UN MONDE SANS POLICES ET SANS PRISONS, plutôt qu’un monde sans Rémi…

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Ce que nous voulons :

UN MONDE SANS POLICES NI PRISONS

…PLUTÔT QU’UN MONDE SANS Rémi, Alexis, Cyril, Carlos, Loic, Christian, Pérrine, Lahoucine, Yacine, Abdelghani, Noureddin, Nabil, Youssef, Mohamed, Christian, Mohamed, Ahamadou, Abdelilah, Amine, Wissam, Serge, Mohamed, Kévin, Nabil, Steve, Ahmed, Mostepha, Malek, Joseph, Mahamadou, Louis, Luigi, Lassana, Karim, Ali, Yakou, Hakim, Christian, Mohamed, Mohamed, Hakim, Abdel Akhim, Naguib, Ilies, Mohamed, Joseph, Baba, Réda, Jonathan, Tina, Raouf, Moushin, Larami, Joseph, Louis, Olivier, Nelson, Chulan, Gérard, Mohamed, Lamine, Fethi, Julien, Guillaune, Taoufik, Vilhelm, Karim, Abou, Bouna, Zyed, Abdelhafid, Hassan, Ibrahim, Mickaël, Abdelkarim, Moktar, Léon, Kanavathipphillai, Aurélien, Mariane, Nicolas, Mourad, Georges, Xavier, Moussa, Mohamed, Ricardo, Abdel Ila, Hocine, Saida, Stéphane, Edouard, Djamel, Redouane, Jeremy, Manuel, Ali, Riad, Jérémie, Vital, Éric…

…et tous les autres tué(e)s par DES FLICS ET DES MATONS.

 

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Note. J’ai élargi au système pénitentiaire un «slogan» qui ne concernait à l’origine que la police. Cela exigera, hélas ! d’allonger considérablement la liste des victimes (je publierai une liste revue et corrigée si on me l’envoie).

Reste que l’idée de ce «slogan» en forme de martyrologe ne présente pas seulement un intérêt «dramatique». Il répond du tac au tac à la réaction courante et défaitiste, que nous avons tous et toutes entendue mille fois: «Mais c’est pas possible, un monde sans police ! (sans prison, etc. on peut décliner)».

Nous répondons:

Ce qui est impossible, ce qui est invivable pour nous, c’est un monde où nous sommes privé(e)s de Rémi, Yacine, Vital (ajouté), Éric (ajouté), Noureddin, et tant d’autres, tués par des flics et des matons…

Une «Femen» «amendée»? ou «Jésus reviens, ils sont devenus mous!»

À l’approche des fêtes religieuses (et consuméristes), je vais faire preuve d’un œcuménisme que certain(e)s jugeront surprenant, voire outré, en Capture d’écran 2014-11-16 à 20.04.17reproduisant intégralement une dépêche trouvée sur le site de La Bonne nouvelle [sic], mensuel de l’Église évangélique du canton de Vaux.

On notera d’abord son titre, qui du fait d’un helvétisme charmant (ou s’agirait-il d’un jeu de mots délibéré ? non, n’est-ce pas!), semble prendre les désirs des rédacteurs pour la réalité : il est peu probable que la militante Femen se soit amendée sous prétexte qu’elle a été punie d’une amende (passons sur la faute d’accord, qui n’en commet jamais ?).

À moins que…

 

Une Femen amendée pour avoir profaner [sic] la cathédrale

Une activiste Femen a été condamnée à soixante jours-amendes à 25 francs. Elle avait perturbé la messe de noël en 2013 à la cathédrale de Cologne en sautant à demi-nue sur l’autel. Le procureur avait ouvert une action en justice contre la jeune femme, qui vit aujourd’hui à Hambourg, pour perturbation de l’exercice du culte. Josephine Witt avait sauté sur l’autel où le cardinal Joachim Meisner célébrait la messe. On pouvait lire sur sa poitrine le slogan «Je suis Dieu». Elle avait en outre proféré des paroles anti-religieuses.

La jeune femme, âgée de 20 ans à l’époque, aurait pu être jugée par le tribunal des mineurs. En Allemagne en effet le droit pénal des mineurs peut s’appliquer pour des actes commis jusqu’à 21 ans, notamment lorsqu’il s’agit de faits lié à un comportement de jeune, irréfléchi et commis par goût de l’aventure ou de la provocation.

Un geste politique

Le procureur a estimé que la jeune femme, issue d’une famille stable, ayant passé son baccalauréat à 18 ans, avant de travailler dans l’aide au développement et d’entreprendre des études supérieures, n’avait en rien agit de manière spontanée ou irréfléchie. Il a donc requis la peine prévue par le code pénal des adultes, soit 80 jours-amendes.

L’accusée a elle-même reconnu que son geste avait un caractère pleinement politique. Il ne s’agissait pas en priorité de perturber la messe, mais de manifester pour les droits des femmes, la paix et la réconciliation. Raison pour laquelle elle avait enlevé ses bottes afin de ne blesser personne et s’était ensuite laissée emmenée sans résistance. Elle s’est dite surprise de l’ampleur de la réaction dans l’assemblée. Elle a regretté en outre que son geste n’ait visiblement pas provoqué de prise de conscience dans l’Eglise catholique. Elle a enfin refusé de s’exprimer sur la peine infligée.

 

Utile dépêche, décidément, qui nous révèle une particularité du droit des mineurs germanique qui permet de poursuivre comme mineur(e) un(e) majeur(e) qui a commis un délit «par goût de l’aventure ou de la provocation». Si l’on décide de faire confiance aux bienheureux nouvellistes du canton de Vaux, c’est une information précieuse. Même si, en l’espèce, un procureur a jugé — de manière très honorable d’ailleurs — qu’il importait de prendre au sérieux l’acte militant de Josephine Witt.

Josephine a eu de la chance dans son malheur… Elle aurait tout aussi bien pu être, sous d’autres cieux, lapidée pour blasphème ou tout simplement enfermée en hôpital psychiatrique pour s’être présentée comme «Dieu».

Que savons-nous de Dieu me direz-vous ?

Que savons-nous de Josephine ? vous répondrai-je.

Peu de choses et beaucoup à la fois. Josephine semble, au moins par le mode d’action qu’elle a choisi, se rattacher au mouvement Femen. En effet, sauter « à demi-nue » sur l’autel ne peut signifier qu’une chose: les seins nus. Je pense que si Josephine avait exhibé ses fesses et son pubis dans la cathédrale de Cologne, on nous en parlerait autrement (ce qui peut, si vous y tenez absolument, être considéré comme le symptôme d’une évolution des mœurs).

Femen ou assimilée, donc. Mais Josephine inscrit un étrange slogan sur son torse : Je suis Dieu. Admettons qu’il s’agit là de ce goût de la provocation juvénile, dont le procureur n’a pas voulu tenir compte. Josephine ne croit pas vraiment qu’elle est Dieu. Elle fait ça pour emmerder le catho, si l’on me passe cette expression un peu crue. C’est sûrement ça.

Sauf que non. Pas exactement.

Que voulait-elle nu-manifester ? « Il ne s’agissait pas en priorité de perturber la messe, mais de manifester pour les droits des femmes, la paix et la réconciliation. »

Passons sur la première affirmation, peut-être imputable à un tardif souci tactique. En effet, la meilleure manière de ne pas perturber une messe de Noël dans une cathédrale est de ne jamais y mettre les pieds (je m’en tiens, pour ce qui me concerne à cette règle de conduite). Et venons-en aux objectifs.

1) Les droits des femmes. C’est un peu général, mais je comprends.

2) La paix. C’est extrêmement général, mais je veux bien comprendre.

3) La réconciliation. C’est excessivement vague, tellement que je n’y comprends plus rien.

Réconcilier ?…

L’Église avec les femmes, dont elle piétine depuis toujours les droits ?… Les procureurs avec les jeunes filles majeures ?… Ou qui avec quoique ?!?

Tant qu’à se mêler de liturgie et de théologie, Josephine-“Dieu”-Witt aurait peut-être mieux fait de relire ses classiques:

Évangile selon Matthieu, 10, 34-36.

[Jésus speaking]

N’allez pas croire que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. Car je suis venu opposer l’homme à son père, la fille à sa mère, et la bru à sa belle-mère: on aura pour ennemis les gens de sa famille.

La Bible de Jérusalem, Desclée de Brouwer, p. 2017.

Franchement, on préfère l’original à la copie, là ! (même si, voir illustration ci-après, les exploitants du label ont fait dans niaiserie consensuelle, sauf en temps de guerre, cela s’entend !).

«Réconciliation», poursuivent les Vaudois « raison pour laquelle elle avait enlevé ses bottes afin de ne blesser personne ».

Voilà, c’est le détail de trop. Maintenant, et puisque je sais Josephine en liberté, avec quelques heures de TIG à effectuer, je peux le dire sans état d’âme (le moment de le dire !): Josephine m’agace.

Je veux bien croire que le spectacle de cette jeune femme se perchant, les seins nus, sur l’autel de la cathédrale de Cologne avait quelque chose d’original, et même de piquant par les réactions qu’il a suscitées dans l’assistance. Je veux bien admettre la sincérité de ses convictions pacifistes-réconciliatrices. Mais en fait de messie, de rebelle, et de féministe radicale, elle mérite plutôt d’être promue cheftaine scout que d’être amendée par le travail.

Une cheftaine scout condamnée à repeindre la sacristie…

Regrettons que cela n’ait «visiblement» pas provoqué de «prise de conscience dans l’Église catholique», qui continue à compter sur une main-d’œuvre aussi aléatoire (et gratuite !) pour la réfection de ses locaux. Heureusement que les protestants sont là pour débiner fielleusement la concurrence. Sinon, on ne l’aurait pas su.

 

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JE CHANTE LE CORPS CRITIQUE. Chap. 3 Le corps des femmes : gestion — élimination

Je chante le corps critique

 

On trouvera ci-dessous le troisième chapitre de mon livre Je chante le Capture d’écran 2014-11-09 à 10.52.22corps critique, édité chez H & O.

J’ai mis en ligne l’intégralité de ce livre avant même d’avoir trouvé un éditeur ; je l’ai laissé en ligne par la suite. Je récidive ici. Cependant, je ne saurais trop conseiller à celles et ceux qui s’intéressent à son contenu de se soucier aussi de son support papier, et d’en acheter un exemplaire. Non pas tant pour soutenir matériellement l’auteur (je n’y gagnerai pas un centime) mais pour convaincre l’éditeur (celui-ci et d’autres) que prendre en charge un ouvrage de cette sorte a encore un sens. Je ne choquerai ici que les ignorants du travail intellectuel : je n’aurais jamais fourni un tel effort pour simplement alimenter la colonne de mon blog. La lecture n’est pas une activité « neutre », et encore moins « privée »… pas de responsabilité politique en tout cas.

 

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Pour chaque être humain, et pour l’humanité elle-même, le corps est le premier ustensile (avant l’outil fabriqué), dont les usages, érotisme compris, sont objets de savoir et de culture. Dans les sociétés patriarcales, le corps des femmes est objet de plaisir et de pouvoir ; objet aussi terrifiant qu’il est fascinant, d’emploi malaisé et aléatoire. Le présent chapitre évoque certaines variations récentes, à l’échelle historique, de l’usage social des femmes, de la contention à la prostitution en passant par la médicalisation de l’orgasme et l’éducation sexuelle, jusqu’à la tentation « gynécidaire ».

 

  1. techniques du corps : sexe, rythmes et cadences

 

Selon l’image du corps qui y prévaut, les rapports de classes et de parenté qui la caractérisent et qu’elle reproduit, chaque société développe une idéologie du corps et des techniques légitimes qui doivent le mobiliser. Autrement dit : tout usage du corps est culturel. Marcel Mauss rapporte ainsi qu’il apprit à une petite fille à cracher. Cette pratique corporelle qui semble aller de soi n’était en usage ni dans sa famille ni dans son village d’origine. La fillette se trouvait ainsi privée du moyen de se débarrasser de mucosités encombrantes. « Je lui ai appris à cracher. Je lui donnai quatre sous par crachat. Comme elle était désireuse d’avoir une bicyclette, elle a appris à cracher. Elle est la première de la famille à savoir cracher[1]. »

Les points aveugles de la transmission sont eux-mêmes culturellement prescrits. Dans son enquête bourguignonne déjà citée, Yvonne Verdier note que l’on n’apprend pas aux filles à cuisiner : « Cuisiner est un art que l’on doit découvrir toute seule en même temps que l’acte sexuel ; les deux choses s’improvisent en même temps[2]. » Ailleurs, au contraire, les parties génitales sont l’objet d’un apprentissage, qui peut d’ailleurs viser le même but d’intégration à l’ordre patriarcal. À Hawaï, rapporte Marshall Sahlins, « la socialisation des enfants, ceux tout au moins de la noblesse, comportait l’apprentissage de l’amour. On enseignait aux filles l’amo’amo, le “clin-clin” ou clignotement de la vulve, et maintes autres techniques qui “réjouissent les cuisses[3]” ». Dans certaines régions d’Ouganda, on enseigne encore aux jeunes filles des massages destinés à accroître leur sensualité et leur désir[4].

Dans les sociétés occidentales modernes, le corps érotique est l’objet de recommandations, de pressions et sommations diverses, souvent antisexuelles ou à tout le moins hygiénistes. Cependant, ces stimuli et signaux peuvent tout aussi bien aller dans le sens d’une érotisation de la vie ou plus précisément, en particulier chez les jeunes, d’une exaspération de désirs sans moyens.

Un enseignant me raconte que la venue d’une animatrice du Mouvement pour le planning familial (MFPF) est suivie, dans le collège où il travaille, d’une semaine de tensions et de violences. Ça n’est pas l’évocation des méthodes contraceptives qui crée le désir ; elle le révèle et l’exacerbe. La bienveillance, réelle et louable, de la militante du MFPF fait exploser le paradoxe d’un corps adolescent bombardé de sollicitations publicitaires et pornographiques, auquel on vient encore expliquer, « au cas où », comment se protéger du Sida et des grossesses intempestives : autant mettre du sel sur une plaie.

La contention du corps par les techniques éducatives, l’obligation scolaire et salariale, trouve de moins en moins à offrir en contrepartie : on peut être scolarisé et analphabète, travailler 45 heures par semaine et n’avoir pas de papiers, être chômeur et contraint à d’épuisantes et absurdes démarches. Le principal système de régulation des corps adultes demeure toutefois le travail, même à l’heure de sa crise en tant que valeur et de la délocalisation mondiale de la production. La parcellisation, principe de la chaîne fordiste, appliquée depuis aux tâches du secteur tertiaire, reste le modèle de la prescription salariale.

Nous avons déjà évoqué, à propos de la santé des femmes (cf. chap. I), la manière dont les conditions de l’exploitation du travail et la division du temps entre « loisir » et salariat affectent l’être entier, son métabolisme et ses désirs, tout au long de son existence. La question qui se pose ici est de savoir s’il existe un temps ou plus précisément un tempo érotique qui résiste à celui du capital. Dans la plus grande « intimité » supposée, à l’instant de l’orgasme (s’il advient), lorsque s’emballent le cœur et le souffle, sur quel rythme le corps bat-il ? Retrouve-t-il celui d’une nature animale ? Sait-il improviser son rythme propre ou suit-il celui que lui dicte le monde ? Lire la suite

Métro (2003)

Ce court texte a été publié en encadré dans l’article de Charles Reeve « Les forteresses fragiles », dans le numéro 10 de la revue Oiseau-tempête (printemps 2003).

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L’homme doit avoir une soixantaine d’années. De type maghrébin, comme on dit dans les gazettes. Les cheveux grisonnants, il porte une veste de costume élimée, achetée au décrochez-moi-ça. Lorsque par hasard il heurte un voyageur, ou lorsque lui-même est bousculé — ce qui est fréquent, parce qu’il est encombrant à force de discrétion —, il a le même sourire d’excuse. De taille moyenne, il donne l’impression de tenir peu de place. S’il occupe un siège, il s’y tient les jambes repliées à angle droit, les mains posées sur les genoux.

Il était jeune pendant la guerre d’Algérie : pour fuir comme pour se battre, on apprend à se rendre invisible, couleur des murs, parler bas.

À la station suivante, monte dans la rame un groupe de trois jeunes gens. Ils peuvent avoir vingt ans. Je les ai d’abord entendus. Ils parlent haut, rient fort, se bousculent, miment je ne sais quelles anecdotes à grand renfort de gestes dansés. Deux d’entre eux s’asseyent, longues jambes déployées, les pieds reposant sur la barre d’appui verticale. Ils portent des casquettes à longues visières, des vêtements neufs, aux couleurs vives, dont on distingue les marques connues.

Lorsque le trio descend, il croise cinq jeunes filles qui feignent de ne pas les voir. Bustes de statues khmers et nombrils nus, elles forment un cercle et rient tour à tour en se regardant dans les yeux. Le chœur éclate soudain. Marmonnant une formule d’excuse, une femme a frôlé deux rieuses et sauté sur le quai à l’instant de la fermeture des portes. Les filles hurlent maintenant, cognent à la vitre, injurient la voyageuse. Elles se proclament « Arabes », vitupèrent les « Français », crient qu’elles sont « chez elles ».

Cette arrogance surjouée, cette violence à fleur de peau, caricature des mœurs de l’époque, souvent ridicules, intolérables parfois, comment ne pas voir qu’elles sont l’image inversée de la discrétion du père ? De sa résignation, réelle ou supposée.

Et la revanche sur elle — qu’il désapprouve du regard.

 

 

PORCHERIE (2013)

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De la part de Marcela Iacub, je trouve que Belle et bête est un titre prétentieux, mais passons[1].

La démarche de cette personne épuise la définition courante de l’obscénité, mais je comprends bien qu’elle n’en a cure.

Ne m’étonnent pas davantage les faux-culeries des Joffrin, Daniel, Garcin, Bourmeau et Cie… On est tenté de reprendre le refrain ponctuant certaine chanson des Béruriers noirs : Porcherie !

Ce que j’ai davantage de mal à comprendre c’est l’étonnement de certain(e)s.

Tel souligne que Marcela Iacub est par ailleurs une juriste « scrupuleuse ». Il se trouve que je l’ai prise en flagrant délit de n’importe quoi sur un sujet que je connais particulièrement bien : le droit à la mort (voir mon droit de réponse publié à l’époque par Libération. Arrêtez-moi si je me trompe, je serais supposé croire que la juriste n’est « scrupuleuse » que sur les sujets auxquels je ne connais rien ? Tsss !

Telle autre (Peggy Sastre) est navrée de voir cette « libertaire » s’égarer. Mais chère Peggy, Iacub n’est pas et n’a jamais été « libertaire ». Le supposer est une insulte à tous/toutes les libertaires de la planète. Iacub est une libertarienne, et j’ai l’habitude de répéter (pas assez semble-t-il !) que le point commun entre « libertaire » et « libertarien », c’est rien. Lire la suite

POST SCRIPTUM… Littérature, argent et paix sociale (2000)

Ce texte a été publié dans la revue Oiseau-tempête, n° 7, hiver 2000.

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Lorsqu’il écrit, l’écrivain rêve.

Il imagine un pays fabuleux dont la langue officielle est l’italique et l’unité de poids l’épigramme.

Il y danse la cédille avec des voyelles…

Hélas, l’écriture n’a qu’un temps ! Post scriptum, l’écrivain est aussi triste qu’après le coït. Peut-être éprouve-t-il « le sentiment diffus d’une crise très grave: crise du livre et de la lecture qui traverse et recoupe une crise de l’école. […] Des inégalités nouvelles se creusent, liées à l’évolution technologique, à la mondialisation, et à un chômage désormais structurel. Et plane la notion d’une véritable crise de civilisation, puisque l’idée de progrès, d’amélioration automatique d’une génération à l’autre, en particulier grâce à l’école et à l’acquisition du savoir par le livre, ne semble plus aller de soi. » Ce passage de l’introduction d’une brochure intitulée Écrivains dans la cité [1] plante un décor de cauchemar en même temps qu’il indique aux gens de plume le chemin de leur rédemption. Ils peuvent désormais se rendre utiles, apparaître dans le monde, et compenser la moindre efficacité du système scolaire. Outre la légitime satisfaction d’œuvrer pour le progrès démocratique, l’éducation des masses, et la diffusion de leur production personnelle, les écrivains bénéficient d’un «soutien concret, sous forme de bourses d’aide à la création ou de rémunérations pour des interventions ponctuelles.» L’écrivain, sans doute enfermé jusque-là dans sa fameuse « Tour d’ivoire », est heureux d’être autorisé à découvrir la cité, ses écoles, ses prisons, ses asiles de vieillards… On lui paie de nouvelles « résidences », dans telle localité peu riante, en échange de quoi il situera là l’intrigue de son prochain roman et/ou animera la vie culturelle locale. Dans ce cas de figure, il peut être salarié. Certains en parlent comme d’une véritable «assignation à résidence». Ainsi François Bon : « On m’a installé [à Bobigny] au seizième étage d’une tour [la fatalité !], en rang avec six autres autour d’une dalle de ciment avec un bistrot et un Codec, au-dessus d’une voie ferrée où passent deux mille wagons de marchandises par jour[2]…» [p. 44]

Dans l’hypothèse d’ « interventions » ponctuelles, la rémunération est de l’ordre de 1 800 F net par jour, tous frais de déplacement, d’hébergement et de nourriture payés par ailleurs. Concrètement, cela signifie que l’auteur est ici mieux rémunéré, pour un travail qui ne relève pas de sa compétence, qu’il ne le sera jamais dans son activité propre. Reconnu socialement utile, l’écrivain se voit considéré comme un travailleur (social) parmi d’autres, dont le temps d’activité professionnelle est — pour la première fois — comptabilisé[3].

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Écrivain-citoyen

« Évidemment, écrit la romancière Dorothée Letessier, qui anime des ateliers d’écriture à la prison de Melun et au Val-Fourré, je ne me considère ni comme professeur d’écriture ni comme thérapeute. Je suis simplement un écrivain-citoyen muni d’un savoir-faire et que l’on rémunère pour son travail. »

La Maison des écrivains insiste pourtant sur les aspects nouveaux (pour l’auteur) de ces tâches citoyennes : « Cela peut être tout simplement une occasion de parler du travail à des jeunes pour lesquels cette notion est actuellement souvent difficile à investir, à cause de la réalité du chômage et de la situation de leurs parents. » [p. 14] « Pour lui [Alain Bellet], qui par ailleurs intervient régulièrement auprès de nombreux publics en difficulté, marginaux, toxicomanes, alcooliques, dans des hôpitaux et des prisons, le travail d’un écrivain permet une resocialisation, en contournant l’échec scolaire, voire, pour des adultes, l’exclusion. » [p. 23] François Bon, déjà cité, explique : « Mon boulot, c’était d’aller là où ces gens n’assument plus, collectivement ou individuellement, la conscience de ce qu’ils sont. » Il s’agit bien d’une thérapie sociale, ici comiquement légitimée par le fait que l’écrivain habite à temps partiel dans une cité laide et bruyante, bref qu’il souffre avec ses patients, dont la pathologie se reconnaît au fait qu’ils ne lisent pas de livres. On entendra couramment un auteur citoyen dire «mes taulards », comme les dames de charité disaient « mes pauvres ».

L’intervention dans les écoles est privilégiée, en partie parce que la notion même d’atelier d’écriture est pédagogique, en partie parce que beaucoup d’auteurs sont déjà enseignants ; enfin parce que l’édition pour la jeunesse, très dynamique, a su tisser des réseaux avec le corps enseignant et les collectivités locales.

Dans ce secteur, la Maison des écrivains est maître d’œuvre d’un programme dit de «partenariat » et baptisé L’Ami littéraire dans le cadre duquel, depuis 1992, plus d’une centaine d’auteurs se sont partagé chaque année un millier de visites dans des classes d’écoles primaires, de collèges et de lycées, dans la France entière.

Mais il arrive également que l’auteur, tel un « mao » établi des années 70, « aille au peuple » sur les lieux mêmes de production. Dominique Grandmont a été « en résidence » à l’usine Alsthom à Saint-Ouen. Interrogé sur la question de savoir « à quoi sert un poète dans une usine », il fournit l’explication suivante : « Je ne me contente pas de noter, comme en fraude, des choses discrètement spectaculaires comme ces graines sur un établi, laissés chaque jour pour nourrir les moineaux […]. J’essaie de comprendre comment parvient jusqu’aux yeux les plus prévenus, filtrés dans un tel espace, la violence des rapports sociaux… » [p. 44]

Le plus frappant dans cette (fausse ?) naïveté est la combinaison d’un avant-gardisme léniniste (amener la conscience au peuple) et d’une humilité toujours prête à être étalée, sur le mode : « J’ai tellement appris de ces gens-là ! » Je note d’ailleurs que ce thème apparaît très peu dans la brochure de la Maison des écrivains, où les auteurs assument fièrement leur rôle missionnaire. Plus généralement, on constate que nombre d’anciens gauchistes, recyclés notamment dans le roman policier, ont endossé sans états d’âme le costume de l’animateur socioculturel, avatar moderne et miraculeusement consensuel du révolutionnaire professionnel. Voilà trente ans, ils auraient craché à la seule évocation de ces interventions de pacification sociale ; c’est qu’alors ils voulaient détruire ou à tout le moins contrôler la culture capitaliste. Ils ont compris (on leur a expliqué gentiment) que son naufrage entraînerait leur propre perte. Ils écopent donc sans rechigner. Après tout, la tâche est noble et la solde confortable.

On m’objectera sans doute que certains auteurs ont pu, dans telle maison d’arrêt ou dans tel collège technique, apporter un peu de distraction et de communication là où les institutions ne les favorisent guère. C’est probable en effet. Il existe aussi d’admirables visiteuses de prison, des chrétiens sociaux et des flics de gauche, qui peuvent réellement, dans des situations précises et limitées, consoler, secourir, ou épargner. Il n’était pas d’usage jusqu’ici d’y voir un argument en faveur de la philanthropie, des superstitions religieuses ou de la police de proximité.

Écrivain producteur (de quoi ?)

Le récent faux débat sur le prêt payant dans les bibliothèques a été une tentative, remarquablement maladroite de la part des auteurs[4], de poser pour une fois, au moins partiellement, le problème des conditions matérielles de la production intellectuelle (mais pas de ses finalités). C’est que l’auteur est, dans la dite « chaîne de production du livre », le seul maillon qui n’est pas pris en considération. On juge très légitime que soit rémunérés à proportion de leur travail, et conformément aux lois sociales en vigueur, l’éditeur, la secrétaire de l’éditeur, la femme de ménage qui nettoie le bureau de l’éditeur, le patron et les employés de l’imprimeur, de la maison de diffusion, et le libraire. Pour l’auteur seul, ce principe est réputé inadéquat. « Tant que l’auteur considère le produit de son œuvre comme un revenu supplémentaire, déclarait l’éditeur Robert Laffont, les rapports restent équilibrés. A partir du moment où l’œuvre devient le gagne-pain, la tension monte[5]». On imagine avec quelle satisfaction les éditeurs constatent la généralisation de l’auteur-citoyen-salarié: voilà l’écrivain payé sur l’argent public pour faire la promotion de son œuvre, et donc de la marque sous laquelle il publie. L’AGESSA a d’ailleurs officiellement reconnu ces revenus «accessoires» et admet leur intégration dans le montant des droits d’auteurs[6].

Dans une tribune publiée par Libération (20 février 2000), Michel Onfray écrivait : « Un pur et simple renoncement aux droits d’auteur assainirait le marché de l’édition (rêvons un peu !). » Invité par Le Monde (23 mars 2000) à préciser son point de vue sur la gratuité du prêt en bibliothèque, il indiquait n’avoir « appelé à la disparition des droits d’auteur que comme horizon indépassable de l’écriture et de l’édition du livre ». Critiquant, à juste titre, ceux qui veulent faire payer un droit de prêt aux usagers des bibliothèques, Onfray ajoute : « Les tenants de l’impôt sur la lecture publique assimilent leur production livresque à celle d’une petite entreprise et se comportent à l’endroit des livres — ne parlons même pas de la littérature — comme les petits patrons d’une structure qui doit rapporter le moindre centime, dût-on pour ce faire exploiter le lecteur, ce prolétaire de leur PME. »

Remarquable dénégation idéaliste du « nietzschéen de gauche », comme il aime à se définir lui-même, qui feint d’ignorer l’existence dans l’édition de conflits d’intérêts entre auteurs et éditeurs. Notons d’ailleurs cette ironie de l’histoire : il rejoint précisément sur ce point les sociétés d’auteurs qu’il critique si vivement, lesquelles sont parti au combat main dans la main avec les plus importants éditeurs parisiens. Or si les intérêts d’un auteur se confondent avec ceux de son éditeur, c’est dans l’exacte mesure où ceux d’un ouvrier en grève se confondent avec ceux de son patron. Si la boîte ferme, dit le second aux premiers, vous serez bien avancés! Or Onfray connaît bien les mots patron et prolétaire, mais il ne les utilise que pour polémiquer avec certains écrivains, selon lui de petits entrepreneurs qui voudraient exploiter le lecteur-prolétaire ! En réalité, l’écrivain est, du point de vue économique capitaliste, dans la position d’un artisan à façon, dont le travail est utilisé dans une chaîne de production-vente entièrement industrialisée. Il est inutile de soupçonner l’auteur de vouloir gagner de l’argent à chaque mouvement de son livre ; ce système existe déjà : il a été mis au point par les diffuseurs, prélevant plus de 50% du prix public du livre vendu, et touchant effectivement de l’argent à chaque étape et quelque soit le sort du livre (mise en place en librairies, retour d’invendus, stockage). Ce système a contribué à faire augmenter le prix du livre et baisser le pourcentage des droits d’auteur depuis vingt ans. De tous les acteurs de la chaîne production-distribution, c’est l’auteur qui perçoit le plus faible pourcentage du prix de vente [7]. Quand au «rêve» d’Onfray d’une disparition des seuls droits d’auteur (il ne s’agit pas de l’utopie d’un monde sans argent !), c’est précisément le rêve des éditeurs, un rêve de patron.

Impuissants à comprendre la contradiction entre, d’une part, le prestige spectaculaire attaché à une prétendue « vocation artistique » et, d’autre part, le statut social inférieur de l’auteur, beaucoup d’écrivains étaient préparés à passer du rôle (non assumé) de producteur d’idéologie (de divertissement, le plus souvent) à celui de thérapeute social, payé en proportion de la considération qu’il mérite. Il reste à comprendre aux naïfs qu’ils ne sont pas rémunérés comme écrivains ou poètes mais comme indics et gentils organisateurs. Ils pourraient y être aidés par la multiplication probable des conflits du travail[8] découlant de la multiplication et de la diversification des employeurs non-éditeurs (conseils généraux, directeurs d’établissements, mairies) peu habitués au paternalisme feutré qui est de règle dans l’édition. Voilà qui pourrait éloigner certains auteurs de la mythologie aristocratique et romantique d’une écriture comme noble et gratuite occupation destinée à meubler les jours de l’honnête homme (ou de l’honnête femme), qui les rend incapables même de défendre leurs intérêts matériels[9].

Métier pour certain(e)s — et dans ce monde il n’en est que de sots — l’écriture ne saurait être, pas plus que d’autres activités créatrices, l’apanage d’un petit nombre. Mais c’est, dès maintenant, dans le mouvement du bouleversement du monde, qu’il faut faire en sorte que la poésie, la littérature, la pensée humaine soient faîtes et défaites par tous et par toutes, non dans des « ateliers d’écriture », centres aérés de la misère intellectuelle, placés sous l’autorité de spécialistes.

Tous les moments révolutionnaires de l’histoire ont été caractérisés par une explosion de communication écrite et orale. Ainsi Paris fut-il à plusieurs reprises, et alors même que peu de Parisiens savaient lire et écrire (1793), une immense salle de lecture, un vaste atelier d’écriture sans maîtres d’école, et un étal de mille publications. S’il entend contribuer à la subversion générale des rôles sociaux (l’homme, l’intellectuel, l’artiste, etc.) l’écrivain ne peut se contenter de refuser les basses besognes du monde ; il doit être conscient du caractère caduque de son activité, telle qu’elle s’exerce aujourd’hui, et contribuer à sa démystification en avouant d’abord sa condition de producteur aliéné.

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[1] Écrivains dans la cité, coédité par La Maison des écrivains et la Direction régionale des affaires culturelles d’Île de France, 1999, 64 p. Sauf précision contraire, les déclarations d’écrivains citées sont tirées de cette brochure.

[2] Dans la pratique, il est très rare que l’auteur soit effectivement contraint de résider sur place, sauf quelques jours par mois.

[3] Il n’est pas inutile d’indiquer quelques éléments de la définition administrative de l’écrivain. Est écrivain celui ou celle qui touche au moins 44 000 francs de droits d’auteur annuels, somme apparemment dérisoire, mais difficile à gagner. Sur 1 956 écrivains inscrits à l’AGESSA (la caisse de sécurité sociale des auteurs), 805 gagnent entre 50 000 et 150 000 francs par an ; 74 gagnent entre 500 000 et 1 million de francs, et 48 plus d’1 million (chiffres de 1997). Le nombre d’«écrivains» pauvres est inconnu; ils n’existent pas.

[4] La Société des gens de lettres réclame la rémunération du prêt en bibliothèque, non par une subvention publique mais par une taxe acquittée par les usagers.

[5] Lire, n° 180, 1991.

[6] En 1998, les revenus accessoires ne pouvaient dépasser la somme de 26 000 F, ce qui représente tout de même plus de la moitié des droits d’auteur « purs » exigés. Au-delà du seuil réglementaire, actualisé chaque année, l’auteur risque d’être orienté vers le régime des professions libérales, tout en continuant à payer des cotisations sur ses droits d’auteur.

[7] C’est d’autant plus vrai que le livre se vend; s’il est un échec commercial, l’éditeur perd l’argent investi.

[8] Invitée par le conseil général de Seine-Saint-Denis à contribuer à un recueil édité à l’occasion de la Journée internationale des femmes l’écrivain Tassadit Imache lui adressa un texte, finalement refusé au motif qu’il donnait une mauvaise image du département. L’écrivain n’en proposa pas d’autre, et prit le risque de rapporter la mésaventure dans Libération (8 mars 2000).

[9] La profession se trouve ainsi dans une situation ante-syndicale (si l’on excepte l’expérience, du Syndicat des écrivains de langue française, en perte de vitesse ces dernières années). On peut évoquer, dans un domaine proche, l’exemple contraire du mouvement des intermittents du spectacle.