On trouvera ci-dessous le cinquième chapitre de mon livre Je chante le corps critique sous-titré « Les usages politiques du corps » (éditions H&O, 2008 ; voir lien dans la colonne de droite).
J’ai mis en ligne l’intégralité de ce livre avant même d’avoir trouvé un éditeur ; je l’ai laissé en ligne par la suite. Je récidive ici. Cependant, je ne saurais trop conseiller à celles et ceux qui s’intéressent à son contenu de se soucier aussi de son support papier, et d’en acheter un exemplaire. Non pas tant pour soutenir matériellement l’auteur (je n’y gagnerai pas un centime) mais pour convaincre l’éditeur (celui-ci et d’autres) que prendre en charge un ouvrage de cette sorte a encore un sens. Je ne choquerai ici que les ignorants du travail intellectuel : je n’aurais jamais fourni un tel effort pour simplement alimenter la colonne de mon blog. La lecture n’est pas une activité «neutre», et encore moins «privée»… pas de responsabilité politique en tout cas.
« Jésus a dit : si la chair s’est produite à cause de l’esprit, c’est une merveille ; mais si l’esprit s’est produit à cause du corps, c’est une merveille de merveille. Mais moi, je m’émerveille de ceci : comment cette grande richesse s’est mise dans cette pauvreté. »
L’Évangile selon Thomas, (milieu du IIe siècle[1]).
Les sociétés occidentales ont mis près de vingt siècles à dissocier la création artistique du lien culturel et social dominant qu’était la religion. Impossible d’envisager l’art sans considérer non seulement sa relation étroite avec la vision religieuse du monde, mais encore le lexique même de la religion : mots, mythes et personnages. Évidente jusqu’au XVIIIe siècle, cette double relation demeure, dans sa seconde composante, jusque dans l’art contemporain et ses avant-gardes les plus ironiques et les plus critiques vis-à-vis de la religion, du cinéma des Bunuel et Pasolini aux performances féministes de la seconde moitié du XXe siècle jusqu’à nos jours.
De ce point de vue, il n’est pas surprenant que des artistes — dont beaucoup sont des femmes ou des personnes qui remettent en question les genres, masculin et féminin — et qui s’inscrivent dans la filiation des acteurs de foire, danseurs et baladins, longtemps déconsidérés voire pourchassés par l’Église, s’approprient tardivement une tradition artistique imprégnée de religiosité et endossent des questionnements existentiels dont l’Église a perdu le contrôle idéologique.
C’est assez dire qu’il n’est pas sans intérêt de mettre en lumière les correspondances entre la religion et cette autre tentative de re-lier qu’est l’activité artistique quand elle se combine avec la communication : théâtre, vidéo, performances. Et d’autant plus lorsque l’art part et parle du corps. Le lecteur non-latiniste voudra bien garder à l’esprit les étymologies, d’ailleurs discutées, du mot religion (lat. religare, relier, ou religere, reconsidérer avec attention) et du mot sexe (lat. secare, couper, diviser).
- Religion : connaissance et haine du corps
Dès les premières lignes de son Adieu au corps (1999), David Le Breton attribue certains comportements de désaffection vis-à-vis du corps — automutilations et sexualité virtuelle via Internet — à l’influence historique d’un courant « gnostique ». Il affirme d’emblée que « les différentes doctrines gnostiques radicalisent la haine du corps » (p. 7). Supposé à l’origine du phénomène, le gnosticisme en est aussi le présent — « une donnée structurale de l’extrême contemporain[2] » — et l’avenir, puisque l’auteur évoque dans sa conclusion (p. 221) « le monde gnostique de la haine du corps que préfigure une part de la culture virtuelle ».
Puisant son information, si l’on croit la bibliographie, dans un unique ouvrage de vulgarisation publié dans la collection Que sais-je ? à la fin des années 1950[3], et guidé par ce que l’on pourrait appeler une « intuition contrariée », D. Le Breton s’engage dans une voie doublement discutable. Il place les adeptes modernes des scarifications et du branding (marquage) sous le patronage des gnostiques, minoritaires combattus par l’Église catholique, ce qui est d’autant plus incongru que parmi les nombreuses et virulentes attaques publiées contre eux par les hérésiologues ne se trouve pas celle d’automutilations[4], tandis que la tradition catholique est — elle — riche en exemples de « branding mystique », dont nous citerons bientôt quelques-uns. D. Le Breton semble considérer par ailleurs que les « différentes doctrines gnostiques » professent une haine du corps qui prendrait les mêmes formes dans tous les groupes. Inaugurer par une telle proposition la critique qu’il fait de la dite « sexualité virtuelle », censément née avec le réseau Internet, est particulièrement mal venu quand on sait que de nombreux gnostiques se livraient à des orgies. Nous observerons d’ailleurs que ces pratiques ont conservé intacte, depuis le IIe siècle, leur capacité de révulser les commentateurs, sectateurs rivaux, historiens ou sociologues. Nous ne visons pas cette fois M. Le Breton qui a choisi de ne pas évoquer ceux que l’on verra qualifiés par les historiens de « gnostiques licencieux », expression au charme désuet que nous reprendrons à notre compte.
Cependant, rendons grâce à M. Le Breton ! En effet, l’examen de son intuition contrariée et de la pétition de principe qui en procède nous amènera à la conclusion paradoxale qu’il y a bien une teinte gnostique dans certaines attitudes contemporaines vis-à-vis du corps sexué, qu’il s’agisse de pratiques érotiques, littéraires ou théâtrales, laquelle teinte exprime non pas une « haine » univoque du corps mais un malaise identitaire parfois violent.
En 1984 encore, dans sa préface au livre d’Irénée Contre les hérésies. Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur, le cardinal Decourtray juge fondée et actuelle la stigmatisation du courant gnostique : « En luttant contre le gnosticisme, le deuxième évêque de Lyon a combattu [vers 150], il y a exactement dix-huit siècles, la déviance la plus redoutable que rencontre aujourd’hui la foi chrétienne, du moins en Occident[5]. » La lutte idéologique se poursuivant, le mensonge conserve toute son utilité. Decourtray ajoute donc : « Les sectes auxquelles est affronté Irénée s’accrochent, en effet, comme autant de plantes parasites, au tronc de la grande Église. » La réalité est autre, et plus diverse. C’est antérieurement à la formation de l’Église que se développent dans l’empire romain un grand nombre de groupes religieux, souvent autour d’une personnalité charismatique. C’est par la suite que l’ensemble disparate de ces sectes, qui ont en commun d’avoir été persécutées et vaincues par l’État romain et par l’Église — qui lui est associée sous le règne de Constantin (IVe siècle) —, sera qualifié de gnostique (du grec gnôsis, connaissance). Si certains parmi les premiers gnostiques — Simon le Magicien, Ménandre — ignorent le christianisme dans leurs systèmes, d’autres groupes se considèrent bel et bien chrétiens, sinon les seuls chrétiens véritables. Il faut encore signaler que si l’on connaît des rivalités entre différents groupes gnostiques, ceux-ci sont d’une grande porosité ; les textes ésotériques y circulent, sont repris, amalgamés à la doctrine locale[6]. Il est particulièrement remarquable que des pratiques aussi opposées que l’ascétisme abstinent et l’« ascétisme licencieux » puissent procéder d’un tronc idéologique commun.
Les théories gnostiques nous sont connues par des manuscrits d’époques, dont un ensemble de plus de quarante textes en dialectes coptes a été découvert en 1945 à Nag Hammadi[7] en Égypte, et par les notations des hérésiologues et autres « chrétiens officiels » ; ce sont ces derniers qui nous renseignent sur les pratiques initiatiques des gnostiques, à partir des témoignages de sectaires repenti(e)s.
Voyons maintenant en quoi le gnosticisme peut être effectivement assimilé à une « haine du corps ». Nombreux sont les textes gnostiques, écrit Henri-Charles Puech, qui assimilent le corps à « un vêtement, à un cadavre, à un tombeau, à une prison, à une chaîne, à un lien […] ou à un compagnon mal intentionné et indésirable, à un intrus, à un “brigand”, à un adversaire dont l’inimitié, la jalousie, la rébellion excitent et entretiennent en nous contradictions, luttes, révoltes, guerre intestine, parfois aussi (et les deux images vont souvent de pair) à un dragon dévorant et à une mer dont les houles tumultueuses ou les tempêtes menacent de nous engloutir[8]. »
Ce corps dans lequel le gnostique estime qu’il a été jeté, comme dans le monde, par de mauvais anges, il s’en dissocie soit par l’ascèse abstinente — les privations —, soit par ce que nous appellons une ascèse licencieuse, que le même H.-C. Puech évoque dans une accumulation de termes moralisateurs : « [le gnostique] use et abuse, sans limite ni scrupule, de la chair, du corps, de tout ce qui appartient au monde matériel, se plongeant même, pour tout épuiser, tout bafouer, tout nier, dans l’abject et l’immonde, qui ne sauraient ni le souiller ni l’asservir[9]. » On trouve une formule très voisine chez Serge Hutin, l’informateur de M. Le Breton : « Chez les gnostiques licencieux, il y a une véritable rage frénétique d’abaisser, d’humilier le corps : l’expérience du péché procure le sentiment de notre déchéance mais, ce faisant, il abaisse ce qui doit être abaissé : l’homme payera sa dette en péchant. Le gnostique exaltera la promiscuité sexuelle, toutes les formes de débauche charnelle. Nous verrons à quelles aberrations incroyables certains gnostiques qui se croyaient chrétiens se sont livrés[10]. » Nous voyons, outre les étroitesses d’esprit des historiens, la source idéologique du malentendu : le gnostique est réputé « humilier » et « rabaisser » son corps, il se plonge dans une « abjection » qu’il nie et dont son abjection même est supposée le sauver. Malheureux gnostique licencieux qui ignore une morale catholique antisexuelle encore point fixée à l’époque où il se livre à d’« incroyables aberrations », parmi lesquelles M. Hutin compte, en frissonnant, la « spermatophagie » !
Certains auteurs ont préféré la dénégation à l’indignation : les hérésiologues auront sans doute diffamé leurs rivaux, épuisant un catalogue d’horreurs fantasmées[11]. Plusieurs arguments peuvent amener à relativiser le risque de prendre en considération des informations falsifiées. Un moyen de recoupement consiste à comparer les résumés que fait, par exemple, Irénée de Lyon des idées gnostiques avec ce que nous en savons par les textes gnostiques eux-mêmes. Sa connaissance des doctrines est excellente et ses présentations, auxquelles il mêle une ironie irrésistible, conformes aux originaux. C’est d’autant plus remarquable que la gnose — réservée aux initié(e)s — est celée dans des textes parfois fort beaux mais presque toujours abscons et malaisés à résumer. Si Irénée prend la peine de présenter de manière rigoureuse les textes, pourquoi mentirait-il sur les seules pratiques gnostiques, les unes et les autres étant connus de ses contemporains ? Par ailleurs, on retrouve dans d’autres systèmes religieux, notamment le bouddhisme tantrique, des modes d’ascèse licencieuse qui évoquent par bien des aspects les gnosticismes préchrétien et chrétien.
« L’un des premiers traités tantriques bouddhistes, écrit Mircea Eliade, le Guhyasamaja Tantra, affirme péremptoirement que : “personne ne réussit à obtenir la perfection moyennant des opérations difficiles et ennuyeuses ; mais que la perfection peut facilement être acquise moyennant la satisfaction de tous les désirs” […]. Le même texte précise que la luxure est permise (par ex. le fait de manger n’importe quelle viande, y compris la chair humaine[12]). » Et lorsque M. Eliade dit de l’initié tantrique qu’il « se trouve par-delà le bien et le mal : rien ne le salit, quoi qu’il fasse[13] », ses termes s’appliquent parfaitement au gnostique, dont il n’est pas impossible que les idées aient pénétré en Inde[14].
Pour considérer un exemple plus actuel et plus proche, peut-être aussi plus inattendu, il semble que l’on peut faire une « lecture gnostique » du récit intitulé La vie sexuelle de Catherine M., rédigé par Catherine Millet, une spécialiste de l’art contemporain[15]. Mieux vaut d’ailleurs envisager une lecture englobant le texte et sa réception, tant l’étonnement réprobateur, mêlé de fascination, de maints critiques, visait une absence (surestimée) d’intérêt pour le plaisir. Il mettait en valeur du même coup la dimension proprement ascétique de la démarche de la narratrice, ascèse licencieuse s’il en fut.
Eros gnostique et androgynie
L’un des reproches adressés par Irénée aux gnostiques qu’il combat est de procéder au recrutement par séduction de nombreuses femmes. Marc, rival direct d’Iréne dans la région de Lyon, s’intéresserait de préférence, selon Irénée, aux riches élégantes, qu’il abuse en leur promettant la lumière, dont il est évidemment le vecteur charnel : « Tiens-toi prête comme une épouse qui attend son époux, dit Marc, afin que tu sois ce que je suis, et moi, ce que tu es. Installe dans ta chambre nuptiale la semence de la Lumière. Reçois de moi l’Époux, fais-lui place en toi et trouve place en lui. Voici que la Grâce est descendue sur toi : ouvre la bouche et prophétise[16] ! » Remarquons ici que le mode de recrutement par l’« initiation sexuelle » des femmes, et parfois des hommes, menée par le chef d’une secte et de rares élus désignés par lui, n’a perdu ni son actualité ni son efficacité. Une femme de quarante-deux ans, animatrice d’un groupe « raélien » à Paris, déclare :
« J’étais avec un homme et je ne concevais pas de lui être infidèle. Pourtant, j’étouffais, je me sentais mal. Grâce à Raël, je me suis découverte moi-même. Je suis mieux dans ma peau. Pour moi, la notion de plaisir est assez nouvelle[17]. »
Revenons à Marc : « [Il] use aussi de philtres et de charmes, sinon avec toutes les femmes, du moins avec certaines d’entre elles, pour pouvoir déshonorer leur corps. Elles-mêmes, une fois revenues à l’Église de Dieu, ont souvent avoué qu’elles avaient été souillées par lui en leur corps et qu’elles avaient ressenti une violente passion pour lui[18]. » C’est bien le moment de soupçonner, non pas tant Irénée de calomnier son rival, que les dames séduites et repentantes de mettre au compte de breuvages magiques l’appétit autant érotique que gnostique qu’elles avouent avoir éprouvé. Quant à Irénée, on devine que le choque autant l’égalité que Marc institue entre lui et ses initiées que la voie peccamineuse qu’il emploie.
Le polémiste chrétien Tertullien (IIe siècle) fustige « [les] femmes hérétiques — quelle n’est pas leur audace ! Elles n’ont aucune retenue ; elles ne craignent pas d’enseigner, de prendre part à des discussions, de se livrer à des exorcismes, d’entreprendre des guérisons, voire de baptiser[19] ! » Les femmes occupent en effet des places d’influence dans plusieurs sectes, les Marcionistes (de Marcion), les Carpocraciens et les Montanistes (de Montan). Hippolyte de Rome se moque de ces derniers qui « se sont laissé surprendre et tromper par des femmelettes nommées Priscille et Maximille, qu’ils regardent comme des prophétesses. […] Certains d’entre eux osent même dire qu’il y a eu en ces femmes quelque chose de plus grand que le Christ[20]. » Non seulement, certains groupes instituent ainsi une égalité entre les sexes, assez effective pour être scandaleuse, mais la doctrine gnostique porte la trace d’une plainte féminine. Dans la Pistis Sophia , attribué au gnostique Valentin, Marie de Magdala se plaint au Christ que Pierre est un misogyne : « Il hait notre sexe[21] ».
L’appréciation de la valeur, positive ou négative, attribuée par les gnostiques à la féminité est particulièrement délicate et nous ne donnerons ici que quelques éléments d’analyse qui renvoient, nous semble-t-il, aux problématiques concernant l’androgynie, le transsexualisme et les pratiques transgenre.
Plusieurs textes semblent indiquer que le processus d’ascension vers la lumière suppose la transformation du féminin en masculin. Dans l’utime logion (ou « dit ») de L’Évangile selon Thomas, Jésus réplique à Simon Pierre qui vient de réclamer l’exclusion de Marie, « indigne de la vie » puisque femme : « Voici que je l’attirerai afin de la rendre mâle, pour qu’elle devienne aussi un esprit vivant, semblable à vous mâles. Car toute femme qui se fera mâle entrera dans le royaume des cieux[22]. » Dans L’Évangile de Marie, note E. Pagels, c’est la Madeleine elle-même qui invite les disciples du Seigneur à louer sa grandeur « car il nous a préparées, et a fait de nous des hommes[23] ». Cependant, L’Exégèse de l’âme contient un passage qui paraît indiquer un processus inverse. Le texte décrit les tourments et la rédemption de l’âme qui, après sa chute d’auprès du Père, a été entraînée dans la prostitution par des amants trompeurs : « Le Père lui fera miséricorde : il détournera sa matrice des réalités extérieures et de nouveau la tournera à l’intérieur ; l’âme recouvrera sa disposition propre. Car il n’en va pas [de l’âme] comme des femmes : les matrices corporelles en effet sont à l’intérieur du corps comme les autres entrailles tandis que la matrice de l’âme est tournée vers l’extérieur, tout comme les organes virils sont à l’extérieur. Si donc la matrice de l’âme se tourne, par la volonté du Père, vers l’intérieur, elle est baptisée et aussitôt purifiée de la souillure extérieure qui a été imprimée sur elle[24] […]. » Le masculin, tourné vers l’extérieur, doit être retourné comme un gant, sur un modèle — une matrice — de nature féminine. Dans un poème gnostique du corpus de Nag Hammadi, Le Tonnerre, Esprit de Perfection, s’exprime une puissance féminine : « Je suis celle qu’on honore et celle qu’on méprise. Je suis la prostituée et la sainte. Je suis l’épouse et la vierge. Je suis (la mère) et la fille… Je suis celle dont les noces sont grandioses, encore que je n’ai point de mari… Je suis le savoir et l’ignorance… Je suis sans vergogne et j’ai honte. Je suis la force et je suis la crainte… Je suis insensée, et je suis sage… Je suis sans dieu, et je suis celle dont le Dieu est grand[25]. »
On notera que la honte est assimilée à l’ignorance dans le logion 37 de L’Évangile selon Thomas : « Jésus dit : lorsque vous vous départez de votre pruderie et prenez vos vêtements, les déposez à vos pieds comme les tout petits enfants, les piétinez, alors vous verrez le Fils […] » (Suarez, p. 37), et dans les Actes de Thomas, où l’épousée qui vient de recevoir les enseignements de Jésus s’écrie : « Désormais je ne me voilerai plus, parce que le miroir de la honte a été ôté de moi ; et dès lors je ne suis plus honteuse ni effrayée parce que l’acte de la honte et de la confusion est parti loin de moi[26] ! »
Sans chercher à toute force la résolution synthétique du dilemme de la prééminence d’un genre sur l’autre, il nous faut insister sur l’importance dans les textes gnostiques du thème de l’androgynie. Dans sa notice sur les Naassènes (de naas, serpent), Hippolyte de Rome signale que l’Adam qu’ils honorent comme origine de l’univers est « un homme et un fils d’homme. Cet homme est androgyne ». Les mêmes Naassènes commentaient ainsi le mythe grec de Cybèle, né(e) à la fois mâle et femelle, castrée par les dieux, et dont le jeune amant Attis a été ou se serait castré lui-même : « La mère des dieux [Cybèle] a-t-elle mutilé Attis, bien qu’elle l’eut pour amant : c’est que, là-haut, la bienheureuse nature des être supérieurs au monde et éternels veut faire monter vers elle la vertu masculine de l’âme. Car, dit [le Naassène], l’homme est androgyne. C’est pour ces raisons que ce qu’on appelle le commerce de la femme avec l’homme est, dans la doctrine une abomination et une souillure. Car, dit-il, Attis a été mutilé, c’est-à-dire séparé des parties matérielles et inférieures de la création, pour passer à l’existence éternelle là-haut, où, dit-il, il n’y a ni femelle ni mâle, mais une nouvelle créature, un homme nouveau, qui est androgyne[27]. » On aura remarqué la qualification des organes mâles comme « parties matérielles et inférieures de la création ».
Selon Clément d’Alexandrie, on trouve dans L’Évangile des Égyptiens, que les Naassènes connaissaient, un passage évoquant un dialogue entre Salomé et le Seigneur. Comme elle lui demande quand sera connu la réponse à ses questions, le Seigneur répond : « Lorsque les deux seront un et que le mâle avec la femelle [ne seront] ni mâle ni femelle[28]. » Dans l’un des textes de Nag Hammadi La Pensée primordiale à trois formes (Protennoia Trimorphique), le personnage éponyme s’exprime ainsi : « Je suis androgyne. [Je suis à la fois Mère et] Père, car [je copule] avec moi-même… [et avec ceux qui] m’[aiment]… Je suis le Sein maternel qui donne forme au Tout[29]. »
Un « communisme érotique » ?
D’après Hippolyte, qui cite l’Apophasis (déclaration ou révélation), ouvrage qu’il attribue au gnostique Simon, les disciples de ce dernier professent que « toute terre est terre, et peu importe où l’on sème, pourvu qu’on sème. » Ils approuvent la promiscuité érotique « déclarant que c’est là l’amour parfait, le saint des Saints et l’accomplissement de la parole “Sanctifiez-vous les uns les autres[30]”. » La justification du caractère interchangeable des partenaires dans un coït ayant pour finalité la procréation est loin de faire l’unanimité des gnostiques licencieux. Nous disposons d’une documentation précise sur les Barbéliotes (adorateurs d’une déesse-mère nommée Barbélo) par un transfuge de la secte, Épiphane, qui y passa assez de temps pour assimiler ses rites et les textes qui y circulaient, avant de la quitter et d’en faire excommunier quatre-vingt adeptes qui, information sur l’interpénétration des doctrines et des groupes religieux, étaient chrétiens.
Les Barbéliotes « mettent leurs femmes en commun […]. Lorsqu’ils ont bien banqueté et se sont, si je puis dire, rempli les veines d’un surplus de puissance, ils passent à la débauche. L’homme quitte sa place à côté de sa femme en disant à celle-ci : “Lève-toi et accomplis l’agapê [l’amour] avec le frère”. […] Une fois qu’ils se sont ainsi unis, comme si le crime de leur prostitution ne suffisait pas, ils élèvent vers le ciel leur propre ignominie : l’homme et la femme recueillent dans leurs propres mains l’émission de l’homme, s’avancent les yeux au ciel et leur ignominie dans les mains et prient à la manière des Stratiotiques et des Gnostiques ; ils offrent au Père, à la Nature du Tout, ce qu’ils ont dans les mains en disant : “Nous t’offrons ce don, le corps du Christ”. Puis ils le mangent et communient à leur propre ignominie, en disant : “Voici le corps du Christ, voici la Pâque pour laquelle nos corps souffrent et sont contraints de confesser la passion du Christ”. Ils font de même avec les menstrues de la femme. Ils recueillent le sang de son impureté et y communient de la même manière. Et ils disent : “Voici le sang du Christ”. […] Bien qu’ils pratiquent un commerce promiscuitaire, ils enseignent que l’on ne doit pas procréer d’enfants. […] Lorsque l’un d’entre eux, par surprise, a laissé la semence pénétrer trop avant et que la femme est enceinte […], ils extirpent l’embryon dès qu’ils peuvent le saisir avec les doigts, ils prennent cet avorton et le pilent dans une sorte de mortier, y mélangeant du miel, du poivre et différents condiments, ainsi que des huiles parfumées, pour conjurer le dégoût, puis ils se réunissent […] et chacun communie de ses doigts à cette pâtée d’avorton. […] Lorsque dans leurs réunions, ils entrent en extase, ils barbouillent leurs mains avec la honte de leur émission séminale, ils l’étendent et, avec les mains ainsi souillées et le corps entièrement nu, ils prient afin d’obtenir, par cette action, libre accès auprès de Dieu[31]. »
S’il juge leur conduite érotique et anticonceptionnelle « grossière et répugnante », Leisegang n’en écrit pas moins pertinemment des Barbéliotes que « leur communisme sexuel [exige] que tous soient aimés par tous afin de sauver le logos spermatikos [la raison séminale du monde]. Aucune femme, aucun enfant ne doivent être désirés pour eux-mêmes et personne ne doit mépriser un autre, car l’Agapé [l’amour] et le salut du sperma importent au Tout[32]. » C’est à la fois la dimension exceptionnelle de ce communisme, si l’on retient le terme, peut-être devrions-nous dire plus prudemment de cette mise en commun des femmes, et son cadre : il semble bien exclure l’inclination, le « choix » du partenaire, la passion de forme romantique, mais il n’exclut personne de l’exercice commun de l’érotisme. Il n’apparaît pas, comme c’est le cas dans nombre de sectes licencieuses, anciennes et modernes, qu’un chef s’attribue ici un privilège érotique aux dépens des affilié(e)s, dissimulant son pouvoir derrière des pratiques communautaires. Il n’existe pas de hiérarchie entre les individus (s’il en existe peut-être une entre les genres) et personne ne peut être ni méprisé ni considéré uniquement dans son rôle de reproducteur du groupe.
On peut discerner un écho contemporain, certes très atténué et presque entièrement symbolique, des célébrations Barbéliotes dans un genre de manifestation politique satirique : la parodie de prière et le cantique distribués sous forme de tract puis mis en scène par un collectif Laissez les jouir, lors d’une manifestation anti-intégriste, à Paris, au début des années 2000.
« Ceci est mon gode, c’est un jouet sexuel. Il est un des nombreux apôtres de Sainte jouissance. Il faut l’utiliser avec un préservatif car on peut l’utiliser avec de multiples partenaires, femmes et hommes, devant et derrière, notamment lors de PARTOUZE [sic pour les capitales et le singulier].
Connaissez-vous le clitoris ? C’est un autre apôtre de Saint orgasme, petit organe fait de chair et de sang, qui peut, lorsqu’il est ingénieusement stimulé, avec le doigt, la langue, les seins, produire un intense plaisir, qui amène le paradis sur terre.
Et l’anus ? Nos dignes ancêtres de Sodome et Gomorrhe nous ont enseigné la voie anale, sainte Sodomie priez pour nous. »
« Cantique : Priez pour nos spermatozoïdes récoltés par le latex, priez pour nos ovules qui grâce à la pilule ne seront jamais fécondés. Laissez les jouir, laissez les jouir, laissez les jouir. »
Dans l’Église : masochisme, anorexie et sainteté
Contrairement aux pratiques de l’ascèse gnostique qui ne sont ni agressives ni mutilantes (sauf pour les fœtus), on retrouve dans celles qu’alimente le mysticisme chrétien la préfiguration des techniques « modernes » de scarifications et de brûlures, ainsi qu’une tentation anorexique parfois doublée de mortification (ingestion de nourritures dégoûtantes).
Au XVIIe siècle, des religieuses se gravent sur la peau le nom de Jésus : ainsi Mme de Chantal, dont Maupas du Tour écrit qu’elle « eut bien le courage et la générosité de prendre un fer tout rouge de feu, duquel se servant comme d’un burin, elle-même, se grava le saint et sacré Nom de Jésus sur sa poitrine[33] ». Telle visitandine « imprime “le sacré Nom sur son cœur” par le fer et le feu, et fait “découler sur ses bras de la cire d’Espagne toute brûlante” ». Une autre « grave “sur son cœur avec le fer le Saint et Sacré Nom de Jésus, en lettres capitales de la longueur d’un demi-doigt (comme nous l’avons vu après sa mort[34])” ». Le dolorisme religieux peut se faire ostentatoire et quitter le secret de la clôture, et ce sont des cortèges de milliers de « flagellants », hommes, jeunes gens et garçonnets (les religieuses se fouettent en privé). L’Église catholique adopte une attitude ambiguë, tolérante, remontrante ou répressive selon qu’elle craint d’être déconsidéré par des excès ou concurrencée par des mouvements sociaux et religieux incontrôlables[35]. Rappelons que les groupes gnostiques originaux, antérieurs au christianisme avec lequel ils entreront en lutte, n’ont jamais adopté le culte du martyre. La plupart des gnostiques récusent en effet le récit de la mort du Christ en croix. Il n’y a donc pas lieu de suivre son exemple en faisant le sacrifice de sa propre vie. Quant à la douleur que recherchent les mystiques, elle est superfétatoire pour les gnostiques, précisément parce qu’ils considèrent que l’enveloppe corporelle est en quelque sorte déjà une punition en elle-même et non en raison des péchés auxquels elle expose.
Rudolph M. Bell a étudié les pratiques anorexiques et d’automutilation des mystiques catholiques dont il dresse un impressionnant catalogue. Catherine de Sienne se flagelle avec une chaîne de fer quotidiennement, « une fois pour ses péchés, une autre pour les vivants et une autre pour les morts. [Un fois pour le Père, une fois pour le fils, une fois pour le Saint-Esprit ?] Elle finit par être trop faible pour poursuivre ces châtiments qui duraient à chaque fois entre une heure et une heure et demie, jusqu’à ce que le sang coule de ses épaules jusqu’à ses pieds[36]. » Véronique Giuliani, sur ordre de son confesseur, nettoie les murs de la cellule où elle est enfermée avec la langue, avalant toiles et araignées. Elle s’est constitué un arsenal : des dizaines de chaînes différentes, un joug de bois, « et la grosse pierre sous laquelle elle avait écrasé sa langue ». Angèle de Folino confesse avoir désiré se promener nue dans les rues, arborant autour du cou des poissons morts et des pièces de viandes en putréfaction. De dix à vingt-deux ans, Benveneta Bojani porte un cilice : « Elle se ceignit le thorax d’une chaîne en fer et elle noua étroitement une corde autour de ses hanches. Pendant deux ans, à mesure que son corps se développait, la corde s’incrusta dans sa chair. […] Si elle se sentait emportée par le sommeil, elle se baignait les yeux avec du vinaigre [qui, dans le récit biblique, imprègne l’éponge que le légionnaire romain tend, par dérision, au Christ crucifié qui réclame à boire]. Trois fois par jour, elle se fouettait le dos[37]. » Francesca de ‘Ponziani, mariée de force par son père à treize ans, est atteinte de paralysie après la nuit de noces. Dès l’année suivante, elle porte un cilice sous sa robe, et serre autour de ses hanches une ceinture en fer et une autre avec des pointes de métal qui pénètrent sa chair. À titre de mortification préalable au coït conjugal, elle s’écorche la vulve avec de la cire ou du saindoux brûlant. Son mari déclara n’avoir jamais remarqué des pratiques mystiques dont il ne voulait pas tenir compte. Pas question de reconnaître la présence au logis d’une sainte qui escamoterait l’épouse consentante.
Eustoche de Messine s’expose nue au soleil sicilien des journées entières, au point que sa peau noircit et se craquelle. Son comportement, aujourd’hui presque banal, ne peut être à l’époque que celui d’une folle ou d’une sainte. Comme tant de ses pareilles, elle porte deux cilices, dont l’un est fait de ronces. Colomba da Rieti se nourrit de légumes avariés. Elle porte un cilice et une ceinture de fer. Comme elle est victime d’une tentative de viol, ses agresseurs sont épouvantés par ses prothèses et les traces de flagellations qui marquent sa chair. Tandis que les deux plus jeunes s’enfuient, le troisième tombe à genoux et l’implore d’intercéder par ses prières pour son épouse défunte et sa fille dans les ordres. La quincaillerie masochiste, dévoilée par force, signale la sainte où les rôdeurs espéraient une fille quelconque, c’est-à-dire une putain.
Engagées, estime Bell, dans « une lutte intense pour acquérir leur autonomie, s’affranchir du monde masculin qui les entourait et, finalement, de leur propre corps », les saintes dominicaines meurent plus souvent (de faim) que leurs homologues franciscaines, qui trouvent dans la figure de Marie un modèle féminin et un réconfort[38].
- L’art d’Être reliÉ(e)s
Depuis le milieu des années 1960, une avant-garde artistique a tracé dans l’art contemporain une voie du corps. Elle présente, notamment dans sa composante féministe ou au moins féminine, certains aspects révolutionnaires, au sens où elle déroule une relecture de l’histoire de l’art et du fait de sa provocante originalité. Cette dernière demande néanmoins à être évaluée en fonction précisément de l’histoire, notamment religieuse, avec laquelle elle prétend parfois rompre.
« Le corps en art ne se dresse pas comme un constat de faillite de l’art, écrira Gina Pane, mais au contraire bâtit des solutions nouvelles et transformatrices[39]. » C’est assez récemment qu’a commencé, pour la France[40], un travail de redécouverte et de vulgarisation de cette avant-garde, grâce notamment à l’action de la chorégraphe Cécile Proust et du collectif « Femmeuse » qu’elle anime et à la multiplications des publications — citons notamment la somme de Helena Reckitt et Peggy Phelan Art et féminisme[41] — et des expositions rétrospectives (Valie Export[42] en 2003 ; Anna Halprin et Cyndy Sherman en 2006).
Avant de poursuivre, je veux insister sur les points communs aux deux principales performeuses féministes apparue dans la décennie 1960-1970, Valie Export (née à Linz, Autriche, en 1940) et Orlan. Inspirées l’une par l’autre ou pareillement attentives au statut du corps dans leur époque, l’une et l’autre entendent d’abord résister à la disparition du corps comme repère spatial, même si Orlan estimera par la suite (2002) « que le corps est obsolète, qu’il ne fait plus face à la situation[43] ». Valie Export réalise entre 1972 et 1976 une série de photographies où elle apparaît couchée dans un caniveau, épousant la forme d’un rond-point, ou bien l’angle d’une corniche. Orlan procède de la même manière dans ses « MesuRages » (1974) créant ainsi sa propre unité de mesure : l’Orlan-Corps. Dès 1968, Valie Export met en scène le rapport prostitutionnel au corps féminin, notamment dans l’art, avec Tapp und Tastkino (Cinéma tactile). Elle se promène dans les rues, le buste dénudé pris dans une boîte fermée d’un rideau, invitant les passant(e)s à y glisser les mains. Orlan propose, en 1977, « Le baiser de l’artiste », pour 5 francs, à la Foire internationale d’art contemporain à Paris[44]. D’abord proche de Günter Brus et Otto Mühl, avec lesquels elle fonde en 1966 l’Institut pour l’art direct, Valie Export présente l’avantage d’incarner une tendance féministe de l’actionnisme (d’où le titre d’un essai de 1979 : Actionnisme féministe), par ailleurs machiste et violent. Ajoutons que Valie Export n’est devenue ni mystique comme Hermann Nitsch ni cheftaine de secte violeuse de jeunes filles comme Otto Mühl.
Dans les années 1990-2000, Orlan a, semble-t-il, mené plus loin et plus rigoureusement — ce qui n’est pas une appréciation morale — la logique qui me paraît commune à sa démarche et à celle d’Export. Notamment en incarnant dans sa propre chair, si l’on peut se permettre cette redondance, le corps hybridé, opéré, mutant, objet de la chirurgie dite esthétique. « Dans les opérations chirurgicales [auxquelles elle soumet son visage], le plus important pour moi, déclare-t-elle, c’est mon corps devenu lieu de débat public. Mais avant tout, ces opérations ont été des processus conçus pour produire des œuvres d’art […]. La performance était retransmise en direct par satellite dans différents musées du monde. » Orlan saisit toutes les techniques de re-création du corps, jugé obsolète dans sa forme « primitive » (c’est moi qui introduit l’adjectif). Ainsi a-t-elle entrepris des cultures hybridées de cellules-souches de sa propre peau avec celle d’« une personne de peau noire », « élevées » dans un laboratoire australien. Orlan annonçait en 2003 le projet d’un manteau d’Arlequin réalisé par assemblage de cultures de peau, provenant de personnes différentes[45].
Le terme « performance » qui désigne en général les œuvres accomplies par des artistes, dans une galerie ou dans la rue, et qui tiennent du « happening » et du théâtre, parfois du cirque, peut s’entendre au sens sportif. Son trajet étymologique franco-anglo-français éclaire un autre aspect de ce mode d’expression : performance vient de l’anglais to perform, accomplir, réaliser, lui-même issu de l’ancien français parformer (XIIIe siècle) dont le sens est voisin de « parfaire ». On retiendra l’idée d’accomplissement, de perfection, laquelle passe souvent par la souffrance et la mortification. L’insistance même d’une artiste comme Orlan à refuser les tentations doloristes indique, en creux, la profonde imprégnation de ce courant de l’art contemporain par le masochisme religieux dont il dessine la caricature.
Ce que Orlan choisit de dénommer « Art Charnel » n’est pas, selon elle, « héritier de la tradition chrétienne, contre laquelle il lutte ! Il pointe sa négation du “corps-plaisir” et met à nu ses lieux d’effondrement face à la découverte scientifique. L’Art Charnel n’est pas davantage l’héritier d’une hagiographie traversée de décollations et autres martyres […]. [Il] transforme le corps en langue et renverse le principe chrétien du verbe qui se fait chair au profit de la chair faite verbe[46]. »
Néanmoins, c’est dans des « reliquaires » qu’Orlan recueille l’eau sale du lavage de la robe qu’elle a utilisée pour ses MesuRages ou des morceaux de chair issus de ses modifications chirurgicales :
« On ne peut pas dire qu’un reliquaire avec ma chair n’est pas une œuvre à part entière, même si la chair a été récupérée à un moment dans le bloc opératoire[47] »
Orlan intitule une conférence, donnée à Grenoble en décembre 2000, « Ceci est mon corps, ceci est mon logiciel », référence aux paroles attribuées au Christ et reprises dans la liturgie catholique.
Dans son « action » (terme qu’elle préfère à performance) intitulée « Escalade sans anesthésie » (1970-1971), dans laquelle il est difficile de ne pas voir une évocation tragi-comique du Calvaire, Gina Pane gravit, pieds nus, les degrés d’une échelle métallique dont les barreaux sont hérissés de pointes tranchantes[48].
David Nebreda donne comme légende « L’échelle vers le ciel » à un cliché représentant les divers instruments à l’aide desquels il inflige coupures, brûlures et sutures à un corps au sens strict décharné, réduit, mais pour de terribles et fascinant autoportraits photographiques. On ne peut que renvoyer au film ADN, que la cinéaste Judith Cahen a réalisé à partir des Autoportraits de l’artiste martyr (ressuscité depuis), avec lesquels elle entre en dialogue[49].
Retrouvant la pratique des flagellants, qui eux-mêmes reconstituaient le cheminement du Christ portant sa croix sous les coups des soldats, Regina José Galindo, artiste guatémaltèque, s’inflige 256 coups de fouets en cinq jours, en hommage aux femmes assassinées dans son pays durant les premiers mois de l’année 2005.
Dans une autre performance, enveloppée dans un sac poubelle, elle se fait jeter à la décharge publique[50]. Exercice déjà pratiqué par l’espagnol Cuco Suarez, « entré dans un bloc de glace à base de sang de vache, pour être évacué enveloppé dans un suaire, puis jeté dans une benne à ordures », selon le journaliste qui l’interroge. Suarez se défend de tout masochisme : « Un coureur de marathon souffre aussi pour arriver au but, et personne ne le taxe de masochisme. » Cependant, il juge la douleur supérieure au plaisir en art :
« Le plaisir est vite oublié. Il ne laisse pas de cicatrices, contrairement à la douleur, qui, elle, n’a rien d’éphémère. Je ne me complais pas dans la douleur : il y a des choses que je n’aime pas faire, mais qui me paraissent indispensables du point de vue de l’expression[51]. »
Dans Shattered Dreams (Rêves anéantis), le flamand Niko Raes est suspendu par des cordes, nu :
« Chacune de mes performances dure aussi longtemps que mon corps peut le supporter. […] Au début, le corps est en pleine forme, frais, comme celui d’un danseur. Mais bientôt cela devient un combat et l’on voit la souffrance. Ce qui est curieux car, durant la performance, je ne ressens aucune douleur[52]. »
Le performeur australien Stelarc réalise une longue série de Suspensions, de 1971 à 1975 à l’aide de harnais, et de 1976 à 1989 à l’aide de crochets fixés dans sa peau. Les actions ont lieu dans des galeries, des espaces publics urbains ou en pleine nature. Comme Jacques Donguy lui demande si la douleur est difficile à supporter :
« Oui, c’est très difficile. Si vous pouvez vous imaginer un crochet inséré dans votre corps, et puis dix-sept autres, et le fait que cela prend de quarante minutes à une heure pour le faire en toute sécurité et avec précision… Et finalement, la peau devient la structure qui porte tout le poids du corps. La peau qui s’étire devient une sorte de paysage gravitationnel, et c’est ce qui indique que le corps est suspendu. […] Quand je planifie une performance, je vois le corps comme une sorte de sculpture située dans l’espace[53]. »
Où le trapéziste use du mouvement, de la vitesse, s’émancipe de la pesanteur, le performeur pèse tout son poids de souffrance, risque sa peau, distendue aux dimensions d’un paysage. Si le corps est une prison comme l’ont pensé Platon et après lui les Gnostiques, le voltigeur épinglé est à la fois l’araignée qui dessine sa toile d’acier et sa proie. « Obsolète », le corps, comme il le déclare ? Peut-être, mais nécessairement à l’intersection des lignes de force qu’il a voulues, pour faire de la peau une « structure » qui soutient le corps. Et ce corps, sculpture intérieure au paysage de la peau, n’est-il pas paysage lui-même, comme la carte est le territoire ? J’entends bien que le discours de l’intéressé est autre, que cette mortification de la chair est supposée illustrer et précéder son abandon, « envahie [qu’elle est] par la technologie ». Je constate que le Stelarc des Suspensions irradie sa douleur sur le monde, hissé — fût-ce à l’aide d’un grue — sur d’imaginaires Golgotha.
La suspension par crochets, broches et crampons est dans l’antiquité un des modes de torture infligée aux criminels comme aux martyrs chrétiens. « Il est manifeste que les anciens se servaient des crampons, non seulement pour déchirer les criminels et les traîner au lieu d’exécution […], mais aussi pour les pendre », relève le Traité des instruments de martyre (1591) du prêtre oratorien Antonio Gallonio[54].
Nous retrouverons le performeur Stelarc technologisé et appareillé lorsque nous traiterons du « corps utopique ». Remarquons encore que ses performances qui précèdent les suspensions consistent à demeurer une semaine, accroché (non suspendu) par deux câbles au mur d’une galerie, les yeux et la bouche cousus. Niko Raes, déjà rencontré, a les mains cousus lorsque son corps nu est suspendu à des cordes (années 2000). David Wojnarowicz s’était, lui-aussi, cousu les lèvres pour illustrer le slogna d’Act Up dans sa lutte contre les pourvoyeurs de sida : « Silence = Mort[55] ».
Licencié en philosophie scolastique (Institut catholique de Paris) et passé par le Séminaire Saint-Sulpice d’Issy-les-Moulineaux, Michel Journiac (1935-1995) ne cessera de faire résonner des thèmes religieux dans ses œuvres et performances : Messe pour un corps (1969 et 1975), Rituel du sang (1976), Rituel de Corps interdit (1981), Le Vierge mère (1982), etc. Nombre de ses œuvres sont des variations sur le thème de la relique, utilisant des squelettes humains, entier ou morcelés, laqués de peinture ou, pour l’un d’eux, plaqué or (Contrat pour un corps, n° 3, 1972). Lors de la Messe pour un corps, Journiac parodie dans ses détails le rituel catholique et propose, au moment de la communion, des rondelles de boudin, réalisé avec son propre sang, en guise d’hosties[56].
Quant aux références dans les titres, on peut citer encore le solo de Jacques Delcuvellerie, au croisement du théâtre et de la performance (Anathème, Avignon, 2005), le spectacle de danse de Jan Decorte, Dieu & les esprits humains (Avignon, 2005), Cantique 2 et 3 de la chorégraphe Marie Chouinard (Monaco, 2004), le Requiem[57] du chorégraphe Marcel Li Antunez (Monaco, 2004), dont nous reparlerons à propos du corps utopique, Konnecting Souls (Les Âmes reliées[58]) du chorégraphe et compositeur Franck II Louise (Monaco, 2004) et, pour la saveur de l’anecdote, la performance de Léo Bassi qui ouvre le festival de théâtre de rue d’Aurillac (2005) déguisé en pape, et finit son show entièrement nu, enduit de miel et de plumes. Dans Erwartung (Attente), une photographie de 1976, Valie Export donne une version pleine de dérision de la Madonna della Melagrana de Botticelli (1487, Galerie des Offices de Florence) : elle y joue le rôle de la vierge et c’est un aspirateur qui remplace dans ses bras l’enfant Jésus.
Dans bien des cas, l’usage qui est fait des pratiques religieuses et singulièrement de celles des mystiques dépasse de loin la simple parodie. Scarification, macération, flagellation, identification à l’ordure, techniques yogi sont des moyens pour l’artiste d’engager son corps dans le geste artistique. Difficile de ne pas entendre un écho christique dans cette déclaration de Gina Pane :
« Si j’ouvre mon “corps” afin que vous puissiez y regarder votre sang, c’est pour l’amour de vous : l’autre[59]. »
Le corps de l’artiste se fait miroir sensible au-delà duquel le spectateur est conduit à venir chercher la réponse au questionnement sur son identité. Porteur du stigmate menstruel, le corps féminin est jugé prédestiné à incarner la souffrance : « Le défi de la fente saignante-sexe féminin porte en elle-même un potentiel de révolte de la classe opprimée : “Je suis porteuse de la blessure sociale[60]“ (G. Pane). » L’incision de la peau est un rappel symbolique de la blessure féminine essentielle ; la projection sur l’écran d’images des sécrétions corporelles constitue ce que Pane appelle la « double trace », qui interroge — contre une « pensée monothéiste » hostile —, la frontière entre intérieur et extérieur :
« J’opère dans un territoire ardu, souvent mal compris à cause du refus de celle-ci [la double trace] par une pensée monothéiste — la double trace colporte l’identité de soi ne laissant aucune échappatoire à la question : ton corps est-il le mien[61] ? »
« Je me blesse mais ne me mutile jamais » écrit Gina Pane. C’est exact au sens où l’on dit de l’ancien détenu Roland Agret, condamné à tort et qui se coupe deux doigts pour obtenir sa réhabilitation, qu’il s’est mutilé[62]. Chez Pane, le geste prévoit et inclut la cicatrisation. Elle ajoute : « J’ai une pratique picturale du corps[63] ». Le pinceau est une lame de rasoir dans Azione sentimentale (incisions dans la paume de la main, sur le poignet et l’avant bras, 1973 ). Marina Abramovic, autre pionnière de l’art corporel, se dessine une étoile sur le bas ventre usant elle-aussi d’une lame de rasoir (Avignon, 2005). Dans une autre performance (Rhythm 0, Naples, 1974) Abramovic mettait en scène l’agressivité machiste des spectateurs, s’offrant à leurs gestes à l’aide de soixante-douze objets également à leur disposition (de la fourchette au rouge à lèvres, en passant par le flacon de parfum). « À la fin de la performance, elle était dénudée, ses vêtements avaient été tailladés à la lame de rasoir [comme ceux de Yoko Ono dans sa performance de 1964 Cut Piece (Taillée en pièces)], elle avait été coupée, peinte, nettoyée, décorée, couronnée d’épines et on lui avait braqué le pistolet chargé sur la tempe[64]. » Couronnée d’épines, c’est bien le moins ! Par quoi l’on voit que les spect-acteurs, que l’on ne peut imaginer que du genre masculin, ont eux aussi en tête des références christiques.
Il faut mentionner également ceux parmi les artistes qui proclament leur intérêt voire leur admiration pour la religion, en l’espèce catholique. Ainsi l’ancien actionniste Hermann Nitsch cite-t-il comme rituels cathartiques, dans une même phrase, « les fêtes primitives, les rituels vaudous ou la transsubstantiation chrétienne » ; il affirme : « Je respecte la religion chrétienne. » Quant au photographe Andres Serrano, interrogé par Virginie Luc sur le caractère éventuellement blasphématoire de son travail, il réplique : « Au contraire, mon travail est un hommage au christianisme. Et la plupart des hommes d’Église perçoivent mon travail dans ce sens. » Mais tout de même, lui objecte-t-on, ce Christ piss qui représente un crucifix plongé dans l’urine ? « La plupart des prêtres, rétorque Serrano, comprennent qu’une image peut être tout à la fois irrésistible, belle et répulsive[65]. » À supposer, ce dont je doute un peu, que les ministres du culte catholique poussent à ce point la largeur d’esprit, l’art chrétien aurait trouvé le moyen de dissoudre la possibilité même du blasphème… Et après tout, pourquoi pas ? Laissons donc « le bon dieu dans la merde », comme nous y incitait dans une fulgurante prescience artistique l’auteur anonyme d’une chanson anarchiste de la deuxième moitié du XIXe siècle[66] !
Exhibition et boulimie
Les propos de la performeuse Janine Antoni répondent étrangement aux manies de la jeune Francesca de ‘Ponziani. Lors de son spectacle intitulé Gnaw (Ronger, 1992), elle sculpte, en mordant dedans, deux cubes, l’un de chocolat, l’autre de saindoux, matière dont Francesca faisait le moyen de son supplice vulvaire. « Le chocolat, dit J. Antoni, tend à accroître le désir du spectateur, mais le saindoux est le résultat lorsqu’on a succombé au désir »… L’année suivante, à Venise, elle lèche et lave quatorze reproductions de son torse, les unes en chocolat, les autres en savon (Lick and Lather, Coup de langue et mousse de savon, 1993). Lors d’une autre performance dans une galerie, elle utilise ses cheveux, préalablement trempés dans une teinture noire, pour « peindre » le sol. Le titre Loving Care, peut se traduire littéralement par « Soin amoureux » ou « Le plus grand soin » (Londres, 1993). Les auteurs de l’ouvrage intitulé Le Corps de l’artiste assurent que l’expression Loving Care est aussi le nom commercial de la teinture utilisée[67]. Cette précision, négligée par d’autres sources, peut être rapprochée d’une remarque de François Brune sur la publicité d’un nettoyant pour sol baptisé Nubril (vers la fin des années 1970). Le spot télévisé qualifie le produit ménager de « shampooing » (on s’est habitué, en effet, à acheter un shampooing pour le parquet ou la moquette) et « recommande à toutes de faire briller leurs sols comme elles lavent leurs cheveux[68] ». Shampooing est emprunté à l’anglais, et dérivé du verbe to shampoo, masser. La ménagère de moins de quarante ans est donc incitée à mettre de la chair et de l’érotisme dans l’entretien de la maison, obscénité que Janine Antoni rend visible par le subterfuge consistant à user d’un shampooing colorant, comme on utilise un réactif coloré dans une expérience de chimie.
Les conceptrices de Femmeuses veulent voir dans Loving care une évocation critique des Anthropométries d’Yves Klein[69]. C’est probablement aussi une allusion à Marie de Magdala qui arrose les pieds du Christ de ses larmes, et les essuie avec ses cheveux (Luc, 7, 36-40). Janine Antoni a d’aileurs baptisé son atelier de Manhattan Immaculate Conception Incorporated (Société anonyme de l’Immaculée conception[70]).
Goût et dégoût de la nourriture : c’est encore Gina Pane, qui absorbe six-cent grammes de viande crue, c’est la danseuse Jo-Ann Endicott qui dans le Walzer de Pina Bausch « se goinfre tout en détaillant les parties du corps qu’elle déteste[71] », c’est Marina Abramovic demeurant seize jours sans manger[72].
C’est aussi Carolee Schneemann dans le happening intitulé Meat Joy (Joie de la viande, Paris, 1964) dont les participant(e)s en sous-vêtements se frottent avec des poissons crus et de la charcuterie. La performeuse conçoit son spectacle comme « un rite érotique […]. Le mouvement qui l’anime tend vers l’extase […] et peut passer à tout moment du sensuel au comique, du répugnant au joyeux[73]. » En quelque sorte le pendant rabelaisien des happenings violents des « actionnistes » mâles viennois. On trouve d’ailleurs l’écho du travail de Schneemann dans une photographie prise l’année suivante par Ludwig Hoffenreich de Rudolf Schwartzkogler : ce dernier a les yeux et le torse enveloppés de bandages, deux poissons accrochés à la peau par du sparadrap[74].
Cette partie du corps à laquelle Francesca imposait, avant chaque viol conjugal, une meurtrissure conjuratoire, des artistes féministes veulent le réhabiliter et d’un même mouvement se le réappproprier. Il arrive cependant qu’une performance évoque davantage la reconstitution historique de la sainte névose. Par exemple dans ce court-métrage (Weckrage, L’Éveil de la rage, 1995) de l’autrichienne Elke Krystufek : « Elle montre l’épilation de son sexe en gros plan. Des bandes de cire arrachent les poils de son pubis. Ça saigne[75]. » On peut s’interroger également sur la portée d’une démarche comme celle de Regina José Galindo, faisant filmer la reconstitution de son hymen, au motif que cette opération — destinée à restaurer frauduleusement la « fraîcheur » d’une marchandise destinée aux hommes — est très répandue en Amérique latine et s’effectue, on l’imagine, dans le secret[76]. La dimension métaphorique, au sens littéral, n’est-elle pas absente, qui seule permettrait d’aller au-delà du documentaire sur une vraie-fausse opération ?
Le plus souvent, il s’agit de montrer le sexe tel qu’il est. La photographe Laurence Chanfro s’y emploie, suscitant y compris chez certaines militantes homosexuelles des réactions négatives, que l’intéressée semble rabattre un peu vite sur une pudeur archaïque :
« Je sais par la parole et par les livres que les femmes aiment rarement leur sexe […] d’autant que le sexe féminin, par nature fermé, n’est jamais montré écarté… ou alors perdu, rempli dans un monde de verges érigées. Que nous le regardions enfin, une fois dans notre vie […]. Regardons aussi son intérieur (“aaahhh, c’est cela que l’on touche au fond !”) en acceptant la gêne et l’attrait que cela nous procure et, pour une fois, sans juger de l’esthétique[77]. »
La monstration du sexe féminin, intérieur compris, fait partie des attractions pornographiques de certains clubs. Valie Export a pris violemment au mot et en défaut la curiosité masculine dans ce domaine en arpentant une salle de cinéma d’Art et essais de Munich — ou un cinéma porno, comme l’affirme une autre version — alors qu’elle portait un pantalon découpé à l’entrejambes, laissant voir son sexe qu’elle offrait à la vue et au toucher des spectateurs (Genital Panic, Panique génitale, 1969). Selon l’une des versions, elle pointait une mitraillette sur la tête des assistants (qui quittaient la salle les uns après les autres) ; selon l’autre, l’arme ne figurait que sur des affiches la représentant dans le même pantalon, jambes écartées, lesquelles affiches étaient placardées en grand nombre sur les murs du cinéma[78]. C’est encore le geste de l’employée du salon porno ou du peep-show qu’Annie Sprinkle, ancienne « travailleuse du sexe », entendait renouveler et subvertir en encourageant la curiosité des spectateurs et spectatrices de son Post-Porn Modernist Show (Spectacle moderniste post-pornographique, New-York, 1992), invités à profiter, lampe torche en main, de la vue sur le col de son utérus autorisée par la posture qu’elle adopte, jambes écartées, et le spéculum qu’elle a introduit dans son vagin[79]. Le mystère de l’intérieur féminin inspire, dans un registre plus poétique, le court-métrage de Barbara Hammer, Multiple Orgasm (1976) dans lequel elle superpose l’image des parois d’une caverne à celle de son sexe qu’elle caresse. Le contenu du vagin peut être envisagé de la manière la plus prosaïque — Judy Chicago en retire aux trois-quarts un tampon hygiénique imbibé de sang (Red Flag, Drapeau rouge, 1971 ; photographie lithographiée) — ou imaginé dans le registre du merveilleux : Carole Schneemann, déjà citée, extrayait de son vagin, en le déroulant, un « parchemin intérieur » (qui donne son nom, Interior Scroll, à la performance de 1975) portant des textes qu’elle lisait à voix haute. Ce sexe qui peut donner la vie peut bien prendre la parole « en vrai », comme en littérature, dans Les Bijoux indiscrets de Diderot par exemple. Il peut aussi se faire préhensile : lors d’un festival organisé par le mouvement Fluxus, à New York, en 1965, Shigeko Kubota dessine à la peinture rouge (pas bleue !) sur une feuille posée au sol, à l’aide d’un pinceau qui, entre ses cuisses, paraît manié par le vagin (Vagina Painting, Peinture avec le vagin[80]).
Photographié, filmé, enregistré, exploré, il ne lui reste qu’à produire sa propre (pré)histoire sous forme de traces fossiles, néanmoins modernes dans leur répétition et leur caractère d’objet de consommation. C’est l’objet des performances de Nicola Deane, Sud-africaine réfugiée aux Pays-Bas, qui effectue des moulages de son sexe en chocolat (on retrouve l’association sexe-désir-friandise présente chez J. Antoni) :
« J’avais besoin […] de communiquer à travers mon corps puisqu’il est difficile en Afrique du Sud de communiquer autrement, et de pointer du doigt comment le sexe féminin est un objet de consommation courant, l’enjeu d’un commerce. Là, mon corps produit un objet consommable, et le produit en série (une dizaine de moulages par performance[81]). »
Ces démarches ne font pourtant pas l’unanimité dans les milieux féministes, j’y ai fait allusion précédemment. Exalter le sexe organique féminin, n’est-ce pas demeurer dans la vision hétéronormée du corps, du monde, de son origine ? « Les lesbiennes ne sont pas des femmes », déclare Monique Wittig en 1978. Leur lesbianisme les situe idéalement au-delà des catégories hétéro ou homo, mais encore au-delà de la sexualité, dans un ailleurs « utopique » pourtant déjà là, vécu dans la non-mixité, la sécession du monde-homme, le séparatisme. Ces Guérillères, titre d’un texte de Wittig, sorte d’utopie programmatique, rompent avec le passé corporel de l’esclavage, avec les noms que le maître donnait à ses possessions, avec l’enfantement même dont il avait fait une chaîne supplémentaire. Corps sans cicatrices, inengendrés, les Guérillères sont le principe, l’origine, d’un nouveau monde :
« Elles disent qu’il faut alors cesser d’exalter les vulves. Elles disent qu’elles doivent rompre le dernier lien qui les rattache à une culture morte. Elles disent que tout symbole qui exalte le corps fragmenté est temporaire, doit disparaître. Jadis il en a été ainsi. Elles, corps intègres premiers principaux, s’avancent en marchant ensemble dans un autre monde[82]. »
Pour se faire une idée du travail de Marina Abramovic, citée à plusieurs reprises dans ce texte, on peut consulter, sur le site « Un nuage de poussières », la vidéo Balkan Erotic Epic (voir photo ci-dessous ; le commentaire et les sous-titres sont en anglais).
Mais les marchands disent…
Ce qui est commun aux êtres vivants, le langage qu’ils reçoivent et utilisent tous au même instant sur l’ensemble de la planète, c’est la communication des marchandises, la publicité. Il y a beau temps que cette religion capitaliste a réquisitionné les artistes et détourné leur langage (voyez Magritte). Lorsqu’ils se vendent pour faire vendre, certains laissent entendre qu’ils créent une nouvelle forme d’art, qu’ils nomment fashion art — qui est en réalité le comble de ce que Barthélémy Schwartz nomme « l’art d’économie mixte[83] ». D’autres, naïfs ou petits malins, prétendent « surdétourner », ou faudrait-il dire subvertir le détournement, en brossant des caricatures qui ressemblent hélas beaucoup à leurs modèles. Tous ont en commun d’utiliser le corps des femmes comme des matériaux. Cette mode-là n’est ni nouvelle ni prête de passer[84].
« Pionnière du fashion art », comme la définit le mensuel Têtu, Vanessa Beecroft a réalisé une « installation » pour l’ouverture d’un magasin Louis Vuitton, à Paris, en octobre 2005. Des mannequins, seulement vêtues d’un string sont disposées sur des étagères asymétriques. En position de serre-livres ou de caryatides, elles alternent peaux noires et peaux blanches, à l’imitation du logo de la marque, beige sur fond chocolat. Trois mois plus tard (janvier 2006), Beecroft expose au septième étage du même magasin treize photographies représentant les lettres de la marque dans un alphabet formé de corps de femmes complètement nues, noires et blanches (Alphabet Concept). D’Arcimboldo aux manifestantes pacifistes, en passant par le Living Theatre, le procédé est éculé. Par quoi se justifie-t-il, n’était qu’on peut avoir « aimé l’idée de forcer le corps des femmes, de les forcer à se mettre par terre de façon à former des lettres », comme le déclare Beecroft ? Par une dérision partagé en toute complicité entre l’artiste et son mécène intéressé : « Ce travail est une sublimation de la violence des marques que les femmes subissent habituellement. C’est une autocritique que Vuitton accepte. […] Aux États-Unis, il y aurait forcément un problème. Les mouvements communautaires [pour « noirs » ?], les féministes, les mouvements religieux seraient furieux. » Loin de ces trouble-fête critiques, l’art est aisé : « [Je dis aux modèles :] Ne parlez pas, ne bougez pas trop vite, ne jouez pas la comédie, restez naturelles [sic] et attendez jusqu’à la fin. C’est très facile, les femmes sont tellement entraînés à se comporter comme cela[85]. » On voit que perce ici, à la faveur de l’absence de groupes protestataires porteur d’un féminisme communautariste, une vraie conscience de l’aliénation des femmes par les employeurs de l’artiste. Ce qui lui vaut d’ailleurs de figurer dans le recueil Art et féminisme (p. 187) pour « ses dessins, ses performances, et ses vidéos, réalisées avec de jeunes participantes, [qui] forment un ensemble dans lequel l’artiste tente d’analyser le contraste entre la personnalité des modèles [Restez naturelles !] et les stéréotypes de la mode et des médias qu’on leur demande de parodier dans les performances. »
Le travail de commande ne dispense pas de se poser des questions. « Les gens qui viennent à mes performances regardent des femmes nues, constate Beecroft. Sont-ils des voyeurs ? Font-ils partie de cette élite qui comprend le sens de la nudité dans l’art ? » Le magazine Têtu ne trouvait que de bonnes raisons, les moins « élitistes » qui soient — étroit communautarisme érotique et consumérisme —, d’envoyer lecteurs et lectrices chez Vuitton : « Il y en a pour tous les goûts. Les filles [i. e. les gouines] sauront apprécier la plastique des modèles qui posent pour Vanessa Beecroft, les garçons [i. e. les pédés] concentreront leur attention sur la superbe maroquinerie maison, si joliment photographiée. L’expo est un excellent alibi culturel pour faire du shopping[86]. » En avril 2005, à Berlin, le public venu assister à une performance Beecroftienne mettant en scène une centaine de femmes nues « vaguement enduites d’huile pour bébé » a menacé de vandaliser la Neue Nationalgalerie, au point de provoquer l’intervention de la police. Il semble que sa colère n’était due qu’à son impatience de voir enfin débuter le spectacle[87].
J’ignore si V. Beecroft avait connaissance, au moment où elle préparait la mise en scène des produits Vuitton, d’une installation de Sandy Orgel (Linen Closet, Placard à linge) qui faisait partie de l’exposition féministe intitulée « Womanhouse » (Los Angeles, 1972). On y voit un mannequin féminin (comme on en utilise dans les vitrines) encastré dans un placard, porte ouverte, à l’exception de la jambe gauche qui en dépasse comme si le personnage était en train de s’en extraire. Quatre étagères, qui portent des piles de linge repassé, découpent horizontalement le corps au niveau du cou, sous les seins, au-dessus du pubis et à mi-cuisse. La longue chevelure brune donne un aspect très réaliste à l’ensemble[88]. Quoi qu’il en soit, trente-quatre ans après la Womanhouse, Beecroft renvoie bel et bien les femmes dans leurs placards.
En juin de la même année 2006, deux performeurs, les frères Gao exposaient à Paris des photographies d’installations qui semblent le démarquage ironique et désordonné des Beecrofteries : des personnages des deux sexes s’entassent dans des placards exigus, dans des pauses tout sauf hiératiques, enlacés, tassés, communiquant d’une case à l’autre en se donnant la main[89].
La mise en abîme théorique et critique du fashion art semble un exercice bien périlleux si l’on observe ses réalisations et les discours qu’elle provoque. Un photographe, Juergen Teller, réalise une série de clichés du mannequin Kristen McMenamy, complètement nue, « le sigle du couturier Versace dessiné au rouge sur ses fesses ou sur son ventre ». Comment distinguer la vraie publicité pornotrash de son complaisant « détournement » ? Ça n’est pas le commentaire du critique Michel Guerrin, dans Le Monde, qui peut y aider : « Les couleurs sont glauques, c’est violent, non dénué d’humour. Le couturier est moqué, et le mannequin humilié, comme pour en finir avec les poupées Barbie[90]. » Essayons de suivre : ce qui vaut au couturier d’être « moqué », c’est probablement de contribuer au système de fabrication de poupées Barbie à partir d’être humains du genre dit féminin. Or on « moque » l’homme, mais on « humilie » la femme. Qui est désigné comme responsable ? C’est évidemment la (fashion) victime, c’est-à-dire la femme. Autrement dit : Humilie un mannequin, si elle ne sait pas pourquoi, toutes les femmes le savent ! Hasard, mimétisme ou subtile stratégie marketing, c’est encore la marque Versace (avec, soyons exacts, General Electric, Epson et MacDonald’s) dont un autre photographe, Daniele Buetti, cingle et sigle les corps de mannequins découpés dans des magazines et rephotographiés après intervention au verso de la feuille à l’aide d’un stylo bille. Le résultat — le nom Versace inscrit sur le torse d’une jeune femme (Looking for Love, 1997) — imite à s’y méprendre la boursouflure d’une inclusion sous la peau ou la trace de quelque torture. L’utilisation par les publicitaires des tatouages (vrais ou faux) ou des inscriptions de marques commerciales sur la peau des mannequins est devenue tellement banale qu’il est impossible, en face de la photographie que j’ai sous les yeux, de trancher entre publicité et provocation artistique. « Il s’agit, déclare Buetti, d’un travail sur le phénomène de la beauté normée et idéalisée. Je voulais savoir s’il était possible de forcer ces normes. Ces modèles sont devenus tellement irréels, tellement parfaits grâce au maquillage et au travail avec Photoshop [logiciel de traitement des images] qu’intervenir sur leurs corps était une manière assez sensuelle de les faire revenir à la réalité. […] Mon but […], c’est de créer un rapport entre la beauté telle qu’elle est diffusée dans les magazines et ce manque ou cet aspect morbide ou pervers qui lui est intimement lié[91]. » Reconnaissons que cet artiste ne s’en prend qu’à des femmes de papier. On note que, au moins dans le passage cité dans l’ouvrage que je consulte, le photographe ne fait pas allusion aux marques commerciales, mais uniquement à celles qu’il inflige à des modèles trop « parfaits », sur le corps desquels « intervenir » est une manière « assez sensuelle » de recréer du réel. Pauvre magie noire phallique, dont le stylo-stylet veut faire crier le nom de leurs maîtres à des esclaves muettes et inaccessibles[92]…
Examinons, à propos d’un autre exemple, plus ancien et plus prestigieux, les mésaventures de la provocation. En décembre 1959 a lieu à Paris la huitième « Exposition inteRnatiOnale du Surréalisme ». Se trouvent ainsi laborieusement réunies dans son titre les lettres nécessaires à l’écriture du mot EROS. Dans la dernière salle de la galerie Daniel Cordier, Meret Oppenheim offre, semble-t-il à l’instigation d’André Beton, un « festin cannibale » : une femme est étendue sur un table, le corps recouvert de différentes nourritures. C’est l’appétit des convives qui le met progressivement à nu. La femme-plat sera remplacée par un mannequin après l’inauguration. Il existe des documents photographiques de ces deux dispositifs : avec la femme vivante, dans la revue surréaliste La Brèche (n° 6, juin 1964) ; avec le mannequin, dans l’Histoire du mouvement surréaliste de Gérard Durozoi (Hazan, 1997, p. 588). Le happening mis en scène par M. Oppenheim — plus subtilement inspirée lorsqu’elle concevait en 1936 le Déjeuner en fourrure (une tasse, une soucoupe, une cuillère recouvertes de fourrure) — a tout pour plaire aux surréalistes : incarnation de l’érotisme par la femme mystérieuse et la dévoration amoureuse, provocation de la nudité féminine et son instrumentalisation érotique[93]. L’homme, lui, n’a pas à être contemplé : il regarde, il désire (il choisit), il consomme. Meret Oppenheim prend ses distances avec les surréalistes à la suite de ce qu’elle considère comme une trahison voyeuriste[94].
Le « festin », auquel La Brèche a retranché l’adjectif « cannibale » (ou est-ce Durozoi qui l’ajoute ?), lui-même réitération d’une cérémonie privée (« Fête de printemps » organisée à Berne pour quelques ami[e]s), sera copié, dans un esprit plus ou moins surréaliste d’abord, mercantile et paillard ensuite. La Brèche publie sur la même page que la photographie ci-dessus évoquée un cliché extrait d’un film de Jean Léon, intitulé Aimez-vous les femmes ? On y voit une jeune femme nue étendue sur une table, entourée de fruits, les yeux clos, le sexe recouvert de fleurs. Les convives arborent des masques comme en portent les membres du Ku Klux Klan, que l’on est tenté d’orthographier Cul-Cul Clan tant est pesante l’association, suggérée par le titre, entre « aimer », « goûter » et manger. Cette association a de beaux jours devant elle. En 1999, le magazine Jalouse publie un texte présenté comme un reportage et intitulé Sushi-Party. L’animatrice d’une « émission de littérature érotique » raconte comment elle a pris la place d’une femme-plat (il faudrait dire ici d’une femme-planche ou plateau) dans un luxueux restaurant tokyoïte. On dispose des morceaux de poisson cru sur son corps, on lui en glisse dans l’oreille et dans le sexe. Probablement pressée par le petit nombre de feuillets commandés, la narratrice jouit dès l’entrée des clients dans la salle, avant même de sentir le « premier pincement de baguettes ». Le repas se clôt sur un orgasme conventionnel (« Sa langue me fouille »), n’était que l’on ignore si le protagoniste lèche son plat par manque d’éducation ou pour réveiller les sens d’une femme inerte. En fin d’article, une pirouette laisse planer le doute sur son caractère de reportage authentique[95]. Il est illustré d’une photo représentant une longue table sur laquelle deux jeunes femmes nues, le corps recouverts de sushis et de makis, sont étendues, jambes écartées, les pieds de l’une touchant ceux de l’autre. Au montage, on a placé sur les yeux des convives, parmi lesquelles figurent plusieurs femmes, des bandeaux noirs. Contrairement à ce que suggère le « récit », le visage de la femme-plat du premier plan (manifestement non-asiatique) est recouvert d’une gaze qui n’interdit pas la contemplation de sa beauté, mais la protège d’emportements intempestifs (elle n’embrasse pas). On ignore si la journaliste a effectivement vécu la scène, mais elle a pu assister à des repas du même genre dans de nombreux restaurants, au Japon ou ailleurs. En 2003, des militantes féministes, américaines d’origine asiatique, menaçent une boîte de nuit de Seattle (État de Washington) d’une campagne de boycott si elle ne met pas un terme aux repas de sushis sur des corps féminins. Or que répliquent les propriétaires et les clients de l’établissement interrogés par Associated Press ? « La nuit mensuelle “sushi nu” est une performance artistique ». C’était donc ça ! D’ailleurs, ajoutent les propriétaires, les clients ont défense de se moquer des sept modèles, de leur hurler aux oreilles, de leur offrir des pourboires et même de leur parler. De plus leur torse (seule partie dénudée, semble-t-il) est recouvert d’un plastique transparent. La promotrice de la « performance » se déclare attentive aux réactions, mais ajoute qu’à son avis « il y a de plus gros lièvres à soulever que la performance artistique[96] ». Quant à l’une des modèles, interrogée par un journal local, elle juge son travail « relaxant, sensuel et propre à la méditation » et ajoute : « C’est ridicule de faire des commentaire là-dessus sans l’avoir expérimenté. Ce sont des ouï-dire. » On peut douter de la pertinence du dernier argument de cet hymne à la réification salariée ; quelle femme n’a pas expérimenté maintes fois — et sans salaire ! — d’être traitée comme un meuble ou une pièce de vaisselle ? Performance artistique post-surréaliste[97], « fantasme érotique », ou « travail du sexe » tarifé, le festin sur peau de femme demeure un exercice de choix, presque toujours mis en scène par des femmes, révélant la nature du corps féminin dans le régime hétérosexuel : une chair (une viande) apprétée pour l’homme.
- Androgynie, genres et queer
La diversité des pratiques érotiques et des « identités » qui en procèderaient, paraît un phénomène moderne, lié à la libéralisation des mœurs. Il est caractérisé par le fait que ce sont les adeptes eux-mêmes, et semble-t-il eux seuls désormais qui se soucient de situer leur goût dans une taxinomie qui a perdu toute prétention scientifique. On en déduirait trop rapidement que cette tâche était plus aisée lorsqu’elle passionnait encore le corps médical et les savants dans une société moralement conservatrice à l’éventail plus étroit de comportements marginaux. Qu’est-ce qu’une « femme » ? Qu’est-ce qu’un usage du corps « masculin » ? Qui est fou ? Comment deviner l’homosexualité de votre enfant ? Ces questions, demeurées sans réponses — qui s’en plaindrait ? — sont de longtemps propices à de réjouissants délires, comme en témoigne la tentative, remontant aux années trente du siècle dernier, de repérer l’homosexualité dans le jeu de ballon. Expérience injustement ignorée des historiens de la psychiatrie, peut-être sous le mince prétexte que ses protagonistes, animés contre toute attente d’un véritable esprit scientifique, renonçent honnêtement à une hypothèse certes séduisante, mais malheureusement contredite par les faits.
L’embrouillamini théorique dans lequel se débattent M. Paul Schiff et Mlle Anne du Tillet lors de la séance du 15 mai 1934 de la Société de sexologie[98] n’a pas que des vertus récréatives : il est symptomatique des rapports entre science sexuelle et idéologie. Tout est venu, semble-t-il, de l’observation d’une patiente homosexuelle qui ne craignait ni les rats ni les araignées. Or chacun « sait » que les femmes craignent extrêmement ces bestioles. Une femme biologique n’éprouvant aucune répugnance particulière pour elles présente donc une caractéristique anormale, que l’aberration de ses goûts érotiques vient confirmer. La perspective d’utiliser en abondance rats et araignées n’a rien d’agréable, même pour un sexologue mâle à l’orthodoxie sensuelle incontestable. Si l’on ose imaginer le raisonnement de nos scientifiques, il a dû être, à peu de choses près, le suivant : abandonnons les tests de répugnance pour nous tourner au contraire vers des activités plaisantes, et mêmes éducatives, quelque jeu de balle par exemple, à l’occasion desquelles nous débusquerons plus à l’aise les comportements révélateurs de la maladie.
« Notre choix, expliquent les auteurs dans leur communication à la Société de sexologie, a fini par se porter sur une balle pleine en caoutchouc mousse de 5 centimètres de diamètre et pesant 45 grammes. Pour étudier le bien-fondé de notre hypothèse, la détection par le geste de l’homosexualité dans la psychose hallucinatoire, nous avons expérimenté le lancer de cette balle chez 200 malades femmes de l’Hôpital Henri-Rousselle[99] […]. »
Il fallait donc savoir comment une femme-femme lance la balle. On croit pouvoir supposer qu’elle la lance… n’importe comment sauf comme un homme. Elle ne sait pas. Or il faut encore supposer que c’est essentiellement qu’elle ignore, et non du fait d’une différence ou d’un retard d’éducation. La femme se caractérise donc bien, qu’il s’agisse de balle ou de bourses, par une essentielle absence. Quant aux hommes, étalon de mesure commode, la science ne souffre pas d’hésitation ; le mâle a, dans le lancer de balle, un geste évidemment masculin : balle levée au-dessus de la tête et projetée avec une petite torsion du corps, mais — notez ce détail — sans ploiement du genou. Or, contre toute attente, « quelques femmes homosexuelles actives ont lancé la balle avec un geste féminin [Devinons : un genou ployé, la main ouverte vers le ciel laisse échapper la balle plus qu’elle ne la lance]. ». La documentation nous manque, à ce stade de l’exposé, pour décider si nos sexologues parlent d’homosexuelles « bien prouvées » ou de gouines actives, au sens où ils parleraient d’un homosexuel actif, opposé et complémentaire de son homologue passif. Qu’importe ! Le pire est à venir : « La répartition des malades selon leur sexualité gestuelle [sic] d’une part, leur diagnostic de l’autre, montre qu’il n’est pas possible d’assigner une valeur psychiatrique aux gestes du lancer. En particulier on ne peut fonder sur ce geste notre hypothèse de départ : le lancer à type masculin ne nous paraît pas utilisable pour un diagnostic précoce d’évolution vers une psychose hallucinatoire, il ne peut pas servir comme révélateur des tendances homosexuelles chez la femme. »
Nous vérifierons que le registre de la « sexualité gestuelle », ou du moins ce qui en apparaît publiquement, semble s’être enrichi considérablement depuis le milieu des années 1930. Mais il me faut, avant d’entraîner plus avant lectrices et lecteurs, prendre le temps de livrer un glossaire succint des termes qui apparaîtront dans les paragraphes qui suivent. Les personnes les mieux informées trouveront peut-être à redire à l’une ou l’autre des définitions : c’est qu’aucun terme n’est neutre ni « scientifique » et que la légitimité de certaines appellations fait l’objet d’âpres controverses. On remarque immédiatement que tous les termes sont anglo-saxons et de plus en plus couramment utilisés tel quel dans le français parlé et dans les textes théoriques (ils ne seront plus indiqués en italiques dans la suite du présent ouvrage) ; ils dessinent les contours d’une culture plus ou moins souterraine dont les codes sont définis aux États Unis par les communautés concernées, avant d’être, éventuellement, réinterprétés et combinés entre eux.
Le terme queer (littéralement, louche, bizarre) a d’abord été une injure adressée aux homosexuel(le)s, avant d’être — comme gouine, goudou, pédé etc. — repris à leur compte par les populations qu’il visait. Il existe des activistes queer et des queer studies dans certaines universités américaines.
Les lesbiennes se définissent (souvent, pas toujours) selon qu’elle adoptent certaines manières socialement connotées comme masculines (cheveux courts, godillots), ce sont les butchs (à l’origine : gouine, hommasse), ou conservent des manières dites féminines (cheveux longs, maquillage), ce sont les fems (que les Américaines écrivent le plus souvent en français : femmes). Il existe une grande variété de sous-groupes, les leatherdykes (gouines cuir) par exemple. Par ailleurs, telle lesbienne insistera sur sa feminité en se qualifiant de lipstick lesbian (lesbienne rouge à lèvre), tandis que telle autre atténuera sa masculinité en usant de l’expression soft butch (butch douce). En réaction à la culture butch/fem, sont apparus les andro dykes (gouines androgynes). Les rapports ne sont pas nécessairement sororaux : telle lesbienne d’Arizona se plaint sur le site <butch-femme.com> que des andro dykes se sont abondamment payé sa tête parce qu’elle portait une jupe et des talons et qu’elle était maquillée, mésaventure que toutes ses petites amies ont également connue. Selon le témoignage d’une butch[100], certaines andro dykes sont qualifiées de « butchy », mais les Stone Butchs (dont je réserve la définition pour plus tard) ne s’y trompent pas et les appellent des « Saturday Night Butches », des butchs du samedi soir.
Les transsexuelles ou transgenres posent, entre autres, un problème de vocabulaire. Lorsque ces personnes sont opérées ou en voie de l’être, l’anglais utilise les abréviations suivantes : MtF (Male to Female) et FtM (Female to Male ; on trouve aussi la graphie FTM, et même F2M). J’ai choisi d’adapter ces expressions et sigles, fort utiles dans la compréhension de parcours de vie passablement complexes et devenus courants dans les textes journalistiques et théoriques en les adaptant, plutôt qu’en les « traduisant » : Mâle vers Femme (MvF) et Femme vers Mâle (FvM). Ce choix n’est pas moins discutable qu’un autre ; il a l’avantage de ne pas changer les lettres principales F et M par rapport à l’anglais, tout en permettant d’écrire l’expression tout au long en français quand le besoin s’en fait sentir.
Les Drag kings sont des personnes de sexe biologique féminin, le plus souvent lesbiennes, qui s’habillent en homme et/ou qui prennent des hormone mâles ; les Drag queens sont des personnes de sexe biologique masculin qui se travestissent et arborent en général des perruques extravagantes et des chaussures à semelles compensées d’une hauteur vertigineuse.
Être kinky (spécial) c’est le plus souvent affirmer son inscription dans le monde du BDSM (bondage ou ligotage, discipline, sadomasochisme). Dans les jeux SM, bottom (fond) indique la position soumise et top la position dominante. Maxime Cervulle, traducteur de Judith Butler (Défaire le Genre), écrit que l’anglais to top (dominer) a été traduit en français par le néologisme topper. Il faut bien un redoublement du « p » pour néologiser le vieux verbe français « toper », qui au XIXe siècle avait dans les milieux compagnoniques un sens qui n’est pas sans relation avec le sens actuel. Toper, c’est pour l’artisan sur le Tour de France, se camper sur la route à l’approche d’un voyageur, lui demander sa profession, et engager le combat à coup de bâton s’il appartient à une société « rivale ». Il s’agit bien de « prendre le dessus[101] ». Les pratiquant(e)s SM qui alternent les rôles, tantôt top, tantôt bottom, sont dit(e)s switch (de to switch, échanger). Il existe un (jeune) mouvement « bi », pour bisexuel. Je suis bi, elle est bi, ils et elles sont bis.
J’avais insisté, à propos des théories gnostiques qui nous ont servi de repère dans ce chapitre, sur l’importance de l’androgynie. Si ce thème apparaît dans certains textes de théoricien(ne)s lesbiennes, transgenres, féministes et queer, il n’est pas certain que ce soit toujours dans une acception proche.
Nathalie Gassel pratique la double ascèse de l’écriture et de la « construction d’un corps pornographique » selon l’expression qui fait le titre de l’un de ses livres :
« Le corps est compétitif en ce qu’il aspire à un dépassement, tend vers la performance : la construction d’un corps pornographique, jusqu’à créer son être mythique. Ce qui est mis en action et transmis dans le cerveau l’est comme la pornographie. Pornographique : ce qui stimule le désir et l’excitation. Construction d’un corps pornographique qui stimule le désir physique d’Être [sic]. Pornographie de l’être : mettre en jeu et en image notre schéma stimulant, fonctionnel, comme emphase du désir[102]. »
Ce porno body-building est influencé par la culture gay des salles de musculations ; le corps athlétique ne se détourne pas du sexe comme le corps sportif. Au contraire, si Gassel invoque un Eros androgyne — titre d’un autre de ses ouvrages — c’est par la constitution du corps entier comme un bloc de sexe qu’il peut advenir[103].
Monique Wittig elle, semble bien s’approcher du sens gnostique lorsqu’elle évoque la nécessité de construire « un espace mental où le sexe n’est pas déterminant » :
Il faut subsumer [considérer comme éléments d’un même exemble] les catégories comme écrivains femmes, écrivains noirs, afro-américains, latinos, “native Americains”. […] Il s’agit de construire une idée du neutre qui échapperait au sexuel[104]. »
De son côté, l’anthropologue américaine Gayle S. Rubin a, dans un article intitulé « Transactions sur les femmes : Notes sur l’économie politique du sexe » (1975), prôné « une société androgyne et sans notion de genre[105] ». Féministe lesbienne « pro-sexe », c’est-à-dire hostile au mouvement antipornographie, Gayle Rubin est favorable au rapprochement entre féministes, lesbiennes et transgenres, ce qui est loin d’être une position unanimement partagée, comme nous le vérifierons.
Judith Butler fait pertinement remarquer que ce qu’elle nomme queer crossing, des glissements transversaux entre les genres, se produisent beaucoup plus souvent que ne veulent bien le reconnaître les idéologues. Il n’est pas exceptionnel qu’« un homme hétérosexuel féminin puisse désirer une femme féminine et vouloir être avec elle comme “entre filles”, ou que des femmes hétérosexuelles masculines veuillent que leurs hommes soient à la fois des garçons et des filles[106]. » Ces arrangements rendent extrêmement problématiques des stratégies politiques identitaires, dont les fondements se trouvent remis en question. La confusion (des genres) atteint y compris nombre de celles et de ceux qui s’en déclaraient partisan(e)s. Il est intéressant de comprendre comment, ce qui nous permettra de nous demander dans quelle mesure ces comportements et leur théorisation sont porteurs d’une charge critique contre l’ordre social capitaliste et/ou contre le régime hétérosexuel.
Il est facile de relever au fil des entretiens publiés par la presse des manifestations de queer crossing qui semblent ne mériter ce qualificatif que parce qu’ils ne sont pas accomplis par la bonne personne. Ou pour être plus clair : des personnes dont les organes dits sexuels ne les déterminaient pas, dans un régime social donné, à adopter tel habitus, à jouer tel rôle social de sexe, en manifestent néanmoins ardemment le désir ou en arborent les signes extérieurs de manière la plus ostentatoire possible. Une butch américaine déclare :
« Je n’ai jamais renoncé à la femme qui est en moi. Quelle vraie butch se prendrait le chou à s’épiler les sourcils ou pleurerait devant un film à l’eau de rose ? […] J’aime m’habiller en homme, je me coiffe en brosse, je suis douée pour la mécanique, j’aime le sport et la bière. Mais j’ai aussi quelques qualités féminines : je cuisine, je fais la vaisselle et je passe régulièrement derrière Maureen pour ranger ce qu’elle laisse traîner[107]. »
Et un gay, s’interrogeant non sans distanciation humoristique sur sa réticence vis-à-vis des bis :
« S’il pouvait m’arriver d’avoir un jour une aventure avec une femme, je resterais tout de même homo. Je serais toujours scandalisé par le sexisme et l’homophobie, j’écouterais toujours Barbara Streisand et je pousserais toujours des petits cris en faisant tomber mon stylo. Je découvrais l’idée que mon homosexualité ne se résume pas à mes seules pratiques sexuelles, mais qu’elle est aussi constituée par une socialisation différente, une culture différente, et même un positionnement politique différent[108]. »
Comme on peut douter que l’érotisme bisexuel porte mécaniquement au sexisme et à l’homophobie, il faut considérer que les éléments ici évoqués comme constitutifs — même s’ils n’en épuisent pas la définition — de la socialisation et de la culture homosexuelles sont l’amour pour Streisand et le fait de pousser des cris aigus plutôt qu’un juron sonore en laissant échapper son stylo. Glissement de genre millimétrique, dont on éprouve quelque difficulté à comprendre en quoi les points de repère apparaissent aussi attachants.
La déclaration, sans doute elle aussi teintée d’humour (on veut l’espérer), d’une transsexuelle Mâle vers Femme (MvF) iranienne prend un relief particulier dans le seul pays musulman à autoriser (depuis 1983) le changement de sexe chirurgical :
« [Montrant la photo d’un homme aux bras musclés dans le journal] Si je trouve un mari comme celui-là, j’accepterai même de sortir en tchador pour le reste de ma vie[109]. »
Il n’est pas incompréhensible que des personnes qui prennent conscience d’un trouble personnel intolérable par rapport au genre qui leur est socialement assigné du fait de leur sexe biologique considèrent comme un objectif enviable de rejoindre « l’autre bord », ses attributs sociaux et culturels, ses habitudes vestimentaires et ses tics. Le terme de réassignation de sexe, d’emploi courant, sans guillemets ou commentaires critiques particuliers, dit assez l’assentiment à l’échange d’un commandement social pour un autre.
Les protocoles chirurgicaux et hormonaux doivent être accompagnés et suivis d’un long apprentissage puisque l’on naît d’autant moins femme que l’on est né avec sexe d’homme et que l’on a été socialisé en tant que tel durant l’enfance.
Contre-exemple aux généralités esquissées précédemment, Christine, transsexuelle Mâle vers Femme (MvF) bordelaise rapporte que des experts ont d’abord refusé son opération au motif qu’elle ne voulait pas « [se] montrer en jupe ou en robe ». C’était bien de la mauvaise volonté, en effet, et de mauvaise augure pour une future « femme », qui se considère d’ailleurs comme lesbienne et vit avec une femme. Mais on peut bien être lesbienne MvF et ne pas se vouloir trop butch :
« Je suis très bien aujourd’hui, même si je sais que je dois suivre des cours de phoniatrie toutes les semaines pour éclaircir ma voix[110]. »
C’est le paradoxe du malaise des transsexuel(le)s : détestant leur sexe biologique de naissance, la plupart ne peuvent ni éviter la modification chirurgicale et hormonale ni la re-socialisation dans l’autre genre. Il ne suffit pas d’avoir un (faux) vagin ou une (fausse) verge pour être une « femme » ou un « homme » convaincants pour soi et pour les autres. On organise donc des groupes de soutien où l’on apprend les manières d’être socialement attachées au genre que l’on a choisi. Paradoxe supplémentaire, cette démarche, vécue comme inévitable par les transsexuel(le)s, croise celle de personnes qui souhaitent, sans y être contraintes le moins du monde, pouvoir adopter ponctuellement les manières de l’autre genre. Cette pratique est l’objet d’un investissement idéologique et stratégique de la part d’activistes queer.
Il existe à New York, au moins depuis 1989, des ateliers Drag Kings où des femmes, généralement lesbiennes, et des transsexuels peuvent apprendre à parler, marcher, se tenir, comme des hommes[111]. La théoricienne queer Beatriz Preciado en anime d’autres en France ; une femme peut apprendre à rentrer les fesses, comprimer ses seins avec un bandage, simuler à l’aide d’une prothèse improvisée la présence d’un pénis[112]. Ce genre de « jeux de rôles » peut permettre de prendre conscience de l’importance des prescriptions sociales de genre incorporées, au sens strict, depuis l’enfance. La danseuse Olivia Grandville souligne, à partir de son expérience dans l’organisation de stages de danse, combien les rôles sont inscrits musculairement :
« L’habitude et le tabou culturel sont tels qu’elles [les filles] n’ont pas conscience que tenir les genoux serrés nécessite un effort musculaire. Quand on leur demande de lâcher les adducteurs, ces muscles à l’intérieur des cuisses qui permettent de serrer les jambes, elles n’y arrivent pas. Pour les garçons, il y aurait plutôt une tendance à verrouiller le bassin vers l’avant, dans une posture qui met en valeur la proéminence du sexe[113]. »
La danseuse cherche à faire prendre conscience à une fille (par exemple) de certains verrouillages musculaires, de manière à lui permettre un usage plus libre et plus complet de son corps. Elle peut aussi être appelée à jouer un rôle de garçon dans un spectacle, mais le but n’est pas de faire d’elle de manière permanente un « garçon social » crédible, ce que souhaite au contraire le FvM.
Les principaux effets des efforts des transsexuelles militant(e)s — les autres ne souhaitent rien tant que se fondre dans la société — et des stratégies queer se font sentir dans le mouvement féministe et singulièrement dans les milieux lesbiens. Les militantes MvF qui se considèrent comme lesbiennes prennent au pied de la lettre les propos de Monique Wittig. « Les lesbiennes ne sont pas des femmes », déclarait l’auteure du Corps lesbien. Justement ! répondent les lesbiennes MvF, nous non plus ! Or c’est précisément en tant que non-femmes que l’on nous écarte de certains lieux lesbiens ou de certains postes.
Beatriz Preciado s’étonnait, lors d’un colloque de juin 2001, précisément consacré à l’influence du travail politique, théorique et littéraire de Wittig, du fait qu’un lieu associatif lesbien et féministe comme La Barbare (en région parisienne) « préfère la présence des femmes “naturelles” hétérosexuelles (comprenez construites biopolitiquement) aux transsexuelles lesbiennes “construites hormonalement ou chirurgicalement”. Pourquoi, ajoutait-elle, ce recours à un critère biologique (“des femmes nées femmes”) dans un groupe qui revendique son affiliation politique au matérialisme radical selon lequel le sexe est construit socialement et politiquement[114] ? » Au-delà de la tendance de tout groupe à définir des conditions d’accès restreintes et même si les animatrices de La Barbare choisissaient comme critère le fait d’avoir été socialisée comme fille, et non le sexe biologique, Preciado met le doigt sur une contradiction théorique, qui doit d’ailleurs être proposée à la réflexion de tous et de toutes, et non des seules militantes féministes. Même si cela n’a rien de très étonnant, on peut regretter que ce « trouble dans le genre », pour reprendre le titre d’un ouvrage de Butler, affecte davantage le mouvement féministe que la société dans son ensemble — n’était à propos de l’adoption d’enfants par des couples non mixtes ou de l’exercice conjoint de l’autorité parentale lorsque l’un des membres est parent biologique, parce qu’alors c’est la structure de la famille bourgeoise hétérosexuelle patriarcale qui est, au moins symboliquement, remise en question.
Mise en demeure, au Canada, de trancher un litige entre une association féministe et une bénévole MvF écartée, la Justice s’est trouvée fort embarrassée. Si l’on comprend bien le compte rendu de sa décision[115], la cour d’appel de Colombie-Britannique n’examine pas la question de savoir si une transsexuelle est une femme « comme les autres » ; elle délègue à des femmes (supposées) biologiques le soin d’accepter comme collaboratrices — et donc comme femme — qui bon leur semble. La stigmatisation ne réside pas tant dans le refus d’embauche, que la cour reconnaît discriminatoire, que dans le fait que seule la transsexuelle peut voir son état civil remis en cause, tandis que les magistrats n’ont (heureusement) pas pensé à proposer un examen gynécologique aux responsables de l’association. La MvF paye sa traçabilité de genre.
La recension des nombreuses cultures, anciennes ou présentes, à l’intérieur desquelles sont reconnus des statuts aux personnes passant, de manière ponctuelle ou définitive, d’un genre à l’autre ou de ce l’on pourrait appeler des incongruités de genre (travestis sacrés ou bissu d’Indonésie ; dizaines de milliers d’eunuques indiens organisés en communautés vivant d’oboles et de prostitution) sert d’argument au relativisme culturel à opposer aux déclarations essentialistes qui prétendent fonder le régime hétérosexuel sur la nature. Dans le même mouvement, ce type d’argument relativise la portée critique de comportements si bien intégrés dans d’autres variantes culturelles d’un même régime hétérosexuel.
Les arguments hostiles de nature émotionnelle ou moralisatrice opposées au travestissement, aux pratiques SM, à la bisexualité ou à tout autre comportement jugé déviant, compliquent (ou retardent) l’examen matérialiste de leur intérêt du point de vue d’une pensée critique du corps capitaliste, du point de vue du corps critique.
La sociologue Catherine Deschamps espère que la bisexualité peut bousculer les certitudes d’une homosexualité institutionnalisée et qui pérennise la forme du couple exclusif :
« Le mouvement bi [ici l’association Bi’Cause] étant parti de femmes qui trouvaient inadmissibles que le féminisme lesbien en soit venu à les rejeter parce qu’elles couchaient avec des hommes, il peut apporter plus de mixité, ou, du moins, un questionnement sur la mixité. Il peut également amener les gays et les lesbiennes à se questionner sur la notion de couple, présenté comme la norme, ainsi que sur le rejet du multipartenariat. En fait, la bisexualité questionne l’institutionnalisation — surtout à Paris — de l’homosexualité[116]. »
Acceptons-en l’augure, en remarquant toutefois que la bisexualité que l’on peut dire « ordinaire », celle qui ne s’organise pas en association (et encore !), c’est-à-dire la plus répandue, est plutôt un adjuvant du couple hétéro ou homo que sa critique en actes.
Kael T. Block, lui-même FvM, parlant des XX Boys, garçons transsexuels qu’il photographie, tient le langage d’une joyeuse flibuste :
« Nous sommes tous trans, nous sommes tous heureux, et nous sommes tous différents. Le formatage de la société sur ce qu’est un “homme” et des psys sur ce que doit être un “trans” a échoué. Nous sommes comme tout le monde : différents.
« Nous piratons le système binaire du genre. […] Nous bousculons le rapport d’évidence entre sexe biologique et genre social. On débarque avec nos cicatrices de pirates, avec nos tatouages de marins hors la loi et nos sabres, nos voyages en nous-mêmes et dans le genre… Nous sommes des garçons de mauvais genre[117]. »
Tous heureux, vraiment ? Voilà qui, pour le coup, est original, et pour tout dire difficile à croire. Mais ne boudons pas devant cette belle énergie et posons-nous plutôt la question de savoir à l’assaut de quel navire ces pirates du mauvais genre (passés dans le genre dominant, tout de même) espèrent-ils partir ? Le monde de l’art et de la photographie ? Il est presque blasé depuis la publication en 1981 et 1982 des clichés d’Eva, transsexuelle non opérée, dans le magazine Photo et le livre du photographe André Berg intitulé Créatures[118]. Moins esthétisant et plus documentaire, le travail de Kael T. Block vient à son heure. Quoi d’autre ? L’ordre symbolique du genre ? Ici, l’engagement des FvM est indéniable, quoiqu’ils ne soient nullement « hors la loi », comme le prétend Block. À supposer qu’il ne s’agisse pas, comme on le comprend, d’un simple travestissement (allusion aux cicatrices des mammectomies), ces femmes d’origine n’ont pu se faire opérer qu’en se pliant aux plus humiliantes lois (américaines) qui soient, puisqu’elles ont du accepter de se présenter comme souffrant d’un trouble mental (Gender Identity Disorder[119]) pour faire financer leur opération.
Dans un dossier consacré au SM par le magazine Têtu (juin 2006), on trouve un argumentaire fourni en défense de ce type de relations érotiques. Telle pratiquante met en avant une fonction de réassurance personnelle, dont nous n’avons aucune raison de douter :
« Dans notre société, il y a une grande violence sexuelle envers les femmes. Donc tout ce qui peut être associé à une image de violence est à rejeter. Or, dans la vie, la violence me détruit. Dans ma sexualité, elle me construit et me permet d’aborder la violence de la vie d’une autre manière, je me réapproprie le pouvoir de manière positive en inventant d’autres manières de ressentir l’autre. »
Telle autre — une « dominatrice professionnelle [sic] » — se flatte d’éduquer ses « soumis » à
« prendre conscience de leur statut privilégié d’homme blanc, hétéro, issu de la classe moyenne, et bien portant. Je pense que les femmes et les queer peuvent bénéficier de mon travail. J’utilise mon pouvoir pour faire changer le monde autour de moi. »
Comme tout cela est édifiant ! Et troublant ! Car enfin, c’est à n’y rien comprendre : depuis le temps que bourgeois, patrons et cardinaux se font fouetter, cracher dessus et piétiner les couilles dans les bordels, comment l’ordre social machiste a-t-il pu subsister ? Et si, précisément, ces pratiques, mêmes relativement « démocratisés », loin de bouleverser l’ordre social, contribuaient à en assurer la reproduction et le maintien ? Un auteur qui affiche des sympathies libertaires, Jean-Manuel Traimond, veut y voir un modèle possible de relation « consensuelle » et de règlement des conflits[120]… On sait depuis Rousseau que la fessée n’est pas sans effet sur le contrat social, mais on craindrait plutôt que la proposition soit prise au sérieux dans l’organisation de quelques stages d’entreprise d’un nouveau genre ; nous verrons bientôt que la perspective n’est pas si fantaisiste qu’il y paraît.
Bisexuel(e)s d’un jour ou de toujours, échangistes, sadomasochistes soft ou bardé(e)s d’accessoires, masques de cuir, poupons quinquagénaires, pirates d’opérette, tribus médiatisées ou encore dissimulées dans les catacombes virtuelles du Net, pour tout ce petit monde, c’est carnaval tous les jours, ou presque. La démocratisation relative déjà évoquée — probablement limitée en fait aux classes moyennes et, comme toujours, à quelques éléments féminins des classes pauvres — et surtout la banalisation de ce carnaval potentialisent-elles ses effets ? Ou bien cette débauche d’énergie carnavalesque conserve-t-elle sa fonction d’exutoire et par là même d’entretien de l’ordre social dont elle met en scène la subversion ou l’inversion ? Je ne vois pas d’autre raison qu’idéologique, c’est-à-dire séparée du réel, de pencher pour la première hypothèse.
Certes, l’hypothèse « subversive » peut néanmoins séduire, et d’abord logiquement une partie de ceux et celles qui — s’étant senti(e)s contraint(e)s de pallier radicalement un désordre insoutenable de leur personnalité — souhaitent faire de leur aventure une arme, comme les militants du Collectif socialiste de patients, le SPK allemand des années 1970, parlaient de « faire de la maladie une arme[121] ».
On pourrait juger à première vue plus étonnant le rapprochement opéré par Beatriz Preciado entre la théorie queer et le négrisme (du nom de l’ancien théoricien de l’autonomie italienne Antonio Negri). Preciado a publié dans la livraison du printemps 2003 de la revue Multitudes un article intitulé « Multitudes queer : Notes pour une politique des anormaux ». On peut rapprocher l’esprit de ce titre de la formule proverbiale « Plus on est de fous, plus on rit » : c’est, en plus ludique, l’essence de la pensée négriste.
Ayant fait le deuil du prolétariat, Negri lui a substitué une entité protéiforme, la multitude. Dégageant une rassurante impression de force et de nombre (une multitude, c’est par définition une foule de gens) et de variété (n’a-t-on pas vu défiler à Gênes, en 2001, dans la même manifestation, même si c’était à plusieurs kilomètres de distance, des moines et des anarchistes !), la multitude est par nature garantie contre les dérives bureaucratiques et les tentations totalitaires. Imbibée de Marx (le general intellect, que je traduis par intelligence sociale), de Foucault (ajouter le préfixe bio devant les mots : biopouvoir, etc.) et, de manière moins revendiqué, de Félix Guattari (les idées de mouvement moléculaire, de Patchwork, titre de la revue du Centre d’initiative pour de nouveaux espaces de liberté [CINEL], animé par Guattari, auquel participaient plusieurs des animateurs de la revue Multitudes), l’idée de multitude est ce que l’on nomme un fourre-tout. Terme auquel on conservera pour l’occasion son possible double sens érotique.
Negri et Michael Hardt (le coauteur d’Empire) poursuivent leur élaboration théorique de la multitude. À partir de l’intelligence sociale dont Marx avait prévu l’avènement, ils en arrivent à l’idée d’un « être social commun », au sein duquel « convergent » les formes du travail postmoderne, le plus souvent immatériel. Cet être est la matrice, productive et reproductive, de la société. « Nous devons, écrivent-ils, considérer cet être comme une chair neuve, une chair amorphe qui ne forme pas encore un corps. […] Cette nouvelle chair sociale, en d’autres termes, peut former les organes productifs du capital global [par la captation de l’intelligence sociale qui s’y exprime]. Il existe toutefois une autre possibilité, celle d’une organisation autonome de ces singularités communes qui exprimerait une sorte de “puissance de la chair”, dont on peut faire remonter la généalogie philosophique jusqu’à l’apôtre Paul de Tarse. La puissance de la chair est la capacité que nous avons de nous transformer à travers l’action historique et de créer un nouveau monde[122]. »
Tout ébaubie de se voir accueillie dans une aussi prestigieuse famille de pensée, Preciado en adopte derechef les manies de vocabulaire et entreprend de persuader les « multitudes queer », c’est-à-dire « les drag kings, les gouines garous [sic], les femmes à barbe, les trans-pédés sans bite, les handi-cyborgs[123] », qu’elles ont tout intérêt à se sentir multitude parmi les multitudes, pour mieux combattre… « l’Empire sexuel » !
Gageons qu’une théoricienne des « multitudes freaks » aura quelque jour à cœur de réparer l’injure ici faite, par oubli discriminatoire, aux femmes-tronc, à la môme caoutchouc et aux naines à lancer.
En attendant, il manque à ce carnaval des anormaux, celles et ceux qui poussent la folie jusqu’à prendre au mot le cœur de la doctrine de Paul de Tarse. Et eux aussi, elles aussi — louées soient les multitudes ! — se reconnaissent désormais comme une « communauté » ! Ils et elles se le disent via l’Internet et affirment, c’est bien leur tour, leur identité. Le site Asexual Visibility and Education Network (AVEN, Réseau pour la promotion de l’asexualité et l’éducation) défend la A-Pride attitude, la fierté asexuelle[124]. Il y avait des religieuses dans le monde, dans les hôpitaux et les orphelinats, il existe aujourd’hui des asexuel(le)s dans l’« Empire sexuel ». Ne sont plus dupes des théories dominantes, ont déserté les cabinets des sexologues et des psychanalystes, boycottent les vibromasseurs, le Viagra et les sites de rencontres. « On ne sait pas pourquoi, commente la journaliste Dominique Frétard, simple intuition, mais on pressent qu’être asexuel pourrait aussi signifier une façon de s’aligner sur une pensée altermondialiste, qui refuse la surconsommation marchande [Qu’est-ce que je disais !], à commencer par celle du sexe[125]. »
« Fermer le robinet » était la désignation populaire d’un mode (calamiteux) de contraception dite « naturelle », c’est aujourd’hui le moyen désespéré d’interrompre le flux d’un amour liquide (fluctuant, précaire, multiple) dont Zygmunt Bauman propose la critique[126].
Il existe une catégorie de butchs dont on comprend que Preciado ne l’annexe pas et qui concentre, bien involontairement, le maximum de contradictions inhérentes aux catégories identitaires créees à l’intérieur de cultures souterraines. Je veux parler des stone butchs, dont j’ai gardé la définition pour la fin de ce bref détour par les cultures lesbiennes, gays, transgenres, transsexueles et bi (LGTB) — dont nous aurons au moins retenu que cette appellation conventionnelle ne peut prétendre à les résumer. Le terme stone vient, semble-t-il, de l’argot afro-américain où il signifie « très ». Une stone butch, encore le féminin est-il mal venu, serait donc une gouine très masculine. L’une d’elle, Big Dog, écrit sur le site Butch-Femme Network :
« Je suis née de sexe féminin (female) mais butch est mon genre. […] Je suis un homme. Un homme Stone Butch. Je ne suis une femme dans aucun des sens où la plupart des gens comprennent le mot. Mon identité défie les descriptions conventionnelles. […] Je ne veux pas modifier mon corps pour devenir un homme. Mais beaucoup de gens m’appellent Monsieur et utilise à mon propos le pronom “Il”. […] Je marche, parle, mange, aime et vit comme la Stone Butch que je suis. […] Les Andro dykes sont mes sœurs. Les autres butchs et Stone Butch sont mes frères. Ça n’est pas un rôle que je choisis de jouer[127]. »
Big Dog s’abstient de donner des précisions sur ses goûts érotiques et son rapport au plaisir, or le terme stone butch désigne également des lesbiennes masculines qui, tout en donnant du plaisir à leurs partenaires, n’en éprouvent elles-mêmes aucun, soit qu’elles ne connaissent pas l’orgasme, soit qu’elles répugnent même à être touchées. Qu’elle soit ou non consécutive à une initiation désastreuse dans le régime hétérosexuel, cette situation peut être assumée ou au contraire éprouvée comme une infirmité. Elle vient, quoi qu’il en soit, fâcheusement contredire le mythe lesbien du « plaisir assuré » (j’ignore s’il existe un terme équivalent à « mauvais coup » en argot lesbien).
Encore que, s’agissant de femmes passées au lesbianisme, on peut considérer que la stone butch procède à une espèce de réparation sexuelle par amante interposée, en se transformant en une version partiellement ascétique de l’« homme parfait », soucieux du seul plaisir de son amante. Dans cette hypothèse, il faudrait considérer que la femme, en quittant son genre premier, a malencontreusement emprunté à l’homme une problématique du sacrifice (voire de la castration). Comme si elle avait cru que l’homme « attentionné » devait mettre en œuvre, pour s’écarter du modèle égoïste/éjaculateur rapide, une technique contraignante ; comme si elle aussi « se retenait » (ou se sacrifiait) pour mieux faire jouir l’autre. On peut considérer cette attitude comme le comble d’une masculinité, qui certes se prive d’orgasme, mais peut s’enorgueillir (même si elle en souffre) de ne jamais « s’abandonner », « se laisser aller », tous mouvements de l’âme (et du corps) typiquement « féminins ». De ce point de vue, l’ascétisme stone butch est une espèce de remaniage lesbien (quoique probablement influencé par l’idéologie hétéro) — et autrement généreux — de la dite fierté a-sexuelle, précédemment évoquée. Être soi-même asexuel(le) n’empêche nullement d’offrir du plaisir à autrui ; les soi disant « a » trahissent surtout par leur abstention — que l’on distinguera de l’abstinence qui se rapporte à son propre plaisir — la valeur négative qu’ils/elles attachent au sexe dont ils/elles se prétendent abusivement libéré(e)s.
Peut-on déduire des informations et considérations qui précèdent que les glissements de genre et/ou de sexe restent absolument circonscrits dans la chambre à coucher, les boîtes de nuit et les groupes militants ? Il n’en est rien, et l’on serait tenté d’ajouter : Hélas ! En effet, les grandes entreprises (américaines d’abord) ont pris la mesure d’un phénomène qu’elles préfèrent accompagner, au risque (de leur point de vue) de l’encourager. Brad Salavich, « responsable du programme sur la diversité LGTB » (sic) au siège mondial d’IBM, à New York, déclare au magazine Têtu :
« Nous investissons beaucoup d’argent sur les gens que nous recrutons, ce sont de très bons éléments, nous voulons qu’ils continuent de faire leur travail correctement. Et s’ils doivent changer de sexe, nous pouvons les y aider. Dans certains pays, nous payons les opérations ou la thérapie hormonale de transition, car nos employés se sentiront mieux dans leur peau. […]
« Il y a de plus en plus de fluidité dans le genre et nous serons amenés à recruter des gens qui un jour seront en talons aiguilles et le lendemain en chaussures de marche[128]. »
Nul doute que les nouveaux règlements intérieurs des entreprises capitalistes modernes auront à organiser des comportements un peu plus problématiques que de troquer des chaussures de marche pour des talons aiguilles. Ce seront autant d’occasions de nouveaux conflits du travail, les un(e)s réclamant de pouvoir exprimer de la manière qui leur convient l’« identité » que l’entreprise les aura aidé à constituer, par des congés et des financements ; les employeurs réclamant non moins logiquement de leurs salarié(e)s une « reconnaissance du (bas-)ventre ». Jamais sans doute le capitalisme n’a eu l’occasion de mettre en scène une plus intime négation de la lutte des classes, une telle incorporation de la dépendance salariale, mobilisant, via des préposés aux ressources LGTB, l’assistance psychologique, le bistouri et le bon vieux familialisme d’entreprise.
[1] Traduction et présentation par Philippe de Suarez, éditions Métanoïa, Marsanne, 1974.
[2] Le Breton précise en note : « Nous entendons par “extrême contemporain” les entreprises aujourd’hui les plus inédites, celles qui nous mettent déjà un pied dans l’avenir au niveau du quotidien ou de la technoscience [sic], celles qui induisent des ruptures anthropologiques provoquant le trouble de nos sociétés. » L’Adieu au corps, Métailié, 1999, p. 8.
[3] Hutin Serge, Les Gnostiques, PUF, e. o. 1958.
[4] Tout au plus Irénée de Lyon accuse-t-il le gnostique Carpocrate de faire marquer ses disciples « au fer rouge à la partie postérieure du lobe de l’oreille ». On comprend qu’Irénée reproche au chef de secte de traiter ses ouailles comme du bétail, sans donner d’information sur le sens particulier, autre que celui supposé d’appartenance, qu’aurait cette marque à l’oreille. Contre les hérésies. Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur, Éditions du Cerf, 1984, livre I, p. 116.
[5] Idem p. 4.. Idem, p. 12-13.
[6] Cf. Puech Henri-Charles, En quête de la Gnose. La Gnose et le temps, Gallimard, 1978, pp. 84, 151, 290.
[7] La Bibliothèque de la Pléiade a publié en octobre 2007, plusieurs mois après la fin de la rédaction du présent ouvrage, un volume rassemblant les textes de la bibliothèque de Nag Hammadi, sous le titre Écrits gnostiques. Cette heureuse initiative fait passer, en France, les textes de Nag Hammadi du statut de curiosités archéologiques ou ésotériques à celui de classiques de la littérature et de la spiritualité. On se réfèrera donc avec profit au travail dirigé par Jean-Pierre Mahé et Paul-Hubert Poirier.
[8] Idem, p. 196.
[9] Idem, p. 106.
[10] Hutin Serge, op. cit., p. 70.
[11] Cf. par exemple Scopello Madeleine, Les Gnostiques, Cerf/Fides, 1991.
[12] Eliade Mircea, Techniques du Yoga, Folio, 1999 [e. o. 1975], p. 217-218.
[13] Idem, p. 256. Certains orentialistes datent le Guhyasamaja Tantra du IIIe siècle. M. Eliade estime qu’il s’agit d’un texte plus tardif ; il note que le tantrisme s’est répandu dans toute l’Inde entre les VIIe et IXe siècles.
[14] « Il faut compter aussi avec d’éventuelles influences gnostiques qui, à travers l’Iran, auraient pénétré dans l’inde par la frontière de Nord-Ouest. On constate, en effet, plus d’une symétrie troublante entre le tantrisme et le grand courant mystérisophique occidental […]. » ; Eliade Mircea, Le Yoga. Immortalité et liberté, Payot, 1975, p. 205.
[15] Millet Catherine, La Vie sexuelle de Catherine M., Seuil, 2001.
[16] Contre les hérésies, op. cit., p. 75.
[17] Entretien avec Florence Aubenas, Libération, 23 août 1995. « Le 12 mars 2001, le tribunal de grande instance de Saint-Etienne avait condamné quatre adeptes [mâles] à des peines allant d’un an à dix-huit mois de prison avec sursis, pour corruption de mineures, peines aggravées en appel. » (Le Monde, 31 décembre 2002). Autre exemple, Otto Mühl, ex-provocateur de l’actionnisme viennois, reconverti en gourou d’une secte néo-reichienne en Autriche, et condamné en 1991 à sept ans de prison pour « attentats à la pudeur » sur des adolescentes de moins de 14 ans sur lesquelles il exerçait un droit de cuissage (sur le procès, cf. Libération, 18 novembre 1991 ; sur la secte, cf. Guillon C., Pièces à conviction, op. cit. pp. 61-62).
[18] Idem, p. 76.
[19] Cité in Pagels Elaine, Les Évangiles secrets, Gallimard, 1982, p. 104.
[20] Hippolyte de Rome, Philosophumena ou Réfutation de toutes les hérésies, trad. A. Siouville, éditions Archè, Milan, 1988, Livre VIII, p. 170.
[21] Pistis Sophia, trad. E. Amélineau, 1895, reprint éd. Archè, Milan, 1975, p.83. De pistis, la foi et sophia, la sagesse, Pistis Sophia est une entitée féminine, un « æon », dont le texte raconte la chute, la repentance et le retour à la lumière par l’entremise de Jésus.
[22] L’Évangile selon Thomas, op. cit., log. 114, p. 97.
[23] Pagels, op. cit., p. 113. Puech note que l’idée que l’esprit qui habite les corps des femmes doivent se transformer en hommes pour gagner le royaume du Père est attribuée, et reprochée par les Inquisiteurs à Guillaume Bélibaste, l’un des derniers « parfaits » cathares, brûlé en 1321 (Puech H.-C., En quête de la Gnose, II, Sur l’Évangile selon Thomas, Gallimard, 1978, p. 51 ; Nelli René, Les Cathares, Marabout, 1972).
[24] L’Exégèse de l’âme [début IIe s.], texte traduit et établi par Jean-Marie Sevrin, Les presses de l’université Laval, Québec, 1983, p. 71.
[25] The Nag Hammadi Library (NHL), New York, 1977, 271-274, cité in Pagels, p. 113-114.
[26] Cité in Doresse Jean, Les livres secrets des gnostiques d’Égypte, tome II, L’Évangile selon Thomas ou les paroles secrètes de Jésus, Plon, 1959, p. 170.
[27] Philosophumena ou Réfutation de toutes les hérésies, Hippolyte de Rome, op. cit. p. 125 et 130.
[28] Clément d’Alexandrie, Stromates, III, 92, 2, cité in Doresse Jean, Les livres secrets des gnostiques d’Égypte, op. cit., p. 205.
[29] NHL 465-466, cité in Pagels, p. 99.
[30] Philosophumena, op. cit., liv. VI, p. 31.
[31] Panarion, XXVI, 4-5, cité in Leisegang H., La Gnose, Payot, 1951 (e. o. 1924) trad. de l’allemand par J. Gouillard, p. 132-133.
[32] Leisegang, op. cit., p. 144.
[33] Le Brun Jacques, « À corps perdu. Les biographies spirituelles féminines du XVIIe siècle », in Malamoud Charles et Vernant Jean-Pierre (dir.), Corps des dieux, Folio Gallimard, 2003, p. 557.
[34] Idem, p. 560.
[35] Sur les flagellants, apparus en Italie au XIIe siècle, voir Cohn Norman, Les Fanatiques de l’Apocalypse, Payot, 1983.
[36] Bell Rudolph M., L’Anorexie sainte. Jeûne et mysticisme du Moyen Age à nos jours, PUF, 1994, p. 63.
[37] Idem, p. 183.
[38] Idem, p. 193.
[39] Pane Gina, Lettre à une(e) inconnu(e), École nationale supérieure des Beaux-Arts, 2003, p. 50.
[40] En août 1998, Paul Schimmel, conservateur au Musée d’art contemporain de Los Angeles monte au MAK de Vienne la première rétrospective européenne consacrée à l’art corporel : « Out of actions : actionnisme, body-art et performance (1949-1979) ».
[41] Reckitt Helena et Phelan Peggy, Art et féminisme, éditions Phaidon, 2005. Cf. également Bonnet Marie-Jo, Les Femmes dans les avant-gardes, Odile Jacob, 2006.
[42] Valie Export, pseudonyme choisi par l’artiste en détournant une marque de cigarettes doit s’écrire, selon ses vœux, en capitales, afin de renforcer la référence ironique aux marques commerciales. N’exerçant pas la charge de notaire, je me borne à signaler cette fantaisie sans m’y plier.
[43] Entretien avec Virgine Luc in Art à Mort, Éditions Léo Scheer, 2002, p. 66.
[44] Cf. l’article émoustillé de Jean-François Bizot dans Libération, 30-31 octobre 1er novembre 1977. Sur V. Export, voir la monographie aux éditions de l’œil, Valie Export, 2003, et la notice dans Women Artists, Femmes artistes du XXe et XXIe siècle, Taschen, 2001. Dans le même ouvrage, notice sur Orlan ; cf. également son site <www.orlan.net>.
[45] Entretien avec Ophélie Lerouge, 14 mai 2003, www.orlan.net. Sur les cultures de tissu humain ou animal développées en Australie, cf. chap. V.
[46] « Le manifeste de l’art charnel », <www.orlan.net>.
[47] « Le corps comme lieu de débat public », entretien avec Ophélie Lerouge, 14 mai 2003, <www.orlan.net>.
[48] Cf. Tronche Anne, Gina Pane Actions, Fall édition, 1997, p. 65.
[49] Cahen Judith, ADN, 2006 (vidéo, 1h 13mn). Sur le film, cf. « Allez voir ADN, le film de Judith Cahen » sur ce blog. Les Autoprotraits de Nebreda ont été publiés chez Léo Scheer, 2000. On peut lire des entretiens avec lui dans Art à mort, op. cit. et dans La Voix du regard, n° 15, automne 2002, « L’obscène, acte ou image ? ».
[50] Cf. Libération, 2 janvier 2006.
[51] El Correo (Bilbao), cité in Courrier international, 8 au 14 mars 2001.
[52] Entretien avec Hugues Le Tanneur, Aden, 30 juin au 6 juillet 2004.
[53] Entretien dans Quasimodo, n° 5, « Art à contre corps », printemps 1998, pp. 111-119.
[54] Réédition de la traduction française chez Jérome Millon, Grenoble, 2002, p. 146.
[55] De D. Wojnarowicz, mort du sida en 1992, on peut lire Au bord du gouffre, 10/18, 2005 et Chroniques des quais, éd. Désordres-Laurence Viallet, 2005.
[56] Voir le catalogue de l’exposition Michel Journiac à Strasbourg en 2004, coédition Les Musées de Strasbourg et École nationale supérieure des Beaux-arts de Paris.
[57] « Requiem » est le premier mot d’une prière catholique pour les morts, d’où le nom générique donné à certaines pièces de musique (le Requiem de Verdi).
[58] C’est sans doute le moment de dissiper un possible malentendu : on comprendra que l’auteur du Siège de l’âme, éloge de la sodomie n’énumère pas ici comme autant de péchés contre la laïcité les références à la religion dans les avant-gardes contemproraines.
[59] Pane Gina, op. cit., p. 16 ; la phrase est en capitales dans l’original.
[60] Pane Gina, op. cit., p. 20.
[61] Pane Gina, op. cit., p. 85.
[62] Cf. Agret Roland et Spengler Franck, Mon Corps en otage. Justice barbare, Hugo Doc, 2006. À deux reprises, Agret a avalé des fourchettes (par trois ou quatre) durant sa détention. Il a d’abord obtenu sa libération, puis sa réhabilitation, puis son indemnisation partielle.
[63] Idem, p. 40.
[64] H. Reckitt et P. Phelan, Art et féminisme, op. cit., p. 100.
[65] Entretiens dans Art à mort, op. cit., pp. 73 et 132.
[66] « Si tu veux être heureux,/ Nom de dieu, /Pends ton propriétaire, /Coupe les curés en deux,/ nom de dieu !/ Fous les églises par terre,/ Sang-dieu !/ Et le bon dieu dans la merde, /Nom de dieu ! / Et le bon dieu dans la merde » ; cf. Manfredonia Gaetano, La Chanson anarchiste en France des origines à 1914, L’Harmattan, 1997, p. 132.
[67] Jones Amelia et Warr Tracey, Le Corps de l’artiste, Phaidon, 2005, p. 66.
[68] Brune F., Le Bonheur conforme, op. cit., p. 88. Ajoutons que le néologisme Nubril est particulièrement riche de sous-entendus corporels et genrés, en homophonie approximative : nombril, « nue brille », et nubile, qui signifie « en âge d’être mariée ».
[69] Les Anthropométries sont le résultat d’une espèce de happening par procuration (mars 1960) au cours duquel Klein donne des indications à trois jeunes femmes nues qui s’enduisent de peinture bleue et se pressent sur des feuilles blanches. « Il ne me viendrait même pas à l’idée de me salir les mains avec de la peinture », déclare Klein, qui conserve ses gants blancs d’illusioniste durant la séance. Ce happening a suffisamment marqué l’histoire de l’art contemporain pour être soit platement reproduit (Mike Bidlo, 1985) soit féministement parodié, ou plus précisément inversé : Rachel Lachowicz a dirigé des modèles masculins nus, le corps enduits de rouge à lèvre (Red not blue ; Rouge, pas bleu, Santa Monica, Californie, 1992). Je relève comme une exception que Gina Pane tenait Klein en haute estime ; elle lui a rendu hommage dans ses textes et dans une « action » (Cf. Lettre à un(e) inconnu(e), op. cit., pp. 128-129).
[70] Sources : Art et féminisme, op. cit. ; site femmeuses.org ; « Immaculate Conception », sur le site de la Rhode Island school of design.
[71] « Lost in Avignon », Dominique Frétard, Le Monde, 6 juillet 2006.
[72] Entretien dans Art à mort, op. cit., p. 92.
[73] Art et féminisme, op. cit., p. 63.
[74] Reproduction dans le n° 5 (printemps 1998) de la revue Quasimodo, « Art à contre corps ».
[75] « E. Krystufek, une Autrichienne sans complexe », Lady Sweetart, <bulbe.com> ; cf. également la notice dans Women artists, op. cit.
[76] Cf. Libération, 2 janvier 2006.
[77] Source, site de L. Chanfro.
[78] La version « mitraillette dans le cinéma porno » est reproduite dans Art et féminisme (p. 97) ; la version « affiches et art et essai » était donnée par le cinéaste et critique Michael Rush, « Body Image », Art in America, avril 2000, sur le site findarticles.com.
[79] Et non pas inséré « dans le col de son utérus », comme l’indique la notice, trop vite traduite, de la photo de sa performance dans Art et féminisme, op. cit., p. 149.
[80] Cf. Art et féminisme, op. cit., p. 64 ; biographie et œuvres sur le site Electronic Arts Intermix.
[81] Libération, 8 septembre 2003.
[82] Wittig Monique, Les Guérillères, Éditions de Minuit, 1993 (e. o. 1969), p. 102.
[83] Cf. Schwartz Barthélémy, « Un artiste d’économie mixte patriote » (sur Jean-Pierre Raynaud), Oiseau-tempête, n° 5, été 1999.
[84] Les théoriciens du détournement ne s’en émancipent pas. Debord et Wolman donnaient son « Mode d’emploi » dans la même revue Les lèvres nues (n° 8, mai 1956, pp. 2 à 7) où fleurissaient des exemples assez niais de détournements grivois : « Femme bien arrosée, bonne journée » (n ° 7, décembre 1955) ; « Mesdames, si l’on vous embrasse le sein gauche tendez le sein droit » (n° 6, septembre 1955). Cf. également la publication d’un tract espagnol clandestin dans le n° 9 d’août 1964 de l’Internationale situationniste, détournement d’une photo de femme nue couchée sur le ventre, à laquelle un phylactère ajouté fait dire : « Je ne connais rien de mieux que coucher avec un mineur asturien. Voilà des hommes ! » La fausse subversion (dans l’équilibre entre le machisme de la formule et le caractère osé d’une nudité féminine dans l’Espagne franquiste) est supposée exalter la subversion réelle de la grève des mineurs des Asturies.
[85] Cf. Libération, 13 janvier 2006.
[86] Têtu, février 2006.
[87] Selon l’écho qu’en donne Édouard Launet dans Libération, 25 août 2005.
[88] Reproduction (en petit format) dans Art et féminisme, p. 21 ; une autre, plus lisible, sur le site de l’une des organisatrices de l’exposition : < judychicago.com >. Peut-être peut-on voir dans cette installation un lointain écho des deux ensembles de toiles peints par Magritte, dans lesquelles le corps d’une femme est découpé en six « tableaux » (visage, poitrine, bas-ventre, genoux, pieds) collés les uns au-dessus des autres ; L’Évidence éternelle, 1930 et 1948 (de même structure, les deux ensembles représentent deux femmes différentes). Cependant cette œuvre est — son titre (ironique ?) l’annonce —, essentialiste et non critique de la condition sociale des femmes. Pour compléter les références possibles au surréalisme, il faut mentionner deux œuvres de Dali, La Vénus de Milo aux tiroirs (1936-1964), bronze « ouvert » par six tiroirs (front, seins, plexus, nombril, genou gauche) et Le cabinet anthropomorphique (1936), peinture représentant un être à moitié couché, dont le buste est formé de six tiroirs ouverts.
[89] Exposition à la galerie Guislain (35, rue Guénégaud, Paris, Ve), signalé par Willem, Libération, 5 juin 2006.
[90] « Une photographie crue dans son environnement social », Le Monde, 1er novembre 1996.
[91] Cité in Ardenne Paul, L’Image Corps. Figures de l’humain dans l’art du XXe siècle, Éditions du Regard, 2001, p. 133 ; les deux coupures sont dans l’original ; reproduction de Looking for Love, p. 142.
[92] Tel autre, dont on a oublié le nom, expose comme « œuvres » des pages de publicités reproduisant des visages féminins, sur lequelles il s’est masturbé. Représentation pitoyable de l’arrogance masculine compensatoire au néant séminal : « C’est de moi ! [cet enfant, cette « œuvre »] », quand il ne subsiste du geste masturbatoire que des traces, chromosomes ici, cloques du papier là.
[93] Citation édifiante d’un texte intitulé Décamérêve, sous-titré « Pour une refonte des humanités » et publié dans La Brèche (n° 2, octobre 1967) : « La femme s’acquitte de sa contribution en veillant, la tête sur la clé des songes. Elle prélève sur la bouche, les seins, les cuisses dont elle a l’administration et l’homme la jouissance, de quoi ravir la langue et distraire le regard. » La femme n’a pas même l’usufruit d’elle-même, c’est l’homme qui le goûte. Elle est chargée de l’administration : diététique, maquillage, sous-vêtements. Ou comment l’écriture automatique bégaie l’idéologie dominante.
[94] Cf. la notice de Barbara Hess dans Women Artists, op. cit.
[95] En exergue de l’article : « Découvrir les fantasmes nippons en devenant une geisha [sic] l’espace d’un — gros — soupir. On en rêvait… Elle l’a fait », Caroline Grimm, Jalouse, novembre 1999.
[96] En anglais, la formule sonne comme un jeu de mots, puisqu’elle signifie littéralement : « Il y a de plus gros poissons à frire » (They are bigger fish to fry than performance art) ; « Des sushis servis sur des femmes presque nues suscitent des protestations », Associated Press, 11 novembre 2003.
[97] Pour une énième version, cf. les photographies d’un corps nu couvert de fruits sur le site créé par Moona, artiste transsexuelle, et la plasticienne Ka : <moona-ka.com>.
[98] La Société de sexologie a été créée en 1932 par le Dr Édouard Toulouse, dont le psychiatre Paul Schiff est un ami ; regroupant médecins et scientifiques, elle constitue en quelque sorte le comité scientifique de l’Association d’études sexologiques (1931-1935), également créée par Toulouse, dont il est plus longuement question au chap. VI.
[99] Schiff Paul et Tillet Anne [du], « Valeur psychiatrique de la différence sexuelle dans le geste de lancer », séance du 15 mai 1934, Bulletin de la société de sexologie, t. I, déc. 1934, n° 8. Je souligne.
[100] Qui signe « Big Dog » (Gros Chien) un texte intitulé « What is a Stone Butch », sur le site Butch-Femme Network. Nous la/le retouverons à la fin de ce sous-chapitre.
[101] Je trouve le verbe au participe passé, avec un seul « p », dans un texte de Marie-Hélène Bourcier, théoricienne queer : « Sex and the City », in Sexpolitiques, Queer Zones 2, La Fabrique, 2005, p. 89. Quant au sens, qui m’a semblé ambigu, je laisse curieux et curieuses en décider sans m’appesantir davantage.
[102] Gassel Nathalie, Construction d’un corps pornographique, Éditions Cercle d’art, Bruxelles, 2005, pp. 45-46.
[103] Éros androgyne, Cercle poche, 2001.
[104] Entretien avec Claire Devarrieux, Libération, 17 juin 1999.
[105] « The Traffic in Women : Notes on the Political Economy of Sex », in Rayna Reiter, Toward an Anthropology of Women, New York, Monthly Review Press, 1975, pp. 157-210), cité in Katz Jonathan Ned, L’Invention de l’hétérosexualité, Epel, 2001, p. 135. De Gayle S. Rubin, on peut lire « Penser le sexe » et un entretien avec Judith Butler dans Marché au sexe, Epel, 2001.
[106] Butler Judith, Défaire le genre, op. cit., p. 100.
[107] Têtu, juin 2006.
[108] Têtu, octobre 2003.
[109] Entretien avec Ladane Nesseri, Libération, 12 janvier 2006.
[110] Têtu, mai 2006.
[111] Libération, 9 octobre 1995.
[112] « Questions de genre : l’activisme queer », émission « On est tous dans le brouillard », France culture, 23 novembre 2005.
[113] Libération, 24 août 2005.
[114] Bourcier Marie-Hélène et Robichon Suzette (dir.), Parce que les lesbiennes ne sont pas des femmes, Éditions gaies et lesbiennes, 2002, p. 194.
[115] Cité dans Têtu, février 2006.
[116] Têtu, octobre 2003.
[117] Têtu, octobre 2006.
[118] Cf. Photo, novembre 1981 et octobre 1982 ; Créatures, Club du Livre secret et Pink star, 1982.
[119] L’homosexualité a été retirée de la liste américaine des troubles mentaux en 1973.
[120] Traimond Jean-Manuel, Dissection du sadomasochisme organisé. Approches anarchistes, Ateliers de création libertaires (ACL), Lyon, 2006.
[121] Titre d’un recueil de textes du SPK publié par les éditions Champ libre en 1973.
[122] Hardt Michael, Negri Antonio, Multitude. Guerre et démocratie à l’âge de l’Empire, La Découverte, 2004, p. 191.
[123] On peut douter de l’inclination personnelle du fondateur de l’école pour ces nouvelles recrues, lui qui écrit : « J’ai toujours été dégoûté par les rapport sexuels et l’érotisme des jeunes, avec leur rapidité, leur violence de désir animaux. Ce qui me plaît c’est la douceur, c’est le temps ; c’est l’intellectualité, l’immatérialité des rapports », Negri Antonio, Exil, Mille et une nuits, 1998, p. 49. Par ailleurs, il est probable que le terme « handi-cyborgs » renvoie à certaines personnes handicapées et appareillées, par référence au texte de Donna Haraway, « A Cyborg Manifesto : Science, Technology, and Socialist-Feminism in the Late Twentieth Century » » in Simians, Cyborgs and Women : The Reinvention of Nature, New York, Routledge, 1991 ; traduction par Anne Smolar et Séverine Dusollier sur ( http://www.constantvzw.com/cyberf/book/index.php ). Une recueil en français des textes de D. Haraway a été publié en 2007 : Manifeste cyborg et autres essais, Exils.
[124] Cf. les articles suivants, qui balisent l’invention du phénomène par les médias : « 30 ans… et toujours vierge », Psychologies, décembre 2003 ; « Asexuels et fiers de l’être », Courrier international citant le New Scientist (Londres), 13 au 19 janvier 2005 ; « Vers une quatrième identité sexuelle… No Sex please », Dominique Frétard, Le Monde 2, 16 juillet 2005 ; « Tableau de chastes », Libération, 2 août 2005 ; « L’abstinence n’est pas un drame », à propos de la parution de No Sex Last Year. La Vie sans sexe, David Fontaine, coédition Les Petits Matins-Arte éditions, Libération, 25-26 mars 2006.
[125] Article cité, Le Monde 2, 16 juillet 2005.
[126] Bauman Zygmunt, L’Amour liquide, op. cit.
[127] « What is a Stone Butch », article cité, ma traduction.
[128] Têtu, mai 2006.