Je voterai dès le premier tour de l’élection présidentielle pour Jean-Luc Mélenchon – que par ailleurs je déteste

Et voici pourquoi…

Je commence par écarter, j’ai déjà pas mal écrit sur ce thème ici-même il y a quelques années, les malédictions moralistes identitaires des camarades anarchistes.

Il est faux de dire que les anarchistes n’ont jamais voté. La Confederación Nacional del Trabajo (CNT), syndicat anarcho-syndicaliste espagnol et principale organisation ouvrière d’Espagne dans les années 1930 a utilisé le vote (massif) dans le but concret de faciliter la libération de plusieurs milliers de militant·e·s emprisonné·e·s.

Un ami de longue date me dit — Mais moi je ne vote pas ! Exactement comme il me dirait — Mais moi j’ai les pieds plats !

Admettons qu’il s’agit d’un cas intéressant d’imprégnation physique d’une donnée idéologique, laissons le malheureux à son infirmité, et voyons ce que « risque » un anarchiste à voter.

Évidemment rien. À moins de considérer que les anarchistes ont une âme et qu’ils·elles la perdraient en acceptant de glisser une enveloppe dans une boîte carrée. Franchement, les gens, si vous en êtes là, je vous conseille de laisser tomber au plus vite la réflexion politique et de vous tourner vers la théologie. Pour les plus anxieus·e·s, pesez-vous la veille du scrutin et au retour du bureau de vote : vous constaterez qu’aucune perte de poids ne témoigne de l’évaporation de votre âme.

Mais objecteront, de bonne foi (hélas ! il s’agit bien de cela), mes contradicteurs, n’est-ce pas se plier au système, faire le jeu du capitalisme ?

Eh bien je ne vois pas – en dehors du gloubi-glouba psycho-moralisateur qui tient lieu de « ligne de force » à beaucoup de militant·e·s  – le début de l’ombre d’un argument pour étayer cette hypothèse.

Récapitulons

Je ne crois pas que les élections sont un moyen d’émancipation.

Mais je ne crois pas non plus que les élections ne sont «rien». C’est bel et bien un moment concret du fonctionnement du système sur lequel il peut être légitime, voire possible, de peser. Je ne pense pas que l’on puisse faire comme si ce «rien» ne nous concernait pas. Il nous concerne oh combien!

Je ne crois pas que voter à l’extrême-gauche fera avancer d’un millimètre la cause révolutionnaire.

Je ne crois (surtout) pas que c’est un bon moyen d’« apparaître » entre une pub de lessive et le dernier édito néo-nazi. C’est en effet – et là réellement ! – se plier intégralement à l’injonction trompeuse du système : « Je vote pour celui-qui-est-le-plus-proche-de-mes-idées. » Ça, c’est la vaseline-type du système démocratique, soit le système de régulation sociale de l’exploitation capitaliste. Que ce soient des pseudos-révolutionnaires, comme Poutou et Arthaud, qui continuent à jouer à ça, me donne envie de pleurer.

Quelques mots sur Mélenchon

Sa physionomie m’a toujours été profondément antipathique : je ne peux pas croire un mot de ce que ce type raconte. Dans les années 1980, il a réclamé la censure du livre Suicide, mode d’emploi, dont je suis coauteur. C’est un vieil admirateur de Poutine (par « anti-impérialisme », un comble !) dont le récent rétropédalage ne peut convaincre que des niais. En gros, je le considère plutôt comme un ennemi.

Mais, jeune lectrice, jeune lecteur, tu n’as pas été sans noter – et retenir – que voter pour un guignol que l’on trouve plus sympathique (ou plus honnête ou plus n’importe quoi) que les autres et le comble de la sottise « démocratique ».

Peu importe donc ici que Mélenchon apparaisse, sous bien des aspects, comme un sale type. La seule question qui se pose à un·e matérialiste est de savoir si sa présence au deuxième tour présente un avantage quelconque.

Voilà pourquoi je pense que oui.

Contrairement à ce que suggérait fielleusement un vieil ami pour me taquiner, je ne me soucie guère de « l’image de la France à l’étranger ». M’intéresse davantage – comme quoi tout le monde peut avoir ses soucis identitaires – ma propre image dans le miroir de la salle de bains, au lendemain du premier tour.

Et je ne veux à aucun prix faire partie des crétins des deux sexes qui, n’ayant pas participé au scrutin, vont se lamenter (et ça va durer des semaines !) sur le pourcentage formidable obtenu par la candidate d’extrême-droite, sans même parler du score total incluant les voix nazies de Zemmour.

Or, dans ce scrutin, les personnes qui voteront au premier tour pour Jadot, Hidalgo, Roussel, Poutou, Arthaud, etc. voteront réellement pour Marine Le Pen.

Si Mélenchon est au second tour, ce sera une occasion offerte – soyons miséricordieux mes sœurs et mes frères – à ces pantins de se désister pour un candidat de gauche. Sinon, ils regagneront leurs niches pour ronger l’os minuscule qu’on leur aura remis.

Plaçons ici une incise. Certain·e·s, qui se piquent de stratégie autant que moi, sont persuadé·e·s ou simplement espèrent vaguement que la politique du pire finira par pousser les masses vers la Révolution. Plus le pseudo « débat démocratique », raisonnent-ils, se réduira visiblement à des échanges à fleurets mouchetés entre un représentant du grand Capital et une figurante d’extrême-droite, et plus les gens comprendront la nature du système. Plus les gens manifesteront, par l’abstention, leur mépris du système, et plus celui-ci sera proche de son effondrement.

Voilà qui semble au moins logique… Hélas ! nous savons qu’il n’en est rien. Les États-Unis fonctionnent, pas si mal du point de vue de celles et ceux qui profitent du système, avec un taux d’abstention bien supérieur au taux français. Ça ne change absolument rien.

Quant au cas français, vous verrez le nombre important de « Gilets jaunes » (et pas toujours les plus bêtes) qui transformeront leur pulsion émeutière en bulletin d’extrême-droite.

Il faut cesser, quand on se prétend révolutionnaire, de prendre les gens comme variable d’ajustement ou souris de laboratoire.

Une fois Mélenchon au second tour, rien n’est gagné bien sûr. Mais rien n’est perdu.

Il faut cesser de croire que c’est sur la décomposition de la gauche parlementaire que va éclore un nouveau mouvement révolutionnaire. Ça ne fonctionne pas comme ça. Ça serait même plutôt l’inverse. Un mouvement révolutionnaire de classe, né de sa propre dynamique et des contradictions du système, pourra, lui, entraîner et radicaliser les franges de la « gauche » reconstituée autour de Mélenchon.

Mais Mélenchon nous fera tirer dessus !

C’est à craindre, en effet. Et alors ? Vous préférez le rythme tranquille des mutilations macroniennes ; vous vous êtes habitué·e·s ?

À moins que vous soyez impatient·e·s de connaître les innovations du maintien de l’ordre façon Le Pen ?…

— Mais enfin quel sens peut avoir de faire élire Mélenchon s’il faut le combattre par les armes ensuite ?!

Eh bien, niquedouille, entretemps, nous nous serons servis de sa (sale) gueule comme d’un marchepied.

Résumons-nous

Si vous êtes masochistes ou parfaitement crétins et que vous préférez pleurnicher entre ami·e·s, en buvant force bières, une fois le duel Macron-Le Pen confirmé, surtout de changez rien : abstenez-vous ou votez pour un·e des nains de jardin proposés à vos suffrages.

Si vous êtes matérialistes et que vous pensez qu’il faut tenter de modifier concrètement chaque situation concrète dans la perspective, même lointaine, de l’émancipation collective : votez Mélenchon !

Ni avec une pince à linge sur le nez ni avec des gants Mapa, ce sont là gamineries de carnaval.

Comme des grandes personnes. Avec la conscience simple et claire de faire quelque chose qui peut se révéler utile. Aussi peu que ce soit.

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PS. Au cas où, à la lecture de ce billet, l’évidence que je suis une «soupape de sûreté du Capital» (le Grand!), ne vous aurait pas convenablement aveuglé·e·s, j’indique à votre attention et à la postérité un de ces salmigondis de ressentiment et de contresens que seule la technique moderne a fait quitter le zinc des bistrots. C’est juste au cas où hein!