu’une bouchée.

« Bien qu’énorme, la perte serait réparable, mais hélas ! les hommes valides du village, ceux qui pourraient travailler aux lougans (les champs), sont impitoyablement réquisitionnés comme porteurs, et de ces lougans eux-mêmes, il ne reste plus grand-chose quand la colonne les a traversés. Il n’y a plus dans le village que des vieillards, des enfants et celles de leurs filles ou de leurs mères dont la soldatesque n’a pas voulu. Tel est le sort du village ami. »

Voici maintenant comment on opère pour détruire un village ennemi :

« La plupart du temps, dit Vigné, on part pour surprendre le tata (village) à la pointe du jour ou à la tombée de la nuit, alors que les habitants sortent à peine du sommeil ou vont s’y plonger. Les premières balles de nos Lebels clouent d’ordinaire les indigènes sur leurs taras (lits en osier) ; deux ou trois obus suffisent pour incendier le village dont les toits de palmes desséchées par le soleil flambent comme de l’amadou.

« Les quelques guerriers qui possèdent des fusils à pierre les déchargent, affolés, au hasard, dans la direction d’où vient la mitraille et s’enfuient, précédés et suivis de tous ceux, femmes, enfants, vieillards, que les premières décharges ont épargnés. Mais en un clin d’œil, la colonne a cerné le village et, de quelque côté qu’ils se dirigent, les malheureux trouvent devant eux un cercle de fer et de feu…

« Des femmes nues et dont la chevelure grésille sous les tisons courent, leur nourrisson dans les bras, en jetant des cris de terreur ; des enfants les suivent épouvantés, s’accrochent à leurs cuisses, à leur seins qui ballottent ; nus aussi, les hommes vont plus vite, tous avec l’espoir de se sauver.

« Mais devant eux se dressent les canon s des fusils Lebel. Les uns, d’ordinaire les femmes et les enfants, s’arrêtent, regardent, désespérés, l’arme terrible et, résignés, reçoivent la balle, tournoient sur leurs pieds brûlés et tombent, rendant leur âme innocente dans la douce clarté du matin.

« Les hommes, semblables au taureau devant la pique du toréador, rebroussent chemin et, redoublant de vitesse, essaient un autre côté. Et alors, on leur fait ce qu’en argot colonial on appelle la “chasse aux lapins”. Il s’agit de pincer nos fuyards au demi-cercle, de leur couper la tangente en leur logeant un pruneau au bon endroit. »

 

La prise de Sikasso[2]

 

Sur la prise de Sikasso qui est la plus abominable boucherie dont la conquête du Soudan français a été souillée, Vigné d’Octon publie des notes prises au jour le jour par un témoin oculaire :

« Après le siège, l’assaut. On donne l’ordre du pillage. Tout est pris ou tué. Tous les captifs, 4 000 environ, rassemblés en troupeau. Le colonel commence la distribution. Il écrivait lui-même sur un calepin, puis y a renoncé en disant : “Partagez-vous cela !” Le partage a lieu avec disputes et coups. Puis, en route !

« Chaque Européen a reçu une femme à son choix. Le capitaine M**, n’en voulant pas, en a amené une qu’il a donnée à son planton, Moussa Taraoré, tirailleur de première classe. Tous les tirailleurs en ont eu au moins trois. Un nommé Mendony en a reçu neuf.

« On fait au retour des étapes de 40 kilomètres, avec ces captifs. Les enfants et tous ceux qui sont fatigués sont tués à coups de crosse et de baïonnette. Les cadavres étaient laissés au bord des routes. Une femme est trouvée accroupie. Elle est enceinte. On la pousse à coups de crosse. Elle accouche debout, en marchant, coupe le cordon et abandonne l’enfant sans se retourner pour voir si c’était garçon ou fille.

« Dans ces mêmes étapes, les hommes réquisitionnés en route pour porter le mil restent cinq jours sans ration ; ils reçoivent cinquante coups de corde s’ils prennent une poignée du mil qu’ils portent.

« Les tirailleurs ont eu tellement de captifs qu’ils leur était impossible de les loger et de les nourrir. Arrivés à Raz-el-Ma, où le mil est rare, et à Tombouctou, ils ont demandé pour eux du mil et des cases. Le chef leur a répondu : “Vendez-les”. Au cours de ces distributions, d’étranges erreurs ont été commises. On a donné ou vendu des parents des tirailleurs, ou des gens dévoués à notre cause… »

Et il paraît que la soldatesque française n’a d’autre but que de « civiliser » les Noirs.

Cochonne de civilisation !

On réduit en esclavage ceux qu’on n’égorge pas… Seulement on y met des formes et de l’hypocrisie : au lieu d’appeler « esclaves » les malheureux captifs, on les baptise « non libres ». C’est à ce changement d’étiquette que se borne en Afrique la suppression de l’esclavage !

Turellement, quand on a des esclaves, on en fait ce que bon vous semble : chair à plaisir, chair à profit !… Vigné d’Octon raconte à ce propos le fait suivant — il n’a malheureusement pas cité les noms des monstres qui ont fait le coup :

« Une nuit, des Européens se postèrent à l’affût des bêtes féroces ; l’appât ne fut ni une chèvre bêlante ni un agneau mais une fillette de dix ans que l’on plaça sur un nid de fourmis noires. La pauvre enfant ne cessa de crier jusqu’au moment où elle fut tuée par les terribles insectes. Hein, les bons bougres, que dites-vous du tableau ? Appâter des tigres avec une gosseline de dix ans, ligotée sur une fourmilière ! Ça c’est des inventions dont sont seulement capables des galonnards : des Marchand ou des Gallifet !

Inutile de rien ajouter ! Toutes les palabres d’indignation ne pourraient jamais égaler la haine qu’on devrait avoir de pareils monstres.

Il n’y a qu’une épithète qui les qualifie : ce sont des militaires, des galonnés !

Et ce qu’il y a de gondolant, c’est que les monstres qui ont appâté les fauves avec la gosseline en question sont peut-être bien de retour en France et ils font les farauds et posent à l’héroïsme.

Émile Pouget

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[1] Officiers français qui se distinguèrent dans la colonisation. Les deux premiers furent liquidés par leurs propres soldats.

[2] J’ajoute cet intertitre. C. G.

Pourquoi Onfray-t-il mieux de se taire

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Gueule rouge
Le problème avec Michel Onfray, ça n’est pas qu’il est sot ou malhonnête. Le problème c’est qu’il est convaincu qu’il peut produire une critique légitime de l’activisme politique, depuis l’extérieur. Autrement dit : il se poste sur le trottoir, regarde passer la manif, et ricane sur le mode « Eh ben les p’tits gars, c’est pas comme ça que vous allez changer le monde ! ».
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Personne n’a jamais vu Onfray dans une manifestation, un mouvement social, une assemblée générale, un comité de soutien… Il est connu pour deux prises de position : 1) le soutien à Otto Mühl, ex-actionniste viennois, ex-artiste d’avant-garde, devenu gourou d’une secte reichienne (« un laboratoire », dit Onfray) et violeur de jeunes filles, condamné et emprisonné pour cela ; 2) le soutien (critique) à Olivier Besancenot (il le trouve trop contestataire) qui, comparé au précédent, remporte facilement le prix du type le plus sympathique que la terre a jamais porté. Autrement dit, une vilenie – qui s’explique certainement, selon la théorie d’Onfray lui-même, par quelque détail biographique qu’il ne manquera pas de révéler un jour au public de son université populaire – et une ânerie. Sacré pedigree militant !

Onfray est une espèce de Philippe Val sans passé. Ce dernier a vécu sur le public contestataire, chevelu, antinucléaire etc. pendant des décennies (il lui vendait ses disques et ses spectacles) avant de lui cracher dessus et de le couvrir de leçons de morale ultralibérale. Onfray ne manque pas une occasion de moquer les anarchistes et en général tous les gens assez bêtes pour défiler ou brandir un drapeau, mais ça n’est pas en tant qu’ex revenu de tout, mais en tant que libertaire autoproclamé. Lui qui n’a jamais milité, jamais distribué un tract, jamais monté un comité de soutien, jamais soutenu une grève ou vendu un journal à la criée, explique au bon peuple ce qu’il faut penser de tout ça et comment on mène une lutte !

C’est du fait de cette prétention exorbitante, elle-même procédant de son extériorité absolue à tout antagonisme de classe et à toute perspective historique (la révolution est désormais impossible, et d’ailleurs peu souhaitable…), qu’il devait nécessairement adopter un point de vue de journaliste-flic dans l’affaire dite de Tarnac.

Ça commence dans le Journal officiel de l’esprit franchouillard, dont il est l’un des fleurons, Siné Hebdo n° 11 du 19 novembre 2008, sous le titre « Du bon usage du sabotage ». Onfray a-t-il jamais saboté quoi que ce soit ? On pariera que non. Peut-être une petite malveillance ici ou là, dans sa prime jeunesse (les pieds sur la banquette ?). Mais, dans la logique du personnage, c’est précisément ce qui lui donne le doit de parler urbi et orbi des sabotages attribués à d’autres par la police.

« Anarchistes, les saboteurs de TGV à la petite semaine ? Curieux qualificatif pour des rigolos qui servent surtout le dogme sécuritaire. […] La poignée de crétins qui, semble-t-il, jouissaient d’immobiliser les TGV en sabotant les caténaires […]. »

Semble-t-il. La présomption d’innocence tient à peu de choses sous certaines plumes.

Mais comme Onfray, aveuglé par sa légitimité de carton pâte, ne sait littéralement plus ce qu’il écrit, il se paie le luxe de critiquer chez les confrères de Libération ce qu’il vient de commettre lui-même trois lignes plus haut : « D’où une couverture du journal (“L’ultra-gauche déraille”) suivie de deux pages intérieures vaguement démarquées de la thèse du ministre de l’Intérieur […] avec un éditorial qui, discrètement tout de même, recourt au conditionnel. On ne sait jamais… »

Recourir au conditionnel ! Fi donc ! C’est bon pour les journalistes de Libé qui « veulent discréditer la vraie gauche, la gauche de gauche » (avec des vrais morceaux de LCR dedans !). Onfray, lui, est un philosophe libertaire-nietzschéen-de-gauche. Lui peut donc ne pas se démarquer du tout de la thèse du ministère de l’Intérieur, sans passer le moins du monde pour une crapule.

Que ces saboteurs « adolescents attardés », « ces demeurés se réclament de l’anarchisme et de l’anarcho-syndicalisme s’ils le souhaitent. Mais qu’alors ils lisent Émile Pouget et son petit livre intitulé Le Sabotage. »

Où Onfray a-t-il pris que les saboteurs présumés se réclament de l’anarchisme ? Dans les communiqués de la police. Mais peu importe puisqu’il s’agit de faire croire que ces militants ne peuvent qu’ignorer Émile Pouget, comme d’ailleurs les lecteurs de Onfray, auxquels il le révèle. C’est un principe de publicité de lui-même sur lequel Onfray ne transige pas : il ne cite pas, il révèle. N’attendez pas de lui qu’il signale l’édition du Sabotage en poche chez Mille et une nuits ou la réédition aux Presses du Réel, ou les nombreuses versions téléchargeables sur le Net auxquelles n’importe quel moteur de recherche vous mènera en 3 secondes. Cela atténuerait son mérite !

L’article se clôt sur un appel à « des formes modernes de luttes qui permettent, par exemple de transformer les grèves en fêtes gratuites pendant lesquelles on voyagerait sans billets. Ou qu’on défende l’idée de la gratuité des transports en commun – ce à quoi je souscris. À quoi servent, sinon, les impôts ? »

Depuis la position qu’il occupe dans la société, Onfray ignore que des militant(e)s (beuark ! avec des drapeaux ?) se battent effectivement pour la gratuité des transports. Ils n’y souscrivent pas ; ils organisent des actions coup de poing pour imposer la gratuité dans des stations de métro, ce qui suppose de se donner des rendez-vous, de rédiger des tracts, puis de les distribuer, puis d’affronter les contrôleurs et les flics (c’est l’objectif du Réseau pour l’Abolition des Transports Payants (RATP, 145, rue Amelot 75011 Paris). Toutes activités parfaitement ridicules et dépassées aux yeux d’Onfray.

Deuxième couche

Il semble que le premier article d’Onfray a suscité de nombreuses réactions, majoritairement défavorables, voire agressives. Que fait le véritable philosophe ? Un examen de conscience ? Une autocritique ? Vous n’y êtes pas. Il prend le rouleau et en remet une couche. Épaisse et malodorante.

C’est dans Siné hebdo n° 13 du 3 décembre 2008. Après un petit topo pédagogique sur les conditions (pénibles) d’une collaboration hebdomadaire à un journal (songez qu’il faut que l’article ait été rédigé avant d’être imprimé !), Onfray réitère ses positions précédentes : critique de Libé, éloge de Pouget, du sabotage bien pensé – celui qui nuit aux patrons et non au peuple – et de la grève festive.

Il ajoute : « Qu’est-ce que je ne disais pas ? 1. Que ces individus arrêtés étaient des « terroristes » ; 2. Qu’on avait raison de les poursuivre sans preuve – j’écrivais le lendemain de l’arrestation et tout le monde ignorait qu’il n’existait aucune preuve tangible contre eux ; 3. Qu’ils étaient des “anarcho-autonomes” ou des tenants de “l’ultra-gauche”. Je persiste et je signe. »

Tout le monde ignorait qu’il n’existait aucune preuve tangible. C’était donc ça ! Ben alors, y’avait vraiment pas de quoi s’énerver. Il se trouvait que le libertaire gauche-gauche n’avait pas encore en sa possession les informations que les journalistes, sur lesquels il crachait (c’est un tic ! anarchistes, journalistes, tout y passe), allaient lui fournir au fil des jours. Et, franchement, qui aurait pu imaginer l’incroyable vérité que ces saboteurs de la vraie gauche allaient révéler : la police avait menti ! On se pince ! Comment voulez-vous qu’un gauche-gauche aille penser une chose pareille avant de la lire dans Libération ou de l’entendre sur France-Inter.

Et d’ailleurs, ici je demande toute l’attention bienveillante du lecteur, le gauche-gauche est bien un libertaire incontestable puisqu’il est… je vous le donne en mille… abonné au Monde libertaire ! Il le confie non sans fierté aux lecteurs de Siné hebdo : « Je lis dans Le Monde libertaire, auquel je suis abonné ».

Mille pardons Michel, je retire tout ce que j’ai dit qui a pu t’offenser. Abonné au Monde libertaire ! Alors là, respect ! Ça en jette. Un exemple, moi. J’ai déjà acheté ce journal, j’ai même écrit dedans, au début des années 1970 pour la première fois, eh bien je ne me suis jamais abonné. On voit tout de suite qui a le véritable rapport au réel réel de gauche pour de vrai.

Que trouve Onfray dans l’hebdomadaire de la Fédération anarchiste (numéro daté du 20 au 26 novembre 2008) ? Ce qui l’arrange, bien entendu. L’expression « bras cassés » dans un article signé, et la désapprobation des actes de sabotage dans un communiqué de la FA daté du 15 novembre. La FA pense bien ce qu’elle veut des sabotages de lignes TGV, mais voici ce que l’on peut lire dans son communiqué : « La précipitation policière et l’emballement médiatique à présenter ces présumés innocents comme de dangereux saboteurs et futurs poseurs de bombe […]. Que sont quelques caténaires arrachées (parmi 27 000 actes de malveillance recensés par la SNCF pour la seule année 2007) causant le retard de quelques dizaines de trains […]. Les anarchistes ne croient pas que la propagande par le fait, conçue comme le réveil mythique de la conscience du prolétariat toujours prêt à la riposte, puisse obtenir le moindre succès. […] Même si la Fédération anarchiste n’a jamais fait le choix de l’avant-gardisme, elle demande la libération immédiate de toutes les personnes emprisonnées et mises en examen. »

On voit immédiatement où Onfray peut rejoindre la FA, mais on voit très bien aussi ce qui figure dans le communiqué et qui est totalement absent des DEUX textes d’Onfray : la demande de mise en liberté des personnes arrêtées. Onfray n’en parle pas, parce qu’il n’y pense pas ; il n’y pense pas parce qu’il pense comme et avec les flics et les journalistes. Sa façon de s’abriter derrière des anarchistes assez embarrassés, auxquels il donne, mais pour l’occasion seulement, un brevet de sérieux libertaire, est une manœuvre pitoyable.

Où la couche ment

Il y a un troisième épisode à l’affaire. Onfray est sollicité par Libération (3 décembre 2008), ce qui lui permet de présenter une espèce d’autocritique alambiquée… aux lecteurs de Siné hebdo, lesquels sont supposés lire chaque matin un journal « qui a opté pour la gauche de droite » et sur lequel il crachait dans Siné hebdo. Cohérent n’est-il pas ?

Pour se défendre des accusations, Onfray défend toute la profession plumitive (l’adjectif s’applique également aux poulets et aux journaflics) dans un plaidoyer à mourir de rire :

« […] La présomption d’innocence fonctionnait, certes [c’est toujours mieux que « semble-t-il »], mais la présentation des faits par les médias, relayant à chaud, faute de mieux, la version policière, ne semblait faire aucun doute : il s’agissait là des personnes qui posaient les fameux fers à béton sur les caténaires. Informé par cette seule source, dont la une de Libération […] j’ai rédigé mon billet hebdomadaire ». Gna gna gna, gna gna gna.

Faute de mieux ! Ce faute de mieux mérite de prendre la place qui lui revient dans le musée de la philosophie policière. On dira dans les manuels « Michel-« faute de mieux »-Onfray ». En effet, chères lectrices, chers lecteurs, si les journalistes reproduisent sans y changer une virgule les communiqués du ministère de l’Intérieur, ça n’est pas du tout parce qu’ils partagent avec ce ministère et ses employés une même vision policière du monde. Ça n’est pas non plus parce que leur fonction sociale est de faire la publicité de l’état des choses existant, c’est-à-dire l’exploitation salariée plus la fiction d’une démocratie représentative. Non, c’est faute de mieux. Et comme le mieux, c’est bien connu, est l’ennemi du bien, les menteurs salariés ne sont pas près de changer de camp.

Onfray, lui, se découvre, au fur et à mesure de sa lecture de la presse, une vocation de journaliste d’investigation. Il était, faute de mieux, convaincu par la version policière ; il la renverse comme un sablier : « Car le dossier ne comporte rien ». Les « rigolos » et les « crétins » (termes jamais retirés ou autocritiqués) sont devenus des gens respectables, à qui on ne va tout de même pas reprocher un activisme international et une bibliothèque !

Onfray – c’est un peu son job – pose une question, douloureuse, par l’intermédiaire de Libération : « Devant un dossier vide et une totale absence de preuves, que peut le journalisme pour ne pas se déjuger plus que de raison ? En appeler au débat et aux dossiers – plus tard… J’y contribue d’autant plus volontiers que, dans Siné hebdo, j’ai moi-même donné le change en emboîtant le pas aux journalistes d’en face ! [Vous suivez toujours ?] Le temps d’une chronique, certes, mais quand même. [Vous avez bien lu ! Il dit une chronique.] Une leçon sur le journalisme qui est un pouvoir comme les autres et [probablement pour « ce »] que le libertaire que je tente d’être ne se rappelle probablement pas assez… » Bla bla bla, bla bla bla.

Notez que j’ai parlé de trois épisodes. Mais je n’écarte pas l’hypothèse qu’un quatrième m’ait échappé ou que d’autres soient à venir. Ce type se bonifie. Laissez-lui six mois et il découvrira l’existence des textes de lois antiterroristes français qui prévoient très précisément ce dont il s’offusque comme d’une anomalie incompréhensible. Dans un an, il aura compris que l’angélisme innocentiste, qu’il endosse pour se racheter après la cagoule antiterroriste, a de quoi faire vomir ou pisser de rire tous les libertaires du monde. En 2010…

Restons-en là. Vous avez peut-être, comme moi, autre chose à penser. J’en termine par une courte lettre ouverte :

Onfray, petit bonhomme ! Pourquoi ne pas te contenter de déblatérer sur Sade ou les Enragés ? Tu dis des sottises, bien sûr, mais tout le monde s’en tamponne. « Le libertaire que tu tentes d’être » ! Mais résiste à la tentation, mon gars ! On ne t’a rien demandé, t’es pas doué, tu te mêles de choses auxquelles tu ne comprends rien en nuisant à des gens qui pourraient t’en vouloir. C’est pourtant simple : la prochaine fois que tu sens le « libertaire » en toi qui veut s’exprimer, ferme-la !