Révélations

Sait-on jamais quel accident de plage peut vous arriver ?

Un crabe plus véloce que ses congénères…

C’est qu’ils sont traîtres ces animaux-là, à partir en biais comme des pets sur une tringle !

Et après, quel usage sournois des malintentionné·e·s pourraient-ils faire des documents que je publie ici.

C’est qu’ils sont traîtres ces humains-là, à attendre que vous soyez convenablement noyé, les poumons remplis de sable et d’eau salée, pour venir tirer les lacets de vos baskets ! De manière anthume, oh là ! pas de risque. Il est grand, on dit qu’il peut être méchant, et ses chaussures sont d’une pointure qui inspire la prudence, sinon le respect.

Lequel de mes vices, laquelle de mes insuffisances (rénale ? intellectuelle ? antiautoritaire ?) serait «expliquée» demain en usant de ces malheureux dessins.

Car oui, j’ai été au catéchisme. J’y fus. On m’y vit.

Il ne m’en reste d’ailleurs que peu de souvenirs : un pavillon de banlieue, une dame aimable, et ces quelques dessins. On notera que je suis « admis en seconde année » (exploit que je n’ai pas réitéré dans ma pratique du ski : première étoile. Point). L’« initiation » dont il est question s’entend « à la messe ». Cette fois, j’en garde un bon souvenir (copains, rigolades et Carambars).

Mais c’est décidé : je prends les devant, je confesse, je révèle.

Ainsi, lorsqu’un âne coiffé·e d’un képi voudra s’en servir contre moi, il sera obligé de mentionner que je les ai moi-même publiés.

— On se demande bien pourquoi ? ajoutera l’âne.

C’est pour te faire braire, mon ami, depuis le néant.

 

À LA VIE À LA MORT. La souffrance « au nom de dieu »

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On trouvera ci-dessous le second chapitre de mon livre À la vie à la mort, éd. Noêsis, 1997 (épuisé, disponible à La Galerie de la Sorbonne, librairie d’occasion parisienne).

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À l’heure où l’Église catholique poursuit son offensive pour regagner une partie de l’influence qu’elle a perdue, à l’heure aussi où les soins palliatifs et l’usage de médicaments antidouleurs efficaces sont présentés comme un argument décisif contre l’euthanasie [voir l’escroquerie de la loi Douste-Blazy, sur lequel on peut lire « Allez mourir ! »], il n’est pas inutile de rappeler que l’Église catholique a pendant plusieurs siècles prôné la souffrance comme moyen d’humiliation nécessaire de l’homme.

 

« À travers les siècles et les générations humaines, on a constaté que dans la souffrance se cache une force particulière qui rapproche intérieurement l’homme du Christ, une grâce spéciale. »

Jean-Paul II, Lettre apostolique Salvifici doloris, 1984 (Le sens chrétien de la souffrance, Le Centurion, 1984).

 

J’ai, dans l’introduction de cet ouvrage, brocardé un premier ministre qui affirmait que l’État laïque ne saurait « ignorer la part essentielle qui revient à la foi religieuse dans la constitution du patrimoine national[1] ». Je vais maintenant le prendre au mot. Il apparaît en effet que les résistances, encore nombreuses, au traitement de la douleur, trouvent leur origine historique dans l’idéologie catholique, dominante en France durant plusieurs siècles. Faut-il s’étonner que l’Église désavoue cet apport au « patrimoine national » ?

Lors des auditions publiques, effectuées en octobre 1994 par la commission des affaires sociales du Sénat, en vue de la rédaction d’un rapport sur le traitement de la douleur que nous avons déjà cité, Lucien Neuwirth, expliquait dans ces termes son souci de recueillir l’opinion catholique : « Au moment où allait se dérouler le débat sur la prise en charge de la douleur, il était hautement souhaitable que l’Église catholique puisse faire connaître son point de vue face à la mise en cause de la douleur rédemptrice[2]. » Au naïf, cette introduction pourrait sembler quelque peu comminatoire : Rome se verrait-elle sommée de s’expliquer par la Haute assemblée ? C’est au contraire une démarche toute œcuménique qui anime les sénateurs ; on laissera un prêtre, Olivier de Dinechin en l’espèce, assurer, au mépris de la plus élémentaire vérité historique, que l’Église ne s’est jamais opposé au soulagement de la douleur. Peut-être cet énorme mensonge mérite-t-il d’être qualifié de « pieux », en ce qu’il fournit une généalogie présentable à une position catholique moderne, et très récente, qui — sur la question de la douleur — est effectivement sans ambiguïtés ?

N’étant, pour ma part, contraint par aucun impératif diplomatique vis-à-vis de l’Église, j’utiliserai les déclarations « révisionnistes » du prêtre de Dinechin comme trame introductive à un aperçu historique des rapports entre la religion catholique et le culte de la douleur[3].

« Notre mémoire sociale en France, commence l’ecclésiastique, et en particulier dans les milieux médicaux (parfois dans la bouche de médecins de renom), a retenu l’idée inexacte que le christianisme promouvait “la valeur rédemptrice de la souffrance”. Je tiens à dire très fortement que c’est inexact et faux. […] Un bref sondage historique récemment réalisé par l’un de mes confrères théologiens, le Père Verspieren, montre :

— en premier lieu, qu’on ne trouve aucune mise en garde venue d’autorités religieuses catholiques contre des traitements de la douleur, aussi loin que l’on remonte dans ce sondage historique ;

— ensuite, que les théologiens moralistes du XVIe siècle affirmaient au contraire, à l’époque où l’anesthésie n’existait pas, que nul n’était tenu d’affronter une épreuve chirurgicale s’il redoutait une trop forte douleur (on a donc le droit de ne pas souffrir) ;

— en dernier lieu, que les moralistes catholiques du XIXe siècle (qui marquent peut-être le plus la mémoire des médecins d’aujourd’hui) semblent surtout soucieux de ne pas contredire de front les médecins de leur époque, qui redoutaient que l’usage de la morphine crée une dépendance. Malgré ce respect peut-être trop excessif des croyances médicales de l’époque, on remarque chez ces moralistes du XIXe et du début du XXe siècles qu’ils n’ont toutefois jamais exprimé d’objections de principe au traitement de la douleur. »

Un « bref sondage historique » nous permet de rencontrer, parmi d’autres, un incontestable moraliste catholique, en la personne de l’évêque d’Arras, Mgr Parisis, qui publie en 1864 Sur la douleur. Comme c’est souvent le cas dans les textes rédigés par des religieux, le terme « douleur » paraît désigner indistinctement les maux du corps et ceux de l’âme, les seconds étant paradoxalement (pour un rationaliste) jugés plus tangibles. L’objectif que se fixe l’évêque ne manque pas de grandeur : terrasser l’impiété, qui « semble depuis quelque temps relever la tête ». Pour « rabaisser son orgueil », la rendre « muette et confondue », il n’est que de la soumettre à deux questions : « Pourquoi la douleur ? Comment [la] soulager ? » On va s’apercevoir qu’après avoir mis en avant les « besoins du cœur », l’homme d’Église ne prend la douleur en compte que dans la mesure où elle lui semble pouvoir étayer sa vision du monde, fantasmatique et dogmatique. Lire la suite

Ah ! MONSEIGNEUR… De grâce ! Ébranlez plus fort!… Je ne sens rien (2012)

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Vous assurez, mon cher Vingt-Trois, que la possibilité du mariage ouverte aux personnes de même sexe « ébranlerait un des fondements de notre société[1] ».

Ah ! si seulement !…

Hélas, vos cauchemars ne font pas rêver longtemps.

Et d’ailleurs, êtes-vous parmi les plus qualifiés pour sonder nos fondements ? Aussi, cette vieille manie que vous avez de vous occuper des fesses des autres !

Une transformation du mariage, ajoutez-vous, « toucherait tout le monde ». Et ici ce monstrueux sophisme : « Ce ne serait pas le “mariage pour tous” (étrange formule qu’il ne faut sans doute pas prendre au pied de la lettre !). Ce serait le mariage de quelques-uns imposé à tous ».

Du moment que se marier n’est pas obligatoire, en quoi le mariage des autres s’impose-t-il à moi ? Et en quoi s’imposerait-il davantage parce que choisi par deux hommes ou par deux femmes ?

Filons votre métaphore un instant : elle m’autorise à vous reprocher d’imposer à tous, et donc à moi, vos ridicules superstitions, vos acres rancœurs contre le plaisir, vos folles prétentions à dire votre mot sur la façon dont je mène ma vie.

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Vous reconnaissez — bien obligé ! — que les temps changent. « Il est trop clair, écrivez-vous, que nous ne sommes plus dans la même situation qu’à la fin du XIXe siècle. » Quelle lucidité calendaire !

Vous ajoutez que « chez nous, la situation du christianisme s’est beaucoup transformé au cours des dernières décennies. Le passage d’un christianisme sociologique à un christianisme de conviction s’est accéléré ». Autant dire qu’on était catholique sans bien savoir pourquoi et que, ne devant plus compter que sur les « convictions », l’Église se retrouve un peu seule…

Vous concluez sur un surprenant appel :

« C’est pourquoi, dans cette période il est important de rappeler un certain nombre de droits fondamentaux, qui sont le fruit de la sagesse cumulée de notre civilisation et qui ont marqué sa sortie progressive de la barbarie. Chacun des droits et impératifs éthiques qui en découle et que nous énonçons ici s’impose [Je souligne. C. G.] à la conscience morale des hommes, quelle que soit leur croyance religieuse ou leur incroyance. »

Tiens ! Tiens ! Ainsi donc, vous voilà dépositaire et garant des principes éthiques censés s’imposer y compris à moi qui conchie votre religion. Je n’exagérais donc pas en vous soupçonnant plus haut de vouloir vous imposer à tous, vous qui tolérez si mal les autres.

Quant à la « sagesse cumulée » : laissez-moi rire ! La culture et la liberté n’ont jamais progressé que contre vos semblables et prédécesseurs, et les superstitions que vous partagez avec eux : droit à l’incroyance, droit de se faire incinérer, suppression du délit de suicide, lutte contre la douleur, droit à la contraception et à l’avortement. Tout cela vous a été arraché !

Ne faites donc pas semblant de ne jamais rien comprendre aux choses les plus simples. « Qui va décider, écrivez-vous, si et jusqu’à quand je peux vivre, jusqu’à quel seuil de handicap, quel seuil de douleur, quel seuil de gêne pour les autres, quel coût pour la société ? »

Ma réponse est simple : Vous. Vous pour vous. Moi pour moi. Et c’est précisément cette évidence contre laquelle vous militez, vous et les thuriféraires des soins palliatifs, machine de guerre contre la revendication de l’aide à mourir.

Vivez et crevez donc comme bon vous semble, Monseigneur, mais ne vous avisez pas de vouloir régenter nos vies. Vous prendriez le risque de susciter la tentation d’abréger la vôtre (il y a des lions qui n’attendent que ça).

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[1] Discours d’ouverture de l’assemblée plénière des évêques de France, prononcé à Lourdes, le samedi 3 novembre 2012, par l’archevêque de Paris André Vingt-Trois.

ON VEUT DU SEXE, PAS DU GENRE ! (2013)

on veut du sexe

Le titre de ce billet est aussi celui lu — non sans effarement —, sur la pancarte (officielle) d’une manifestante catholique contre le dit « mariage pour tous »…

On voit que ce qui touche au sexe met la tête à l’envers à ces braves gens. En effet, une catholique convaincue pourrait-elle, en pleine possession de ses moyens (si l’on peut dire) réclamer « du sexe » ?

Évidemment non.

L’Église catholique, depuis son unification, c’est-à-dire depuis l’éradication des sectes rivales (gnostiques, par exemple), a toujours combattu « le sexe », comme le signe de l’animalité en l’homme, devant être réduite à son expression minimale : la prolongation de l’espèce.

Si l’on s’en tient à la doctrine, le catholicisme ne fait que « tolérer » le « sexe » comme un mal nécessaire, strictement contraint et contenu dans le mariage hétérosexuel.

Ce faisant, l’Église catholique incarne un parti-pris culturel, par ailleurs grotesque et répugnant dans ses conséquences éducatives, caractérielles et sociales. On peut donc dire que la religion est un des « contraires » et des préservatifs contre l’idée d’une « nature ».

Où les choses se compliquent, c’est lorsque l’Église assure que la divinité exprime une espèce de « bonne nature humaine », opposée à l’odieuse bestialité. Laquelle bestialité est encouragée par le Diable, individu pervers s’il en est : voyez le nombre de gens qui l’ont tiré par la queue…

Lorsque la queue (animal !) de l’époux pénètre la chatte (animal !) de l’épouse, il s’agit d’une régulation de la bestialité désirante (le rut) par la culture et la religion.

Lorsque le même organe pénètre l’anus (de l’épouse ou du voisin du dessous), c’est l’œuvre du démon, la bestialité sans frein et sans fond (l’anus n’ayant pas de col).

La théorie du genre, ou gender en américain (à ne pas confondre avec la théorie du gendre, idéal ou non), est venue mettre ce bel édifice cul par-dessus tête.

En effet, puisque le « genre » insiste sur l’origine éducative et culturelle, des assignations sexuelles et des régulations des rapports sociaux de sexe, et que nos braves catholiques ont compris (on ne peut pas leur donner tout à fait tort) que la théorie du « genre » alimente le relativisme qui fait considérer comme un choix parmi d’autres l’homosexualité (et alors pourquoi pas le mariage ?) ils ont opéré — sans en être le moins du monde conscients — un virage à 180° en réclamant « du sexe ».

En effet, la pancarte sus-citée s’entend ainsi :

« Nous voulons du sexe de la nature, pas du genre de la culture ! »

« De la nature, pas de la culture ! »…

C’est ainsi que nous venons d’assister à l’implosion réjouissante — et que nous espérons définitive — de l’idéologie chrétienne.

À toutes les gouines, rouges ou arc-en-ciel, à tous les pédés, en robe de mariée dans leurs têtes ou libertaires dans l’âme, un immense et sincère MERCI.

Merci de m’avoir permis de vivre ça !

« Cène de ménage » chez les marchands de vent (2005)

L’Église catholique veut censurer les publicitaires

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Les évêques visent juste en s’attaquant à la publicité : c’est bien elle, en effet, qui a relayé dans le capitalisme post-moderne la religion dans le rôle de fabrique sociale de l’imaginaire.

De plus, les responsables catholiques espèrent que la censure d’une affiche vantant une marque de prêt-à-porter suscitera moins d’hostilité que celle d’un film ou d’un livre.

J’avais signalé, en 1997, le retour à l’offensive de l’Église catholique[1] via notamment la création par l’épiscopat de l’association Croyances et libertés. celle-ci est une machine de guerre idéologique et juridique destinée à introduire l’idée religieuse de blasphème (à l’origine : parole de mauvaise augure) dans une jurisprudence laïque, et à réoccuper un terrain abandonné trop longtemps aux seuls intégristes.

L’affaire de l’affiche publicitaire pour Marithé et François Girbaud est intéressante dans la mesure où son caractère érotique est discret, contrairement à ce que prétend l’association épiscopale. On sait qu’il s’agit d’un pastiche de la Cène, notamment peinte par Léonard de Vinci, dernier repas qu’aurait pris, selon la légende biblique, le Christ en compagnie des apôtres.

Sur douze apôtres, répartis en quatre trios, onze sont ici des femmes (jeunes, jolies, très minces, poitrines de pré-adolescentes). Un seul personnage masculin, debout, de dos (le dos nu), entre les jambe d’une apôtre assise, la tête reposant sur l’épaule d’une autre, debout. Les mais gauches des deux jeunes femmes se recouvrent sur le flanc de l’homme.

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Je ne crois pas, contrairement à ce qu’avance un journaliste du Monde[2], que ce soit « lui qui focalise les passions [sic] », davantage que les femmes qui l’entourent. L’avocat des évêques assure qu’il est « nu, dans une attitude lascive ». Il n’est que torse nu, même si son jean comporte à la taille une pièce surpiquée d’une couleur différente qui peut donner l’impression qu’il s’agit d’un caleçon que le jean, porté sur les fesses, dévoilerait.

Non, le scandale, c’est évidemment que c’est UNE Christ que cette Cène nous montre ; une fille de dieu aux longs cheveux châtains ondulants jusqu’à la taille.

Pour qui douterait du sexe de cette Christ au torse androgyne, le publicitaire a disposé devant elle, outre trois poissons, symboles chrétiens (je crois qu’il s’agit de maquereaux !), deux figues, dont l’une est ouvertes en deux. On sait que ce fruit symbolise depuis l’antiquité à la fois le sexe de la femme et l’anus[3].

Voilà qui chatouille, comme n’a pas manqué de la remarquer le magistrat auteur du jugement, le « tréfonds des croyance intimes » d’une secte patriarcale, misogyne et antisexuelle.

La Cène a déjà été interprétée/parodiée par d’autres publicitaires (pour la marque Volkswagen en 1997) et par des artistes contemporains (Andy Warhol a remplacé les apôtres par des motos). Je souhaite attirer l’attention ici sur une autre satire, autrement violente et sexualisée : celle intégrée par c à son film Viridiana, palme d’or au festival de Cannes en 1961, censuré par le régime franquiste.

Je ne peux mieux faire que d’extraire la citation suivante du livre que je suis en train d’écrire[4] :

« Lors d’un banquet organisé par des gueux en l’absence de leur bienfaitrice, une pauvresse annonce qu’elle va prendre l’assemblée en photo avec l’appareil « que lui a donné son papa ». Les convives prennent la pose dans une évidente parodie de la Cène — le repas que, dans la légende biblique, le Christ prend avec ses apôtres, la veille de la Passion. Au moment où l’on s’attend à l’éclair d’un flash, la mendiante soulève ses jupes et exhibe son sexe, déclenchant un tonnerre de rires et d’exclamations. Voyez, dit-elle en somme, et prenez-en de la graine, ceci est la chair, la seule icône vraie, le reflet inversé du monde qui conjure les mauvais augures doloristes, ces obscénités, et illumine la vie. »

On voit que les tréfonds intimes sont ici fouaillés, et la religion traitée pour ce qu’elle est : une hypocrite obscénité.

Le film de Bunuel étant susceptible d’être diffusé à tout moment dans les cinémathèques, les festivals, et à la télévision (il est disponible en DVD), les évêques se doivent logiquement d’en exiger la censure !

On peut prévoir qu’ils tenteront l’aventure un jour ou l’autre, et d’autant plus sûrement qu’ils auront effectivement réussi à introduire le blasphème dans la jurisprudence. D’autant plus encore qu’ils n’entendent pas laisser aux musulmans le terrain de la lutte pour l’ostentation religieuse. En témoignent les immenses calicots accrochés aux églises à l’occasion des fêtes catholiques ou la croix de bois dressée devant Notre-Dame à Noël 2004.

Répétons ici que la « liberté de croyance » est une contradiction qu’il n’est envisageable de tolérer qu’à la seule et sine qua non condition qu’il est permis à chacun(e) d’en rire, gaiement ou cruellement, selon l’humeur.

Si les sectateurs de l’une ou l’autre des religions existantes ou à venir prétendent régenter l’affichage public, l’expression artistique ou la tenue vestimentaire des femmes, il faudra faire subir aux signes ostentatoires de leurs cultes le même sort que les militant(e)s antipublicité réservent aux affiches qui recouvrent les couloirs du métropolitain.

Entre l’obscurantisme religieux et la marchandisation publicitaire de l’espace, je n’ai pas à choisir : ce sont deux systèmes de conditionnement et de croyance, et partant n’en déplaise aux évêques, deux antagonistes de la liberté.

La pensée libre est par essence blasphématoire aux yeux du croyant. Tant mieux !

Aux lions, les chrétiens !

Au cirque, les publicitaires !

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[1] Voir, sur ce blog « L’Église catholique passe à l’offensive ».

[2] Le Monde, 12 mars 2005.

[3] Cf. C. Guillon, Le Siège de l’âme, éd. Zulma, 1999.

[4] Je chante le corps critique.

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Samedi 2 avril 2005, à la Maison du peuple de Saint-Nazaire (Place Allende), Rencontres et débats autour de la séparation de l’Église et de l’État.

10h 30 Spectacle « Marianne et le goupillon », Thierry MAILLART et Lucien SEROUX

14 h « La croyance : de l’institution au sujet ? », Philippe COUTANT

15h 30 « Douleur physique, soins palliatifs et droit au suicide : résistance du discours religieux sur le corps », Claude GUILLON

17 h « La Vie d’un jeune nazairien militant catholique dans les années d’avant-guerre », Roger GUERRAND

 

«FANATISME»/«FANATIQUE» Archéo-dico 4. (1993)

Archéo-dico. Petit abécédaire fin de siècle des idées reçues à l’usage des générations passées, présentes et à venir.

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Ce texte a été publié dans le numéro 4 de La grosse Bertha (8 décembre 1993).

 

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En société

Tonner contre. Disputer si la sincérité est une circonstance atténuante. Si l’on a soi-même été membre du Parti communiste français, citer son propre cas en exemple.

 

Contenu

Un mollah iranien a lancé une fatwa contre l’auteur des Versets sataniques. Un cardinal français, J.-M. Lustiger, a déclaré en octobre 1988, après l’incendie criminel d’un cinéma du quartier latin qui diffusait La Dernière Tentation du Christ : « L’idée de ce film est une agression contre ce qui est sacré aux yeux des hommes. (…) Quand une société se permet de telles agressions [il parle toujours du film, et non de l’incendie qui fit 14 blessés], elle déclenche des mécanismes aveugles. »

L’un s’est conduit en odieux fanatique, l’autre n’a fait que réagir en honnête catholique dont les convictions ont été heurtées.

Nota : les convictions sont de petits organes externes, particulièrement sensibles chez les croyants. Par dérision, ceux-ci accusent les athées de n’en pas avoir. C’est une calomnie. L’athée a des convictions (par exemple, il croit en l’homme et en l’école obligatoire), mais les siennes sont rétractiles. Selon les meilleurs spécialistes, la taille des convictions est de peu d’influence sur le plaisir féminin.

Mais, objecteront les optimistes, les évêques français s’écartent du fanatisme puisque le mot ne figure même pas dans l’index de leur Catéchisme (1993). Le mot, non, mais la chose ? Lisez plutôt : « Il arrive même que, par une mystérieuse hostilité vis-à-vis de Dieu (dans laquelle le croyant peut déceler la présence de l’Adversaire) des hommes et des femmes cultivent une véritable haine du Seigneur ». L’Adversaire ! Il faut pas moins que Satan en effet pour inspirer une aussi mystérieuse hostilité, dans laquelle la suave odeur de chair brûlée qui flotte des bûchers cathares aux déclarations d’un Lustiger ne saurait entrer pour rien.

Reconnaissons au fanatisme l’intérêt de mettre en lumière la furieuse imbécillité de ceux qui se proclament, contre lui, les apôtres musclés de la tolérance. En 1989, quand débuta l’affaire des foulards, Debray, Finkielkraut et consorts appelèrent à l’ordre d’avant 68 : « La confusion actuelle entre discipline et discrimination ruine la discipline. » Dans un récent numéro de Globe, on pouvait lire à la fois un article moquant le collège américain où l’on interdit les « Doc Martens » comme pompes néo-nazies et un édito appelant à l’« union sacrée », façon 1914, contre l’intégrisme qui menace la démocratie (voir ce mot).

Récemment, à Blida (Algérie), le bruit a couru que le port du voile serait obligatoire dans le secondaire. Le jour dit, toutes les réfractaires sont venues en mini-jupes. Si, s’inspirant de leur exemple, des collégiennes françaises venaient en classe un foulard sur la tête, mais le cul à l’air, on verrait profs laïques et pères mollahs leur donner la chasse de conserve, au nom de la même morale.

 

Citation

« Pour quant à mes vices : impérieux, colère, emporté, extrême en tout, d’un dérèglement d’imagination sur les mœurs qui de la vie n’a eu son pareil, athée jusqu’au fanatisme, en deux mots me voilà ».

Sade (lettre, septembre 1783).

 

L’histoire, le sexe et la révolution

Ce texte constitue l’épilogue du livre Pièces à convictions.rubon5

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« Depuis 1968, ma réflexion et ma pratique politique sont un inventaire permanent. Ce n’est pas la révolution permanente, c’est l’inventaire permanent. »

Daniel Cohn-Bendit, Libération, 8 mars 2001.

 

Démocratie privée de son empire, la société française n’aime ni l’histoire de ses origines (la Terreur) ni celle de sa splendeur (le colonialisme). La mémoire collective qu’elle décrète bienséante est donc sélective. Elle use volontiers de prescriptions morales et de sommations juridiques. Énième avatar du genre, le « droit d’inventaire » — d’abord revendiqué par un dirigeant social-démocrate à l’égard de la politique de François Mitterrand —, qu’un essayiste[1] proposa d’exercer sur Mai 1968 et singulièrement sur « la question du sexe » qui, si l’on comprend bien, y trouvait ses origines. Comme nous le verrons, d’autres transformeront bien vite en « devoir » pour les autres le nouveau droit qu’ils s’accordent à eux-mêmes. C’est que la révision de l’histoire au service de l’idéologie se doit d’être permanente, et les réviseurs capables d’émulation et de surenchère.

Les réviseurs suggèrent qu’une chape de plomb soixante-huitarde, révolutionnaire et libertaire, pèse sur la société française, dont la présence au pouvoir — au gouvernement, dans les médias et chez les dirigeants patronaux — d’anciens gauchistes serait le signe. Ces ralliés au capitalisme, y compris dans sa variante chimérique « libérale-libertaire », sont supposés incarner la persistance de Mai. Ainsi rivalisent entre eux, pour la même cause, ceux qui depuis toujours nient la nature du mouvement de 68 et ceux qui l’ont renié.

Spécialiste de la police des idées, le réviseur se flatte de compétences archéologiques. Ayant affirmé la nécessité d’un inventaire, il peut faire valoir ses droits d’inventeur [2]. Ainsi révélera-t-il l’existence de la « pédophilie ». Il a trouvé ça tout seul ! On savait que Marx avait créé les camps staliniens ; on découvre à l’aube du XXIe siècle que ce sont Mai 68 et la décennie suivante qui ont produit la « pédophilie ». Jusque-là, Mai 68 était supposé n’être rien. Révision faite, il faut admettre que de ce non-lieu de l’utopie vient tout le mal de l’époque : la « pédophilie », la violence, le laxisme, la délinquance, la drogue, l’absentéisme scolaire, le syndrome immunodépressif acquis, etc. Lire la suite

L’Église catholique passe à l’offensive (1997)

Publié dans Le Monde libertaire (n° 1083, 7 au 14 mai 1997), ce texte concerne directement, comme son titre l’indique, l’Église catholique. Il va de soi, mais il est préférable de le préciser, que les critiques visant la religion s’appliquent également au judaïsme, à l’islam et au boudhisme (pour ne citer que des nuisances répandues).

Ce texte peut être (re)lu à la lumière des récents mouvements contre le « mariage pour tous » [et toutes].

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Notre seigneur chasse démons

L’anticléricalisme avait été rangé un peu vite par certains au magasin des accessoires, considéré avec une indulgence amusée, comme une espèce de folklore anachronique. Le péril était supposé avoir disparu, englouti par la même « modernité » coca-colisée qui a noyé la culture ouvrière. Nous pouvions nous offrir le luxe reposant de la tolérance…

Or voici qu’à l’approche du centenaire de la séparation de l’Église et de l’État (en 2005), l’Église catholique revient à l’offensive sur plusieurs fronts, culturel, idéologique et judiciaire, tandis que l’État multiplie les gestes de bienveillance envers elle, comme ces temps-ci à l’occasion de la préparation des Journées mondiales de la jeunesse [catholique].

Mentir sur le passé

Les religieux ne manquent pas une occasion de réécrire l’histoire à leur avantage, pour en gommer les aspects préjudiciables à l’image de l’Église. Dans un colloque[1] sur la prise en charge de la douleur, organisé au Sénat en décembre 1994, le père de Dinechin s’élevait, en tant que représentant de l’épiscopat, contre « l’idée inexacte que le christianisme promouvait “la valeur rédemptrice de la souffrance”, [idée que] notre mémoire sociale en France, et en particulier dans les milieux médicaux a retenue. » Il affirmait même qu’on ne trouve « aucune mise en garde venue d’autorités religieuses catholiques contre des traitements de la douleur », aussi loin que l’on remonte dans l’histoire. J’ai montré dans À la Vie à la Mort qu’au contraire les propagandistes catholiques ont, durant le dix-neuvième siècle et jusqu’aux années 1930, constamment exalté la douleur comme marque de la condition inférieure de l’homme ou châtiment de ses péchés. Ces thèmes étaient couramment traités dans des brochures, diffusées à des milliers d’exemplaires, et dans des tournées de conférences. Il faut attendre les années 70, tout récemment donc, pour que s’amorce un réel changement de cap, qui mène aujourd’hui des médecins catholiques à promouvoir les soins palliatifs donnés aux mourants, non sans arrière-pensée — il est vrai — puisqu’ils espèrent ainsi priver les partisans de l’euthanasie de leur meilleur argument.

Reconquérir la société

Exemple récent et particulièrement éclairant de la stratégie catholique, les évêques de France viennent de créer, selon la loi de 1901, l’association Croyances et Libertés, afin, déclarait au Figaro le secrétaire général de l’épiscopat, de « promouvoir la liberté religieuse […] mais aussi défendre les dogmes, les principes, la doctrine de l’Église catholique ainsi que ses institutions, quand ils sont bafoués[2]. »

Défendre doit s’entendre ici : devant les tribunaux. L’ambition de Mgr Lagoutte, puisque tel est son nom, et de ses collègues, est donc de faire juger par les tribunaux de la République ceux qui auront osé tourner en ridicule (c’est le sens de « bafouer ») par exemple le dogme de la virginité de Marie. Autrement dit encore, les tribunaux laïques auraient à appliquer le droit canon, de la même manière que les tribunaux civils sont chargés d’appliquer le code de justice militaire !

Comme le journaliste du Figaro, un peu interloqué, demande à l’évêque « comment défendre des dogmes religieux devant un tribunal civil », celui-ci répond : « Il ne s’agit pas de demander à un tribunal de défendre un dogme, mais de permettre aux catholiques de le professer librement ». Ce qui revient exactement au même !

Ainsi serait-il passible des tribunaux de rappeler que l’hypothèse d’une conception et d’un accouchement n’ayant donné lieu à aucune lésion de l’hymen relève de la blague de carabin ou de la supercherie de sorcier, et ne peut susciter que le rire et le mépris chez tout être qui raisonne. C’est au moins le but déclaré de Mgr Lagoutte et des chefs de sa secte.

Les motifs qu’il avance sont eux aussi très édifiants : « Nous sommes dans un contexte culturel nouveau [sic, la séparation date de 92 ans !] où l’Église, pas plus que les autres institutions, n’est universellement reconnue comme une autorité incontestable et intouchable. Elle est désormais attaquée, comme toute institution. De cela nous prenons acte, et nous en tirons les conséquences. »

Les mots sont ici lourds de sens. En effet, s’il n’est pas abusif de parler de l’Église comme d’une institution, on voit bien que ce terme sert à maintenir symboliquement une parenté entre l’Église et les institutions de l’État (l’État lui-même, l’armée, l’école, etc.). Or, d’un point de vue juridique, la déclaration de Mgr Lagoutte a autant (aussi peu) de valeur que celle que pourrait faire le président du syndicat national des garagistes, lassé des critiques qui visent sa corporation. Mais la hiérarchie catholique entend exciper de sa splendeur passée, avant qu’elle ait été chassée manu militari de l’Éducation et de la médecine hospitalière, pour conserver une place privilégiée au sein de la société. Ce bluff historico-théorique n’est pas sans efficacité. Il n’est que de voir le réflexe des médias et des gouvernements qui se sont succédés depuis cinquante ans : dès que se pose un « problème de société » touchant à la procréation et à la mort (avortement, euthanasie, etc.), les regards et les micros se tournent en priorité vers les curés, qui voient ainsi reconnue leur compétence autoproclamée dans ces matières.

De ce point de vue, les propos de Mgr Lagoutte peuvent étonner : « Nous ne voulons empêcher personne de parler, voire de critiquer [sic]. Mais nous ne voulons pas non plus être réduits au silence. Pourquoi les uns auraient-ils le droit de tout dire publiquement, tandis que d’autres n’auraient que celui de se taire ? Dans ce pays, les catholiques, qui ne sont pas minoritaires, ne sont pas moins égaux que leurs concitoyens. » Cette dernière formule, inspirée d’un sketch de Coluche, doit être inversée pour être comprise : les catholiques veulent être « plus égaux que les autres » devant la loi. À ma connaissance, en effet, les journaux catholiques paraissent librement ; personne n’a été poursuivi devant les tribunaux pour avoir affirmé sa croyance en la résurrection de Jésus ou en la virginité de Marie, y compris lorsque ces billevesées s’étalent sur de disgracieux panneaux publicitaires disposés sur les églises parisiennes, dont la vue constitue une indéniable nuisance esthétique et intellectuelle pour l’antithéiste que je suis. Les catholiques, y compris les plus fanatiques d’entre eux, sont donc — au regard de la loi — parfaitement libres de ressasser leurs délires, en privé et en public. Le législateur n’entend nullement les « réduire au silence » ni leur défendre de répondre sur le même ton à qui les critique ou les moque. Mais, ne disposant plus de la force publique ni de la Justice, l’Église se trouve réduite à ses seuls moyens intellectuels, qui lui paraissent bien minces. Si Mgr Lagoutte prend la pose du persécuté, c’est pour mieux annoncer que les catholiques « qui ne sont pas minoritaires » vont néanmoins réclamer à l’État la protection due aux minorités opprimées. Si elle renvoie au folklore de la persécution antichrétienne (catacombes, Blandine aux lions, etc.), cette stratégie n’en est pas moins moderne. C’est une version française de l’affirmative action américaine (généralement mal traduite par « discrimination positive »), qui justifie entre autres des mesures de quotas universitaires en faveur des minorités ethniques. En l’espèce, les catholiques, libres de se gausser des incroyants, réclament tout simplement qu’il soit interdit de se moquer d’eux ! Ils jouent habilement des amalgames déjà présents dans la loi, et annoncent que « l’association [Croyances et Libertés] se propose aussi de lutter contre toute forme de racisme, c’est-à-dire contre toute discrimination fondée sur l’origine, l’appartenance ou la non-appartenance à une race, une ethnie ou une religion déterminée. » Nous ne sommes pas loin du « racisme anticatholique » qui faisait jusqu’ici les délices des seuls intégristes de l’Alliance générale contre le racisme et pour l’identité française (Agrif, présidé par Bernard Antony, député européen du F.N.) ou du « racisme antifrançais », commune préoccupation de MM. Le Pen et Toubon. De ce mélange des genres, de cette confusion sémantique, nous ne pouvons rien attendre qu’un renforcement de l’arsenal répressif de l’État, brandissant l’antiracisme contre des révolutionnaires qui l’incarnent depuis toujours.

Un pays chrétien ?

Lors du récent procès concernant l’affiche du film de Milos Forman Larry Flint, dont des catholiques demandaient le retrait, la représentante du parquet, c’est-à-dire du ministère de la Justice, c’est-à-dire de l’État, a prononcé un réquisitoire qui a du combler Mgr Lagoutte et ses confrères, tant il illustre leur stratégie : revenir, par le biais culturel, sur le principe de la séparation de l’Église et de l’État. « Nous sommes un pays chrétien, a ainsi déclaré le substitut du procureur, Mme Gregogna, je veux dire avec une base de chrétiens [sic], même si les églises ne sont plus aussi pleines qu’autrefois. On ne peut toucher à ses racines, à son éducation, à sa morale. Je suis même surprise qu’il n’y ait que trente et un plaignants [contre l’affiche] […]. Le ministère public est là pour rappeler qu’il y a des limites, qu’on n’a pas en permanence à être choqué. On va dire que le ministère public est puritain et même pudibond. Certains vont parler de retour en arrière. Mais […] il y a un trouble manifestement illicite, constitué par cette agression permanente sur la voie publique[3]. »

 

Différence avec Médor

 

La représentante du parquet, censée — selon les us judiciaires — parler au nom de la société, en l’espèce d’une société laïque, décrète que la France est « un pays chrétien », ce qui au regard du droit constitutionnel est dépourvu de sens. Significativement, sa seule restriction n’est pas d’ordre juridique (la laïcité de l’État), mais religieux (la baisse de fréquentation des églises) ! Du coup, racines, éducation, et morale catholiques sont supposées former une sorte de préambule de la Constitution de la République, qui s’imposerait à chaque citoyen, quelque soient ses propres convictions. En effet — faut-il le préciser ? — seuls les croyants, et plus sûrement encore les catholiques, sont dotés de convictions, susceptibles d’être choquées. « On n’a pas en permanence à être choqué », affirme l’impersonnel substitut. « On » ne se soucie pas de la colère qui saisit chaque dimanche matin des milliers d’auditeurs athées obligés de changer de fréquence pour échapper aux simagrées de la messe dominicale, retransmise par une radio nationale, et financée par l’argent public. « On » trouve tout naturel que les même impôts qui serviront à financer le pilonnage des livres jugés blasphématoires ou pornographiques par les grenouilles de bénitier, servent aussi à construire des cathédrales où elles trouveront à barboter.

Croire, c’est renoncer à penser

« Credo quia absurdum », je crois parce que c’est absurde ! Que la formule appartienne ou non à Augustin, à qui on l’attribue, elle décrit parfaitement le mécanisme de la croyance : une abdication de l’intelligence, exigée et offerte en signe de soumission à un pouvoir, à une secte. Par parenthèse, il est piquant de voir l’Église catholique se faire une espèce de virginité rationaliste sur le dos de sectes plus récentes, au prosélytisme plus dynamique. Tout est bon, dans l’actualité sanglante, pour apparaître incarner la modération et la tolérance que l’on imposera aux adversaires, par décision de justice s’il le faut. Pain béni, les assassinats maquillés en « suicides collectifs », pratiqués dans de petits groupes apocalyptiques, ils dispersent dans l’oublieuse conscience moderne les relents de charnier et de bûcher qu’exhalent les religions bibliques. Qu’une bombe meurtrière, attribuée à tels ou tels « fous de Dieu », éclate dans le métro parisien, vous les verrez disserter sur le fanatisme. Dieu ? Ils l’avaient au téléphone encore tout à l’heure, et il dément, le bougre, absolument ! Gott mit uns, registered trademark, sus aux imposteurs et aux incroyants !

Allons ! Peu m’importe si les sectateurs catholiques ou mahométans y voient ce que Mgr Lagoutte qualifie « d’insultes manifestes et blessantes », je tiens le croyant pour un aliéné, au sens étymologique. Étranger à lui-même, il ne peut envisager ni sa propre existence ni ses relations avec les autres sans l’entremise d’une entité imaginaire.

« Ce ne serait donc point, comme l’écrivait Sade, à permettre indifféremment tous les cultes que je voudrais qu’on se bornât ; je désirerais […] que des hommes, réunis dans un temple quelconque pour invoquer l’Éternel à leur guise, fussent vus comme des comédiens sur un théâtre, au jeu desquels il est permis à chacun d’aller rire. […] Je ne saurais donc trop le répéter : plus de dieux, Français, plus de dieux, si vous ne voulez pas que leur funeste empire vous replonge bientôt dans toutes les horreurs du despotisme ; mais ce n’est qu’en vous en moquant que vous les détruirez. »

La profession d’une foi, l’exercice d’un culte, s’accompagnent nécessairement, pour ceux qui y sacrifient, du risque de voir leurs chimères et leurs prétentions objets du mépris et de la raillerie publics. Faute de cette contrepartie naturelle, dans une société policée et laïque, une lutte à mort s’engagera, sur tous les terrains, et par tous les moyens, contre la religion catholique, et d’autres qui prétendraient l’imiter. Tandis que nous nous y préparons, les évêques seraient bien inspirés de réfléchir à deux fois aux conséquences de leurs rodomontades.

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[1] Prendre en charge la douleur, Les rapports du Sénat, n°138, 1994-1995, p. 174-175.

[2] Le Figaro, 1-2 février 1997. Je souligne.

[3] Le Monde, 20 février 1997. Je souligne.

Ce texte a été republié dans rubon5