Vaccination: notes sur un mouvement [anti]social

Le système capitaliste – prêt à exterminer terre et mer – pour accroître ses profits porte une lourde responsabilité dans l’apparition de nouvelles pandémies (dont l’éventualité ne dépend pourtant d’aucun «complot»). Le gouvernement français – comme tous les autres ! – a rechigné à prendre la mesure de la crise sanitaire ; il a menti (et il ment encore), s’embrouillant à plaisir dans des déclarations et des mesures contradictoires. La récente mise en avant d’un « pass sanitaire » – matériellement inapplicable dans le secteur de la restauration, entre autres – a cristallisé l’exaspération d’un grand nombre de personnes, déjà poussées à bout par une année de confinements/déconfinements, de couvre-feu et autres restrictions de déplacement.

Ajoutons que l’État, engagé depuis longtemps dans la voie d’une «terrorisation démocratique», ne se gênera pas pour conserver tels éléments de «l’état d’urgence sanitaire» à intégrer dans le déjà considérable dispositif de contrôle social (comme il l’a fait après chaque vague d’attentats, par exemple).

C’est peu dire qu’une explosion des colères est légitime, comme elle l’était et s’était incarnée dans le mouvement dit des «Gilets jaunes». Un certain nombre de ces derniers s’est d’ailleurs immédiatement fondu dans l’actuelle protestation, espérant sans doute qu’elle pourrait revivifier, voire amplifier, leur propre mobilisation déclinante.

Ceci n’aura pas lieu, même s’il est possible que dans des localités précises, un bref retour des assemblées de rond-point soit constaté. [Notons au passage que le système des assemblées et des «assemblées d’assemblées» a perduré longtemps après la quasi-disparition des manifs hebdomadaires.]

Si certains «Gilets jaunes» trouvent dans la protestation contre le «pass sanitaire» l’occasion de se retrouver, c’est tant mieux pour eux·elles. Il est extrêmement improbable qu’ils·elles soient rejoint·e·s par davantage qu’une microscopique minorité des manifestant·e·s du samedi «nouvelle manière».

Je doute fort que les dizaines de milliers de personnes qui dénoncent le pass soient disposées à entonner l’hymne des «Gilets jaunes»: «Pour l’honneur des travailleurs, et pour un monde meilleur…». La plus grande partie d’entre elles, même si beaucoup sont des petits-bourgeois en voie de prolétarisation, se moquent pas mal de «l’honneur des travailleurs». Il ne s’agit pas de porter un jugement moral sur leur positionnement social, mais de faire un constat sociologique et politique.

De la même manière, l’analyse des slogans – ceux repris collectivement et ceux affichés individuellement (pancartes, chasubles ou badges) – est éclairante. Le slogan le plus communément scandé tient en un mot «Liberté!» Je crois que certains libertaires s’y sont laissés prendre. Il n’y a pourtant là aucune commune mesure avec l’ancien «Anarchie Liberté!», qui contrariait tant les bureaucrates gauchistes. Scandé seul, le mot «Liberté» est une coquille vide, dans laquelle viennent se lover à l’aise aussi bien des gens de droite, des militants néo-nazis et des électeurs de gauche. Souvenez-vous des manifestations de soutien à l’ école libre» (Tiens!): ses protagonistes prétendaient incarner la liberté face à un gouvernement « socialo-communiste » porteur de valeurs moscoutaires… Aujourd’hui, croyez-vous que les milliers de personnes dont ce sont les premières manifestations de rue s’intéressent vraiment à la  liberté de circuler»? Ils ne pensent qu’à la leur, et se moquent que l’on externalise les frontières – et les camps d’internement – le plus loin possible de l’Europe. Ces gens ne sont pas méchants! Simplement, leur rapport à la collectivité se limite à la déclaration d’impôt et aux élections. Le reste du temps, ils consomment de l’intoxication télévisée, et – pour celles et ceux qui préfèrent les versions customisées – des «réseaux sociaux».

La «liberté» qui sort de leurs bouches n’a rien à voir avec celle qui guide le peuple: c’est la liberté de l’interphone, de la voiture individuelle, et du smartphone.

Ce que demande ce mouvement – à supposer qu’il s’agisse d’un «mouvement» et qu’il «demande» quoi que ce soit – c’est le moins d’État possible dans le maximum de providence possible. Par là il est inspiré, sans le savoir, par les libertariens américains ; néanmoins son libertarianisme est sévèrement reconfiguré par les habitudes prises durant 85 ans de sécurité sociale !

Ce qui demeure du vieux fond anarcho-syndicaliste (dénaturé) dans ces mouvements d’opinion, c’est l’insatisfaction érigé en principe. Ce sont, autrement dit, des mouvements consuméristes. Si les vaccins tardent à être conçus, le gouvernement est un ramas d’incapables et les laboratoires pharmaceutiques des sangsues du peuple. Si les vaccins sont produits dans un temps record, le gouvernement est un ramas d’incapables, et les labos des apprentis sorciers. La même personne qui ignore que les premiers travaux sur l’ARN messager datent du début des années 1960, et refuse d’être le «cobaye» du vaccin contre le Covid, menacera de mort le cancérologue qui prétend lui interdire d’entrer dans le protocole d’un nouveau médicament…

À la décharge (signez ici) du consommateur de santé publique (vieux style), il faut reconnaître que la vaccination pose de manière paradoxale et quasi inextricable le problème de l’intersection/contradiction entre le bénéfice individuel et le bénéfice collectif. En réalité, le vaccin n’est pas fait pour vous (individu), mais pour nous (collectivité). Tel «accident» vaccinal (et la crainte qu’il suscite) n’affecte aucunement l’intérêt, voire la nécessité, d’une vaccination générale.

La question qui se pose aujourd’hui n’est en aucune façon de savoir si je souhaite ou si vous (individus) souhaitez vous faire vacciner; si vous éprouvez des réticences ; si votre système de croyance (religieux ou antiscientifique) vous «interdit» de le faire. La seule question est de savoir si la collectivité peut s’en passer. Ou, pour ne pas reculer devant les nuances: si des motifs sérieux et rationnels permettent d’envisager une autre stratégie de protection de la population mondiale (on ne peut pas à la fois aller passer ses vacances aux Maldives et nier que la situation sanitaire aux Maldives nous concerne).

La réponse à cette question – aujourd’hui – qu’on la formule brutalement ou avec toutes les circonlocutions imaginables est: Non.

À partir de là, on peut râler, signer des pétitions, attendre le dernier moment – comme pour remplir sa déclaration d’impôt – mais il faudra bien se faire vacciner. Et non, votre opinion individuelle ne «compte pas». Non pas parce le gouvernement est autoritaire (il l’est!) et oublie (il s’en moque!) qu’il est censé être à votre service (collectivité), mais parce que la santé publique s’évalue sur les grands nombres, lesquels sont extrêmement peu accueillants pour les particularités individuelles (ils les absorbent).

Que le gouvernement attelé à cette tâche soit du genre de ceux qui, depuis des décennies, ont entrepris d’éradiquer la notion même de «santé publique», ont mis des comptables à la direction des hôpitaux et fermé des centaines de lits jugés peu rentables ne modifie absolument rien, ni à la question ni à la réponse.

J’entends bien celles et ceux qui s’affirment à la fois vaccinné·e·s (ou sur le point de l’être) et hostiles à l’obligation vaccinale. Prenons un autre exemple. Diriez-vous: «Je suis entièrement d’accord pour dire que conduire fin saoul au-dessus de la vitesse maximale autorisée est un comportement criminel, mais je ne suis pas d’accord pour que ce comportement soit interdit?» Non, bien sûr.

L’habitude prise, dans les milieux autonomes, ultragauches et dans une (un peu) moindre mesure libertaires, de parasiter les «mouvements sociaux» pour tenter de les radicaliser ou d’y rencontrer de nouveaux et nouvelles complices est à l’origine d’une illusion d’optique. Ce genre de militant·e (même s’il/elle récuse le terme) a fini par penser que tout mouvement social est bon à prendre, qu’il exprime (au moins) une révolte contre l’ordre social et que l’on se doit d’y être «présent·e» pour y assurer une espèce de «permanence de la radicalité». Cet entrisme parasitaire s’exerce là où il est matériellement possible, c’est-à-dire dans les manifestations de rue. Plus elles rassemblent de monde et plus ce monde est divers, et plus l’entrisme est viable (les manifestations paysannes, par exemple, y demeurent assez peu perméables).

Illusion d’optique, disais-je : n’importe quel «mouvement» ne peut pas se transformer en n’importe quoi. L’actuelle protestation peut certes déboucher sur des manifestations violentes – violemment réprimées, surtout – mais on ne voit pas sur quoi d’autre. Parce qu’elle n’est porteuse de rien de positif. Elle est un refus, de surcroît autolimité. Et paradoxalement d’autant plus vivement exprimé qu’il se sait d’avance vaincu.

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J’ai déjà évoqué la vacuité des slogans scandés. Il est temps d’aborder l’infinie variété des références au nazisme. Certes, je comprends la critique morale qui en a été faite. Cependant, de mon point de vue de militant révolutionnaire, cet aspect est secondaire. Ce qui est important c’est que ces références attestent de l’absence de références positives (l’arbre qui cache le désert). On comprendra mieux en comparant ces niaiseries avec les fréquentes références, positives celles-là, à la Révolution française dans le mouvement des «Gilets jaunes». Les deux catégories de manifestant·e·s sont également dépourvues de culture ouvrière et de références historiques. Mais les uns remettent 1789 à l’ordre du jour, tandis que les autres brandissent en épouvantails Hitler, Auschwitz et l’étoile jaune imposée aux juifs.

Autrement dit, ce qui me frappe ça n’est pas le caractère exagéré (indéniable) ou «trop fort» de ces amalgames, mais leur faiblesse politique et intellectuelle. C’est, en l’état, un mouvement inintelligent, au sens propre. C’est-à-dire porteur d’aucune intelligence collective de la situation.

Ajoutons que cette faiblesse produit des paradoxes cocasses. Représenter Emmanuel Macron en Adolf Hitler, c’est bien se conformer au principe de propagande «Plus c’est gros, mieux ça passe»… appliqué par un certain Goebbels. Ajoutons que les manifestations accueillent (sans même le savoir) comme participants à part entière des groupuscules néonazis.

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Ce dernier point sert d’ailleurs de justificatif à des militant·e·s antifascistes pour participer aux manifestations. «N’abandonnons pas ce mouvement aux fascistes», disent-ils. Cette attitude me paraît relever d’une grande confusion. Qu’il s’agisse d’une occasion de trouver réunis des gens que l’on a envie de taper, c’est dérisoire, mais pourquoi pas ? Je comprendrais aussi que des militant·e·s tentent un effort pédagogique en allant distribuer des tracts (encore faudrait-il formuler une critique à la fois pertinente et audible – je mets à disposition en bas de page un tract de camarades de Caen, pour lesquels j’ai du respect et de l’amitié, et qui me semble exprimer parfaitement les limites et les contradictions de cette démarche). Mais se considérer et se comporter comme protagonistes d’un tel mouvement de protestation me paraît voué à l’échec et producteur de confusion.

Il existe des manifestations, même massives, même « réprimées » par la police, qui peuvent fournir l’occasion de repeindre sa cuisine ou de faire une balade en forêt… comme n’importe quelle élection.

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Je partage d’ailleurs le point de vue exprimé sur Twitter par le militant anarchiste Guillaume Davranche : un révolutionnaire doit considérer un problème de société au moins en partie comme s’il devait, dans un avenir plus ou moins proche, être appelé à contribuer à sa résolution. Un grand nombre de questions sont posées de manière biaisée dans la démocratie représentative, système de gestion modérée du système capitaliste et il ne s’agit pas (même si c’est un piège dans lequel il est facile de tomber) de se prendre pour le ministre de la Santé ou des Affaires étrangères. Mais les pandémies ne prendront pas fin avec le système capitaliste et il importe – à titre de gymnastique intellectuelle, et pour être en mesure de discuter des alternatives à l’état de choses présent – de nous demander ce que nous ferions, non pas « parvenu·e·s aux affaires » (ça n’est pas notre objectif), mais parvenu·e·s à un rapport de force différent, dans le prolongement d’une révolution sociale. On peut évidemment considérer que cette perspective est radicalement utopique et ne mérite donc pas d’être envisagée. Qui adopte ce point de vue se condamne – et contribue à condamner les autres – à demeurer un consommateur aussi insatisfait qu’impuissant. Si, au contraire, on veut bien considérer les occurrences passées et à venir d’une gestion collective de la vie sociale, force est de constater que la question de la vaccination s’est déjà posée, comme en témoigne l’affiche reproduite ci-après. On notera que la Commune a choisi l’incitation et non la contrainte. À celles et ceux qui ricaneront, triomphant·e·s, on fera observer que s’ils·elles s’étaient tous et toutes fait vacciner sans attendre petits cadeaux ou gros yeux, la question ne se poserait pas…

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Enfin, je pense qu’un aspect particulier de la protestation en cours mérite d’être mis en lumière : je veux parler des références au viol relevées (voir photo ci-dessous). Je ne pense pas que l’on puisse se contenter de les joindre, pour les écarter, aux facilités polémiques des références nazies. Le fait que l’injection, et son produit, renvoient dans l’imaginaire (de certaines) à une pénétration forcée tient évidemment à la voie intramusculaire de l’injection vaccinale (la seringue est dans l’argot un des innombrables équivalents modernes du pénis). Elle est sans doute en partie reliée à la peur des piqures (que je serai le dernier à moquer !). Elle manifeste aussi et surtout une angoisse véritable devant l’intrusion – corporelle, en l’espèce – de ce que le Dr Toulouse a nommé – bien avant Michel Foucault – la «biopolitique[1]». C’est une dimension du problème à laquelle personne n’échappera dans les années à venir, même si – ce que je souhaite – nous parvenons à mettre bas le système odieux, incohérent et mortifère dans lequel nous sommes contraint·e·s pour l’heure de sur-vivre.

PS. Je m’aperçois que j’ai omis de mentionner un argument mis en avant par celles et ceux qui encouragent la protestation actuelle: elle est partagée par un certain nombre de soignant·e·s. C’est en effet un trait paradoxal qui mérite quelques mots. Que des gens qui sont en première ligne quant au risque de contagion et dont le métier est de soigner se refusent à endosser une mesure sanitaire dans la situation présente, je ne peux me l’expliquer que par un sentiment violent d’humiliation, justifié par la condition qui leur est faite, le mépris réel dans lequel ils et elles sont tenu·e·s, derrière les déclarations larmoyantes et les démonstrations de balcon. Pour surmonter ce sentiment d’humiliation, seule une pose de défi permettrait d’afficher la fierté dernière de celles et ceux qui ne peuvent se croiser les bras, sous peine d’endosser la responsabilité de centaines de décès. Au moins, cela, on ne nous l’imposera pas! Quelle dérision. Les personnes prostituées, elles, ne renoncent au préservatif que sous la pression contraignante des clients.

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[1] Voir Je chante le corps critique, chap. 6, «Corps utopique – corps obsolète».

«Ça pass’ et ça casse!», tract libertaire de Caen.

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“Trois essais sur l’esclavage moderne” ~ de Léon TOLSTOÏ ~ trad. Adrien Suberbielle ~ préface de Louis Janover

Sa fréquentation des milieux les plus pauvres de la Russie de son temps a conduit Léon Tolstoï à s’interroger sur les racines profondes de l’inégalité sociale et de l’esclavage moderne, et à mettre en pratique dans sa propre existence cette simplicité de vie, par laquelle le renoncement au superflu, outre qu’il est libérateur, est restitution de ce que l’on a volé à d’autres. Sa critique sociale a bouleversé le monde russe et bien au-delà. Alors qu’elle était considérée comme dépassée par nombre de marxistes, elle réapparaît aujourd’hui portée par une pensée active de l’émancipation: refus radical de la condition ouvrière; image d’une communauté agraire, alors vivante aux yeux de tous. Et Marx, dans une lettre de mars 1881, ne disait-il pas de la commune rurale qu’elle pouvait être «le point d’appui de la régénération sociale en Russie». Notre temps est-il si loin d’une telle convergence?
Les trois essais de Tolstoï réunis dans ce livre, «L’Esclavage moderne», «Où est l’issue?», «La Racine du mal», traitent de cette émancipation plus actuelle que jamais.
Une préface de Louis Janover (de 78 pages) s’efforce de mettre cette idée en résonance avec d’autres voix comme celle de Rosa Luxemburg qui porte jusqu’à nous la révolte de Tolstoï. Sont publiés en annexe une lettre de Tolstoï à Romain Rolland et l’article de Rosa Rosa Luxemburg: «Tolstoï, penseur social» (1908).

Traduit du russe par Adrien Suberbielle.
 
 

Statut de l’ouvrage: envoyé par le préfacier.

“L’Algérie au temps du hirak: quelles perspectives pour les révolutionnaires?” ~ par Nedjib Sidi Moussa

Suite aux élections législatives marquées par une abstention record et la victoire des partis liés à l’administration, Les Échos constataient, le 16 juin, qu’un élément manquait à l’opération des autorités visant à restaurer l’ordre antérieur au 22 février 2019: «la participation populaire à sa contre-révolution». Deux jours plus tard, L’Express employait l’expression caricaturale de « révolution du sourire » pour désigner le hirak et allait jusqu’à présenter les contestataires algériens comme autant de « révolutionnaires »

Si l’on peut, sans grandes difficultés, caractériser les mesures répressives du régime militaro-policier de «contre-révolutionnaires», il est en revanche plus douteux, au sujet du mouvement populaire, de prendre des vessies réformistes pour des lanternes révolutionnaires, sans pour autant remettre en cause le courage ou la persévérance de nombreux hirakistes privés d’alternative – faute d’articulation saisissable entre les aspirations à la liberté et les exigences d’égalité.

Cela étant, il existe assurément des révolutionnaires en Algérie, comme dans tous les pays. Or, en l’absence d’organisation et d’intervention conséquentes, leur poids politique a été réduit pratiquement à néant au cours des deux dernières années, laissant le champ libre aux forces démocrates-libérales et aux réactionnaires de tout poil, alimentant chaque jour davantage un désarroi mortifère.

Sans doute existe-t-il des causes liées à l’histoire récente du pays permettant de comprendre l’autolimitation du hirak. Par conséquent, un bilan du mouvement populaire bridé par les illusions petites bourgeoises de ses porte-paroles autoproclamés ne saurait éviter d’interroger les ressorts de la fragmentation durable de la société, ainsi que la dépolitisation profonde des classes laborieuses.

De la même manière, toutes les questions qui fâchent devront être abordées, à commencer par celle-ci: une révolution sociale est-elle concevable lorsque des pans entiers de la population préfèrent risquer leur vie sur des embarcations de fortune pour traverser la Méditerranée au lieu de se confronter aux forces d’oppression et de répression de leur pays?

Évidemment, il ne s’agit pas de poser le problème en des termes moraux mais de saisir les implications sociales et politiques de l’émigration de masse – sur laquelle comptent les autorités, trop heureuses de voir partir de potentiels contestataires –, tout comme la difficulté de nombreux Algériens à se projeter dans leur propre société et à en envisager la transformation, sans oublier qu’entre 1962 et 1989 le régime se disait «socialiste».

Parmi les tâches de l’heure, une critique des rares groupes se réclamant du socialisme en Algérie s’impose, non pas pour alimenter une polémique stérile, mais pour comprendre pourquoi ces formations n’ont pas réussi à constituer des points d’appui au cours de la dernière période.

Dans un article publié le 18 avril, le groupe Révolution permanente pointait les manquements du Parti socialiste des travailleurs (PST) et de la Voie ouvrière pour le socialisme (VOS). Au premier – parti frère du Nouveau parti anticapitaliste en France –, il était reproché sa «compromission avec la mouvance libérale-démocratique dans le cadre du Pacte de l’Alternative Démocratique (PAD)». Quant au second – scission ouvriériste du PST –, sa «démarcation du hirak et de ceux qui l’ont conduit vers l’isolement» ainsi que son appel du 28 mars à «la formation de listes portant un programme démocratique, social et anti-impérialiste» à l’occasion des législatives étaient dénoncés.

La direction du PST a commis une faute en s’associant à des formations bourgeoises dans le cadre du PAD, confirmant de la sorte son réformisme – sans que cela ne remette en cause la sincérité et la combativité de ses militants, notamment à Bejaïa. De son côté, VOS a eu le mérite de refuser les fronts interclassistes et de rejeter les mots d’ordre portés par l’opposition libérale du type « transition démocratique » ou «processus constituant».

Mais ce groupe trotskiste est limité par le formalisme de ses animateurs qui ont impulsé un Front ouvrier et populaire – réplique de «gauche» au PAD – dont l’aspect positif – à savoir la tentative de rendre visible l’expression propre des travailleurs – a été gâché par la propension de ses dirigeants à préférer les jeux d’appareils à la fédération d’éléments révolutionnaires – sur une base autonome –, ce qui a conduit à enfermer cette potentialité subversive dans une perspective para-syndicale. Néanmoins, l’erreur la plus incompréhensible aura été de s’engager dans la voie électorale.

Les révolutionnaires devront tirer toutes les leçons de ces errements et combattre les illusions entretenues par les courants libéraux, islamistes ou socialistes. La tâche est énorme, les moyens sont modestes mais la solution ne passera ni par les élections ni par la «construction du parti».

Nedjib SIDI MOUSSA

Repris du site de Courant alternatif, journal de l’OCL.

Site de Nedjib Sidi Moussa

 

De Pékin à Paris, les staliniens ne changent pas…

Comble du grotesque (ne parlons pas de déshonneur; il faudrait avoir de l’honneur de reste), Fabien Roussel, secrétaire national du PCF est le personnage central d’une publicité que s’offre le parti « communiste » chinois – à sa propre gloire bien entendu!

Et c’est dans Les Échos,  bulletin bien connu de défense des travailleurs…

Pendant ce temps, la police chinoise réprime les grèves ouvrières et les émeutes paysannes, emprisonne les dissidents (à Hong Kong notamment), et persécute les catholiques qui s’obstinent à ne pas faire allégeance à l’Église officielle (une officine du parti).

«Le PCC a fait le choix, avec raison [déclare Roussel], d’écrire sa propre histoire, en tenant compte de ses propres réalités internes et de la situation nationale et internationale.»

Ben voyons! Chacun ses mensonges historiques et les charniers seront bien gardés…

De Pékin à Paris, les staliniens ne changent pas! Ils se serrent les coudes, toujours unis contre les travailleurs.