L’OBSCÉNITÉ DE CE MONDE (2004)

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Ce texte a été distribué à Paris lors de la manifestation du 5 juin 2004 contre la venue de G.-W. Bush.

 

 

Au milieu de tant de meurtres et de tortures, les nazis cultivaient des fantaisies «scientifiques». Ils inoculaient des maladies incurables et pratiquaient la vivisection ; ils s’intéressaient aussi à la possibilité de ranimer un homme en état d’hypothermie (préalablement plongé dans l’eau glacée), en couchant sur lui successivement des femmes nues maintenues à température normale. L’hétérosexualité du scénario était plutôt destiné, aussi paradoxal que cela paraisse, à respecter les convenances.

N’est-elle pas étrange cette compulsion des bourreaux à entasser des corps nus vivants ? En Irak occupé, des soldats américains des deux sexes obligent des détenus mâles à se coucher les uns sur les autres, complètement nus. L’homosexualité du scénario est destiné d’une part à humilier les victimes, et d’autre part à satisfaire les fantasmes de jeunes recrues du pays le plus puissant du monde, dans lequel les lois anti-sodomie viennent tout juste d’être déclarées anticonstitutionnelles. Lesdites lois réprimaient dans plusieurs États non seulement la sodomie mais aussi la fellation, y compris entre adultes de sexes différents.

Tout s’arrange à merveille : les militaires américains des deux sexes souffrant de graves refoulements (phobie & fascination sexuelles) espèrent que les détenus vont finir par faire ce qui les exciterait, eux, militaires, au moins comme spectacle, c’est-à-dire se sucer et s’enculer.

Il y a des choses faciles à obtenir d’un détenu : les militaires américains des deux sexes ont donc violé certains détenus et certaines détenues ; des femmes militaires en ont tripoté d’autres (des hommes) ; ils en ont contraint d’autres (des hommes) à porter des sous-vêtements de femme ; ils en contraint d’autres (des hommes) à simuler des sodomies et des fellations (et les ont traité de pédés) ; ils en ont contraint d’autres à se masturber. Lorsque des militaires hommes commettaient des viols, des femmes prenaient des photos, qu’ils et elles menaçaient d’envoyer aux familles des détenus.

D’autres choses sont plus difficiles à obtenir de détenus terrorisés. Il est facile d’obliger un détenu à se masturber devant un autre, bouche ouverte. Il n’est pas certain qu’il parviendra — même s’il pense ainsi sauver sa vie ou éviter des sévices plus douloureux — à une érection. Le mécanisme proprement dit de l’érection est assez complexe, et l’imagination érotique qui lui est propice a peu d’espace pour s’épanouir dans une salle de torture (sauf lorsqu’il s’agit d’un scénario imaginé et choisi par l’intéressé lui-même, en fonction de règles précises, dont il sait qu’elles ne seront pas outrepassées). D’où la bruyante satisfaction de telle soldate US, rapportée par un de ses camarades devant une juridiction militaire : « J’ai entendu l’engagée England hurler : “Il bande” » [Le Monde, 10 mai 2004]. Le hurlement de la soldate, à la tonalité d’étonnement quasi naïf, atteste de l’ivresse jouissive ressentie devant la possibilité de pousser le raffinement de la violence physique et psychique si loin qu’on peut faire «participer» la victime à son propre viol, ou lui en donner le sentiment. Dans une société de domination masculine, les femmes sont plus souvent en position de victimes de ce système que de pratiquantes du viol. Au sein même de l’armée américaine, les cas de harcèlement sexuel visant des femmes sont nombreux (rien ne vaut d’ailleurs une humiliation subie pour faire un bon bourreau). Le progrès capitaliste installe la parité dans l’horreur : des hommes violés avec la participation de femmes.

Immédiatement après le 11 septembre 2001, Bush avait annoncé que face à un ennemi sans visage (le terrorisme) la croisade du Bien se mènerait selon les principes suivants: Nous, gouvernement des États-Unis, ferons ce que nous jugeons bon de faire, là où nous le déciderons, aussi longtemps que cela nous paraîtra nécessaire. De plus, nous n’hésiterons pas à vous mentir ! Rendant compte des premiers «résultats» de la guerre en Afghanistan, Bush s’est vanté des exécutions sommaires commises par les services US.

Nous pouvons tout nous permettre ! Nous pouvons tout vous faire ! C’est la devise du viol systématisé en arme de guerre, au Chiapas, en Bosnie, en Irak. Que Bush bande ou vomisse en consultant les milliers de photos prises par ses soldats et leurs auxiliaires privés n’y change rien.

Les flics de Saddam pratiquaient aussi la torture ; ils ne prétendaient pas incarner la civilisation. Pour les victimes directes (les mêmes), cela ne change pas grand chose. Pour nous, si ! L’une des obscénités de la systématisation des tortures sexuelles, c’est d’emprunter à notre imaginaire érotique, et du coup de le contaminer (les clichés pornos des tortures sont envoyés aux copains). Ici, dans une version soft et médiatique, ce sont les publicités étalant les chairs féminines comme dans la vitrine d’un immense bordel qui veulent nous faire jouir & consommer, participer à notre aliénation. La pornographie marchande du capitalisme joue d’Internet aussi bien qu’elle remet en usage les méthodes de l’Inquisition.

Le sommeil de la révolte engendre des monstres. Contre toutes les religions et leur infâme prétention à régler les désirs et les corps, et d’abord contre la religion de la marchandise et les guerres qu’elle inspire, nous devons penser l’amour pour le faire, c’est-à-dire penser l’érotisme comme une arme antipatriarcale et anticapitaliste. Que l’art de jouir et d’aimer soit libre et proclamé tel : nous embellirons la vie et compliquerons la tâche de ses voleurs : marchands, prêcheurs et bourreaux.

 

Permanente et tournante, c’est la nouvelle guerre mondiale ! (2003)

Texte publié en deux articles dans Le Monde libertaire (n° 1307, 13 au 19 février 2003 et n° 1308, 20 au 26 février 2003). Le premier reprenait le texte d’un exposé introduisant une réunion publique organisée par le groupe d’Ivry-sur-Seine de la Fédération anarchiste, le 4 février 2003.

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La guerre menée depuis dix ans en Irak par la coalition anglo-américaine va sans doute prendre dans les semaines qui viennent une ampleur nouvelle. Un cycle nouveau de conflits a commencé avec la première guerre dite « du Golfe », pour se poursuivre au Kosovo et en Afghanistan. Mode de régulation traditionnel des crises, la guerre connaît un emploi différent dans le système capitaliste moderne, non plus moment exceptionnel d’exacerbation de la violence et des replis nationalistes, mais état permanent, mode d’exercice quotidien de la domination.

 

NATURE DES GUERRES MODERNES

De la guerre du Golfe, en 1991, j’avais dit qu’il s’agissait de la première « guerre mondiale dans un seul pays ». La seconde a eu lieu au Kosovo et en Yougoslavie, en 1999 ; la troisième, en Afghanistan, après le 11 septembre 2001. On voit qu’il s’agit désormais d’une guerre mondiale tournante, dont le théâtre d’opérations se déplace de pays en pays, au gré des intérêts américains et des occasions qui leur sont fournies par des conflits locaux ou des actions terroristes.

On peut avancer l’hypothèse que la guerre suivante aura lieu en Iran, pays indiqué comme cible par Georges Bush dans son récent discours sur l’état de l’Union avant même la Corée du Nord.

Le 11 septembre 2001 a été un traumatisme, non seulement pour les victimes et leurs proches, mais pour tous les Américains et pour l’équipe Bush. Cependant, le complexe militaro-industriel, les pétroliers, le Pentagone et l’équipe Bush, ont compris le parti qu’ils pouvaient tirer de ce qui pouvait apparaître comme une défaite militaire et politique.

Jusqu’alors la guerre tournante devait se trouver des prétextes plus ou moins présentables. La guerre du Golfe a été décrétée « guerre juste » par François Mitterrand ; il s’agissait de libérer le Koweït. En 1999, dans les Balkans, c’est le concept de « guerre humanitaire » qui a été utilisé par les militaires et les publicistes démocrates. Il s’agissait cette fois d’abattre le régime de Milosevic et de répondre à l’apartheid et à l’épuration ethnique dont étaient victimes les Kosovares. Le 11 septembre a donné à George W. Bush un prétexte valable indéfiniment, et en tous lieux. C’est le joker du terrorisme. Lire la suite