Notes sur le bout de ma langue ~ “Entretien”

Entretien

Ce n’est pas s’aventurer de poser en principe que l’entretien est affaire de parole, de discussion. On dira – dans la langue soutenue: «Je me suis entretenu avec untel» (plutôt que «J’ai taillé une bavette avec Marcel»). Chaque année, en attestent des rencontres de formation (Entretiens de Bichat) ou des assemblées de discussion (Entretiens de Royaumont).

On n’en dira pas moins d’un homme seul qu’il s’entretient. Faut-il en conclure que le malheureux se parle à lui-même, ou pour le dire plus crument qu’il «parle tout seul»? Non, sans doute (encore que nous devons reconnaître ignorer sa conduite en notre absence), mais plutôt qu’il s’en tient – dans tous les aspects de son existence – à certains principes diététiques.

Faut-il en penser autant d’une femme entretenue? Est-elle, autrement dit, une femme à qui l’on parle beaucoup? Voilà une question délicate, qui mérite un examen particulier.

Entretenir, c’est – comme d’ailleurs converser – tout bonnement coïter, au moins dans l’argot. Or il arrive que certaines conversations tournent court, comme l’on dit d’un vin décevant qu’il est court en bouche. Girard de Propiac (1759-1823) en donne une aimable illustration dans son Dictionnaire d’amour :

Plus loin, avec la fillette,

Je poussai mon entretien.

Bref, la leçon fut complette :

Je crois qu’il n’y manquait rien.

— « Quoi, c’est tout ! s’écria-t-elle ;

Mais je vous le dis tout net,

Ce n’est qu’une bagatelle :

Continuons, s’il vous plaît [1].

Mais continuer, c’est refuser de s’interrompre et prendre ainsi le risque que l’entretien aura des suites fâcheuses pour la dame (sinon pour l’espèce). Le peu de cas que l’on fait des « produits d’entretien » montre assez la défaveur qui leur est attachée.

L’entretien idéal sait combler sans encombrer et use chaque minute à faire oublier le temps qu’il aura duré.

[1] Dictionnaire d’amour, 1808, «Bagatelle», p. 27. Catherine-Joseph-Ferdinand Girard de Propiac commit – nous dit Pierre Larousse – «des traductions et des compilations dont le succès dépassa le mérite».

«Cupidon et Psyche», J.-L. David.