QUEL RAPPORT ENTRE UN IMMIGRÉ HONGROIS ET L’«IDENTITÉ NATIONALE»? (2007)

Drôle de titre… Vous trouvez ?

Vous comprendrez de quoi je veux parler, mais suivez-moi d’abord. Je reviens d’une escapade bruxelloise et j’en garde les jambes courbaturées et l’esprit musard.

Je dînais vendredi soir avec mon amie D. et sa sœur, dont je faisais la connaissance.

Ce sont deux très belles femmes. On rencontre souvent dans cette région du monde de ces femmes grandes, souvent bien charpentées, les yeux souvent clairs (rarement blondes). Vous en connaissez à Varsovie ou à Paris ? Mais bien entendu. C’est très difficile d’évoquer un « type de femmes » sans tomber dans des stéréotypes oiseux. Pourtant, je vous assure, je n’en vois jamais autant passer que depuis la terrasse de ce café (je ne pousserai pas le goût de la vérification scientifique jusqu’à vous indiquer l’adresse).

« Mais que viens-tu chercher à Bruxelles ? », me demande D.

Le dépaysement. N’étaient les tarifs prohibitifs du train, je viendrais plus souvent. Et comme D. moque gentiment mon « dépaysement tempéré » par une langue commune, je lui fais observer qu’à Bruxelles rien ne se dit dans les même mots, les mêmes expressions qu’à Paris, à une heure un quart de là et dans la « même langue » en effet. À commencer par les expressions les plus simples de la vie quotidienne, par exemple : s’il vous plaît remplace merci. Et que peut signifier cette pancarte apposée sur plusieurs boutiques « Commerce à remettre ». Selon les explications de la sœur de D., il semble que ce soit un équivalent de notre « Bail à céder »… Elle me signale l’apparition sur des maisons ou des appartements de panneaux portant la mention « À acheter » (et non plus « À vendre »).

Le dépaysement, c’est mon trouble devant cette marchande de fleurs à qui je viens de demander mon chemin en l’appelant Madame et en la vouvoyant et qui me répond en m’indiquant une avenue, avec un fort accent flamand : « Tu marches tujours tu droit ! » Le tutoiement est-il familier ? moqueur ? prolétaire ? lié au passage d’une langue à l’autre ? Comment savoir.

Le dépaysement, je l’éprouve en me perdant dans le métro ou plutôt dans les différents étages du métro, du prémetro (les trams roulant sous terre) et du tramway proprement dit. Tout est pourtant indiqué en français (et en flamand), mais je n’y comprends rien. J’ai la chance de tomber sur un employé qui m’assure que le moyen le plus simple de prendre le métro (je viens de descendre dans une station de métro) est de prendre d’abord le tram que voilà et de changer à la prochaine… Je suivrai ses indications. Dans le tram, je le sais, depuis le temps, mais je l’oublie à chaque fois, les accélérations sont incroyablement brusques. Tous les voyageurs, quel que soit leur âge, semblent stables sur leurs jambes ; je suis le seul à manquer m’étaler, me signalant immédiatement comme étranger…

D. et moi choisissons des chicons gratinés. D’un certain point de vue, on peut dire que c’est un plat typiquement belge ; encore que… Dans le nord de la France aussi, je crois, on appelle les endives chicons. « Je ne sais pas ce qui est belge ! » remarque D. Je pourrais lui répondre que je ne sais pas très bien ce qui est français, quoique, précisément, je me sens, je m’éprouve, je me vérifie « français » dans ce restaurant bruxellois. Comme dans le tram, comme dans ma conversation avec la fleuriste. Lire la suite