« Cène de ménage » chez les marchands de vent (2005)

L’Église catholique veut censurer les publicitaires

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Les évêques visent juste en s’attaquant à la publicité : c’est bien elle, en effet, qui a relayé dans le capitalisme post-moderne la religion dans le rôle de fabrique sociale de l’imaginaire.

De plus, les responsables catholiques espèrent que la censure d’une affiche vantant une marque de prêt-à-porter suscitera moins d’hostilité que celle d’un film ou d’un livre.

J’avais signalé, en 1997, le retour à l’offensive de l’Église catholique[1] via notamment la création par l’épiscopat de l’association Croyances et libertés. celle-ci est une machine de guerre idéologique et juridique destinée à introduire l’idée religieuse de blasphème (à l’origine : parole de mauvaise augure) dans une jurisprudence laïque, et à réoccuper un terrain abandonné trop longtemps aux seuls intégristes.

L’affaire de l’affiche publicitaire pour Marithé et François Girbaud est intéressante dans la mesure où son caractère érotique est discret, contrairement à ce que prétend l’association épiscopale. On sait qu’il s’agit d’un pastiche de la Cène, notamment peinte par Léonard de Vinci, dernier repas qu’aurait pris, selon la légende biblique, le Christ en compagnie des apôtres.

Sur douze apôtres, répartis en quatre trios, onze sont ici des femmes (jeunes, jolies, très minces, poitrines de pré-adolescentes). Un seul personnage masculin, debout, de dos (le dos nu), entre les jambe d’une apôtre assise, la tête reposant sur l’épaule d’une autre, debout. Les mais gauches des deux jeunes femmes se recouvrent sur le flanc de l’homme.

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Je ne crois pas, contrairement à ce qu’avance un journaliste du Monde[2], que ce soit « lui qui focalise les passions [sic] », davantage que les femmes qui l’entourent. L’avocat des évêques assure qu’il est « nu, dans une attitude lascive ». Il n’est que torse nu, même si son jean comporte à la taille une pièce surpiquée d’une couleur différente qui peut donner l’impression qu’il s’agit d’un caleçon que le jean, porté sur les fesses, dévoilerait.

Non, le scandale, c’est évidemment que c’est UNE Christ que cette Cène nous montre ; une fille de dieu aux longs cheveux châtains ondulants jusqu’à la taille.

Pour qui douterait du sexe de cette Christ au torse androgyne, le publicitaire a disposé devant elle, outre trois poissons, symboles chrétiens (je crois qu’il s’agit de maquereaux !), deux figues, dont l’une est ouvertes en deux. On sait que ce fruit symbolise depuis l’antiquité à la fois le sexe de la femme et l’anus[3].

Voilà qui chatouille, comme n’a pas manqué de la remarquer le magistrat auteur du jugement, le « tréfonds des croyance intimes » d’une secte patriarcale, misogyne et antisexuelle.

La Cène a déjà été interprétée/parodiée par d’autres publicitaires (pour la marque Volkswagen en 1997) et par des artistes contemporains (Andy Warhol a remplacé les apôtres par des motos). Je souhaite attirer l’attention ici sur une autre satire, autrement violente et sexualisée : celle intégrée par c à son film Viridiana, palme d’or au festival de Cannes en 1961, censuré par le régime franquiste.

Je ne peux mieux faire que d’extraire la citation suivante du livre que je suis en train d’écrire[4] :

« Lors d’un banquet organisé par des gueux en l’absence de leur bienfaitrice, une pauvresse annonce qu’elle va prendre l’assemblée en photo avec l’appareil « que lui a donné son papa ». Les convives prennent la pose dans une évidente parodie de la Cène — le repas que, dans la légende biblique, le Christ prend avec ses apôtres, la veille de la Passion. Au moment où l’on s’attend à l’éclair d’un flash, la mendiante soulève ses jupes et exhibe son sexe, déclenchant un tonnerre de rires et d’exclamations. Voyez, dit-elle en somme, et prenez-en de la graine, ceci est la chair, la seule icône vraie, le reflet inversé du monde qui conjure les mauvais augures doloristes, ces obscénités, et illumine la vie. »

On voit que les tréfonds intimes sont ici fouaillés, et la religion traitée pour ce qu’elle est : une hypocrite obscénité.

Le film de Bunuel étant susceptible d’être diffusé à tout moment dans les cinémathèques, les festivals, et à la télévision (il est disponible en DVD), les évêques se doivent logiquement d’en exiger la censure !

On peut prévoir qu’ils tenteront l’aventure un jour ou l’autre, et d’autant plus sûrement qu’ils auront effectivement réussi à introduire le blasphème dans la jurisprudence. D’autant plus encore qu’ils n’entendent pas laisser aux musulmans le terrain de la lutte pour l’ostentation religieuse. En témoignent les immenses calicots accrochés aux églises à l’occasion des fêtes catholiques ou la croix de bois dressée devant Notre-Dame à Noël 2004.

Répétons ici que la « liberté de croyance » est une contradiction qu’il n’est envisageable de tolérer qu’à la seule et sine qua non condition qu’il est permis à chacun(e) d’en rire, gaiement ou cruellement, selon l’humeur.

Si les sectateurs de l’une ou l’autre des religions existantes ou à venir prétendent régenter l’affichage public, l’expression artistique ou la tenue vestimentaire des femmes, il faudra faire subir aux signes ostentatoires de leurs cultes le même sort que les militant(e)s antipublicité réservent aux affiches qui recouvrent les couloirs du métropolitain.

Entre l’obscurantisme religieux et la marchandisation publicitaire de l’espace, je n’ai pas à choisir : ce sont deux systèmes de conditionnement et de croyance, et partant n’en déplaise aux évêques, deux antagonistes de la liberté.

La pensée libre est par essence blasphématoire aux yeux du croyant. Tant mieux !

Aux lions, les chrétiens !

Au cirque, les publicitaires !

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[1] Voir, sur ce blog « L’Église catholique passe à l’offensive ».

[2] Le Monde, 12 mars 2005.

[3] Cf. C. Guillon, Le Siège de l’âme, éd. Zulma, 1999.

[4] Je chante le corps critique.

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Samedi 2 avril 2005, à la Maison du peuple de Saint-Nazaire (Place Allende), Rencontres et débats autour de la séparation de l’Église et de l’État.

10h 30 Spectacle « Marianne et le goupillon », Thierry MAILLART et Lucien SEROUX

14 h « La croyance : de l’institution au sujet ? », Philippe COUTANT

15h 30 « Douleur physique, soins palliatifs et droit au suicide : résistance du discours religieux sur le corps », Claude GUILLON

17 h « La Vie d’un jeune nazairien militant catholique dans les années d’avant-guerre », Roger GUERRAND