Après déception des espoirs matinaux, par Gérard De Mai

Ce texte a été écrit en février 2005 pour répondre à la question « Quelle révolution souhaitez vous ? » posée par une revue littéraire affichant un sympathique angélisme.

Mais il est arrivé au moment où ladite revue venait de décider de supprimer cette « rubrique » qui, sans doute, laissait perplexe la plupart des littérateurs actuels.

Il est donc resté inédit.

Le relisant en 2006, j’ai considéré qu’il n’avait rien perdu de sa pertinence et que, au prix de quelques légères améliorations, il méritait d’être livré au « public ». Ce qui a été fait sous forme d’une brochure aujourd’hui épuisée.

Un an plus tard, voyant l’état de la société, je me dis que le rediffuser via le media qui met Oaxaca à la porte de Bobigny (et « Big brother » dans tous les foyers !) n’est pas superflu.

Gérard De Mai.

1er mai 2007.

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« Avec des cailloux, une sorte de boue, des arbres déchirés, et du sable fondu, on bâtit les palais de rêve. »

Scutenaire.

 

Évoquer l’idée d’une révolution quand pérore partout le cynisme câblé qui somme d’étouffer tout idéal sous la dérision, c’est fournir des verges pour se faire fouetter de sarcasmes. Qui vise, aujourd’hui, à remporter la « star ac’ » littéraire s’appliquera à fourbir de grinçantes caricatures des espoirs utopistes plutôt qu’à en fredonner la rengaine « démodée ». Et, qui refuse de s’inscrire à ce dépitant karaoké peut s’attendre à voir la machinerie spectaculaire s’appliquer à le ridiculiser pour défendre ses aveuglantes vessies cathodiques.

Il faut donc, pour parler sincèrement de révolution, partir d’un certain dégoût et même d’un écoeurement, d’une forte envie de « gerber ».

Qu’on ne se méprenne pas : Bien sûr, nous sourions et rions volontiers aux mises en scènes ironiques des velléités de changer le monde dans lesquelles notre jeunesse à généreusement donné, hier. La gravité est toujours l’armure des pédants et la sincérité répugne évidemment à l’endosser. Mais nous ne sommes pas stupides au point de ne pas voir que les ricanements désabusés, en « relativisant » tout ce qu’il y avait de généreux dans notre élan, prêtent la main à l’entreprise malsaine qui cherche à tuer cet élan par la bouffonnerie.

Après avoir bien ri de nos travers et de nos tics comiques, de nos outrances dogmatiques et de nos certitudes embrouillées, après avoir bien moqué les Saint Just de bistrot et les Guevara germanopratins, force est de constater que tout ce que nous avons voulu changer continue, et notre colère avec.

Il est grand temps de le dire : Nous en avons plus que mal soupé de ces désabusés confortables étalant leurs compromissions de caniches lécheurs dans toutes les antichambres du pouvoir, s’en parant comme d’une toge de « sagesse », apanage d’une « lucidité » qu’il faudrait admettre comme nécessairement désespérante. De « ce désespoir dont on fait vertu. Ce désespoir qui se boit ; se sirote à la terrasse des cafés ; s’édite… et ne demanderait qu’à nourrir très bien son homme[1] ».

Ce désespoir, trop rutilant pour être honnête, on sait qu’il peut, parfois, sans rougir, se faire nonchalamment complice des pires saloperies.

Alors, quel choix avons-nous ? Ricaner avec ça ? Ou dire que nous rêvons toujours d’un monde sur lequel ne régneraient pas la peur et le mensonge, la roublardise et la truanderie, l’oppression et la servitude, la misère et l’aliénation, la torture et les massacres guerriers.

Constatons le sans honte : Après déception des espoirs matinaux, la même envie reste à l’œuvre. L’envie de combattre ce despotisme qui, au nom du pognon roi, asservit les humains et ravage la planète. L’envie d’en finir avec le règne des tyrans, plus ou moins fardés de « démocratie ». L’envie de contribuer à faire une société plus sûrement vivable et agréable.

Certes, à regarder le monde tel qu’il est ces jours-ci, on s’attend plus à une explosion de toutes les barbaries qu’à l’avènement d’une « cité radieuse » (reléguant aux poubelles de l’urbanisme carcéral les bétonneries du Corbusier). On verrait plutôt, tout à l’heure, cette société sombrer dans son cloaque, s’étouffer des poisons qu’elle disperse à tous vents, s’étrangler dans les camisoles qu’elle passe à l’humain, mourir des haines qu’elle excite entre tous ses malheureux locataires.

Mais, alors même que tout invite au pessimisme, à commencer par les pénibles militants « révolutionnaires » engoncés dans leurs jargonneries indigestes et leurs incurables sectarismes, il faut répéter, avec Eduardo Galeano[2], que l’espoir fait vivre et peut même parfois faire gagner une vie meilleure pour peu qu’il s’accompagne de volonté.

À ceux, nombreux, qui m’objectent que le plaisir révolutionnaire a souvent été bref, et payé de grandes douleurs ; que les paradis des hommes libres, leurs collectivités, communes, soviets, n’ont jamais duré longtemps et ont toujours fini dans les affres, j’ai coutume de répondre que le Quilombo dos palmares, cette république d’esclaves s’étant libérés, a duré plus de cent ans, ce qui me semble déjà pas mal. Plus près de nous, les communautés zapatistes du Chiapas tiennent depuis plus de dix ans et certaines coopératives autogérées d’Argentine depuis quelques années. Mais aurait dit Istrati[3], un seul jour libre, c’est déjà mieux que toute une vie humiliée.

D’ailleurs, qu’importe si vouloir faire une révolution c’est essayer de labourer la mer[4]. Il n’est pas nécessaire d’être optimiste pour n’être pas du parti des requins, des hyènes et des cloportes. Il n’est pas nécessaire d’être l’archange Michel certain de terrasser le dragon pour être révolté par les crapuleries de nos califes et s’insurger contre leurs diktats.

L’envie de révolution se moque de tout calcul sur ses chances de succès. Elle ne suit pas un « plan de carrière ». Elle est le réflexe logique et sain de vouloir sortir du cachot, même si on doit y user toutes ses forces, même si c’est « utopique ». Elle est l’envie que le monde soit à la hauteur de nos rêves : Du pain et des roses sans mesure, le lait et le miel du paradis, sur terre, pour les vivants, nom de dieu !

De plus, ce n’est pas à nous qu’on fera le coup de l’impossible. Nous savons ce qui peut être. Nous l’avons vécu ce moment où la vie bouleverse tous les pronostics et ou l’élan des humains ressemble à la déferlante qui découvre sous les pavés la plage et redessine en un instant les contours du monde.

C’était un mois de mai… Vous avez dû en entendre parler. Nous avons vu, en un rien de temps, le peureux devenir audacieux, le crédule s’illuminer de lucidité, l’apathique soudain fougueux de volonté. Nous avons vu les tuniques de Nessus de la soumission jetées aux orties, les désirs se voulant réalité, les paralytiques se levant pour danser, mieux que dans la Bible car sur un rythme de rock endiablé. Nous avons vu des monstres changés en baudruches, des dinosaures transformés en libellules, et les poules ayant des dents, aussi charmantes qu’acérées.

Tout ce qui semblait immuable la veille était mis en question. La parole, émancipée de ceux qui habituellement l’accaparaient, ouvrait la porte à l’audace. Les mille débats spontanés qui agitaient les rues, les places et les bâtiments occupés réduisaient à néant le pouvoir hypnotique des saltimbanques de la politique et des ténors de la « pensée » servile, démontaient les carcans hiérarchiques et rôles sociaux qui maintiennent divisés et menottés. L’imagination osait se débrider avec l’impression que ça pouvait enfin servir. Les idées se frottant les unes aux autres allaient nourrir des gestes dont aucun Lénine n’aurait pu donner l’ordre. D’ailleurs, les professionnels de l’agitation militante erraient là dedans incrédules et complètement largués. « On ne renversait pas l’État, on le laissait tomber [5]. » . Dans les usines et les bureaux en grève, dans les écoles et dans les hôpitaux, dans les gares et les ports, dans les lieux « publics » repris par le public, on détricotait les mailles de l’ordre camisole et on commençait à construire une autre société, à réaliser l’utopie.

Par quelle bizarre alchimie en était on arrivé là ? Par ce mouvement qui prend toujours au dépourvu les despotes et leurs sbires : l’irruption soudaine, au grand jour, d’une révolte ayant longtemps mûri dans l’ombre. Pas un complot, non : l’explosion du « ras le bol » hors des galeries de la vieille taupe chère à un subversif d’antan (dont la barbe n’avait rien d’intégriste).

La bombe, chargée des humiliations mâchées et remâchées, des méfaits subis, des coups reçus, avait pété d’un seul coup en une émeute qui avait fait reculer les hordes matraqueuses de l’État. Et la barricade avait fermé la rue et ouvert « la voie ».

Et la joie, tranquille mais immense, de se sentir enfin maître de sa vie, responsable de ses actes et de leurs conséquences, « décideur » de son avenir, allait faire de ces jours ceux qui, de toute notre vie, nous sembleraient les plus beaux, et dont nous pleurerions la perte, au point même, pour certains, de ne pouvoir y survivre.

C’est d’ailleurs ce bonheur d’avoir pu jouir d’un tel orgasme de l’Histoire qui, plus encore que la peur qu’ils ont ressentie, est cause de la haine féroce que nous vouent nos ennemis depuis ce temps ; la cause de leur vindicte inextinguible.

Nous avons baisé avec l’éternité. Voilà ce qu’ils ne nous pardonneront jamais les petits hommes aux tristes pouvoirs. Voilà ce qui les a vexés et enragés contre nous, nos seigneurs chagrins. Voilà la cause de leur très bilieuse jalousie : Tous ces roublards au machiavélisme besogneux, tous ces Talleyrand aux bas de soie filés, tous ces fourbes tacticiens se rêvant Pharaons, tous ces tâcherons nabots se voulant Napoléon, finissent toujours, malgré leurs gesticulations fort médiatisées, par être contraints de se rendre compte qu’ils ne passent au guignol de l’Histoire que comme marionnettes interchangeables du show-biz démagogue, voués à être oubliés au rythme ou les peuples oublient les ministres, c’est-à-dire : plutôt vite. Ils doivent tôt ou tard encaisser la déplaisante évidence que leurs rêves de gloire s’achèveront au mieux en notules jamais consultées des manuels d’Histoire en marge desquels les écoliers gribouillent leurs rêves de grande récré. Et voilà qu’à nous, qui nous moquions de la postérité comme des mirages de la « réussite sociale » ; qui n’avions ni science ni goût de l’intrigue ; qui n’avions suivi aucune grande école de filouterie ni étudié l’art de l’arnaque politicarde, l’Histoire a ouvert grand ses bras, et le reste, « et le mois de mai ne reviendra jamais, d’aujourd’hui à la fin du monde du spectacle, sans qu’on se souvienne de nous [6] ».

Ils nous ont vaincus ensuite, c’est vrai. Et se sont empressés de reprendre et conforter le pouvoir qu’ils avaient momentanément perdu. Chaque jour leur joug se renforce en s’équipant de techniques « de pointe » d’autant plus efficaces qu’elles avancent grimées d’alibis démocrates et « libéraux ». Chaque jour, leur arrogance nous insulte un peu plus et se repaît de notre impuissance apparente.

Et nous nous sommes bronzé le cœur pour survivre dans cette jungle aux arbres à paillettes transgéniques où rôdent les prédateurs encravatés. Mais ils auront beau nous assommer de leur « réalisme » invitant à toutes les résignations, ils n’arriveront pas à nous convaincre que notre « utopie » avait tort. Nous avons touché sa réalisation possible. Nous avons tenu dans nos doigts cette félicité, fugace, mais suffisamment forte pour laisser à jamais son empreinte.

Nous nous souviendrons jusqu’à notre mort d’avoir vécu brièvement comme nous aurions voulu vivre toujours ; comme tous devraient pouvoir vivre toujours. Rien ne nous dissuadera de vouloir retrouver cela, ne serait-ce qu’un instant.

Nous sommes donc toujours prêts à embarquer sur la Santa Maria de la révolution, quelle qu’en soit l’apparente fragilité et l’hasardeuse destination.

Mais, quelle révolution ? Demandez vous. Eh bien, toujours la même, comme dit Burt Lancaster dans un délicieux western où les seins de Claudia Cardinale bombent l’écran : Les bons contre les méchants. Mais pas les bons « boys » du sultan Bush contre les méchants barbus d’Al-Caïda (ou vice-versa selon l’angle de tir). Non. Les méchants : ceux qui mentent, trompent, grugent, volent, asservissent, enchaînent, frappent, torturent, massacrent, détruisent, pour tirer un profit égoïste de leurs exactions. Les bons : ceux qui luttent contre tous les rapports qui avilissent l’humain ; ceux qui veulent une société de bien être et de plaisir pour tous, fondée sur la liberté de chacun.

« Mais c’est une vision grossièrement manichéenne ! » ne manqueront pas de hurler ceux qui aiment invoquer la « complexité » des relations humaines pour justifier leur résignation à l’ordure régnante. Oui. Mais si presque tous les humains ne sont réellement ni anges ni démons et vivent (comme le capitaine Haddock) constamment tiraillés entre ces deux tendances opposées, il n’en demeure pas moins vrai que leurs choix de s’orienter vers l’une ou l’autre manière d’être, vers l’un ou l’autre « parti », déterminent ce qu’ils vivent. Plus ils penchent d’un côté, moins ils risquent de tomber dans l’autre. Le grand philosophe La Palice n’est pas le seul à l’avoir constaté.

Quelle révolution ? Lambert et ses copains prennent leurs tracteurs pour aller porter à manger aux grévistes occupant l’usine de Sud-aviation ; Spartacus prête un glaive à Rosa Luxembourg ; Icarie s’installe en Catalogne ; Théroigne fesse Robespierre ; Rimbaud met la main au panier de Bretonw ; Varlet charge le chassepot de Varlin ; Bakounine pardonne à Marx ; Makhno chevauche avec Zapata ; Louise Michel offre une plume à Emma Goldman ; Pelloutier dépanne Mühsam ; Les conseils ouvriers de Budapest vengent ceux de Turin ; Pouget libère Sacco et Vanzetti ; Frantz Jung paye une chopine à Darien ; Khayyam trinque avec Sylvain Maréchal à la mort de tous les dieux ; Wei Jingsheng trinque avec La Boétie et Chalamov à la destruction de tous les cachots ; les portugais du 25 avril accrochent des œillets aux fusils crosse en l’air des lignards du 17 ème ; à Craonne on chante Le temps des cerises ; les Sans-terres serrent la pogne des Diggers et des Levellers ; les Aarchs de Kabylie reprennent l’exigence des Piqueteros d’Argentine : « Que se vayan todos » ; Solidarnosc salue Kronstadt en programmant la république autogérée ; à la Croix-Rousse les Canuts offrent à Autin-Grenier l’orchidée noire de l’anarchie[7] et Durruti l’en félicite ; à Moscou et à Londres on danse à l’annonce de la prise de La Bastille ; rue Gay Lussac, les seins de Marouchka dressent la plus ardente des barricades ; à Gênes Carlo Giuliani danse avec ses copains et copines sur les ruines du G8.

Quelle révolution ? Pas celle qui commencera demain. Pas celle du « grand soir ». Celle qui, parce qu’elle est la boussole de la vie quotidienne, rend l’existence plus exaltante.

« Si nous vivons, vivons pour marcher sur la tête des rois », ce précepte Shakespearien élogieusement salué par Debord n’est pas un programme pour l’avenir, mais le fondement d’un savoir-vivre quotidien. Non pas, certes, celui qui fait accéder aux palaces, sauf, rarement, au Palais d’Hiver ou aux Tuileries sous la mitraille. Non pas, non plus, celui qui rend la vie plus aisée. Mais celui qui mène loin des lieux où l’on rampe pour « s’élever » ; où il faut avaler des crapauds à longueur de journée pour trouver la vie supportable ; où l’on se contraint à « perdre sa vie à la gagner ».

C’est le principe qui met à l’abri de bien des soucis idiots et des compétitions stupides ; qui permet d’éviter bien des danses de canards se dandinant vers l’abattoir et bien d’autres « On à gaaaagné ! » vomitifs. C’est aussi le principe qui fait des amitiés fortes et des vies pleines, qui n’ont pas peur de se regarder dans la glace, même quand elles ont une gueule déglinguée par toutes les bacchanales et tous les deuils d’une existence.

Alors franchement, rien à foutre que la révolution ça ne soit pas très « tendance » !

Hasta l’Utopia ? Siempre !

 

Capture d’écran 2014-11-09 à 10.52.38 Gérard De Mai

Février 2005-Juillet 2006.

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[1] Laure (Colette Peignot), « D’où viens tu ? », 1938, Reproduit dans Écrits, Change Errant, 1976.

[2] Eduardo Galeano, Sens dessus dessous, l’école du monde à l’envers, Homnisphères, 2004.

[3] Panaït Istrati, dont les œuvres viennent heureusement d’être rééditées en trois volumes par les éditions Phébus.

[4] « Celui qui sert une révolution laboure la mer », Simon Bolivar, Lettre à Juan José Florès, 9 novembre 1830, cité par Patrick Deville dans Pura Vida, Seuil, 2004.

[5] Tocqueville, Souvenirs (de la révolution de 1848), 1850

[6] Guy Debord, Film La société du spectacle, Œuvres cinématographiques complètes, Champ Libre, 1978.

[7] Lisez L’éternité est inutile, L’arpenteur, 2002.

La grève étudiante québécoise générale et illimitée : quelques limites en perspective (2012)

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’annonce d’une hausse de frais de scolarité dès la session d’automne 2012, par le gouvernement libéral de Jean Charest, a été le coup d’envoi d’une riposte étudiante à la mi-février. L’État veut augmenter les frais de 75% en 5 ans et 180 000 étudiant-e-s (carrés rouges) sortent en grève générale illimitée (GGI). Après une négociation qui a avorté, cette même hausse est passée à 82% en 7 ans. La réplique étudiante s’est corsée et l’entente fut rejetée à l’unanimité par toutes les assemblées générales des associations en grève. Le gouvernement s’appuie alors sur les étudiant-e-s réactionnaires (carrés verts) qui demandent des injonctions et impose aux administrations de régler localement la crise qui se pointe à l’horizon. Les injonctions sont défiées. La répression et la judiciarisation sont au bout du bâton. Le premier ministre Charest est interpellé par les juges, les policiers, les administrations, etc., car le mouvement étudiant ne respecte pas ni la loi, ni les injonctions. Depuis le 18 mai, le gouvernement a cru bon faire adopter une loi spéciale, la Loi 78, afin de mettre fin à la grève et au conflit. L’effet contraire se produisit ; une crise sociale éclate alors. Seule la Classe (Coalition large de l’ASSÉ – Association pour une Solidarité Syndicale Étudiante) invite la population à désobéir à la loi. Les syndicats, la FEUQ et la FECQ préfèrent la lutte juridique à laquelle participe aussi la Classe. Devant une masse de gens de tous âges, qui à tous les jours manifestent illégalement partout au Québec, et une perturbation économique qui risque de faire perdre le Grand prix entre autres, sous la pression de la Chambre du commerce, des propriétaires des événements d’été, du Service de police de Montréal, etc., Charest invite les associations étudiantes nationales à s’asseoir et à renégocier. Dès en partant, cette quatrième fausse tentative de la part de l’État est vouée à l’échec.

Ce texte ne cherche pas tant à faire un bilan de la situation, mais à relever certains moments critiques qui ont donné l’orientation à la situation actuelle. Il veut apporter quelques informations et réflexions pour les camarades à l’extérieur du Québec sur l’apport et les limites de la GGI dans sa propre lutte et dans les luttes sociales à venir. C’est pourquoi, nous nous proposons de dresser la table des instants qui nous semblent porteurs d’espoir et des éléments que nous questionnons. Il sera question d’observer la radicalisation de la lutte par l’action directe, la soumission du {syndicalisme de combat} à l’agenda gouvernemental et la réponse citoyenne au régime démocratique resserré. Précisons enfin que nous sommes partie prenante de cette lutte à la base, soit comme étudiantes (en cycle supérieur universitaire, en technique collégiale) ou en soutien extérieur non-étudiant.

 

  1. Une grève, un conflit et un affrontement

Si les votes de grève parlent d’eux mêmes, car les étudiant-e-s ne veulent pas de la hausse des frais de scolarité, il faut quand même noter que les mandats de grève, quoique impressionnants, cachent toutes des clauses qui permettent à une partie de la population étudiante de continuer certains cours ; stages, dépôt et soutenance de thèses, etc., parfois laissant croire que le mandat de grève est souvent une passoire. Les carrés rouges sont prêts depuis longtemps et Montréal sera le terreau de cette grève.

En plus des votes de grève de base, une frange d’étudiants-tes plus militants, issue des associations étudiantes, des milieux gauchistes et anarchistes vont, par leur activisme, donner le ton au mouvement, ils impulsent ce qui deviendra « la révolte étudiante ». Pour eux, ça va plus loin que la hausse des frais de scolarité. C’est la marchandisation de l’éducation qu’ils mettent en cause et en radicaux conséquents, certain-e-s vont à la racine du problème : le capitalisme.

Dès le début de la grève, fin février, cette frange décide d’appeler à faire des perturbations économiques « symboliques » disent-ils et elles, pour rendre plus visible la contestation. Cela consiste essentiellement à faire des manifestations étudiantes sur des sites qui représentent la classe capitaliste, ou d’en bloquer les accès le temps que la police anti-émeute les déloge. Pas besoin de tract, les lieux visés parlant d’eux mêmes. Les actions sont souvent créatives et teintées d’humour. Elles se différencient des formes habituelles. Par exemple, les maNU-festations Québec Mai 2012 illustrent, par la nudité, le besoin de transparence et les conséquences de la hausse, la manif appelée le « grand charivari » pour défiler déguiser, s’amuser et défier le fichage policier. Il y a eu aussi « l’ Ostie de grosse manif » appelée le 25 avril à 20h30 qui a marqué le démarrage des manifestations de soir. Même si ces marches de soir ont débuté avec plusieurs milliers de personnes et qu’il en reste seulement quelques centaines et parfois moins, deux mois après, on ne peut qu’en apprécier la ténacité et le caractère offensif. La tentative de perturbation du port de Montréal était plus classique, mais chaque jour, une nouvelle idée éclot. Cela a été aussi la convergence de luttes plus spécifiques, comme des féministes qui défilaient sur le site du grand Prix de Montréal, au milieu des bourgeois, avec un vibrateur géant, une autre maNu-festation affirmant les beautés de la diversité physique sans égard au modèles promus par le patriarcat, ou la manifestation contre le « Plan Nord » (plan économique du gouvernement pour le développement du grand nord québécois). Ce fut d’ailleurs un affrontement manifestant /police particulièrement marquant. Même si ce n’est pas l’affrontement avec la police qui est le but, les étudiants qui appellent à ce genre d’actions ne sont pas naïfs et la répression fut des plus féroce. Les camps sont davantage antagonistes et le rapport de force se construit.

La démonstration de force du gouvernement basée sur la peur et l’intimidation veut casser le mouvement à ses débuts. Les exactions policières se multiplient. Les manifs sont rapidement déclarées illégales et sont suivies de lacrymogènes, balles de plastiques, grenades assourdissantes et cavalerie, sans oublier les flics à vélo qui se mettent aussi de la partie. Parallèlement et petit à petit, le conflit est judiciarisé par des injonctions pour forcer la reprise des cours dans certains établissements. La police entre sur les campus pour les faire respecter. Les étudiant-e-s défient les injonctions en faisant des lignes de piquetage dures. Il y a des affrontements et des arrestations dans les universités même ; étudiant-e-s et professeur-e-s en larmes, en colère, arrêtés, blessés, etc. C’est un échec pour l’État, les professeur-e-s refusent d’enseigner et les recteurs ferment pour cause de sécurité. Il y a des blessés-es graves, les interpellations et arrestations sont au nombre d’environ 4 000 depuis 4 mois, les accusations vont de l’attroupement illégal, blocage de la circulation, méfaits, entrave au travail de la police jusqu’à « faire craindre à des actes terroristes » (reliquat de le dérive sécuritaire post 11 septembre 2001) où certains-ne-s risquent plusieurs années de prison. Les blocages de pont et les perturbations des lignes de métro (fumigènes et pavés sur les voies) représentent les limites de ces perturbations économiques. Les travailleurs et les travailleuses regardent d’un oeil sympathique le blocage de la circulation dans le centre ville, autour de la bourse mais ne les acceptent pas en général, quand c’est leur tour. Ils ne sont pas prêts [à] arriver en retard à leur job. Le blocage des voies d’accès aux banlieues semble poser le problème de qui est visé : le travailleur ou le patron ? L’économie étant un argument trop abstrait dans ce cas.

 

La confrontation est réelle

La propagande étatique est lancée. Surpris par la riposte étudiante et l’échec de la répression de la première heure, le gouvernement pousse à faire croire que Montréal est le théâtre d’émeutes, pour quelques vitrines brisées par des étudiant-e-s en colère. Qu’il n’y aurait que de gentil-le-s manifestant-e-s infiltré-e-s et détourné-e-s par des casseurs anarchistes. Une atmosphère de peur pour mieux faire régner l’ordre. De plus lors du Congrès du parti libéral et de ce qu’on a appelé « l’émeute de Victoriaville », on ne peut pas s’empêcher de se demander pourquoi un chantier de construction a été laissé à la portée de manifestant-e-s ou à peine protégé par de simples barrières. Est-ce que l’État aurait un intérêt à envenimer le conflit pour justifier sa répression et stigmatiser l’image de certain-e-s étudiant-e-s en « black bloc » présentés par les média sous l’angle des professionnels de la casse. Était-ce aussi une manière pour le parti Libéral de montrer à son électorat qu’il pourrait ultérieurement faire régner l’ordre ?

Au même moment que les étudiant-e-s sont condamnés, par les médias, pour « leurs actions violentes » et taxés de « casseurs » par ceux-ci, le nombre de grévistes augmente lui de jour en jour. Le milieu étudiant est en ébullition et il y est beaucoup discuté de l’action directe menée par cette frange radicale. Les manifestant-e-s se font matraquer et arrêter par la police anti-émeute, mais où est l’émeute ? Pour certain-e-s, c’est l’euphorie et l’adrénaline. Pour d’autres, c’est la peur. Des bancs d’école, on passe à l’école de la rue. Un mois et demi après les premiers votes de grève, dans les AG, les revendications se multiplient. La grève a été déclenchée contre la hausse des frais de scolarité, maintenant c’est aussi contre la répression policière et pour la riposte. La gratuité scolaire est réclamée pour une société plus juste. La lutte est antisexiste, les jeunes femmes sont dans les prises de paroles et aussi la roche à la main. Dans les associations étudiantes les plus radicales, on parle et on se réclame du syndicalisme de combat. L’énergie d’une jeunesse loin d’être d’accord sur tout, fait l’unité et reconduit la grève. Des étudiant-e-s qui étaient contre la grève au début sont indignés-es par la réaction du gouvernement et sont maintenant en faveur de la grève. Et la vitesse de regroupement lors des manifestations est exceptionnelle. Les médias sociaux permettent aux manifestant-e-s de se retrouver en quelques heures. Le site d’une des fédérations étudiantes, la CLASSE, est ouvert à toutes et tous pour appeler à une manifestation. Le calendrier de ce site pouvait contenir jusqu’à une dizaine d’actions, manifs par jour. On a le choix des armes.

« La grève est étudiante, la lutte est populaire »

Malgré ce slogan que l’on a pu lire sur les murs de la ville et sur des tracts, la grève étudiante est restée relativement isolée pour la majorité du temps malgré les manifs monstres qu’elle a suscitée. C’est les militant-e-s les plus radicaux, inspiré-e-s par la récente victoire étudiante chilienne, le mouvement des indignés et le printemps arabe, qui ont instauré le rapport de force du mouvement, même s’ils représentent une petite partie des grévistes, c’est bien avec le soutien de la base que tout s’est construit. À un mois et demi du début du conflit, les trois fédérations étudiantes nationales mobilisent beaucoup de gens lors de la première manifestation nationale du 22 mars (200 000 personnes) mais les revendications retenues pour les négociations sont faibles par rapport à celle de la rue. Toutes se sont entendues sur un gel des frais de scolarité et la tenue d’états généraux sur l’éducation. La Classe revendique, à long terme, la gratuité scolaire, ce qui n’est pas le cas des deux autres fédérations, FECQ (La Fédération étudiante collégiale du Québec), la FEUQ (Fédération étudiante universitaire du Québec). En somme, une si grande grève et tant de mobilisations risquent de rapporter très peu.

Le 22 avril, 300 000 personnes dans les rues de Montréal. Le 22 mai c’est encore plus énorme, certains disent 400 000, alors que le gouvernement venait de sortir sa loi bâillon (loi 78). En clair, la résistance qu’on peut qualifier de citoyenne est dans la rue. Les organisations se font déborder, plus de parcours, les manifestant-e-s sont partout. Ça sera le chant du signe avant les vacances. Cent jours de grève ça épuise, le nombre de gréviste reste à 180 000. Le 22 juin 100 000 personnes sont encore dans les rues, beaucoup d’étudiant-e-s ayant rejoint les régions pour aller travailler durant les vacances. Dans les AG, ont se souhaite bonnes vacances et on se redonne rendez-vous pour la rentrée qu’on se promet chaude sur les lignes de piquetage.

  1. La soumission du syndicalisme de combat au planning gouvernemental

Nous défendons l’idée selon laquelle à partir du moment qu’une organisation, notamment syndicale étudiante, cherche un terrain de négociation avec le gouvernement, elle se prête au jeu des compromis et finit donc par se plier aux conditions de négociation. C’est le cas de la Classe qui s’est jointe aux quatre rencontres de discussion avec la ministre de l’éducation et les deux autres associations nationales. Deux de ces rencontres retiennent en particulier notre attention, soit la première, celle du 22 avril et la deuxième, celle en présence des chefs syndicaux, du président des cégeps et des recteurs des universités. Lire la suite

La grande misère du républicanisme critique, par André Dréan

On trouvera ci-dessous un texte d’André Dréan qui répond à un article d’Alain Brossat publié dans le journal anticarcéral L’Envolée (« La peine infinie », n° 18, novembre 2006, pp. 17-20).

Il m’a semblé utile d’élargir sa diffusion alors (septembre 2010) que le républicanisme critique manifeste une poussée aiguë, que des organisations de gauche et d’extrême gauche, sans parler du journal Libération, entonnent des hymnes à la République, à la Nation et à l’ordre social afférent.

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La grande misère du républicanisme critique

Lors de la manifestation du 4 septembre 2010 contre la « xénophobie d’État », l’une des redondances à la mode chez les « démocrates critiques », l’ARAC ou (prenez votre souffle !) Association républicaine des anciens combattants et victimes de guerre, des combattants pour l’amitié, la solidarité, la mémoire, l’antifascisme et la paix (je vous ai épargné les capitales) déclarait dans un tract : « L’Arac ne peut se taire et laisser faire ce qui conduit à mettre la paix civile en péril »…

Un tract anonyme, intitulé « Bla bla bla…» lui répondait (et à un vieux chant révolutionnaire) par une question tout à la fois impertinente et bien venue : « À quand la fin des Républiques, de la Justice et du Travail ? »

Le militant Paolo Persichetti à la situation duquel était consacré l’article de M. Brossat a été condamné par contumace à vingt-deux ans et demi de prison en 1987 par un tribunal italien, pour actes de terrorisme. Arrêté en France, où il enseignait, en 2002, et livré à la Justice italienne, il est libérable en 2017. En 2006, l’équivalent local de la Juge d’application des peines chargée de son dossier, Albertina Carpitella, refusait de lui accorder une permission de sortie.

À l’occasion de la énième péripétie de « l’affaire Persichetti », Alain Brossat a noirci quelques pages dans le dernier numéro de « L’Envolée », sous le titre « La Peine infinie », censées dévoiler les traits caractéristiques de l’actuel système pénal et pénitentiaire. Mais ce que cet article révèle, ce sont les illusions que l’auteur entretient sur la nature même de la République. À savoir l’État dont les fondations, en particulier dans l’ordre de la représentation, ont été posées au cours de la période ouverte par la Renaissance et qui a culminé avec les Lumières. Époque d’ascension au pouvoir de la bourgeoisie, à l’ombre des monarchies administratives, dont les maîtres à penser sont Bodin, Hobbes, Locke, Montesquieu, Rousseau et Bentham, pour ne citer que les noms les plus connus en Europe. Le marquis Beccaria lui-même, que notre philosophe de Paris VIII appelle à la rescousse, à la suite de Negri, pour stigmatiser ce qu’il considère comme la remise en cause de « l’utopie pénitentiaire » issue de la révolution bourgeoise, fut l’un des idéologues de l’État moderne, véritable main de fer sous le gant de velours de l’aristocrate libéral, à la fois économiste, criminologue et moraliste. Comme Alain Brossat n’est, par malheur, pas le seul à repeindre sous des couleurs pastel l’histoire gorgée de sang de la domination du capital, sous prétexte d’en signaler les taches qui, aujourd’hui, en maculent le tableau idéal, il n’est pas inutile de revenir sur la généalogie de l’institution qui en est la protectrice, fondée sur le principe de la souveraineté du peuple. Le lecteur l’aura compris : mon objet n’est pas de nier les particularités de la domination modernisée mais de rappeler des banalités de base afin d’en entamer la critique générale. Le même lecteur m’excusera de la profusion de citations. Mais elles sont bien plus parlantes que bon nombre de commentaires et montrent à quel point les héritiers de Foucault, qui connaissent pourtant leurs classiques, peuvent parfois être frappés d’amnésie. Enfin, je ne saurais trop conseiller la lecture du principal ouvrage du marquis milanais, partisan des Lumières, « Le traité des délits et des peines », à ceux qui veulent savoir d’où provient le despotisme pénal et pénitentiaire que nous voyons aujourd’hui fleurir sous le drapeau de la démocratie d’État.

De prime abord, ce qui frappe « d’effroi » Alain Brossat, c’est que la juge d’application des peines de Viterbe maintienne Persichetti en cellule sous prétexte qu’il « n’a pas manifesté suffisamment de signes de repentance », « ne s’est pas assez explicitement dissocié de la position politique qui fonda les prises d’armes révolutionnaires dans l’Italie des années 1970 », etc. En d’autres termes, elle continue de le considérer comme l’un des ennemis potentiels de l’État, bien qu’il soit embastillé dans l’une des prisons les mieux verrouillées d’Italie et, par suite, incapable de participer à quelque « prise d’armes ». Alain Brossat analyse la décision de la juge comme l’exemple même du « retour vers les peines obscures dénoncées en leur temps par Beccaria ». En France, c’est toujours la même histoire avec les philosophes d’obédience républicaine : ils prennent la représentation avantageuse que la domination donne d’elle-même pour la réalité. Lorsque, dans des circonstances hors du commun ou présentées comme telles, elle apparaît sous la forme la plus brutale pour ce qu’elle est en dernière analyse, à savoir la coercition sans phrase exercée au nom de la raison d’État, ils y voient la violation des bases mêmes de la souveraineté du peuple, et donc du corpus de lois qui en découle. Face à l’apparition de Léviathan, le monstre étatique sorti des entrailles de la société bourgeoise, ils n’en croient pas leurs yeux et leurs oreilles et ils y détectent quelque « rechute » dans l’arbitraire propre à l’absolutisme d’antan.

Pourtant, Hobbes, dans « Le Citoyen ou les fondements de la politique », rédigé en pleine révolution anglaise et contre celle-ci, révèle avec la plus brutale franchise en quoi consiste le principe de la domination moderne qu’il appelle de ses vœux, domination basée sur le pacte par lequel les membres de l’État aliènent leur liberté individuelle au nom de leur sûreté collective, l’absence de contrainte étant synonyme chez lui de guerre de tous contre tous et de chacun contre lui-même. « Pour ce qu’en vertu du contrat, par lequel les citoyens se sont obligés l’un à l’autre d’obéir à l’État, c’est-à-dire à la souveraine puissance et de lui rendre obéissance générale […], naît l’obligation particulière de garder toutes et chacune des lois civiles, que ce pacte comprend toutes ensemble. Il est manifeste que le sujet qui renonce à cette générale convention de l’obéissance renonce en même temps à toutes les lois de la société civile. Ce qui est crime d’autant plus énorme que quelque autre offense particulière (…). C’est là proprement le péché qu’on nomme crime de lèse-majesté, que je définis comme l’action ou le discours par lequel tel citoyen ou tel sujet déclare qu’il n’a plus la volonté d’obéir au prince ou à l’assemblée que l’État a élevée à la souveraineté, ou dont il lui a commis l’administration […]. D’où je tire cette conséquence, que les rebelles, les traîtres et les autres convaincus de crime de lèse-majesté, ne sont pas punis par le droit civil, mais par le droit de nature, c’est-à-dire non en qualité de mauvais citoyens, mais comme ennemis de l’État et que la justice ne s’exerce pas contre eux par le droit de la souveraineté, mais par celui de la guerre. » Et d’ajouter ailleurs : « Dans l’état de nature, il ne faut pas mesurer le juste et l’injuste par les actions, mais par le dessein et la conscience de celui qui les pratique. »

Rousseau, dans le « Contrat social », ne dit rien d’autre lorsqu’il affirme : «Quiconque attaque le droit social devient par ses forfaits rebelle et traître à la patrie, il cesse d’en être membre en violant sa loi et même il lui fait la guerre. Alors la conservation de l’État est incompatible avec la sienne, il faut que l’un des deux périsse et quand on fait mourir le coupable, c’est moins comme citoyen que comme ennemi. Les procédures, les jugements sont les preuves et la déclaration qu’il a rompu le pacte social et, par conséquent, qu’il n’est plus membre de l’État (…).  Cet ennemi n’est plus personne morale et c’est donc le droit de la guerre que de tuer le vaincu.»

Beccaria, enfin, monté au pinacle par les citoyennistes pour la « douceur » des peines qu’il propose, va dans le même sens que ses prédécesseurs, comme Hobbes, et que ses contemporains des Lumières. Après des préambules de la veine de l’auteur de « Léviathan » sur l’origine du pacte social, donc sur la nécessité d’abandonner, au moins en partie, « leur liberté naturelle » afin de « jouir de la paix civile » et de « faire les lois civiles », il souligne, parmi les motifs qui justifient la peine de mort : « Les temps d’anarchie, où les lois se taisent et sont remplacées par le désordre et la confusion, si tel citoyen, quoique privé de sa liberté, peut encore, par ses relations et son crédit, porter quelque atteinte à la sûreté de son pays, si son existence peut produire quelque révolution dangereuse dans le gouvernement, il est, sans doute, nécessaire de l’en priver. Mais pendant le règne tranquille des lois, sous la douce autorité du gouvernement formé et approuvé par les vœux réunis des peuples […], bien défendu au dehors et soutenu dans son intérieur par la force et par l’opinion […], quelle nécessité d’ôter la vie au citoyen ? » Évidemment, lorsque la peine capitale n’est pas nécessitée par la raison d’État, il est inutile de l’appliquer. Voilà en quoi consiste la sagesse du criminologue des Lumières. Lire la suite

Après Bruxelles, c’est pas la frite ? par Gédicus (2013)

Les opposants au projet d’aéroport de Notre Dame des Landes, qui s’étaient rendus à Bruxelles dans l’espoir d’être entendus et compris par les instances de ce « parlement » européen, en reviennent déçus. Bruxelles a botté en touche dans une magnifique langue de bois poli, ayant l’air de ménager la chèvre et le loup pour laisser à ce dernier la possibilité de mordre comme il veut.

Aussitôt, les propagandistes défendant ce projet pharaonique ne s’y trompent pas et crient victoire : « Bruxelles valide le projet » titre le journal Ouest-France, appuyant sans hésiter les déclarations des barons du béton.

Ceux qui avaient eu la naïveté de croire que les politicards de Bruxelles, ardents croisés du capitalisme et défenseurs de tous ses projets prédateurs, allaient tirer contre leur camp, font grise mine. Ils ne devraient pourtant pas être surpris. Depuis le début de cette lutte tous les recours administratifs se sont conclus au détriment des opposants. Les loups et les hyènes ne se tirent dans les pattes que lorsqu’ils sont en concurrence mafieuse. Mais contre leurs ennemis communs, ils font cause commune. C’est ainsi que la « démocratie » des oligarques européens (Celle qui fait refaire les référendums qui ne lui plaisent pas) désole régulièrement ceux qui sont assez niais pour attendre encore d’elle une quelconque « justice ». Dire qu’elle les désole n’est même qu’un doux euphémisme : Elle leur pisse dessus copieusement mais avec tout le savoir faire du faux-cul qui fait semblant de viser l’urinoir. Il faut avoir beaucoup de foi en la diplomatie pour supporter ça.

Certes, toutes ces objections légales ont servi, en partie, à faire traîner la mise en œuvre des travaux et leurs saccages irréversibles. Elles ne sont donc pas totalement inutiles. Quand on combat un projet il faut savoir faire feu de tout bois. Mais ceux qui ne comptaient que sur ces recours pour arrêter le projet doivent bien se rendre compte aujourd’hui (Espérons-le) de leurs limites.

A l’automne dernier, s’il n’y avait pas eu, lorsque les bulldozers sont arrivés, de forte résistance sur le terrain (dans une magnifique union de paysans et zadistes, d’ « autochtones » et d’ « anarcho-autonomes ») ce terrain serait déjà conquis par les Vincicateurs. Et si cette résistance n’avait pas trouvé d’écho dans toute la France, L’Europe, le monde, elle aurait été écrasée.

Ce qui fera enterrer définitivement le projet d’aéroport, ce ne sont pas les doléances des gentils opposants, c’est encore et toujours, la lutte sans illusions.

Il est temps de reprendre les bottes, les pioches, les pelles et autres instruments. L’automne s’annonce chaud.

Capture d’écran 2014-11-09 à 10.52.38 Gédicus (18 septembre 2013)

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Montage réalisé par l’ami Éric, dont on repère la signature sur le siège de gauche.

“ANTISÉMITISME ET SIONISME”, une brochure de 1900

[Ce texte avait été d’abord publié sur mon site en octobre 2007]

 

C’est à la fin 1891 que naît à Paris le groupe des Étudiants Socialistes Révolutionnaires Internationalistes (ESRI), d’abord de tendance laïque et socialiste. À l’initiative de Jules-Louis Breton, étudiant au Collège de France, Alexandre Zévaès (droit) et Léon Thivrier (médecine), ce sont vingt-cinq étudiants qui se réunissent pour faire pièce à l’influence des associations étudiantes catholiques. Parmi les premiers ESRI, Marc Pierrot, futur médecin et militant anarchiste, collaborera aux Temps nouveaux, journal de Jean Grave, et à L’Encyclopédie anarchiste de Sébastien Faure. Autre figure anarchiste : Maria Isidorovna Goldsmith, docteur es-sciences, amie de Kropotkine ; faute d’avoir été naturalisée française, elle ne pût occuper de fonction en rapport avec ses compétences ; elle collaborera à la presse anarchiste sous les pseudonymes de Maria Corn et Isidine et jouera un rôle décisif chez les ESRI à partir de 1897. Elle s’est suicidée en janvier 1933.

Jean Maitron, qui a publié le premier travail consacré aux ESRI[1], divise la vie du groupe en deux périodes : celle du « pluralisme socialiste », de 1891 à 1893, durant laquelle des étudiants de diverses tendances socialistes, la période anarchiste enfin, de 1894 à 1903. Le groupe organise une bibliothèque et de nombreuses conférences, à usage de formation interne d’une part, publiques d’autre part (sur un rythme mensuel en 1893-1894). Les premières réunissaient une cinquantaine de personnes, les secondes en moyenne cinq cent.

Le groupe réunit, fin 1891, 62 adhérents et 4 adhérentes. Elles sont russes, ils sont 37 Français, 11 Roumains et 11 Russes. Fait remarquable : la majorité (23) étudient la médecine. L’année scolaire 1892-1893, les effectifs tombent à 43, mais les filles sont 6 (4 Russes, une Polonaise et une Italienne). On voit que le qualificatif « internationaliste » ne relève pas de la seule déclamation idéologique : le groupe est international.

En mai 1893, Zévaès et Thiercelin emmènent une partie du groupe former, dans une scission guediste (du nom du socialiste Jules Guesde, qui a formé avec Lafargue le Parti ouvrier français), le Groupe des Étudiants Collectivistes. Restent aux ESRI 12 adhérents et 2 adhérentes (les étudiants en médecine sont toujours majoritaires, mais les Français le sont devenus). Le groupe ira en s’amenuisant et se recentrera sur la rédaction de très nombreuses brochures : 21 entre 1894 et 1901, dont 7 sont l’édition de rapports rédigés pour être présentés au Congrès ouvrier de 1900 (finalement interdit), c’est le cas de Antisémitisme et sionisme que l’on peut lire ci-après. Parmi ces publications, un livre de 174 pages : Comment l’État enseigne la morale.

Marc Pierrot explique comment ces brochures étaient élaborées : « Elles étaient l’œuvre d’une commission et discutées chapitre par chapitre au cours des séances publiques. Cette commission comprenait de 6 à 12 membres. Leur collaboration fut tellement enchevêtrée dans certaines brochures qu’il me serait impossible de dire aujourd’hui quelle fut la part de chacun[2]. »

Maitron considère que le travail théorique des ESRI a été le laboratoire où s’est constitué en grande partie la doctrine du syndicalisme révolutionnaire, alors que la majorité des anarchistes entraient dans les syndicats[3]. Il s’appuie, entre autres, sur les souvenirs de Pierre Monatte, qui fut le dernier secrétaire du groupe, ainsi que sur ceux de Pierrot : « Le mérite du groupe fut d’avoir aidé à dégager les principes du syndicalisme révolutionnaire, au moment même où celui-ci naissait et se développait ». Et Maitron de conclure : « Ils ont mis à profit les solides études politiques et sociales auxquelles ils s’étaient adonnés, pour apporter à la doctrine qui s’élaborait, une formulation plus achevée et ils ont bénéficié, en milieu ouvrier, d’un préjugé favorable résultant du prestige qui s’attachait à leur culture et à leur situation sociale. »

Assez curieusement, le texte Antisémitisme et sionisme ne fait pas mention de l’affaire Dreyfus, alors que l’existence du groupe est à peu exactement contemporaine de cette dernière (1892-1902 pour les ESRI ; 1894-1906 pour l’affaire). On sait que les développements de l’affaire firent beaucoup pour resserrer les rangs des anarchistes, d’abord peu enclins à intervenir dans ce qu’ils considèrent comme une querelle entre militaires, pour la défense de Dreyfus, et surtout contre les antisémites à la Drumont (on se reportera pour la période aux travaux de Philippe Oriol). Cependant, le texte des ESRI montre qu’existait chez certains militants la tentation d’un « antisémitisme révolutionnaire », assez au moins pour mériter une sévère mise au point. On verra que les rédacteurs et rédactrices refusent d’envisager une « question de race », quand bien même ils/elles ne doutent pas de l’existence scientifique de races différentes. On remarquera également que pour ces anarchistes, ce qu’il n’appellent pas la « question juive » se présente sous deux formes également dangereuses, le piège antisémite et le piège sioniste. Cette position peut être difficilement lisible aujourd’hui, surtout si on la considère à l’aune des amalgames partisans entre antisionisme et antisémitisme. Pour les ESRI, la question est assez simple : toutes les pratiques, toutes les idéologies qui divisent les prolétaires et affaiblissent la classe doivent être combattues. Et l’antisémitisme et les « colonies » — on aurait dit dans les années 1970 les « communautés » — sionistes ou anarchistes en font partie.

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ANTISÉMITISME ET SIONISME

 

Le groupe des E.S.R.I. de Paris

Éditions de l’Humanité nouvelle, 15, rue des Saint-Pères, Paris, 1900, 8 p.

 

Rapport présenté au Congrès ouvrier révolutionnaire international (Paris 1900) par le groupe des Étudiants socialistes révolutionnaires internationalistes de Paris.

 

Un socialiste, un anarchiste peuvent-ils logiquement être antisémites ? Doivent-ils même se mêler à un mouvement antisémitique, avec l’espoir de détourner ce mouvement de son but primitif vers un résultat plus conforme à leurs aspirations ? Telle est la double question qu’on a proposé au Congrès d’examiner. Le plus étrange, assurément, c’est que les circonstances nous aient amenées à discuter sur une opinion qui avait pu paraître définitivement écartée. Il y a dix ans, n’importe quel Congrès socialiste ou anarchiste se serait abstenu de perdre son temps dans une pareille controverse : on se serait contenté de rappeler que le prolétariat poursuit l’affranchissement des hommes sans distinction de sexe, de race ou de nationalité. C’était clair, c’était logique, c’était suffisant : aujourd’hui, c’est encore clair et logique, mais il est fort malheureux que ce ne soit plus suffisant. Nous assistons, en effet, à une perversion étrange des traditions de la langue française : nous avons vu naître ou revivre des [démocrates chrétiens] ; on a composé, sans que le bon sens adressât une proposée aux Barbares, le monstre bicéphale appelé [socialiste-nationaliste] ; enfin, symptôme plus grave, l’attitude de certains chefs d’un parti scientifique puissant a pu faire croire que, tout en se gardant d’une alliance avec les antisémites, ils se croyaient tenus de les ménager. Certains de nos camarades même, toujours persuadés qu’il faut se mêler à tout mouvement quel qu’il soit, pour le détourner ensuite au plus grand profit de la Révolution, n’ont pas craint de s’engager jusqu’à un certain point dans cette voie décevante.

Ce que nous voulons faire ici, ce n’est pas une réfutation générale de l’antisémitisme, ce n’est pas montrer que les faits énoncés par les écrivains antisémites sont faux ou dénaturés ; cette œuvre a déjà été accomplie un peu partout et les réfutations sont généralement bonnes, parce que c’était vraiment un travail facile. L’objet de ce rapport est de dire en quelques mots l’histoire de l’antisémitisme en France au XIXe siècle, de montrer quelles gens sont antisémites et pourquoi ils le sont, de se demander si les socialistes et les anarchistes peuvent participer au mouvement antisémite soit dans son intégralité, soit en favorisant les solutions lâches et équivoques, comme le sionisme, soit avec l’espoir que d’une révolution antisémitique naîtrait la Révolution totale.

Après avoir été maintenu pendant dix-huit siècles par l’oppression romaine et chrétienne, le sémitisme fut aboli en 1789 par la déclaration des Droits de l’homme. Il fut ressuscité par Napoléon Ier, cet Italien catholique, superstitieux, fanatique, dont on ne dira jamais assez haut les méfaits. L’œuvre de la Révolution fut d’ailleurs assez durable pour que cette poussée d’antisémitisme prit fin avec l’Empire. Elle reparut sous la monarchie de juillet qui, à beaucoup d’égards, fut plus réactionnaire que la Restauration. Une vague théorie antisémite se fit jour dans le livre de Toussenel : Les Juifs rois de l’époque. Ce livre est de 1836, c’est-à-dire du temps qui sépare Casimir-Périer de Guizot, époque fertile en fusillades de prolétaires, cependant que se constituait en France l’industrialisme moderne. La seconde République eut d’autres préoccupations que de favoriser ou contrarier les Juifs ; sous Napoléon III ils furent trop nécessaires à l’organisation des grandes sociétés modernes de crédit pour qu’on songeât à les persécuter. Vint enfin le régime dont nous jouissons, d’abord dirigé par les libéraux, qui, à côté de défauts innombrables, avaient cette qualité d’être des libéraux conscients. Mais ils furent remplacés, vers 1885, par des opportunistes, et la réaction commença : La France juive , de Drumont, est de 1886. Qu’on nous entende bien : quand nous parlons de réactionnaires et de progressistes, il ne s’agit pas de définir la distance qui sépare M. Méline[4] de M. Bourgeois[5]. Nous donnons au mot réactionnaire un sens beaucoup plus large que celui de conservateur ; il faut tenir compte de l’évolution générale, et il est bien certain que les constituants de 1789 étaient des esprits beaucoup plus hardis que nos radicaux. Il était donc intéressant de constater que tous les mouvements antisémites ont correspondu à des mouvements de réaction, et, si nous sortons de France, nous voyons que le pays ou l’antisémitisme est le plus fort est l’Autriche, c’est-à-dire précisément le pays qui fut pendant tout le XIXe siècle le centre de la contre-révolution, le pays qui garda le plus longtemps le système féodal et qui soutint si énergiquement en Europe ce qu’on a appelé la Politique de Metternich.

Qu’est-ce donc que l’antisémitisme ? Est-ce une question de races ? Les théoriciens qui le soutiennent sont fort embarrassés pour être logiques ; ils parlent d’Aryens et d’Asiatiques et sont dès lors obligés d’être beaucoup plus affirmatifs sur la pureté de race des Aryens que la science n’ose le faire aujourd’hui. Peu nous importe, d’ailleurs, avec le plan que nous nous sommes tracés ici : cette considération de races aurait de l’importance si elle avait un résultat pratique ; mais on ne voit pas bien les populations passionnées par un problème d’ethnographie.

L’antisémitisme est-il une querelle religieuse ? Pour les chefs du parti et surtout pour les chefs occultes, les Congrégations et aussi le Clergé séculier, quoi qu’on en dise, cela est absolument vrai. Mais il est remarquable que ces chefs avouent ressentir pour les Juifs une haine de race, ce qui est faux, même pour eux, et qu’ils se défendent de vouloir ressusciter les guerres de religion, ce qui est pourtant l’exacte vérité. C’est qu’ils sentent bien, en réalité, qu’un mouvement religieux est aujourd’hui très difficile à provoquer en France. Lire la suite

“Trop jeunes pour mourir”, un livre de Guillaume Davranche

arton456-58096Grâce à une souscription qui a rencontré un joli succès (je l’avais signalée sur mon site) l’ouvrage de Guillaume Davranche, Trop jeunes pour mourir. Ouvriers et révolutionnaires face à la guerre (1909-1914) paraît en cette mi-novembre dans une coédition Libertalia & L’Insomniaque.
Trop jeunes pour mourir raconte l’histoire de l’opposition ouvrière à la montée vers la guerre, et notamment celle de sa fraction antimilitariste et « antipatriote » la plus radicale, incarnée par la Fédération communiste anarchiste (FCA), qui menace ouvertement de « saboter la mobilisation ». Animée par de jeunes ouvriers révolutionnaires de la « génération de 1906 », cette organisation était jusqu’ici très mal connue, n’ayant fait l’objet d’aucune étude spécifique.

En suivant le fil rouge de la FCA, ce livre dévoile le contexte de l’avant-guerre, souvent éclipsé par le cataclysme de 1914, et explore le mouvement ouvrier d’alors : son organisation, ses passions, ses fractions, ses controverses, ses petites et ses grandes luttes.

Il fait le récit des grèves des PTT en 1909, du rail en 1910, du bâtiment en 1911, marquées par le sabotage des lignes de communication et par la « chasse au renard ». Il narre les grandes affaires : Ferrer, Aernoult-Rousset, Métivier, Bonnot. Il raconte l’enthousiasme de la FCA pour la Révolution mexicaine, six ans avant la Révolution russe. Il explique la force motrice qu’a représenté l’hebdomadaire La Guerre sociale, adoré puis renié par les révolutionnaires. Il aborde la résurgence de l’antisémitisme et de l’antimaçonnisme en 1911, et les affrontements du Quartier latin.

Le livre explore également une période négligée du syndicalisme révolutionnaire français, alors que l’âge « héroïque » de la CGT (1901-1908) est révolu et que, frappée par l’État, elle se déchire sur la stratégie à adopter. Il pointe la montée des femmes et de la « main d’œuvre étrangère » dans le débat syndical à cette époque. Enfin, dans un climat militariste et belliciste que l’on peine aujourd’hui à imaginer, il détaille la répression contre les syndicalistes et les anarchistes : le retour des « lois scélérates » de 1894, la menace du bagne militaire (« Biribi »), du Carnet B et du peloton d’exécution.

Capture d’écran 2014-11-09 à 10.52.38 L’auteur

Guillaume Davranche (né en 1977) est journaliste et chercheur indépendant en histoire sociale. Il a codirigé le Dictionnaire biographique du mouvement libertaire francophone, dit le « Maitron des anarchistes ». Cette œuvre collective réalisée sous les auspices du CNRS et de l’université Paris-I a paru le 1er mai 2014 aux Éditions de l’Atelier.

1936-1938 Antoine Gimenez, ou la révolution vivante (2008)

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Les Fils de la nuit. Souvenirs de la guerre d’Espagne

Antoine Gimenez & les Giménologues, L’Insomniaque, 558 pages, 16 euros.

 

Cette note de lecture doit commencer par quelques mots d’excuses à l’adresse des « Giménologues » éditeurs du texte de Gimenez, que j’avais rencontrés quand ils mettaient la dernière main à leur travail. Même sans être soumis à la dictature moderne de l’« actualité » — je me flatte d’y résister — je devrais pouvoir rendre compte d’un livre dans un délai inférieur à deux ans après sa parution ! J’épargnerai au lecteur la liste de douteuses circonstances atténuantes (manie de lire vingt livres en même temps, problèmes de santé, commandes urgentes, etc.) pour en venir à une nouvelle consolante : ce livre n’avait nul besoin de moi pour rencontrer son public. Cet ouvrage, dont la lecture s’impose à quiconque souhaite s’informer sur la révolution espagnole, s’est en effet vendu à plusieurs milliers d’exemplaires.

Après une présentation sommaire, je me bornerai donc à esquisser quelques réflexions qui prennent pour prétexte la manière dont Gimenez évoque les épisodes érotiques et/ou amoureux de son aventure espagnole, et l’exercice de la violence par les anarchistes, telle qu’il la rapporte.

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Le volume, édité par L’Insomniaque et les Giménologues mérite bien de comporter la mention de ces derniers, outre celle de l’auteur du texte principal, sur la couverture. En effet, les éditeurs de Gimenez ont accompli un travail gigantesque, qui produit plus de la moitié de ce gros livre de 558 pages. Ce sont, en réalité, deux livres qui s’offrent au lecteur : d’abord le récit de Bruno Salvadori alias Antoine Gimenez, jeune anarchiste d’origine italienne engagé dans le Groupe international de la colonne Durruti, entre 1936 et 1938, qu’il rédige au milieu des années 1970, et l’étude de ce Groupe qui s’est imposée aux Giménologues, dès lors qu’ils ont voulu comprendre et présenter le récit du premier.

Les Giménologues poursuivent d’ailleurs leur travail sur un site Internet, constamment enrichi (ajoutons qu’il existe également un feuilleton radiophonique réalisé à partir des souvenirs de Gimenez ; voir sur le site).

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Gimenez n’est ni un théoricien ni un écrivain, et c’est sans doute ce qui rend son récit aussi précieux, et d’une lecture aussi aisée. Il raconte sa vie dans l’Espagne noire et rouge de la révolution qu’a suscitée le coup d’état fasciste. Il la raconte non sans forfanterie parfois, pas en tant que guerrier mais en tant que jeune homme sûr de sa force et de sa séduction. C’est en effet l’un des charmes du récit qu’il entremêle, comme ils le sont inextricablement dans la vie, les épisodes amoureux et/ou érotiques, les événements militaires et les considérations politiques. Les Giménologues expliquent dans leur introduction que certains éditeurs pressentis, en France et en Espagne, et parmi eux des libertaires, proposèrent à l’auteur d’élaguer son texte de passages jugés scabreux. C’est une question politique d’importance et qui mérite sans doute mieux que la pique envoyée à quelques curés anarchistes. En effet, l’imbrication de la vie incarnée et de la lutte révolutionnaire devrait aller de soi pour des militants anarchistes, et nous savons qu’il n’en a pas toujours été ainsi. De surcroît, le récit de Gimenez montre de manière très simple et très touchante comment la société espagnole est l’objet et le théâtre de bouleversements sociaux très profonds, qui concernent notamment la condition des femmes et leur liberté amoureuse et érotique. La seconde semble — est-ce un paradoxe ? — bien davantage étendue par l’atmosphère de la révolution que n’est bouleversée la première. Ce que l’on attend des femmes — y compris des femmes combattantes — c’est encore le plus souvent la cuisine et la lessive, même si on leur offre en retour une gratitude et une estime sincères.

Cela n’empêche pas de remarquer, sans ironie méchante, que Gimenez use, probablement en toute innocence, de clichés empruntés à la littérature érotique classique[1], ce qui peut contribuer à susciter l’agacement chez certains lecteurs déjà mal disposés. Je pense ici notamment à l’épisode où notre héros déshabille (mais c’est parce qu’elle est trempée par l’averse !) une jeune religieuse échappée d’un couvent, laquelle va naturellement s’éveiller au plaisir dans ses bras. Que l’épisode soit rigoureusement exact, ce dont je ne doute pas, n’empêche nullement qu’il s’agit d’un cliché, ici mis en scène de manière extrêmement flatteuse pour le narrateur. Il est permis au moins d’en sourire sans être bigot : une ou deux phrases de commentaire distancié auraient mis les Giménologues à l’abri du reproche de complaisance, sans pour autant verser dans la censure moraliste.

En écrivant les lignes qui précèdent, je prends conscience que le texte de Gimenez, de part son aspect « naïf » déjà mentionné, prête le flanc à une critique qui viserait son caractère « édifiant ». Il peut être rejeté en tant que tel. Cependant, ce serait me semble-t-il une erreur. Gimenez décrit ce qu’il voit, c’est-à-dire aussi bien entendu ce qu’il croit. Et sa description se fait toujours « en gros plan », au niveau de l’être humain ; il observe en même temps qu’il ressent. Exemple : le camarade tueur de curé (au sens propre), qui, en pleine visite domiciliaire et déchristianisatrice, glisse sous les draps de la vieille femme l’énorme christ qu’elle n’arrivait pas à décrocher pour le cacher : « Elle pourrait être ma grand-mère, et la tienne aussi…». C’est que le déchristianisateur aussi vit sa vie simplement et « en gros plan » : il tue les curés parce que ce sont des ennemis du peuple et qu’il ne veut pour lui-même ni dieu ni maître, mais il ne va pas priver une grand-mère de tous ses fétiches. Une balle, une émotion ; un coup de fusil, un coup de cœur… c’est tout le rythme du récit de Gimenez.

On peut tuer au combat, autre chose est d’appliquer une « peine de mort ». Les anarchistes ne s’en privent guère plus que les autres, mais lorsque deux membres du Groupe international se vantent d’avoir participé à un peloton d’exécution de prisonniers, Louis Berthomieux, le responsable désigné du Groupe demande leur exclusion en mettant son départ dans la balance.

Or le débat ne portera pas sur la question de savoir si l’on peut ou doit exécuter des prisonniers, mais sur la liberté des camarades d’agir selon leur bon plaisir. Comment leur reprocher de s’être fait assassins de sang froid puisqu’ils en ont eu envie ? Les membres du Groupe sortent, au moins pratiquement, de cette ornière théorique et morale en considérant qu’eux aussi ont le droit de choisir ceux avec qui ils combattent et risquent leur vie. Les fusilleurs seront donc exclus, non parce qu’ils ont commis un crime ou une faute, mais en raison dune espèce d’incompatibilité d’humeur avec le groupe.

Gimenez raconte encore que Durruti a fait juger un militant anarchiste qui a conservé, pour les offrir à sa compagne, des bijoux récupérés chez un richard barcelonais. Il est condamné à mort par les délégués réunis des centuries. Gimenez rapporte sans critique l’histoire, et sa morale assassine : « L’or, l’argent, les bijoux devaient servir à nous procurer les armes qui manquaient et non à parer les femmes… », etc. C’est qu’il n’y participe pas ; le fusillé n’est pas un camarade intimement connu dans le combat quotidien, même si c’est un militant anarchiste incontesté. Mais Gimenez, se retournant sur le passé pour écrire son récit, n’a pas un mot de regret pour l’homme assassiné, pas un mot de critique pour la doctrine de l’exemplarité de la peine de mort à la manière anarchiste. Il ne lui vient pas à l’esprit, semble-t-il, que le voleur qui a voulu épater sa compagne s’est rendu coupable d’une gaminerie, guère plus signifiante dans le registre de l’erreur politique que la « coupable » mansuétude du déchristianisateur négligeant de voler le crucifix à la vielle dame l’est dans celui de l’entorse bienvenue à une politique rigide.

Les anarchistes espagnols que décrit Gimenez sont religieux. Ils mènent la guerre sociale à coups de morale et de bons sentiments. Un coup de fusil, un coup de cœur. Il y a des gens qui s’écoutent, qui se regardent agir, ce sont des prétentieux. Les anarchistes se sentent vivre, ils suivent leurs émotions, un jour ceci, le lendemain cela. Ce sont des exaltés. Je récuse le meurtre d’un ennemi, j’assassine un camarade. Pour des breloques ? Non, pour un principe ! Les anarchistes sont des hérétiques. Malraux écrit quelque part qu’ils sont prêts à commettre toutes les erreurs pourvu qu’ils puissent les payer de leur vie. Cette formule m’a toujours agacé. Elle m’agace encore, mais j’ai longtemps pensé qu’elle manifestait la volonté d’un adversaire politique de discréditer les libertaires tout en se donnant l’air de comprendre et d’apprécier chez eux un « sens du tragique », certes condamné par l’histoire et ses philosophies scientifiques, mais tellement décoratif, et d’un excellent rapport littéraire. La lecture d’un texte comme celui de Gimenez confirme qu’elle correspond à une réalité profonde, au moins du mouvement anarchiste espagnol, même si elle n’en épuise pas la réalité.

De ce point de vue, la découverte en français des mémoires d’un militant d’abord proche compagnon de Durruti comme Garcia Oliver, permettra de donner — du même point de vue individuel, « en gros plan », et à la première personne — une autre image du mouvement. Je ne veux pas dire ici que nous ne sachions rien du rôle des anarchistes dans la révolution espagnole, mais que le contraste est important entre les études générales (sur les collectivisations, par exemple) et les témoignages personnels, nécessairement imprégnés d’une mystique idéologique, dont je ne suis pas certain qu’elle vaut toujours mieux que les idéologies froides.

J’imagine que ces lignes paraîtront sacrilèges (c’est bien le problème !) à certain(e)s lectrices et lecteurs libertaires. Comment se permettre de critiquer un homme qui a eu le courage d’aller risquer sa vie pour vivre une révolution anarchiste, qui a vécu des scènes aussi terribles que celle où un camarade doit achever de deux coups de fusils deux femmes du Groupe, dont les fascistes ont ouvert le ventre au couteau…

C’est que, s’il est possible (je ne dis pas « légitime ») de fusiller un camarade parce qu’il a conservé un bijou volé, alors on doit aussi pouvoir lui adresser, à lui et à ses camarades du peloton d’exécution, des critiques. Aussi dures soient-elles, elles ne sont pas mortelles[2].

Comme je feuillette le livre et retrouve les passages que j’y ai soulignés, je tombe sur l’évocation d’une salve non mortelle, précisément. On a arrêté, près de la tente de Durruti, trois ou quatre hommes qui venaient l’assassiner. On les fusille… et on leur jette un seau d’eau à la figure. Les fusils étaient chargés de cartouche à blanc. On leur explique que les anarchistes font la guerre à l’ignorance et non aux pauvres bougres.

Passons sur le fait que la fausse exécution serait considérée, si pratiquée par l’ennemi, comme une forme de torture et non de mansuétude. Les assassins ratés retourneront hébétés dans leurs foyers raconter que les anarchistes les ont exécutés pour de rire. Pour l’Arsène Lupin fusillé, il s’agissait de démontrer à tous les militants qu’on ne rigole pas avec les biens récupérés pour le peuple. Exemplarité toujours.

Il est possible qu’il s’agisse d’un piège difficile à éviter, surtout dans une période de crise révolutionnaire, où les nécessités de l’action laissent peu de temps à la réflexion et où l’on apparaît d’abord par ses actes. Cependant, il n’est pas inutile de relier, lorsque nous est donné le loisir du retour en arrière, ces événements avec les réflexions théoriques qui les ont précédés (je pense aux textes de Kropotkine sur la morale).

Le type de questionnement qui s’impose ici n’est en effet pas propre aux temps de guerre civile, dont on peut toujours — pour s’en réjouir ou le déplorer — juger le retour improbable ou très éloigné. En tous temps, des militants peuvent, au nom d’un prolétariat ou d’un mouvement révolutionnaire qu’ils prétendent incarner, décréter la peine de mort pour un policier, un politicien ou un patron de l’industrie. Il peut s’agir d’une «vengeance politique» (tel flic a tué un manifestant), mais le plus souvent il s’agit d’une action spectaculaire a visée exemplaire. Elle « montrera » que l’ennemi de classe lui aussi peut (doit) trembler ; elle « réveillera » un prolétariat engourdi par la répression et l’embourgeoisement (« Le peuple est vieux » disait une chanson anarchiste).

« Nous nous battons, mais nous n’assassinons pas », dit Berthomieux en demandant l’exclusion des deux membres d’un peloton aux membres du Groupe international de la colonne Durruti. Il est navrant que des militants qui se veulent révolutionnaires se mettent en situation de dire : « Certes, nous assassinons, mais c’est parce que nous nous battons. »

Amère ironie, dans ce cas de figure, c’est la victime — par sa qualité de patron, de fasciste, de « salaud » — qui donne son sens à l’acte de tuer, lequel est en quelque sorte déréalisé. L’assassin est le moyen neutre d’une justice immanente, que l’idéologie vient expliquer comme la physique explique la chute des corps. Si l’exemplarité s’avère un échec (le prolétariat ne s’est pas « réveillé »), l’acte lui-même — le meurtre — n’en est pas affecté, puisque le statut de la victime (patron) n’est pas modifié. Autrement dit : On ne peut pas se tromper en tuant un patron. La phrase sonne comme un slogan teinté d’humour noir. Elle redevient sinistre si l’on veut bien se souvenir qu’elle se décline nécessairement en : On ne peut pas se tromper en tuant un traître… un déviationniste… un violeur… un bourgeois… un imbécile… Chacun(e) imaginera aisément les catégories à ajouter, en fonction des ses propres détestations.

Le lecteur de 2008 m’objectera que je parle ici davantage de Jean-Marc Rouillan et du groupe Action directe que d’Antoine Gimenez, révolté anarchiste (selon ses propres termes) participant à une incontestable révolution. C’est sans doute l’une des qualités paradoxales du récit de Gimenez de nous amener, par sa sincérité et sa simplicité, à nous (re)poser des questions que lui-même n’affronte pas, parce qu’il les pose sans s’en rendre compte.

Capture d’écran 2014-11-09 à 10.52.38 On peut télécharger le texte du livre sur le site de l’Insomniaque (lien à droite sur votre écran).

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Capture d’écran 2014-11-13 à 14.20.56L’Insomniaque a publié en mai 2008 un roman de Ricardo Vasquez Prada, intitulé Dans un village d’Aragon dont je ne veux pas rappeler le nom…, qui n’est pas sans rapport avec le récit de Gimenez. Je reproduis le texte de quatrième de couverture :

« En juillet 1936, l’arrivée des troupes franquistes dans un village d’Aragon précipité dans l’horreur ses habitants, parmi lesquels la famille du menuisier don Pedro. Pour sa femme, dona Maria, et ses deux filles, il s’ensuivra une petite odyssée, tissée de tragédies, d’amours et d’espoirs, au gré des aléas d’une terrible lutte à mort. Parallèlement, un torero et un étudiant de leurs amis rejoignent la fameuse colonne Durruti, au-delà de la ligne de front toute proche…

En toile de fond se profile un affrontement entre les fascistes, auxquels se rallient les grands propriétaires terriens, et la nouvelle société égalitaire et communautaire que tentent d’instaurer les anarchistes. »

190 p. 12 euros

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On trouvera des textes, de Simone Weil et d’Albert Camus, sur les problèmes de la violence révolutionnaire, dans l’excellent Albert Camus et les libertaires (1948-1960), textes rassemblés par Lou Marin chez les jeunes éditions Égrégores de Marseille (361 pages, 15 euros).

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[1] « Les seins jaillirent blancs comme l’albâtre » ; « sa croupe s’offrit comme un énorme fruit porté par les colonnes de ses cuisses nerveuses » ; « cuisses écartées, offrant à ma vue une figue dont la chair gonflée par la sève aurait fait éclater la peau » etc.

[2] On lira, sur la variété et la complexité des réactions de la population sur la question de l’attitude vis-à-vis des prisonniers, la note 16, aux pages 243-246 du livre.

Arthur, où t’as mis ton corps ?

Gueule en deuilChristian Marchadier, plus connu sous le (pré)nom Arthur, correcteur, écrivain, traducteur, moustachu, présenté dans la correspondance de Debord comme « ex-vandaliste de Bordeaux en 1968 », buveur endurci qui usait de pseudonymes évoquant des grands crus (Alexis Chassagne / Gaston Montracher pour La Fin du travail, chez Stock en 1978, Jean-Paul Musigny pour La Révolution mise à mort par ses célébrateurs, même, chez Nautilus, ou encore Adèle Zwicker pour ses traductions à L’Insomniaque – notamment celle de la biographie de Traven par Rolf Recknagel, Insaisissable, Arthur, donc, a été retrouvé mort chez lui. Probablement victime d’une crise cardiaque.

Ci-dessous, une photo d’Arthur trouvée sur le site marseillais Mille Bâbords. (Arthur vivait à Marseille depuis une dizaine d’années.)

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Nouvelle reçue par mail et trouvée développée sur le site L’Ex, homme-âne-Yack, dont je reprends la plus grande partie du communiqué.

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Je retrouve cette photo, prise par moi dans les locaux de L’Insomniaque, en décembre 2000, lors d’une fête à l’occasion de la publication d’un livre de Ngô Van.