Faites une pipe au clown !

Ce court texte peut se lire comme un addendum au chapitre III de mon livre Je chante le corps critique. Les usages politiques du corps (H&O).

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Une pipe au clown

Faites une pipe au clown ! Goûtez à l’arc-en-ciel

 

Capture d’écran 2014-11-09 à 12.58.14e ne connais ni l’origine de cette photographie (on dirait un poster) trouvée sur le Net sans indication d’origine ni les intentions de ses auteur(e)s. Elle me semble intéressante en ce qu’elle dissone avec le thème pornographique sur lequel elle affecte de broder : l’« éjaculation faciale ». Puisqu’elle représente une jeune femme, nous n’aborderons que la fellation hétérosexuelle.

Le contenu explicitement suggéré est assez simple : le sperme du clown, à l’égal du costume d’Arlequin, est multicolore. En goûter, c’est goûter à toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.

Profitons-en pour noter un paradoxe de l’éjaculation faciale ou au moins un déplacement par rapport à la fellation « classique ». Celle-ci s’entendait de préférence suivie d’une ingestion par la partenaire du sperme éjaculé (je suce, j’avale tout). « Avaler la fumée », comme l’on dit parfois pour filer la métaphore, conclut une fellation bien menée, marque l’absence de dégoût (ou l’effort consenti pour le surmonter), et assure la satisfaction optimale du mâle pompé.

Il faut que l’éjaculation faciale soit, si l’on ose dire, une figure pornographique particulièrement gratifiante par ailleurs pour que les mâles se privent de l’orgasme dans la bouche de la partenaire et reviennent, à l’instant suprême, à l’action manuelle ordinaire. On m’objectera que l’éjaculation faciale n’est pas absolument contradictoire avec l’ingestion, qui peut être partielle et consécutive. Il est facile d’observer en effet sur de nombreuses vidéos tournés par des amateurs de probables éjaculations précoces, trop pour être faciales en tout cas, ce qui oblige la réceptrice à différer l’ingestion, et à bien montrer à la caméra le sperme qu’elle a conservé dans la bouche. Dans un certain nombre d’autres cas (je m’excuse ici de l’absence de décompte scientifique, lequel excéderait ma patience), la verge est à peine ou pas du tout sucée après l’éjaculation.

Encore une remarque sur l’éjaculation faciale : il n’est pas rare (voir parenthèses précédentes) que le visage aspergé de la dame marque de la surprise, un léger dégoût (dont rien ne dit qu’une fellation suivie d’ingestion l’aurait suscité) et une gêne qui combine probablement les deux sentiments précédents. On devine qu’elle a hâte de pouvoir s’essuyer. Sans parler du fait que le sperme reçu dans l’œil (comme d’autres liquides) peut être fort désagréable.

Et encore cette remarque : la complaisance de tant de femmes à satisfaire les fantaisies, en l’espèce parfaitement stéréotypées et reproduites à des millions d’exemplaires, de leurs amants, surtout en dehors de la sphère privée, est pour moi une source d’étonnement. Certes la fellation met en scène un savoir-faire féminin, dont l’étalage peut être considéré comme gratifiant (mais comment ne pas penser à un gigantesque casting pornographique…). Cependant, elle présente du plaisir et de la relation érotique une version très réduite. Elle se concentre, avec l’objectif de la caméra, sur la verge bandée, seule et suffisante représentation/incarnation de l’homme, et au contraire sur l’entière personnalité de la femme — son visage — mise au service du plaisir mâle1. Passons ici sur les problèmes personnels et juridiques d’une infinie variété que posent ou poseront la mise en ligne, c’est-à-dire la publicité planétaire et permanente, d’un moment consenti dans telle relation, à tel âge de la vie. Question prémonitoire de Brassens (dans Les Trompettes de la renommée) : « Combien de Pénélope passeront illico pour de fieffées salopes » ?

Gageons que les coulisses d’un certain nombre de ces scénettes pornographiques feront dans les décennies à venir l’ordinaire des tribunaux correctionnels, comme l’on a appris avec bien des années de retard les conditions de tournage, respectueuses ni des droits de la personne ni du droit du travail, d’un film comme Deep Throat. En effet, à supposer, ce qui reste à prouver (mais le contraire aussi), que la divulgation a toujours été faite avec l’accord express de l’intéressée, il est peu probable qu’elle ait songé pouvoir changer d’avis et de vie dans les années suivantes…

Intéressante et nouvelle condition d’exercice du complexe d’Œdipe que celle où le garçon pourra se masturber en retrouvant dans les archives des sites pornos l’image de sa mère suçant une bite, malheureusement (?) impossible à identifier comme étant celle de papa, puisque dans 99 pour cent des cas l’homme n’est pas identifiable. Dans le même temps, la jeune fille pourra préférer les vidéos tournées par sa mère pour s’initier elle-même à la complaisance hétéronormée. Sade aurait ironiquement salué dans une telle situation le triomphe de la famille !

Revenons à la jeune goûteuse d’arc-en-ciel.

Son sourire franc, confirmé par la lueur ironique du regard, évoque davantage la bonne blague que la politesse faite à un amant insistant. Elle se marre. Et je dirais volontiers qu’elle se moque. De qui ? Voici une question plus délicate.

Observons qu’elle n’a nullement l’air « souillée » ou embarrassée en quoi que ce soit par les ostensibles traces de l’éjaculation multicolore. Son teint de brune, ses cheveux ramenés en arrière, ses paupières maquillées, lui donnent — éjaculation aidant — plutôt l’air d’une jeune indienne sur le sentier d’une guerre de comédie.

Le recours au personnage du « clown » est également ambigu. Le clown fait rire (c’est son job), mais il est lui-même plutôt triste. Ne doit-il pas se peindre sur le visage un immense sourire sanglant pour faire croire à sa jovialité ? C’est un peu comme le phoque qui fait tourner des ballons sur son nez, « ça fait rire les enfants, ça dure jamais longtemps, ça fait plus rire personne, quand les enfants sont grands », comme disait la chanson du groupe Beau Dommage. Les grands enfants perçoivent ce qu’il y a de tragique, ou au moins de pitoyable, chez le clown. Disons-le : il a un côté pauvre type.

Goûtez à l’arc-en-ciel ! La formule est poétique. Dans sa poésie naïve et outrée, elle rejoint les fantasmes masculins de toute-puissance qui font du sperme un fluide magique, un merveilleux nectar composé d’un tiers de miel, un tiers d’opium et un tiers de nitroglycérine… De quoi vous envoyer au ciel, à cheval sur un arc.

Si vous voulez mon avis, la jeune femme de la photo ne prend pas ces rodomontades phalliques très au sérieux. Elle a joué le jeu, elle en a pris plein la figure et elle en rigole. Sans méchanceté mais sans pousser plus loin la complaisance. Elle n’a pas l’air pâmé que croient devoir adopter certaines pipeuses du Net, comme si elles avaient elles-mêmes extrêmement joui au lieu de se donner de la peine 2.

Que semble-t-elle nous dire, finalement, cette jeune squaw hilare ? Qu’il peut être plaisant de sucer un garçon quand on en éprouve le désir. Que le résultat peut être distrayant, même si vaguement ridicule, voire gênant (est-ce que ça tache ?).

Mais qu’il est risible celui qui se prend au sérieux pour peu qu’on accepte d’emboucher son organe, ne jouissant à l’aise que seul dans le plaisir, et de préférence devant une caméra (Relève tes cheveux, chérie ! Lève tes yeux vers moi, là tu louches !).

Et encore qu’il est sain de rire de tout, à commencer par les prétentions clownesques des garçons à considérer leur sperme comme un cadeau divin, dont l’expulsion mérite d’être indéfiniment mise en scène, reproduite et diffusée comme un phénomène merveilleux, auquel les femmes devraient prêter leur visage de bonne grâce, comme réceptacle, miroir et écran.

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1 Les cinéphiles (et les autres) noteront que c’est le dispositif exactement inverse de celui adopté par Andy Warhol dans son court métrage Blow Job (Fellation ; 1964), plan fixe de 35 minutes sur le visage d’un homme dont le titre du film suggère qu’il se fait sucer. Et, pour persévérer dans la nostalgie des avant-gardes artistiques trop rapidement opposée à la démocratisation pornographique, mentionnons Moment de Stephen Dwoskin (1968), plan de 10 minutes sur le visage d’une jeune femme qui jouit (d’elle-même ou par l’entremise d’un tiers, on l’ignore). Dans les deux cas, sous la contrainte en l’occurrence féconde de la censure, le réalisateur envisage le plaisir, fait du visage (porteur d’expressions, d’émotions) le principal témoin érotique, ni organe ni orifice, sur-face.

2 Oui, je sais… À propos, il n’est que temps de proposer une traduction littérale de l’expression Blowjob (en un seul ou en deux mots). Disons « travail du souffle ». Cela n’étonnera que ceux qui n’ont jamais songé que l’opération en réclame beaucoup.

Suicide : Introuvable « mode d’emploi »

Capture d’écran 2014-11-09 à 10.52.22Extraits du chapitre IX (« Les lecteurs sont seuls juges ») de mon livre Le Droit à la mort. Suicide, mode d’emploi, ses lecteurs et ses juges, éd. IMHO, 2010, disponible en librairies (voir lien vers l’éditeur sur cette page, dans la colonne de droite).

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Introuvable « mode d’emploi »

Ils sont nombreux à nous reprocher, plus ou moins aigrement, de n’avoir pas fait mieux dans le domaine « pratique ». Ils assiègent les pharmaciens et les médecins, se livrent à de mystérieuses expériences de chimie dans leur garage, rien n’y fait ! Le livre n’est pas mortel à lui seul, et il n’est guère facile de se procurer les produits nécessaires. Certains nous communiquent leurs suggestions, les résultats de leurs tentatives antérieures, les informations qu’ils relèvent dans la presse ou la littérature. Un lecteur nous annonce même son suicide (anonymement, on n’est jamais trop prudent), afin que son décès — attesté par son silence — vienne confirmer la recette qu’il utilise ! Je suis frappé du détachement avec lequel ils peuvent débattre des moyens d’en finir, et qui rend certains témoignages pénibles à lire ou à entendre. Je me souviens d’une conversation téléphonique avec une femme dont la mère était à l’écouteur : « Ma mère demande s’il est souhaitable de se [censuré] dans la baignoire après avoir absorbé les médicaments »…

Sans même parler de ceux qui nous croient médecins, nos lecteurs nous supposent généralement une science exhaustive de la mort volontaire. Pendaison, poison, gaz, revolver, ils ont envisagé toutes les hypothèses, et sont persuadés que nous pourrons les éclairer. Certains nous soupçonnent de garder par-devers nous la « vraie » recette, foudroyante, indolore, et que nous avons bien dû indiquer à tel ou tel puisqu’ils ont lu dans le journal que la justice nous le reproche… Ils sont d’ailleurs prêts à payer cher le renseignement, le produit ou l’adresse du médecin complaisant ; « votre prix sera le mien » nous dit-on 1. Ils ont de la peine à admettre que nous soyons aussi démunis qu’eux dans ce domaine. J’ai pourtant eu moi-même le plus grand mal à renouveler au fil des années la dose individuelle de médicaments que je conserve « au cas où ». L’eussè-je souhaité que j’eusse été bien en peine d’organiser un trafic ou une distribution.

« L.M. » (lettre anonyme, postée le 24 août 1982 de Besançon) : « Messieurs, j’ai décidé de mettre fin à mes jours, et votre livre m’a été d’un grand secours pour me guider dans le choix d’un médicament approprié. Je pense que mon témoignage peut être intéressant pour une meilleure appréciation de l’efficacité du médicament que j’ai choisi : la [censuré]. C’est celui-ci qui m’a semblé présenter, si j’ose dire, le meilleur rapport qualité/prix […]. Reste à savoir s’il est efficace. À ce titre, voilà la dose que je compte m’envoyer : […], accompagnés d’une vingtaine de [censuré] pour me calmer […]. Dans le cas peu souhaitable où je me raterais, je mettrais quand même un point d’honneur à vous le faire savoir et à vous informer sur les suites et dommages éventuels… Je me donne pour le faire un délai d’un mois environ. Si passé cette date vous n’avez reçu aucune nouvelle de moi, vous pourrez conclure à l’efficacité certaine de ce médicament, et en informer qui de droit… Amicalement. »

Cette lettre n’a été suivie d’aucune autre.

Mme T*** (22 février 1987) : « L’idéal serait bien sûr un médicament miracle comme un comprimé de cyanure par exemple qui agirait de façon instantanée. Je vous demande de me pardonner mais je voudrais vous demander s’il ne vous serait pas possible de me fournir un tel produit. […] Je vous adresse un appel désespéré car j’ai hâte de rejoindre mon mari qui est en terre depuis trois mois déjà. […] Je vous en prie, faites quelque chose pour moi. Je vous réglerai la dépense faite pour l’achat de ce médicament. »

Mme M*** (8 avril 1985) : « Aux Docteurs Guillon et Le Bonniec. […] J’ai une amie de 72 ans qui désirait de toutes ses forces en finir dignement avec la vie. […] La [censuré] étant un médicament libre, elle s’est portée tout évidemment sur ce choix. Elle en a avalé non pas 50 comp. comme prescrit EXIT mais 80 comp. […] Résultats : le médicament ne commence à faire son effet (difficulté à parler, à bouger, regard qui s’évanouit) qu’une heure après l’avoir absorbé, ce qui est déjà assez paniquant pour quelqu’un qui s’attend à s’endormir paisiblement. Ensuite il y eut du samedi soir 20 h au lundi 10 h une suite non-interrompue de cauchemars et délires. Pas de malaises mais des divagations avec battements de cœur précipités. […] La personne s’est “réveillée” le lundi, m’a téléphoné et je l’ai trouvée dans un état d’hallucination. […]

« Moi aussi j’avais fixé mon choix sur ce médicament si facile à se procurer. Je m’étais dit : bon, cela durera peut-être 10 h ou 20 h, mais qu’importe, je serais dans une inconscience et une hébétude céleste […]. Inutile de vous écrire que la déception de cette dame qui avait soigneusement réglé son départ est immense ; elle a perdu toute confiance, elle n’ose plus tenter quoi que ce soit avec des médicaments. Elle n’envisage plus qu’une mort brutale, sanglante, n’est ce pas dramatique ? »

Mme C*** (6 décembre 1983) : « À 70 ans passés, j’ai vu beaucoup de suicides, tout près de moi… dont un dans ma propre famille. Les moyens — faute de mieux — ont presque toujours été affreux : passage sous un train, sous un camion, défenestration, pendaison. J’ai vu un défenestré, mutilé atrocement, formellement condamné à la mort, être condamné à subir une longue semaine d’une horrible agonie, par les inconditionnels de la Vie à n’importe quel prix. J’ai vu une camarade de 20 ans avaler au hasard des somnifères. Transportée à l’hôpital, elle y souffrit tellement qu’elle n’eut jamais le courage de recommencer. Réfugiée dans l’alcool, elle est morte dans une déchéance totale physique et morale, malgré les efforts méritoires d’un entourage impuissant. […]

« Alors, Monsieur Moreau, je crie à vos auteurs, de tout mon cœur et de toute ma raison : Battez-vous, battez-vous, continuez à lutter contre les idées bornées et les dictatures intellectuelles. Que ceux qui idolâtrent la VIE, la prolongent comme ils l’entendent, greffés…, dialysés…, bogomolisés ! Cela les regarde et ne concerne qu’eux. Nous ne nous permettons pas de les juger. Mais de grâce ! qu’ils aient l’honnêteté de nous rendre la pareille. Et qu’il nous fichent la paix ! »

Mme T*** (24 août 1982) : « Le suicide étant, si je puis m’exprimer ainsi, la seule raison qui me donne encore le courage nécessaire pour vivre, donc un sujet qui me passionne et m’intéresse, j’ai lu votre bouquin avec avidité, d’accord avec tout le bla-bla (très bon bla-bla d’ailleurs), mais surtout intéressée par les “recettes” de la fin. […] Sûre d’avoir assez de ce médicament pour pouvoir mourir en en prenant “une bonne dose”, j’ai avalé [censuré] persuadée que j’allais y rester. J’ai eu un coma très agité du samedi midi au lundi midi, moment où l’on m’a retrouvée, pleine de bleus, habillée dans ma chambre dans un état de fouillis indescriptible alors que j’avais tout soigneusement rangé avant de me coucher. […] Qu’en pensez-vous ? suis-je trop habituée à ce médicament pour que, même multipliée par 6, la dose que vous donnez comme mortelle n’ait eut sur moi qu’un effet de coma d’un peu plus de 48 heures, ou faut-il penser que votre “recette” est mauvaise ? »

Dr C*** (vétérinaire, 24 octobre 1985) : « Le refus d’informer un candidat au suicide des possibilités “douces” et sans séquelles (en cas de réanimation intempestive) constituerait une non-assistance à personne en danger. L’utilisation à des fins de suicide de toxiques convulsivants tels que [censuré], [censuré] ou [censuré] relève, selon moi, d’un manque d’information car la mort obtenue est atroce. Pourtant les deux derniers produits cités sont en vente libre sous forme de raticide ou d’anti-limaces. Vous avez le mérite de signaler le bon choix de certaines molécules et d’autres à éliminer absolument. »

M. S*** (18 mai 1985) : « Mettant à jour mes connaissances rouillées de travaux de laboratoire, j’ai suivi à la lettre la procédure indiquée à la page 245 de votre ouvrage 2 pour transformer du [censuré] de [censuré] en [censuré] de [censuré]. Il me semble que ce dernier produit s’est évaporé durant la calcination et que je me suis trouvé avec un produit insoluble et un autre soluble, probablement un sel de fer, mais pas du [censuré] de [censuré]. Je n’ai pas jugé bon de goûter pour en déterminer l’efficacité. Faudrait-il calciner sous vide, ou tout au moins dans une cornue ? N’étant plus très jeune et atteint d’un cancer, je tiens à être prêt pour le moment opportun. »

M. R*** (7 février 1983) : « Je m’estime un peu piégé et je suis persuadé traduire le sentiment de tous les pauvres bougres qui se sont précipités en librairie. Pensez donc “mode d’emploi”, cela veut tout dire. Enfin le sésame, le mot de passe pour une fin de soi digne et sans souffrance. Tout est là, sans souffrance. J’ai 58 ans, je suis en pleine forme et nulle envie de mourir. J’en suis au même point qu’avant. Je ne touche ni de près ni de loin au milieu médical, je ne suis pas flic non plus, rassurez-vous. Pour les raisons évidentes que vous décrivez, le lecteur reste sur sa faim. […] Je comprends vos motivations. L’ombre de la taule nuit à la clarté de l’exposé final, le seul vrai truc pour lequel on achète le bouquin. On est à la limite de la publicité mensongère. »

Mme S*** (20 août 1989) : « J’ai posé la question tant à des plombiers qu’à des membres du corps médical, les réponses qu’on m’a données ont été floues et même contradictoires. Question de quantité, question de saturation de l’atmosphère, c’est vague. Quant à vous, pensez-vous que la décharge d’une bouteille complète dans une pièce de 20 m3 doive avoir un effet mortel ? »

[Il va de soi qu’une tentative de cet ordre fait courir le risque inacceptable d’une explosion, dommageable (mais non nécessairement mortelle !) non seulement pour le manipulateur mais pour le voisinage.]

Mme B*** (12 avril 1988) : « La capacité de réaliser un tel vœu [le suicide] n’est pas proportionnel à la sincérité et à l’acuité du désir : je suis incapable de sauter d’un balcon ni de me jeter sous un train. Ce n’est pas vous que j’aurais à persuader sur ce sujet. La corde me paraissait éventuellement moins violente. J’ai fait des essais qui n’ont fait qu’aggraver mon état (raideurs, contractures, bruissements et maux de tête). […] Pouvez-vous me donner d’autres détails sur la pendaison ? […] Mon appel est à la fois osé et naïf. L’urgence et le désespoir me font vous l’adresser. Avec mes sentiments les meilleurs et un gramme d’espoir. »

M. H*** (3 janvier 1983) : « Chers amis, j’ai lu votre livre ligne à ligne. Très documenté, c’est un gros travail, mais il m’a déçu ! J’étais bien tranquille en attendant la métastase que je risque d’avoir un de ces jours à la suite d’un cancer du rein droit qui m’a été enlevé. Les séjours à l’hôpital m’ont horrifié ; je préfère mourir que d’y retourner. Seulement, la confiance que j’avais en mon 7,65 est ébranlé par votre livre. Je ne savais pas qu’il y avait tant d’échecs dans les façons de se donner la mort. Ne pensez-vous pas qu’avec deux 7,65, l’un [censuré] l’autre [censuré] simultanément des deux mains me liquidera d’un coup ? J’ai peu de confiance aux drogues ; et comment se les procurer ? Vous ne parlez pas de cette intraveineuse verte que les vétérinaires injectent à nos chiens lorsqu’il faut les adresser à leur patron Saint François d’Assise, c’est absolument merveilleux. La bête n’a pas le moindre sursaut, en cinq minutes elle est morte. »

Il est des gens auxquels on s’attache sans les connaître, ou si peu. M. H*** était garde-chasse dans le Var, il nous a adressé trois lettres, dont une version très personnelle de la pétition en faveur d’Yves. Il y indiquait la dose mortelle et le nom commercial du produit auquel il fait allusion dans le texte ci-dessus reproduit. Le dernier courrier que je lui ai envoyé en septembre 1986 m’est revenu avec la mention “décédé”. Sans doute la métastase s’était-elle faite plus menaçante. Que la crapule moraliste et judiciaire se rassure, je n’ai rien pu faire pour seconder M. H*** dans sa dernière bagarre. J’espère simplement que la mort de cet homme libre n’a pas été plus pénible que celle d’un chien.

M. P*** (29 avril 1990) : « Je me suis tiré il y a quelques années une balle de 22 long rifle dans [censuré] mais j’en ai réchappé. Cependant je ne voudrais pas renouveler cette atroce expérience. […] C’est pourquoi je vous supplie de me donner des adresses de psychiatres ou d’antipsychiatres à Paris ayant des idées assez larges pour me prescrire une ordonnance grâce à laquelle je pourrai mourir à coup sûr. »

Mme J*** (7 mars 1991) : « Monsieur, c’est un appel au secours que je vous lance. J’ai 77 ans, un fils handicapé de naissance de 44 ans qui s’étiole de jours en jours. Je voudrais que nous partions tous les deux sans souffrance. […] Je vous en supplie, écoutez-moi et donnez-moi le nécessaire pour nous deux. D’ailleurs je ne ferai l’acte que trois mois après avoir reçu vos médicaments, car je vous envoie un chèque pour cela, de façon que l’on ne fasse pas de rapprochement, vous avez ma parole. Mais par pitié exaucez mon vœu. J’espère être entendu de vous. »

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1 Nous avons retourné systématiquement les chèques aux personnes qui nous en ont adressés dans l’espoir d’obtenir une recette inédite ou un produit. Celles qui le souhaitaient pouvaient verser de l’argent sur un compte bloqué, géré par un avocat ; les sommes récoltées ont servi à couvrir les frais de défense.

2 Allusion à la méthode contenue dans la brochure de Paul Robin Technique du suicide, […] reproduite en annexe de Suicide, mode d’emploi à titre de document historique. Nous lui avons ajouté en 1984 un avertissement destiné aux lecteurs — souvent âgés — qui nous demandaient des précisions sur le produit indiqué, difficile à trouver, d’emploi aléatoire, donc formellement déconseillé.

“SUICIDE, MODE D’EMPLOI” SUR LE NET : AVIS DES AUTEURS

Gueule rougeDepuis quelques années, et de manière plus fréquente ces derniers mois, des personnes inconnues de nous ont pris l’initiative de mettre en ligne des versions pdf de l’ouvrage que nous avons publié en 1982 : Suicide, mode d’emploi. Histoire, technique, actualité.

Il n’est pas certain que ces personnes, et les hébergeurs concernés, aient bien compris qu’une telle initiative tombe sous le coup de la loi de 1987 réprimant la « provocation au suicide » et précisément toute information sur des produits ou techniques présentés comme étant de nature à entraîner la mort.

C’est pourtant le cas. Il suffira d’une tentative de suicide, même manquée, de la preuve, ou de la présomption du téléchargement, et d’une plainte d’un proche, ou du parquet. Que l’on ne vienne pas nous dire que ce concours de circonstance est peu plausible : nous avons vu bien pire.

Il importe peu que la plupart des informations contenues dans le dixième chapitre, intitulé « Éléments pour un guide du suicide », soient aujourd’hui, 27 ans après la publication initiale, obsolètes — la quasi totalité des médicaments ont été retirés de la vente ou placés dans une catégorie qui les rend plus difficile d’accès. Cela n’ôte, sur le plan pénal, aucun moyen aux autorités.

Ne connaissant pas les personnes à l’origine de ces mises en ligne, nous ignorons leurs motivations même si nous pouvons supposer que, dans la plupart des cas, elles ont à cœur de rendre disponible librement et largement un livre interdit de fait, puisque toute réédition y compris sur le Net tombe sous le coup de la loi de 1987.

Cependant, l’un des arguments avancé par l’initiateur récent d’une de ces mises en ligne mérite d’être réfuté. « J’espère, écrit-il [elle ?] que MM. Guillon et Le Bonniec ne me tiendront pas rigueur d’avoir agi sans leur permission ; je suppose que le problème des droits ne se pose pas (ou plus) s’agissant d’un ouvrage qui n’est plus en circulation. »

Supposition erronée.

Il existe trois cas de figure s’agissant des droits d’auteurs d’un livre :

a) L’ouvrage est disponible en librairies ; c’est alors l’éditeur qui possède les droits, que lui a cédés l’auteur.

b) L’ouvrage n’est plus disponible en librairies ; c’est alors l’auteur qui a récupéré les droits. Il en use librement, par exemple pour les céder à un nouvel éditeur. Il peut également, c’est le cas sur le site où vous vous trouvez, mettre en accès libre et gratuit un certain nombre de textes épuisés.

Auteur et éditeur peuvent se mettre d’accord pour mettre en ligne le texte d’un livre que l’on peut se procurer en librairies.

c) Le cas de figure évoqué — « le problème des droits ne se pose plus » — nécessite la réunion de deux conditions : 1. le décès de l’auteur ; 2. l’écoulement d’un délai de 70 ans après ce décès. On dit alors qu’un texte est « tombé dans le domaine public ».

Nous espérons que personne ne nous tiendra rigueur de ne pas être en mesure, à ce jour, d’indiquer la date de nos décès respectifs, lesquels seraient d’ailleurs d’un piètre intérêt, étant donné le délai postérieur imposé.

Résumons-nous :

Nous sommes seuls propriétaires des droits de l’ouvrage publié initialement par Alain Moreau en 1982 sous le titre Suicide, mode d’emploi.

Les textes et informations qu’il contient ne sont pas dans le domaine public ; seuls les auteurs peuvent décider de publier tel passage, dans sa version originale ou dans une version nouvelle.

Toute personne qui entreprend la diffusion du texte de l’ouvrage Suicide, mode d’emploi, sous quelque forme que ce soit, agit sans avoir sollicité auprès de nous un accord, que nous aurions nécessairement refusé puisqu’il nous aurait exposé à des poursuites en application de la loi de 1987.

(Ne sont pas concernés, au moins de notre point de vue, les exemplaires du livre original vendus par des libraires d’occasion, dont rien ne dit cependant qu’ils ne pourraient pas servir de prétexte à l’ouverture d’une information judiciaire.)

Les personnes qui organisent une telle diffusion doivent savoir qu’elles contreviennent, à leurs risques et périls, outre aux dispositions sur la propriété littéraire, à la loi réprimant la « provocation au suicide ».

Paris, le 28 juillet 2009

Claude Guillon

Yves Le Bonniec

Bibliographie

Capture d’écran 2014-11-09 à 10.52.22On trouvera ci-dessous la liste de mes livres, présentés par ordre (plus ou moins) chronologique (certains titres sont indiqués à la date de leur réédition) ; les liens correspondant aux éditeurs (français) se trouvent dans la colonne de droite de la présente page.

Plus loin, des notices détaillées concernant certains titres.

 

 

 

Capture d’écran 2014-11-09 à 10.52.38  Pour en finir avec Reich, Alternative diffusion, 1978 (épuisé).

 

Capture d’écran 2014-11-09 à 10.52.38  Ni vieux ni maîtres, guide à l’usage des 10-18 ans, en collaboration avec Yves Le Bonniec, Alain Moreau, 1979 (épuisé). (Traduction en japonais)

 

Capture d’écran 2014-11-09 à 10.52.38  Suicide, mode d’emploi, Histoire, technique, actualité, en collaboration avec Yves le Bonniec, Alain Moreau, 1982 (jugé en infraction avec la loi de 1987 censé réprimer la « provocation au suicide » ; épuisé). (Traductions en japonais, espagnol, catalan, allemand, italien)

 

Capture d’écran 2014-11-09 à 10.52.38  De la Révolution, 1989, l’inventaire des Rêves et des Armes, Alain Moreau, 1988 (épuisé).

 

Capture d’écran 2014-11-09 à 10.52.38  Deux enragés de la Révolution : Leclerc de Lyon et Pauline Léon, La Digitale, 1993. Disponible.

 

Capture d’écran 2014-11-09 à 10.52.38  Gare au TGV ! Éditions Car rien n’a d’importance, 1993 (épuisé).

 

Capture d’écran 2014-11-09 à 10.52.38  42 bonnes raisons pour les femmes de m’éviter, (dessins d’Edmond Baudoin), La Digitale, 1993. Disponible.

 

Capture d’écran 2014-11-09 à 10.52.38  Le Spectacle du Monde, DLM éditions, 1996 (épuisé).

 

Capture d’écran 2014-11-09 à 10.52.38  À la vie à la mort, Maîtrise de la douleur et droit à la mort, Noésis, 1997. (épuisé)

 

Capture d’écran 2014-11-09 à 10.52.38  Économie de la misère, La Digitale, 1999. Disponible. (Traduction en espagnol, Alikornio ediciones)

 

Capture d’écran 2014-11-09 à 10.52.38  Dommages de guerre (Paris-Pristina-Belgrade-1999), L’Insomniaque, 2000. Disponible.

 

Capture d’écran 2014-11-09 à 10.52.38  Pièces à conviction. Textes libertaires 1970—2000, Noésis/Agnès Viénot, 2001. (épuisé)

 

Capture d’écran 2014-11-09 à 10.52.38  Le Siège de l’âme. Éloge de la sodomie (Fantaisie littéraire, érosophique et antithéiste), Zulma, 2005 (é. o. 1999). Disponible.

 

Capture d’écran 2014-11-09 à 10.52.38  Je chante le corps critique. Les usages politiques du corps, H&O, 2008. Disponible.

 

Capture d’écran 2014-11-09 à 10.52.38  Notre Patience est à bout. Les textes des Enragé(e)s 1791-1793, IMHO, 2009. Disponible.

 

Capture d’écran 2014-11-09 à 10.52.38  La Terrorisation démocratique, Libertalia, 2009. Disponible.

 

Capture d’écran 2014-11-09 à 10.52.38  Le Droit à la mort, Suicide, mode d’emploi, ses lecteurs et ses juges, édition revue et augmentée, IMHO, 2010 (é. o. 2004). Disponible.

 

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Collaborations

 

Tankonalasanté, recueil d’articles de la revue du même nom, petite collection Maspero, 1975 (quatre articles). Épuisé.

 

Un Paris révolutionnaire. Émeutes, subversions, colères, Claire Auzias (dir.) L’Esprit frappeur/Dagorno, 2001. Articles : « Théophile Leclerc », « Pauline Léon et Claire Lacombe », « La marche des sans-papiers », « Anacharsis Cloots », « Tankonala Santé ».

 

Dictionnaire de la pornographie, Philippe Di Folco (dir.), PUF, 2005. Article « Sodomie ».

 

Annales historiques de la Révolution française, « La prise de parole publique des femmes » (journée d’étude, 11 décembre 2004, Paris-I Sorbonne), n° 344, avril/juin 2006 : « Pauline Léon, une Républicaine révolutionnaire ».

 

De Godzilla aux classes dangereuses (coll.), Ab Irato, 2007. Deux textes.

 

Le Suicide des jeunes. Mourir pour exister, Virginie Lydie, Syros, 2008. Entretien.

 

Dictionnaire de la mort, Philippe Di Folco (dir.), Larousse, 2010. Articles : « Autopsie psychologique », « Binet-Sanglé », « Droit à la mort », « Kevorkian Jack ».

 

Le Militantisme, stade suprême de l’aliénation, Organisation des jeunes travailleurs révolutionnaires (OJTR), Parrhèsia/Éditions du Sandre, 2010. Présentation et notes.

 

Bourgeois et bras-nus, Daniel Guérin, Libertalia, 2013. Préface.

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Notices détaillées

-  Pour en finir avec Reich

« Tout ce que vous pourriez déjà savoir sur Reich si vous aviez osé le lire »

Brochure auto-éditée, diffusion Parallèles/Alternative, 24 p., deuxième trimestre 1978. Épuisé.

Le texte principal fait la critique de ce qui, dans l’œuvre de Wilhelm Reich, appartient déjà à la sexologie, mensonge de la bourgeoisie moderne et hygiéniste sur une « vie sexuelle » séparée, pour l’étude de laquelle le psychanalyste utilise des concepts économiques. Au-delà d’un légitime épanouissement individuel, la fonction sociale de l’orgasme (en couple hétérosexuel, uniquement) est de libérer l’énergie nécessaire au travail productif. La seconde partie de la brochure réunit les textes de la polémique avec la revue Sexpol et une critique de la secte néo-reichienne AAO (Organisation analyse actionnelle pour une pratique de vie consciente), dont le fondateur Otto Muehl (ou Mühl, suivant l’orthographe retenue) fait un retour surprenant dans la mode contestataire des années 2000.

-  Ni vieux ni maîtres

Guide à l’usage des 10-18 ans

Corédigé avec Yves Le Bonniec (qui imagina ce joli titre). Éditions Alain Moreau. Première éd. : troisième trimestre 1979, 315 p. Seconde éd. : deuxième trimestre 1983, format poche, 265 p. Épuisé.

Traduction en japonais.

Sans équivalent ni concurrent, ni à l’époque ni vingt ans plus tard, ce guide offre aux mineur(e)s un arsenal de survie quotidienne. « Scolarité obligatoire, amours défendues, correspondance contrôlée, circulation interdite, domicile obligatoire, lectures censurées, idées interdites… Assez pour faire qualifier de totalitaire n’importe quel régime politique. Pour les enfants, les adultes disent : éducation, protection, et même amour ! »

S’ouvrant sur un chapitre traitant des meurtres d’enfants par leurs parents (« La famille tue »), le livre analyse la situation juridique des mineur(e)s ; énumère les nombreux droits qui leur sont déniés, les rares droits qui leur sont octroyés, et ceux – plus rares encore – que des contradictions du système et quelques magistrats réformateurs permettent ou encouragent. Pour chaque question abordée, sont détaillés l’état du droit (la fugue n’est pas un délit…), les risques encourus (…mais fugueurs et fugueuses sont des proies faciles…), et les ressources pratiques (centres d’accueil, boutiques de droit, etc.) Toujours, les aspects théoriques et pratiques se complètent : parler d’amour, c’est aborder la jalousie, les rapports de force masculin-féminin, et décrire les méthodes de contraception.

En 1980, le ministère de l’Intérieur envisagea de soumettre Ni vieux ni maîtres à la Commission chargée de l’examen des publications destinées à la jeunesse. Éventée, la démarche fut publiquement dénoncée, et tourna court.

-  Suicide, mode d’emploi

Histoire, technique, actualité

Corédigé avec Yves Le Bonniec ; éditions Alain Moreau, premier trimestre 1982, 276 p. Il existe des traductions en japonais, allemand, italien, castillan, catalan, portugais.

Par-delà le caractère provocateur du titre, dont d’innombrables pastiches et déclinaisons ultérieurs attestent l’efficacité, c’est un double mode d’emploi que propose le livre. En premier lieu, à travers (ou contre) l’histoire, le droit et la littérature, c’est à un usage philosophique et libertaire de l’idée du suicide, symbole du libre arbitre individuel, qu’invite l’ouvrage : la certitude de pouvoir choisir le jour, l’heure et le moyen de sa mort, sans souffrances inutiles, apporte une part de la sérénité et de l’énergie nécessaires au combat quotidien. Seul le dixième et dernier chapitre, intitulé « Éléments pour un guide du suicide » fournit, sur l’intoxication médicamenteuse, des indications techniques adaptées de brochures associatives étrangères, rédigées par des médecins militant pour « le droit de mourir dans la dignité ». Unique apport de la science moderne à la technique du suicide, les médicaments offrent une possibilité de mort moins « violente », en garantissant un délai de réflexion de plusieurs heures après le geste suicidaire (ils sont d’ailleurs responsables d’une minorité des décès suicidaires).

Diffusé jusqu’en 1990, malgré une dizaine de procédures judiciaires et les appels à la censure de tout le pays institutionnel (Académie de médecine, Églises, partis, syndicats, etc.) le livre s’est vendu à cent mille exemplaires et a donné lieu à une abondante production journalistique (environ cinq cents articles, dont un franchement favorable). Un jugement de la seizième chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris (11 avril 1995) a condamné Alain Moreau pour avoir réimprimé Suicide, mode d’emploi postérieurement à la promulgation de la loi de 1987 visant la « provocation au suicide », loi de circonstance réintroduisant le suicide dans le Code pénal deux cent ans après la Révolution française, et visant notre ouvrage au premier chef. Impossible à imprimer et à diffuser Suicide, mode d’emploi est donc interdit de fait.

-  De la Révolution

1989, l’inventaire des rêves et des armes

Éditions Alain Moreau, 270 p., décembre 1988 ; épuisé.

Dédié « aux circonstances, pour qu’elles s’aggravent », et – en chinois – au dissident Wei Jingsheng, alors emprisonné, De la Révolution est l’un des deux livres défendant l’actualité du projet révolutionnaire publiés en France l’année du bicentenaire de la grande Révolution. En fait d’inventaire, il dresse d’abord celui des mensonges constamment rafistolés sur le monde et la condition humaine qui présentent l’ordre établi (machinal, marchand, machiste) comme naturel, nécessaire et immuable. « Ainsi donc, l’idée du bonheur ne supporterait pas d’être deux fois centenaire et nous devrions croire, au nom des camps staliniens, que, partie de rien – à peine une paramécie – l’humanité arrive, au faîte de son évolution, à la misère marchande et parlementaire. […] Qui donc a fait l’histoire jusqu’à présent ? Quelques satrapes et des armées de dupes, voilà ce qu’il faudrait que nous nous tenions pour dit. »

Réfutant les divers évangiles annonçant la fin de l’histoire, De la Révolution tente une relecture des problèmes de philosophie pratique que posent toute action révolutionnaire : violence et morale, réalisme et utopie, désir et subversion… Si l’on peut reprocher à l’auteur un texte à visée programmatique, c’est bien celui-là ; il représente en tous cas le maximum de cohérence théorique et littéraire dont il se sent capable.

-  Deux enragés de la Révolution, Leclerc de Lyon et Pauline Léon

Avril 1993, 255 p., éditions La Digitale (17, rue de Saint Thamec 29350 Moëlan-sur-Mer). Disponible.

Après avoir compté parmi les animateurs les plus énergiques de la sans-culotterie parisienne, les Enragés, se dressèrent – mais hélas trop tard – contre la Terreur. Ils défendirent l’idée d’une seconde révolution dans la révolution bourgeoise, contre les hommes d’État qui voulaient l’accaparer.

Ce courant, porteur de la revendication d’une démocratie directe, a surtout fait l’objet de travaux soviétiques et anglo-saxons. Même dans ces derniers, les figures féminines, et singulièrement celle de Pauline Léon, ont longtemps été négligées. J’ai rédigé la biographie de cette militante du club des Républicaines révolutionnaires, et de son compagnon Théophile Leclerc, le plus jeune des Enragés. L’ouvrage reproduit l’intégralité des textes qu’ils ont publiés, y compris les vingt-quatre numéros du journal L’Ami du peuple, jamais réédité depuis 1793.

Sur le même sujet, je renvoie à l’article « Les Enragés » (Critique communiste, n° 130-131, mai 1993), à ma présentation du classique de Daniel Guérin : Bourgeois et bras nus. La guerre sociale sous la Révolution. 1793-1795, Les nuits rouges éditeur, 1998, ainsi qu’à l’article « Pauline Léon, une républicaine révolutionnaire », Annales historiques de la Révolution française, n° 344, avril/juin 2006, consacré à « La prise de parole publique des femmes » sous la Révolution.

-  Gare au TGV !

Mai 1993, 68 p., éditions …Car rien n’a d’importance ; épuisé.

Encensé par les états-majors syndicaux et politiques (staliniens en tête), qui y voyaient le moyen de créer des emplois, de favoriser l’exportation d’un produit français, et même de faire « triompher le progrès technique », bref de faire aller plus vite le grand train du monde marchand, le « Train à grande vitesse » a rencontré l’opposition des populations des régions traversées, littéralement rayées de la carte par un système d’aménagement de l’espace européen qui relie les seules grandes métropoles. Loin d’intégrer la grande vitesse, dont l’exemple japonais montre qu’elle peut être combinée à une desserte locale efficace, le « système TGV » a permis d’achever le démantèlement du réseau ferré traditionnel, amorcé dès 1930 et activement poursuivi dans les années 70.

La SNCF, « établissement public à caractère industriel et commercial », a voulu restructurer son offre au profit de ce que les techno-crétins nomment « l’élite circulatoire », c’est-à-dire les cadres, excluant ainsi l’auteur de ces lignes, pourtant réfractaire à la conduite automobile et donc usager captif du train. S’étant avisé que patrons et cadres forment une clientèle insuffisante, et les principales suppressions de lignes ayant été effectuées de manière quasi irréversible, la SNCF tente aujourd’hui de faire ressembler le TGV à un train (départs de nuit, réductions tarifaires, etc.) Par ailleurs, la prise de conscience chez les cheminots des conséquences du système TGV en matière de licenciements et de restriction de la circulation des personnes a progressé (cf. les tracts critiquant les conditions d’emploi du TGV lors des manifestations syndicales de l’hiver 1995).

-  42 bonnes raisons pour les femmes de m’éviter

La Digitale ; première édition : mars 1995 ; deuxième édition : novembre 1996 ; 62 p. Disponible.

Quarante-deux ! voilà qui est bien peu, pensera-t-on. Il fallait bien clore une liste, qui eût pu, sans doute, être indéfiniment enrichie. Quarante-deux ans, c’est tout bonnement l’âge de l’auteur quand il rédige cet antiportrait ironique, illustré sur le même ton par le dessinateur Edmond Baudoin.

« Lorsqu’une jeune femme que j’aimais follement, et qui semblait goûter nos étreintes et nos bavardages passionnés, me préféra une sorte d’ectoplasme, ne sachant ni parler ni bander, je compris qu’il était temps pour moi de prendre la mesure du désastre et commençai de rédiger cet opuscule. Il y est question de moi bien sûr, mais aussi d’amour, de livres, de beauté, de solitude, de révolte et d’argent. […] Et puis voici qui pourrait figurer comme la énième de ces « bonnes raisons » : j’ai l’effronterie de croire qu’en dressant l’inventaire de mes bizarreries, de mes faiblesses et de mes prétentions, je laisse encore à désirer. »

Extraites de ce livre, trois « bonnes raisons » ont été republiées par Corinne Monnet dans le recueil intitulé Au-delà du personnel (Atelier de création libertaire, Lyon, 1998).

-  Le Spectacle du monde

DLM éditions, premier trimestre 1996, 95 p. ; épuisé.

Un homme et une femme se caressent et parlent d’amour, tandis qu’un procès, que l’on devine expéditif, se déroule sous leurs yeux. Le lecteur ne sait donc pas s’il a entre les mains un court roman, une pièce de théâtre ou un scénario de film. C’est un point de vue – au sens optique – qui s’offre à lui. Il voit les amants se regarder jouir, tandis qu’ils observent la farce judiciaire. Dans pareille configuration, mise en abîme du spectacle du monde, l’obscénité se lit-elle dans le désir ou dans le pouvoir ; dans le vocabulaire ou dans le jeu des organes ? Le duo amoureux affiche, en guise de réponse, le parti pris d’une réappropriation rebelle et malicieuse de la langue :

« Maintenant, fit-elle à son oreille, je veux que tu me dises des mots… – Oui, mais lesquels ? – Dis-moi un joli mot d’abord. – Chanterelle ? – Oui… un mot sale… – …Concupiscence. – Oui ! Elle imprimait seule le rythme du coït. Retenant in extremis la verge à l’entrée de son sexe, elle faisait sa demande, puis, les yeux clos, acquiesçait à la réponse d’un mouvement profond du bassin. – Un mot gai… – Soliloque ! – Oui… un autre… – Conciliabule ? – Oui… langoureux… – Épithalame… – Oui… un mot léger… – Volition… »

-  À la vie à la mort

Maîtrise de la douleur et droit à la mort

Noêsis, avril 1997, 204 p. Épuisé.

Réaffirmer la dignité humaine par la nécessaire maîtrise de la douleur (anesthésie), de la fécondité (contraception, avortement) et de la mort (euthanasie, suicide, obsèques), tel est l’objet de ce livre.

Après plusieurs siècles d’un dolorisme catholique supposé rédempteur, bientôt relayé par l’idéologie laïque médicale, ce n’est qu’au milieu des années 80 (1985 et 1987) que sont publiés des travaux établissant de manière irréfutable la perception de la douleur chez les nouveau-nés, prématurés compris, et donc aussi chez le fœtus. Seize ans plus tard, l’Académie de médecine se réfère bien à ces travaux, mais n’en accepte les implications, à propos du fœtus, qu’avec une réticence obstinée (Le Monde, 4-5 mars 2001). Riches de savoir et de moyens techniques, nous sommes encore dans la préhistoire de la prise en compte de la douleur, y compris chez l’adulte. On y verra la persistance des pesanteurs religieuses et leur importance dans les blocages institutionnels en ce qui touche au corps désirant et souffrant, porteur de vie et promis à la mort. Du coup, l’expérience positive des centres de soins palliatifs est utilisée par les moralistes pour réfuter la revendication de l’euthanasie et plus encore celle du droit au suicide. Seul le choix de la crémation, hier anathématisé, semble entrer dans les mœurs… Comme si la société ne pouvait reconnaître tout à fait qu’à des cadavres la libre disposition d’eux-mêmes.

-  Le Siège de l’âme

Éloge de la sodomie

Éditions Zulma, février 1999, 200 p. Disponible.

Au prétexte de réhabiliter la manière d’aimer la plus décriée qui soit, l’auteur entend repenser la chair dans ses rapports avec l’âme, chanter le plaisir comme dépense partagée, et réintroduire dans l’érotisme un merveilleux débarrassé du divin.

Est-ce parce que, dans la nomenclature catholique, la sodomie hétérosexuelle était qualifiée d’« imparfaite », qu’elle n’avait jusqu’ici jamais été abordée dans un ouvrage spécifique ? Le Siège de l’âme, « fantaisie littéraire, érosophique et antithéiste » vient combler cette lacune en exaltant l’art d’enculer comme « une école de tendresse, de connaissance de soi, et d’attention portée à l’autre. » C’est en somme, pour paraphraser Plutarque, l’école de la grâce. Mais part cette grâce, encore faut-il que les hommes soient eux-mêmes touchés, s’ils la veulent mériter !

-  Économie de la misère

Misère de l’économie – Droit au travail – Précarité – Loi du marché – Production immatérielle – Revenu garanti – Aliénation – Fouriérisme – Paresse – Plaisir – Révolution

La Digitale, septembre 1999, 106 p. Disponible.

Édition espagnole, deuxième semestre 2001, Alikornio ediciones, Barcelone.

Après le succès considérable d’une critique pasteurisée et sans perspective de « l’horreur économique », il était bon de rappeler que l’idéologie économiste, comme la sacralisation du travail, ont été l’objets de débats passionnés dans le mouvement révolutionnaire. Si les piques d’un Lafargue ou d’un Kropotkine contre le « Droit au travail » gardent toute leur pertinence, un courant anarcho-syndicaliste d’inspiration proudhonienne reste attaché à la valeur morale du labeur. Dans sa seconde partie, l’ouvrage dresse la généalogie, jusqu’ici négligée, du courant « garantiste », depuis Thomas Paine jusqu’aux autonomes des années 70, modernes partisans d’un « revenu garanti » ou d’un « salaire social », en passant par les sympathisants de Jacques Duboin constituant, sous l’Occupation, la section économique du groupe Collaboration. Qu’il s’agisse d’humaniser le système capitaliste (Yoland Bresson), de réaliser ses potentialités les plus prometteuses (Negri), ou – plus prosaïquement – de proposer à la social-démocratie au pouvoir un « nouveau new deal » (Yann Moulier Boutang), tous les partisans du garantisme retrouvent la préoccupation de Paine : réaliser la réforme pour éviter (conjurer) la révolution.

À l’encontre de cet évolutionnisme, je tiens qu’il est impossible de faire l’économie d’une révolution pour en finir avec un monde où l’horreur, la misère et l’ennui sont monnaie courante.

-  Dommages de guerre

Paris – Pristina – Belgrade – 1999

L’Insomniaque, mars 2000, 124 p. Disponible.

Sous la bannière de l’OTAN, Assassins sans frontières et Marchands du monde ont ravagé la Serbie et le Kosovo. La main sur le cœur, ils jurent que cette guerre n’avait aucun motif secret, d’ordre économique ou géostratégique. Il ne s’agissait que d’exercer le très charitable « droit d’ingérence »… Lequel se confirme être le droit des gérants. En effet, les documents produits par les institutions européennes et telle Agence américaine d’aide à l’exportation attestent que les États-Unis et l’Union européenne, concurrents et complices, aménagent de longue date dans les Balkans un protectorat dont ils forment les patrons, les flics, les ministres, et même les « meneurs syndicaux ». Quant au pétrole (et autres matières premières), dont on a fait briller l’absence comme une preuve décisive, il faut les acheminer vers l’ouest depuis les gisements de la Caspienne et d’ailleurs, via de coûteux « Corridors paneuropéens de transport ». Les trois principaux se coupent en formant un triangle, dont le centre se trouve précisément au Kosovo ! Triste exception française, trop de libertaires ont cru à l’inéluctable « guerre humanitaire », causant loin du front – sans risques ni excuses -, le plus honteux des « dégâts collatéraux ».

-  Pièces à conviction

Textes libertaires 1970-2000

Éditions Noésis-Agnès Viénot, 2001, 293 p. Épuisé.

Censuré par l’État et par des anarchistes, calomnié équitablement par ces derniers et par des staliniens, bousculé par les flics, j’ai acquis, un peu par mes mérites et beaucoup au gré des circonstances, une certaine expérience de l’hostilité. Aussi conçois-je fort bien que l’on m’ignore ou que l’on veuille me faire taire ; il n’est pas jusqu’aux réticences qu’ont soulevées tel ou tel de mes textes que je ne puisse comprendre. Cependant, si l’on s’en prend à moi pour mes idées, qu’il s’agisse au moins des miennes, et qu’elles y soient toutes ! Ce sont les traces d’une écriture politique que j’ai rassemblées.

Je ne suis pas assez naïf pour ne pas voir que bon nombre de ces pièces à conviction seront utilisées à charge contre moi. Le temps est à la répétition en farce des procès staliniens, aux soupçons et à la bienséance idéologique. Mais il ne me déplaît pas de secourir ainsi mes adversaires les plus misérables : archivistes illettrés des pensées déviantes, petits chimistes de la police scientifique des mœurs, fabriquants d’épouvantails à façon. C’est, il me semble, un trait d’orgueil excusable de se vouloir des ennemis moins démunis. Chacun des 50 textes rassemblés dans cet ouvrage est une protestation contre la pitoyable morale que ces fâcheux incarnent et le monde qu’ils servent.