ÉROS ET CLASSES SOCIALES : ÉCULONS LES PONCIFS! Échanges avec Agnès Giard (2009)

Je reproduis ci-dessous les éléments d’une correspondance avec Agnès Giard, journaliste animatrice du blog « Les 400 culs » sur le site du journal Libération, les questions qu’elle m’a posées, les réponses envoyées par moi, et la citation qu’elle en a faite sur son blog.

Capture d’écran 2014-11-09 à 10.52.38

 

Premier courriel d’A. Giard

Le 21 décembre 2008 14:43, Agnès Giard a écrit :

Cher Claude,

Ça y est ! Profitant d’un moment de répit, j’ai commencé à lire Je chante le corps critique.

Le chapitre sur la mécanique des femmes m’a complètement transportée et je lui consacrerai un article à part entière, en vous citant d’abondance car il est impossible de vous rendre hommage avec autant de talent.

En revanche, le chapitre sur le queer m’a un peu troublée. Je n’ai pas compris votre position.

Accepteriez-vous de répondre à quelques questions, car je projette de faire un autre article sur votre livre en traitant ce point particulier…

Voici mes questions, si vous avez le temps d’y répondre :

1/ Vous associez le mouvement queer au carnaval. Vous rappelez que le carnaval sert — traditionnellement — de fête défoulatoire, cathartique, qui ne renverse l’ordre social (marqué par les inégalités) que le temps d’une journée. Le carnaval n’est subversif qu’en apparence. Le carnaval ne fait qu’entériner les inégalités… Le mouvement queer, ce serait la même chose : il ne ferait que renforcer les différences homme-femme et la discrimination qui frappe les travs, les trans, les homos et les femmes ?

2/ Est-ce que pour vous, les queer — ces hommes et ces femmes qui bidouillent leur corps ou se travestissent (“drag kings, gouines-garous, femmes à barbe, trans-pédés sans bites, handi-cyborgs”) — sont juste des freaks, des “monstres” de cirque ? Vous semblez les mettre dans le même panier.

3/ Vous faites allusion à la démocratisation (relative) des comportements sexuels hors-norme (SM, échangisme, travestissement, bisexualité, transsexualité, etc.) : « la démocratisation et la banalisation de ce carnaval potentialisent-elles ses effets ? ». Je n’ai pas très bien compris cette phrase.

4/ Vous semblez opter pour l’autre théorie : « Cette débauche d’énergie carnavalesque conserve sa fonction d’exutoire et par là même d’entretien de l’ordre social dont elle met en scène la subversion ou l’inversion ». Pensez-vous que nous ne sommes pas un peu plus libres, libérés, qu’à l’époque où les homos et les femmes en pantalon se faisaient mettre en prison ?

5/ Cette liberté sexuelle plus grande ne semble pas vous plaire… Pourquoi?

J’espère que vous pardonnerez la naïveté de mes questions.

Il y a bien sûr beaucoup de travers dans notre société actuelle et je suis la dernière à penser que nous vivons une ère de liberté totale, mais il me semblait du moins qu’il y avait des choses intéressantes dans la notion de « jeu » proposé par le mouvement queer.

Aussi votre avis m’importe-t-il beaucoup pour y voir plus clair.

 

Capture d’écran 2014-12-07 à 19.57.21

 

Deuxième courriel d’A. Giard

Le 13 janvier 2009 14:22, Agnès Giard a écrit :

Cher Claude

J’ai lu attentivement votre texte [reproduit ci-dessous]. Il est passionnant et votre critique de Beatriz Preciado me semble très juste[1]… Mais j’ai quelques réticences par rapport au point suivant :

Vous prétendez que les « minorités sexuelles » se proclament « révolutionnaires ». Il me semble qu’elles réclament juste le droit de baiser tranquillement dans leur coin sans être dérangées et sans déranger les autres… Il n’y a aucune volonté de changer la société, là-dedans, n’est-ce pas ? Juste le désir de ne pas être mis en prison, voilà tout.

Voici donc trois questions complémentaires, pour mieux saisir votre pensée.

1/ Vous partez du principe que les personnes qui ont des sexualités dites marginales (homosexualité, fétichisme, SM, notamment) se disent « subversifs ». Et vous soulignez à juste titre que ça n’a rien de subversif…

Le problème c’est que — à part les crétins qui confondent sexualité et engagement politique —, personne ne revendique sa sexualité comme un acte subversif… Il me semble que vous mettez du « subversif » là où il n’y en a pas. En clair : vous reprochez aux minorités sexuelles de tenir des propos qui ne sont pas forcément les leurs (mais les vôtres, finalement).

N’est-ce pas un peu abusif ?

2/ Vous semblez déplorer le fait que des compagnies comme IBM prennent en charge les frais médicaux des transsexuels. Effectivement, on peut difficilement dire qu’on est subversif quand on se fait payer ses hormones et sa mastectomie par la société… Mais les transsexuels ne sont pas forcément subversifs, n’est-ce pas ?

Leur vision de la femme (vagin) et de l »homme (pénis) semble au contraire plutôt conformiste, n’est-ce pas ?

3/ La prise en charge par l’entreprise des frais médicaux : cela ne vaut-il pas mieux que d’être obligé de se prostituer (au Bois de Boulogne ou ailleurs) ?

Est-ce qu’il ne vaut mieux pas banaliser la transsexualité, la ramener à ce qu’elle est (une chirurgie esthétique touchant les organes sexuels primaires et secondaires) et en montrer l’inanité, plutôt que de continuer à en faire une maladie mentale ?

 

Capture d’écran 2014-12-07 à 19.57.30

Mes réponses à Agnès Giard

Dans Je chante le corps critique, je m’intéresse, comme l’indique le sous-titre, aux « usages politiques du corps ». Ce qui signifie aussi à l’effet politique de certains usages du corps. J’essaie d’éviter, autant que possible, une approche moraliste pour procéder à une évaluation du potentiel subversif de telle ou telle pratique. Cependant, comme il n’existe pas d’instrument de mesure scientifique, je peux donner l’impression de formuler un jugement.

Comme vous l’avez bien compris, ce qui me gêne dans le carnaval, ça n’est pas sa gaîté, sa fantaisie ou son obscénité, c’est sa fonction de catharsis, c’est-à-dire de renforcement de l’ordre social par un défoulement circonscrit dans le temps. Or c’est au carnaval que me font irrésistiblement penser les innombrables groupes, sous-groupes et inframinorités érotiques, adoptant (au moins dans certaines occasions) des costumes et travestissements d’une provocante visibilité. Voyez l’énumération faite par Preciado des « multitudes queer » appelées à détruire « l’empire sexuel » : drag kings, gouines garous, femmes à barbe, trans-pédés sans bite, handi-cyborgs… Il en va de même à mes yeux des pratiques érotiques dites minoritaires (de groupe, SM, etc.).

Que ce carnaval ait lieu tous les week-end, voire tous les soirs de la semaine, et non plus une fois par an ouvre-t-il mécaniquement de nouvelles potentialités subversives ? Au risque de passer pour un rabat-joie, je ne vois pas de raison de le croire. D’autant que ces phénomènes ne concernent, pour des raisons évidentes, que la bourgeoisie et une frange de la classe moyenne. Précisons : les ouvrières qui travaillent de nuit ne peuvent pas sortir le soir, que ce soit en talons ou en godillot, en jupe courte ou avec une moustache ; elles s’en plaignent d’ailleurs à juste raison. On constate certainement un élargissement de la population concernée par ce qui était le fait, au dix-huitième siècle par exemple, d’une infime minorité d’aristocrates fortunés. Appelons cela « démocratisation », à condition de préciser qu’il s’agit d’un constat quantitatif et non d’une appréciation qualitative, positive. Il faut éviter de prendre telle soirée de club échangiste ou d’un bar lesbien pour une photographie de la société dans son entier. Quels que soient par ailleurs les remarques, critiques ou enthousiastes, que l’on puisse faire sur les pratiques qui s’y déroulent.

De plus, on connaît de nombreux exemples de minorités sexuelles (homosexuels, travestis, eunuques) vivant dans des sociétés d’un violent machisme (en Inde par exemple), sans en perturber le moins du monde l’ordre social et érotique. En d’autres termes : ce qui choque ma concierge n’est pas nécessairement porteur d’une utopie érotique ou disons de la dimension érotique d’une utopie sociale.

La question de savoir si nous sommes aujourd’hui « plus libres » qu’il y a deux siècles ne me passionne guère… Non que je médite je ne sais quelle « politique du pire », qui n’a jamais poussé personne à la révolte (Franco a vaincu les révolutionnaires espagnols, et le franquisme n’a suscité aucune révolution). Je me réjouis plutôt de tout ce qui va dans le sens d’une plus grande liberté. Mais la question philosophique (ça n’est pas un gros mot !) qui se pose est : « quel est le sens que je donne à ma liberté ? » et non « Que puis-je faire que ma grand-mère ne pouvait pas se permettre ? » Chacun(e) s’arrange des conditions de sa propre époque et s’aménage des marges de liberté. De ce point de vue, je ne suis pas très impressionné par « une plus grande liberté sexuelle », qui caractériserait notre époque. Le constat n’est pas d’ailleurs d’une pertinence évidente pour quelqu’un de ma génération (davantage de liberté que dans les années 1970, vraiment ?). Il n’a de sens que décliné selon des critères historiques, géographiques, et de classes. Sans doute peut-on dire avec vraisemblance que telle trentenaire urbaine en France est moins dépendante de son cycle menstruel qu’elle ne l’aurait été il y a deux siècles. Tant mieux pour elle, mais en quoi cela constitue-t-il ce que les journalistes appellent une « révolution » ? C’est plutôt une conséquence du progrès des techniques et de l’influence grandissante du marché sur la vie corporelle qu’un changement des mentalités. Il est probable aussi que des femmes indépendantes financièrement (enseignantes, employées de bureau…), dans les démocraties industrielles, s’autorisent des aventures érotiques, en retrouvant ou en reproduisant des scénarios familiers à Sade et à Casanova, d’une manière qui n’était accessible, et encore ! qu’à des femmes entretenues dans les siècles précédents. J’insiste : et alors ? Dans le même temps, les utilisatrices des sites de rencontre sur Internet s’accrochent fermement, et contre toute vraisemblance, à la fiction d’une quête purement sentimentale (d’ailleurs, des demandes d’une autre nature seraient immédiatement censurées). Certes, il y a des lignes qui bougent et se brouillent, la parentalité, la famille nucléaire… Croyez-vous que cela produise davantage de libre communication entre les êtres ? de bonheur ? d’épanouissement érotique ? Si j’en crois les récits de beaucoup de mes ami(e)s, sans parler des statistiques de violences conjugales et sexuelles, nous en sommes bien loin.

Concernant la manière dont des personnes procèdent à des arrangements érotiques pour parvenir au plus grand plaisir possible, je n’ai pas non plus de jugement moral à formuler. Mais j’ajoute immédiatement que l’absence de contrainte et la satisfaction des partenaires ne suffisent aucunement à invalider l’analyse critique… Vous trouverez sans peine des femmes prêtes à excuser le mec qui leur cogne sur la gueule, ou qui s’accommodent de l’obligation des tâches ménagères, ou qui pensent que les femmes sont tout de même « naturellement » mieux équipées pour l’éducation des enfants… ce qui ne fait qu’illustrer, et non invalider, la critique de la domination masculine.

Si la mise en scène d’un viol, avec ou sans costume particulier, peut éviter quelques viols réels (ce qui reste à démontrer), je m’en réjouis. Là encore, cela ne signifie pas que la manière dont les gens jouissent, ou plutôt les conditions nécessaires à leur jouissance sont insignifiantes. Est-ce que quelque chose finit par s’épuiser dans les scénarios que vous évoquez, ou bien sont-il figés comme un « goût » particulier, qui caractériserait l’individu ? « Moi, je suis comme ça, je ne peux jouir qu’en feignant de violer/ d’être viol(é)e. » Où serait le « jeu », que vous évoquez, dans une telle fixation ? Dans l’échange des rôles, peut-être ? Mais alors, en l’espèce, cela signifie que faire l’amour avec quelqu’un se résume à violer ou être violé(e). Je veux bien que cela nous dise quelque chose de réel sur les rapports sociaux de sexe, mais pas quelque chose de bien réjouissant. Ce qui m’intéresserait davantage, ce serait de participer à une réécriture complète de la pièce, et pas seulement à une redistribution des rôles. Bien sûr, il ne s’agit pas de mettre en place une police de la pensée qui contrôlerait les rêves, les fantasmes et les réactions érotiques, mais il me semble que le réenchantement du monde passe par la réappropriation de notre imaginaire, très parasité aujourd’hui par la marchandise (via la pub) et les rapports de domination.

Accessoirement, j’ai toujours été perplexe devant la façon qu’ont certaines personnes de considérer un « fantasme », une fantaisie de l’imagination, comme quelque chose qui demande à être « réalisé », un scénario pour le réel. Paradoxalement, peut-être, cette manière de confondre l’imaginaire et le réel, ou de faire entrer de force l’un dans l’autre, me paraît très pauvre, et pas du tout excitante. Elle mène à la mode des scènes de sexe « réels » dans des films de fiction. Il faut que ça soit vrai, pour que ça ait l’air vrai. Quelle drôle d’idée de la réalité !

Quant aux « identités » fondées sur les goûts érotiques, elles ne me semblent pas moins limitées que celles fondées sur le sexe biologiques et ses assignations sociales. Vous savez que j’ai écrit un livre sous-titré « Éloge de la sodomie » ; je ne cache pas ce goût, et je me réjouis par ailleurs de vivre à une époque et dans un pays où il ne risque plus de me mener au bûcher. Pourtant, il ne m’est jamais venu à l’esprit de sélectionner les personnes que je rencontre en fonction de leur inclination pour cette manière de faire l’amour… Je m’arrange avec elles, avec leur histoire et avec la confiance qu’elles arrivent à placer en moi. Théoriquement, rien ne m’interdit d’être en amour avec telle personne ainsi impénétrable et de fréquenter par ailleurs des enthousiastes de la chose. Mais cela supposerait encore de pratiquer une espèce de « recrutement » spécial dont la perspective ne m’enchante nullement. Je préfère les hasards.

En effet, les personnes qui passent d’un sexe à l’autre sont souvent portées à incarner une caricature du sexe social, du genre, qu’elles rejoignent. On est en plein dans ce que j’évoquais tout à l’heure : les rôles, une petite partie d’entre eux, sont redistribués et pas réécrits. C’est peut-être une bonne chose pour les personnes concernées et demandeuses, je ne veux pas en juger à leur place, mais je n’en attends rien. C’est un progrès de nature technique, parallèle à celui des greffes d’organes.

Que ces opérations soient parfois financées par des entreprises ou remboursées par la sécurité sociale est aussi une bonne nouvelle pour les intéressées. J’y vois surtout le signe de la formidable capacité du capitalisme à détecter et parfois à devancer les mouvements d’opinion dans la société, y compris en contradiction avec la morale courante. Mais que l’on installe des douches à l’usine, que l’on offre des massages aux employés de bureau ou que l’on crée une cellule d’accueil des personnes désireuses de changer de sexe, il s’agit toujours de désamorcer les conflits et de mettre de l’huile (de massage) dans les rouages de l’exploitation du travail. De plus, ne nous leurrons pas, on peut très bien, à la même époque, se faire virer pour être venu bosser en bermuda. Jusque dans ses audaces, le système est contradictoire et irrationnel.

 

Capture d’écran 2014-12-07 à 19.56.58

 

Réponse à la question complémentaire sur les « prétentions révolutionnaires » des minorités

C’est un malentendu ! Je ne prétends pas que toutes les personnes qui vivent des sexualités minoritaires (ou supposées telles) se veulent révolutionnaires. Je critique celles qui ont cette prétention. Il est possible que cela ne concerne qu’une minorité de ces minorités. Mais il y a tout de même une ambiguïté, du fait que des minoritaires peuvent, très légitimement, revendiquer des droits égaux dans la société telle qu’elle est, ce qui leur donne une visibilité de groupe (dans des lieux spécifiques, des fêtes, des manifestations), heurte les sentiments d’autres minorités (religieuses, par exemple), et peut les mettre en situation de subir des violences policières. Voilà des conditions suffisantes pour que le combat de ces minorités soit présenté par les médias comme une subversion de la société, ce que certains des protagonistes peuvent croire sincèrement. Par ailleurs, certains éléments se radicalisent effectivement dans ces combats — Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR), MLF, etc.— tandis que les autres participent simplement à ce qu’ils considèrent comme une modernisation de la société. Autrement dit : il y a des lesbiennes révolutionnaires, qui articulent leur situation particulière par rapport au régime hétérosexuel dominant et leur engagement social, et d’autres qui protestent contre les discriminations visant leurs semblables dans l’accès aux grades supérieurs de l’armée. La même proportion que chez les hétéros ne protestent jamais contre rien…

 

Capture d’écran 2014-12-07 à 19.56.41

 

Mention faite dans son blog, le 16 janvier 2009, par A. Giard du texte ci-dessus

[…] Quant à Claude Guillon, que je questionne sur son dernier livre, il me sort une ribambelle de poncifs (éculés) [Je souligne] : « Ces phénomènes, dit-il au sujet des soirées queer ou cuir, ne concernent, pour des raisons évidentes, que la bourgeoisie et une frange de la classe moyenne. Précisons : les ouvrières qui travaillent de nuit ne peuvent pas sortir le soir, que ce soit en talons ou en godillot, en jupe courte ou avec une moustache ; elles s’en plaignent d’ailleurs. »

Il semblerait donc que Claude Guillon ne soit jamais allé dans ce genre de soirée. C’est dommage : il y aurait croisé la France d’en bas. Mais peut-être est-il trop occupé à disserter sur la « révolution » pour avoir le temps de fréquenter des péquins moyens… Moi qui vais dans les soirées fetish depuis 1995 environ, c’est à dire peu de temps après leur apparition en France (les première soirées fetish date d’environ 1992), je peux vous dire qui sont les gens qu’on y voit.

Par jeu, je me suis amusée à dresser la liste de ceux dont je connais le métier… quand ils ont un (car les chômeurs aussi ont le droit de s’amuser n’est-ce pas ?). La liste est ci-dessous. Je l’augmenterai d’ici la fin du mois (armée de mon calepin, je compte bien demander leur métier à tous les personnes que je ne connais pas à la prochaine Nuit Élastique).

Chauffagiste, Hôte d’accueil, Assistante maternelle, Informaticien, Plombier, Employé de la Sacem, Stewart, Vendeuse dans une boutique des Halles, Photographe, Pharmacien, Barmaid, Agent de sécurité, Acteur, Vendeuse dans une boutique de meubles, Magicien, Animatrice de site internet, Institutrice, Frigoriste, Employé dans une maison de retraite, Cuisinière dans un hôpital, Employé chez un traiteur, Fonctionnaire à EDF, Éditeur, Pompier, Retraité, Employée au rayon boucherie dans un supermarché, Ingénieur automobile, Cadre sup dans une entreprise d’optique, Serveur de restaurant, Prostituée, Secrétaire, Policier, Professeur d’anglais, Créateur de T-shirt, Disc Jockey, Éboueur, Aide à domicile pour les vieilles personnes, Agent immobilier, Femme au foyer, Vendeuse dans un studio de piercing, Vendeuse dans une boulangerie, Camionneur, Chercheur au CNRS, Chauffeur de minibus pour handicapés, Entraîneur de volley, Publicitaire , Journaliste, Vendeur dans un sex-shop, ARC (attachée de recherche clinique) dans un laboratoire pharmaceutique.

 

Capture d’écran 2014-12-07 à 19.56.26

 

Troisième courriel d’A. Giard

[Postérieur à la publication sur mon site des questions et de mes réponses, et antérieur à « Giardinerie » qui suit.]

Cher Claude,

L’article dont je vous ai parlé — sur le carnaval, le problème de la subversion, etc —, je vais l’écrire [ce qui fut fait, le 28 février 2009, voir lien ci-dessous].

Votre livre est un mélange de choses que je trouve tantôt admirables et tantôt criticables, qui soulèvent des questionnements, qui suscitent des débats.

Pardonnez-moi d’être si passionnée.

Il y a des des aspects de votre pensée avec lesquels je ne suis pas d’accord.

Ce qui est forcément intéressant.

Amicalement

Agnès Giard

Capture d’écran 2014-11-09 à 10.55.27

On trouve au moins, dans l’article en lien d’A. Giard, une phrase qui mérite d’être notée et retenue en ce qu’elle efface un siècle de psychanalyse, d’anthropologie, d’ethnologie et de sociologie (ça fait de la place !) : « …comme si la sexualité avait quoi que ce soit à voir avec la politique. » (Je souligne)

La « sexualité », c’est na-tu-rel !

 

Capture d’écran 2014-12-07 à 19.57.09

 

« GIARDINERIE » (21 janvier 2009)

 

Sur les rapports avec la presse

Certains de mes correspondants me rappellent à une orthodoxie radicale : qu’allais-je échanger des courriels avec une journaliste ? Ça n’est pas la première fois, et sans doute pas la dernière, que l’on a pour moi de ces fraternels égards, d’ailleurs superflus.

Agnès Giard avait, il y a quelques années, publié un papier sur l’un de mes livres (Le Siège de l’âme). Je dis publié, et non rédigé. L’article était confectionné avec de la colle et des ciseaux, procédé journalistique banal, ici chimiquement pur, qui amenait l’« auteure » à présenter comme avérées des citations légitimement inventées par l’auteur (moi) dans ce qui est présenté comme une « fantaisie littéraire ». Quelques semaines après la parution du Corps critique, je remarque sur le blog d’Agnès Giard la déclaration d’un jeune artiste concepteur de tee-shirts qui reproduit une citation supposée de Casanova, qui n’a pas d’autre auteur que celui du Siège de l’âme… (vous me suivez ?). Je fis remarquer la chose, on s’excusa, on m’envoya un tee-shirt, on ajouta les références de l’ouvrage sur le blog.

Je savais donc parfaitement à qui je m’adressais en envoyant tardivement un service de presse du Corps critique à Agnès Giard. Elle en fit une présentation sur son blog « Les 400 culs », en ayant soin, cette fois, de dépenser les guillemets nécessaires. Comme elle me demandait de reformuler, en vue d’un second papier, mes positions sur un certain nombre de questions, il me sembla courtois et sans inconvénient d’accepter.

Quand elle-même s’écarta de la courtoisie en critiquant sèchement (ce qui est son droit) mes positions à partir d’un seul membre de phrase, je ne m’en étonnai ni ne m’en scandalisai. Le procédé est inélégant. Je me suis contenté de le mettre en lumière et de le désamorcer en publiant notre correspondance.

J’ai le sentiment d’avoir l’âme suffisamment bronzée pour ne rien craindre d’un contact, virtuel ou non, avec des gens amenés par leur métier et leur éducation à ces petites manipulations. Il y a des choses que je ne fais jamais, que je n’ai jamais faites, et que je n’ai pas l’intention de faire : paraître à la télévision, laisser publier des photos de moi (même lorsque mon refus est pénalisé par le renoncement à un article)… Il y en a d’autres que j’ai faites lorsque je les ai jugées utiles : organiser un point de presse, participer à une émission de radio, envoyer des ouvrages en service de presse, répondre à des questions. Je suis également amené à parler dans la vie à des médecins, à des employés administratifs, à des flics, à des commerçants, à des banquiers, etc. Certains de ces contacts me sont très pénibles, d’autres moins. Il m’est même arrivé d’entretenir avec une journaliste (de radio) des rapports cordiaux, maintenus dans le temps (il y a des gens étranges partout). Je n’ai aucune illusion sur la fonction sociale des journalistes ; eux-mêmes ne me laissent aucune illusion sur le cas qu’ils font de mon travail, de mes idées, et même de mon existence. La plupart pensent que je suis mort à la fin des années 1980. Une bonne partie le souhaitent. Je m’en tamponne le coquillard.

 

Au fond

Revenons un moment au fond du débat. L’énumération fournie par Agnès Giard est très réjouissante ; je ne vois pas qu’elle contredise mon hypothèse. Le fait que notre habituée des soirées y ait croisé un éboueur ne dit rien ni de la fréquence des pratiques s-m chez les éboueurs ni de la proportion des éboueurs chez les pratiquants s-m. La liste à la Prévert peut donner, je pense que c’est ce que croit sincèrement Agnès Giard, l’impression que « tout le monde est là », que la diversité de la société est « représentée », bref que ces soirées sont à l’image de la société dans son ensemble. On peut considérer que c’est le contraire d’un raisonnement scientifique, en l’occurrence sociologique. En réalité, il n’y a tout simplement aucun rapport entre la « diversité » de la liste (dont je ne conteste pas la réalité) et la réalité sociologique des pratiques s-m.

Parmi les personnes qui ont réagi au texte d’Agnès Giard sur son blog, nombre d’entre elles remarquent justement qu’un nombre inconnu de personnes peuvent pratiquer chez elles, en « privé ». J’ajouterai que d’autres organisent des soirées auxquelles Agnès Giard ne peut participer, puisqu’elles participent à d’autres (vous me suivez toujours ?). Autrement dit : pour confirmer ou infirmer scientifiquement mon hypothèse et celle d’Agnès Giard il faudrait une enquête sociologique d’envergure, portant sur les pratiques collectives et privées. C’est une piste pour les sociologues que le sujet intéresse, ce qui n’est pas mon cas (je ne suis pas sociologue, comme semblent le croire certains internautes, et ça ne m’intéresse pas). Pour l’instant, je ne vois pas dans l’indignation d’Agnès Giard d’élément matériel suffisant pour changer d’avis.

Il est extrêmement difficile, cet exemple le prouve encore, de déclarer à quelqu’un que sa manie ne vous intéresse pas, sans qu’il y voit une condamnation morale (j’emploie ici « manie » au sens où Charles Fourier l’employait déjà, sans nuance péjorative). L’indifférence est inadmissible et d’emblée récusée. Ainsi, je suis parfaitement indifférent à l’hypothèse de l’existence d’extraterrestres. Certaines personnes considèrent qu’on ne peut envisager ladite hypothèse sans nécessairement reconsidérer toute manière de se situer dans le monde. Moi, non.

Idem pour ce qui concerne les vies antérieures, la communication avec l’au-delà ou même une bonne partie des croyances religieuses. Je comprends très bien qu’on encaustique avec un soin particulier le buffet supposé abriter l’âme de ses aïeux ou que l’on fasse brûler des bâtonnets d’encens devant leur autel. J’ai rencontré une personne persuadée que ses problèmes de santé s’expliquent par une vie antérieure comme mendiante à Calcutta. Personnellement, je n’ai pas encore recueilli d’hypothèse convaincante expliquant ma maladie de la moelle osseuse. On bricole comme on peut avec l’inexplicable et le catastrophique.

Je ne trouve les croyants divers ou les pratiquants s-m sur ma route, comme obstacles, que s’ils prétendent régir ou juger ma propre vie. Ce qui peut sembler le comble de la tolérance se traduit en réalité par une relative sensibilité. Exiger mon attention ou/et mon admiration m’est déjà insupportable. Pour en revenir aux pratiquants s-m, je me moque éperdument de la manière dont ils s’associent pour jouir à leur guise.

À condition qu’ils ne prétendent pas incarner une « liberté », fut-elle « sexuelle », plus grande que celles de personnes qui ne se réclament d’aucune manie érotique.

Capture d’écran 2014-11-09 à 10.55.27

[1] Note ajoutée le 28 février 2009 : On constatera avec curiosité la transformation qu’a subie l’appréciation d’Agnès Giard sur ma critique entre ce texte et celui qu’elle publie fin février.